10/02/2025
Dry January, wet February, et tutti quanti !
"Je veux qu'aujourd'hui soit la première journée d'une vie nouvelle". Julien GREEN
Il y a ceux qui font le « dry January ». J'ai une amie qui, elle, a décidé de faire le « wet February », c'est-à-dire qu'elle se voit bien arroser copieusement chaque jour que Dieu fera entre le début et la fin du mois le plus court de l'année.
Hier, quelqu'un (qui compte énormément pour moi depuis quelques semaines, genre tornade arrivée dans ma vie alors que je naviguais, peinarde, sur des flots pépères – mais, bon sang, que j'aime ces remous inattendus !), quelqu'un me disait qu'il allait se faire son « dry February ». Pas bête, n'est-ce pas, d'avoir choisi le mois le plus court de l'année ?! Il faut dire que ce quelqu'un est sacrément astucieux ! Il m'expliquait les raisons de son choix. L'une d'elles était « je fais ça ne serait-ce que pour me prouver que ... je peux le faire » !
Eh bien, moi, figurez-vous que je me suis lancée dans un truc similaire il y a quelques semaines. Rien à voir avec les spiritueux : j'en consomme tellement peu que je n'ai pas besoin de me faire des mois « dry ». L'avantage de ne pas être dans l'addiction vis-à-vis de l'alcool ! En revanche, je ne vous cacherai pas (comme si vous n'étiez pas déjà au courant) que je suis légèrement addict aux chansons d'un certain Hubert-Félix Thiéfaine. Et j'ai décidé ceci : ne pas en écouter pendant quelque temps. Pas avant la sortie de Replugged. Je fais cela ne serait-ce que pour me prouver que … je peux le faire !
Ce n'est pas si simple, croyez-moi : dans la voiture, quand je bidouille la clé USB pour passer en revue les artistes qui la peuplent, la tentation est forte, lorsque « Thiéfaine » s'affiche sur l'écran, de poser le doigt sur ce nom tant aimé. Il suffirait même d'effleurer ledit écran, et hop, un univers où j'ai tous mes repères s'offrirait à moi comme une vaste (mais pas morne) plaine !
Or, même si ma main me démange atrocement en pareilles circonstances, je choisis systématiquement l'abstinence ! Je m'inflige de ces tortures, purée, comme si la vie n'en recelait pas assez à elle seule ! Il faut croire que j'ai un côté masochiste, que voulez-vous !
Pourquoi tant de peine ? Ne serait-ce que pour me prouver qu'une vie sans HFT, c'est possible, même pour moi ! Parfois, quand je croise d'anciens élèves et qu'ils me disent qu'ils ne font plus d'allemand, je ne peux m'empêcher de m'exclamer dans un regret : « Alors, c'est vrai, on peut vivre sans allemand ? J'imagine, oui, que c'est possible, mais comme ça doit être étrange ! En tout cas, moi, je ne pourrais pas ». L'analogie est vite faite avec Hubert : je suppose, oui, qu'on peut vivre loin de son œuvre. Mais comme ça doit être étrange ! Et dommage ! En tout cas, moi, je ne pourrais pas !
Pourquoi tant de peine encore ? Pour « mieux revenir, vagabonde dans la rue » d'Hubert, et savourer les fruits de mon application. Car le plaisir, à n'en pas douter, sera à la hauteur des efforts consentis ! C'est comme quand un être aimé vous a follement manqué : le retrouver n'en est que plus intensément savoureux ! Je suis de celles qui aiment l'attente.
Moi aussi, quelque part, je suis sacrément astucieuse (il n'est pas inutile de se complimenter soi-même en ce monde de brutes) : pour mettre ma passion à l'épreuve, j'ai choisi le mois le plus court de l'année ! Et je suis bien décidée à rompre le « jeûne » le jour où Replugged pointera le bout de son nez. Courageuse, mais pas débile non plus, faut pas pousser !
Ce jour-là, celui qui signera mes retrouvailles avec une œuvre qui est un peu ma façon de respirer, je serai divinement heureuse. Je me féliciterai du sacrifice accompli, comme un devoir un peu absurde, et je n'en siroterai que mieux le contenu du flacon tant aimé !
Qui se lance dans le même pari que moi ? Allez, un petit « dry February », pour la route !
11:22 | Lien permanent | Commentaires (47)
07/02/2025
"Et je ne suis plus pareille quand le soleil se lève"...
