Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/10/2025

Tous les automnes, sans exception !

"Tu viendras longtemps marcher dans mes rêves

Tu viendras toujours du côté

Où le soleil se lève". Francis CABREL (oui, messieurs dames !)

 

C'est fou comme une musique peut soudainement vous catapulter dans un autre temps ! Ainsi, je viens d'écouter la compilation 77-87 de Cabrel, qui fut la bande-son de mon été 1991, et cela a donné lieu à ce petit bond dans le passé...

Je n'ai pas encore tout à fait dix-huit ans. Je viens d'avoir mon bac et j'ai décidé de m'inscrire en fac d'allemand. Depuis mon plus jeune âge, je sais que je serai prof. C'est écrit, c'est comme ça. À la maison, j'ai toujours fait la classe. À des poupées muettes et dociles (le choc quand je rencontrerai de vrais élèves bavards et désobéissants !), à mes grands-parents que ma vocation enquiquine, notamment aux alentours de midi, quand je me pointe alors que mémère a l'intention de préparer le repas. Du haut de mes dix ans et de ma jupe plissée, je déclare : « Ah non, la popote attendra, on va d'abord faire une dictée ». Un jour, je tente même d'apprendre quelques rudiments d'écriture à mon chien. En lui tenant la patte. La morsure que je reçois alors est à la hauteur de mon zèle un peu braque (pourtant, le chien était bien un teckel, et non un braque). Bref... Donc, je serai, si monsieur le destin le veut bien, prof d'allemand. Ça, l'allemand je veux dire, ça me viendra plus tard. D'abord j'ai voulu être prof, puis j'ai peaufiné le projet … pour devenir celle que je suis aujourd'hui (bel et bien prof d'allemand, et fière de l'être, quand je ne suis pas dégoûtée de l'être pour mille raisons que je ne peux ni ne veux développer ici).

Mais pour le moment, je n'ai pas encore tout à fait dix-huit ans, et c'est l'été, ma saison préférée, celle des maraudes à la campagne (où j'habite), celle des bons fruits gorgés de soleil que maman fait pousser partout où elle peut en même temps que des fleurs. La saison de l'insouciance et des amours.

Ça tombe bien car en avril, j'ai rencontré un jeune homme qui m'a tapé dans l'œil et, surtout, dans le cœur. Tout nous éloigne et c'est ça qui me plaît. Nous venons de deux milieux qui n'ont rien en commun. Lui ne se destine pas à l'enseignement, loin de là. Il n'a jamais aimé l'école. Il a un côté bad boy qui me fait fondre. Parce que je suis romantique, parce que je suis comme de nombreuses jeunes filles : désireuse d'être l'élue d'un garçon que sa réputation de gros dur précède partout où il passe. Je me dis qu'avec moi, peut-être, il va changer. La prof de philo a dit en septembre de l'année précédente que sa matière allait opérer une véritable révolution dans nos vies d'adolescents, alors moi je veux empoigner la révolution comme si j'avais des choses à lui apprendre ! Et je la fais dans de multiples domaines de ma vie, en allant à l'encontre des principes parentaux (c'est plus marrant).

 

Me voilà donc amoureuse. Amoureuse d'un type qui n'est pas le gendre idéal, ce que papa et maman, au nom des principes précédemment évoqués, ne manquent pas de faire remarquer plus souvent qu'à leur tour. Amoureuse d'un type qui a des tatouages. Sur les bras, sur le torse. Il a même trois points sur un pouce. Et moi, comme une crétine (que je suis), de lui demander un jour ce que ces trois points veulent dire... Amoureuse d'un type qui adore Gainsbourg, Bob Marley et … Thiéfaine. Quand je lui parle de mon admiration pour Renaud, il s'écrie systématiquement : « Ah non, pas lui ». C'est comme ça. Renaud, il ne peut pas. Il m'initie tout doucement à Gainsbourg et j'accroche à fond. En revanche, ce Thiéfaine qu'il me met régulièrement entre les oreilles, ça ne me dit rien qui vaille. Et puis, je ne retiens jamais son nom complet. Hubert quoi, déjà ? J'écoute une ou deux fois. Mais quelque chose me tient au loin. Je n'aime pas les textes, je les sens trop aux antipodes de mon univers, et puis on m'a dit que ce Thiéfaine, il distribuait des joints à tour de bras pendant ses concerts. Il a une odeur de soufre et pas du tout de sainteté. Très peu pour moi qui ai quitté les bénitiers il y a peu...

