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17/09/2006

Antonin Artaud encore

La pensée du jour : "Tu seras aimé le jour où tu pourras montrer ta faiblesse sans que l'autre s'en serve pour affirmer sa force", Cesare PAVESE.

 

Avant de consacrer une note (une de plus!) à Antonin Artaud, je tiens à parler un peu du Livre sur la Place. J'y ai croisé une ancienne élève, dont la première impulsion a été de me faire la bise, geste spontané qui m'a plutôt fait plaisir. J'ai discuté avec Dominique Bona, qui a écrit, il y a quelques années, une biographie sur Romain Gary. Je lui ai dit que je supposais qu'on ne pouvait qu'être sous le charme d'un tel homme quand on "étudiait" à fond sa vie, son oeuvre, tout... J'ai vu Richard Bohringer, pour lequel j'aurai toujours une profonde tendresse. Et, surtout, j'ai revu Etienne, ce fan de Thiéfaine rencontré il y a quelques mois à Voujeaucourt, et avec lequel j'ai bien papoté aujourd'hui. C'est chouette de croiser un autre fan d'Hubert à Nancy, ce n'est pas tous les jours que ça arrive!

Et maintenant, place à la déchirure...

Voici ce qu'écrivit Antonin Artaud suite à la loi de 1916 qui réprimait, outre "l'usage en société", le commerce et la détention frauduleuse de "substances vénéneuses", réservant leur seul usage légal à une médecine sous haute surveillance. Je ne souhaite pas particulièrement faire ici l'apologie des "substances illicites" (je suis plutôt comme Romain Gary, qui n'aimait pas ce qui peut altérer le comportement, mais enfin, "chacun sa religion, chacun son parachute"). Cependant, j'aime ce texte pour ses accents déchirants...

 

Monsieur le législateur,

Monsieur le législateur de la loi de 1916, agrémentée du décret de juillet 1917 sur les stupéfiants, tu es un con

Ta loi ne sert qu’à embêter la pharmacie mondiale sans profit pour l’étiage toxicomanique de la nation parce que

1° Le nombre des toxicomanes qui s’approvisionnent chez le pharmacien est infime ;

2° Les vrais toxicomanes ne s’approvisionnent pas chez le pharmacien ;

3° Les toxicomanes qui s’approvisionnent chez le pharmacien sont tous des malades ;

4° Le nombre des toxicomanes malades est infime par rapport à celui des toxicomanes voluptueux ;

5° Les restrictions pharmaceutiques de la drogue ne gêneront jamais les toxicomanes voluptueux et organisés ;

6° Il y aura toujours des fraudeurs ;

7° Il y aura toujours des toxicomanes par vice de forme, par passion ;

8° Les toxicomanes malades ont sur la société un droit imprescriptible, qui est celui qu’on leur foute la paix.
C’est avant tout une question de conscience.

La loi sur les stupéfiants met entre les mains de l’inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes ; c’est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun. Tous les bêlements de la charte officielle sont sans pouvoir d’action contre ce fait de conscience : à savoir que, plus encore que de la mort, je suis le maître de ma douleur. Tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale qu’il peut honnêtement supporter.

Lucidité ou non lucidité, il y a une lucidité que nulle maladie ne m’enlèvera jamais, c’est celle qui me dicte le sentiment de ma vie physique. Et si j’ai perdu ma lucidité, la médecine n’a qu’une chose à faire, c’est de me donner les substances qui me permettent de recouvrer l’usage de cette lucidité.

Messieurs les dictateurs de l’école pharmaceutique de France, vous êtes des cuistres rognés : il y a une chose que vous devriez mieux mesurer ; c’est que l’opium est cette imprescriptible et impérieuse substance qui permet de rentrer dans la vie de leur âme à ceux qui ont eu le malheur de l’avoir perdue.

Il y a un mal contre lequel l’opium est souverain et ce mal s’appelle l’Angoisse, dans sa forme mentale, médicale, physiologique, logique ou pharmaceutique, comme vous voudrez.

L’Angoisse qui fait les fous.
L’Angoisse  qui fait les suicidés.
L’Angoisse qui fait les damnés.
L’Angoisse que la médecine ne connaît pas.
L’Angoisse que votre docteur n’entend pas.
L’Angoisse qui lèse la vie.

L’Angoisse qui pince la corde ombilicale de la vie. Par votre loi inique vous mettez entre les mains de gens en qui je n’ai aucune espèce de confiance, cons en médecine, pharmaciens en fumier, juges en mal-façon, docteurs, sages-femmes, inspecteurs-doctoraux, le droit de disposer de mon angoisse, d’une angoisse en moi aussi fine que les aiguilles de toutes les boussoles de l’enfer.

Tremblements du corps ou de l’âme, il n’existe pas de sismographe humain qui permette à qui me regarde d’arriver à une évaluation de ma douleur plus précise, que celle, foudroyante,de mon esprit !

Toute la science hasardeuse des hommes n’est pas supérieure à la connaissance immédiate que je puis avoir de mon être. Je suis seul juge de ce qui est en moi.

Rentrez dans vos greniers, médicales punaises, et toi aussi, Monsieur le Législateur Moutonnier, ce n’est pas par amour des hommes que tu délires, c’est par tradition d’imbécillité. Ton ignorance de ce qu’est un homme n’a d’égale que ta sottise à le limiter. Je te souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi.

 

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