Cet été-là, j'écoute à haute dose Gainsbourg, Birkin, Sanson et Cabrel. De ces deux-là, j'aime particulièrement les chansons qui parlent d'amours interdites (« puisqu'on ne vivra jamais tous les deux, puisqu'on est fous, puisqu'on est seuls, puisqu'ils sont si nombreux, même la morale parle pour eux » : j'ai l'impression que ces mots ont été écrits rien que pour mon tatoué et moi, idem avec Amoureuse, de la grande Véro. Moi aussi, quand je prends la tête de mon amoureux entre mes mains, je vous jure que j'ai du chagrin).

Je revêts cet amour de tout ce qu'il y a de charge romantique en moi : nous sommes seuls contre le reste du monde, mais nous finirons bien par lui prouver, à ce monde, que c'est nous qui avons raison. Et puis nous nous marierons. Et puis nous aurons des enfants. Et puis voilà. Je suis certaine que les barrières sociales sont une invention du diable. Et de mes parents que je trouve ringards tout en les aimant profondément. Mais la révolution m'appelle, que voulez-vous...

 

N'empêche que quelques mois plus tard, mon rêve s'est un peu cassé la figure, même si j'ai du mal à l'admettre. Mon tatoué n'est pas un modèle de fidélité et l'eau dans le gaz empoisonne notre histoire. C'te gâchis ! On dirait de la sciure échouée sur un manteau de neige. Ça fait désordre, quoi. Je décide de rompre, mais j'ai le cœur à l'envers. Une nuit où le meilleur ami de mon tatoué (ami qui est un peu devenu le mien) me propose d'écouter Thiéfaine, j'accepte. Peut-être que je trouverai là des réponses aux questions que je me pose au sujet de celui qu'il convient désormais d'appeler mon ex. Peut-être que certaines chansons m'ouvriront la porte de son intimité, peut-être que soudain, je comprendrai mieux pourquoi lui et moi ça n'a pas donné le feu d'artifice escompté (plus tard, j'observerai que c'est souvent, pour ne pas dire toujours, que les histoires d'amour ne donnent pas le feu d'artifice escompté).

 

Et là, je me prends la claque dont j'ai déjà parlé maintes fois ici. Elle se tient là, ma révolution : dans une cassette intitulée sobrement « En concert ».

Tous les automnes que Dieu fera et auxquels, tant que monsieur le destin le voudra, j'assisterai, me rappelleront l'automne 1992, celui du départ d'un grand feu que rien n'allait jamais pouvoir arrêter.

 

Un jour, en 2013, j'apprendrai que mon tatoué est mort, après avoir pas mal bourlingué, erré dans la vie. Paix à son âme. Je lui garderai toujours un petit coin de tendresse dans mon cœur. Parce qu'il fut mon grand amour de jeunesse. Parce que sans lui, sans doute, je n'aurais pas découvert Thiéfaine. Ou alors pas tout de suite. Ce qui eût été fort regrettable. J'avais déjà suffisamment de retard comme ça, non mais !

 

Et c'est en écoutant Cabrel, messieurs dames, que m'est venue l'idée d'écrire un billet sur cet été 1991 et cet automne 1992 qui dorment je ne sais où, ailleurs que dans ma seule mémoire, j'en suis sûre. J'aime penser qu'il existe un monde, parallèle à celui dans lequel nous vivons présentement, où se rejouent à l'infini des scènes qui ont compté pour nous. Dans ce monde, il y a ma mère qui fait pousser des fruits et des fleurs partout où elle peut. Il y a mon père qui brique le terrain qui borde la maison, un peu comme on briquerait une maison que borderait un terrain. Il y a mon tatoué qui écoute Thiéfaine au lieu de dormir sous du marbre dans un cimetière à la con. Et il y a moi, jeune, pas encore prof, pas encore mère, pas encore trop bousillée par les déceptions, moi qui fais faire une énième dictée à mémère Delphine (qui, décidément, n'obtiendra jamais aucun prix en orthographe) et à pépère Adrien qui se défend plutôt bien. Mieux que sa femme, en tout cas. Et la bande-son de ce monde parallèle ? C'est au choix, selon les humeurs de chacun. Aujourd'hui, je crois qu'ils ont tous réclamé Cabrel. Même mon père, ce qui m'étonne un peu. Mais la mort change les morts, n'est-ce pas ? Peut-être bien que demain mémère Delphine demandera La fille du coupeur de joints ?

 

Ils doivent bien s'amuser dans ce monde parallèle ! Tandis que moi, dans le mien, j'attends désespérément un signe de la planète Thiéfaine... Combien de jours encore de cette attente dont je ne peux me faire une amie ?