"Il nous faut vivre cette espérance
pareille à la brève résurrection des herbes
après qu'elles ont bu le feu et l'eau des orages
il nous faut tenir à cette idée
qui promet un ciel au centre de toutes choses". Jean-Pierre SIMÉON
Aujourd'hui, billet qui n'a pas grand-chose à voir avec Hubert ! Cependant, je souhaite le poster ici, parce qu'il me tient grandement à cœur. Le 14 mars, dans le cadre d'un colloque sur la leucémie qui aura lieu à l'hôpital où je fus prise en charge, je témoignerai en tant qu'ancienne malade et je dirai les mots qui suivent. J'ai tellement changé depuis que j'ai vécu ce truc invraisemblable ! Merci à vous qui m'avez envoyé des marques de soutien durant les longs mois de combat !
Il est des dates qu'on n'oublie pas. Le 9 novembre 2022, ma vie devait basculer dans ce que j'appelle désormais une dimension parallèle. Lorsque j'évoque la maladie, j'ai recours à tout un arsenal lexical qui a trait à la science-fiction. Il m'arrive également de parler d'expérience aux frontières du réel.
En ce 9 novembre 2022, ma généraliste me faisait faire une prise de sang en urgence. Le soir, après en avoir reçu les résultats, elle m'appelait et me demandait de me rendre au plus vite à son cabinet. Cabinet où elle devait m'annoncer qu'au regard de mon bilan sanguin, elle soupçonnait une leucémie. J'avais alors 24% de blastes dans le sang.
Le lendemain, je voyais le docteur Carassou, qui confirma le diagnostic de ma généraliste. Il m'hospitalisa en urgence. Nous étions le 10 novembre.
L'avant-veille de ce jour sinistre, j'étais encore en cours, face à mes élèves. En refermant ma salle de classe à la fin de la journée, j'étais loin de me douter que je n'y retournerais pas avant bien longtemps.
Un long parcours commença alors. Avec des hauts et des bas. Trois semaines après mon entrée à l'hôpital, j'étais transférée en chambre stérile. Entre-temps, j'avais été renseignée sur le type de leucémie que j'avais : il s'agissait d'une leucémie promyélocytaire. Par chance, c'est celle qui se traite le mieux de nos jours, si j'ai bien compris. Contrairement à d'autres malades, je n'ai pas eu besoin de greffe, je n'ai pas connu les tourments liés à l'attente d'un donneur compatible. Mais, pour autant, mon chemin n'a pas été exempt d'embûches. J'ai connu des moments de grande faiblesse, la tension trop basse pour envisager la moindre activité en dehors de mon lit, la mise sous oxygène et plusieurs infections.
Fin novembre, je rencontrai l'art-thérapeute Adeline Bouillet. Elle vint me voir une première fois dans ma chambre stérile et me proposa d'exprimer mon ressenti à l'aide de collages. Elle me donna également un cahier et un stylo. Elle ne croyait pas si bien faire : j'ai toujours eu recours à l'écriture, dans tous les moments de ma vie, et notamment face aux coups durs. Ce cahier et ce stylo, j'allais en faire des alliés précieux. Avant mon entrée en chambre stérile, j'avais dû renoncer à mes propres carnets car on ne pouvait pas les désinfecter. Le matériel qu'Adeline m'offrit avait pu l'être. La couverture du cahier était en papier glacé. Dès lors, tous les jours ou presque, je consignai mes états d'âme dans ce cahier. J'essayais de trouver un mantra pour chaque jour. Un mantra positif ou, en tout cas, pas trop pessimiste. Cela m'aida énormément à traverser cette expérience aux frontières du réel dont je parlais dans mon introduction. Le travail avec Adeline me fut d'un grand secours, tout comme celui que je menai en parallèle avec la psychologue Laëtitia ou encore celui que je fis avec Valérie, la sophrologue.
Lorsque ma généraliste avait lâché le mot « leucémie », je n'avais pu m'empêcher de penser à une mort prochaine. Je ne connaissais rien à cette maladie, je ne savais même pas qu'elle était classée en plusieurs catégories. Cette ignorance n'avait rien d'anormal : j'avais toujours fait partie du monde des bien portants et cela me semblait une évidence, voire un dû. Aujourd'hui, je sais à quel point la santé est un bien précieux. Le plus précieux de tous.
Après quelques péripéties, en janvier 2023, je pus commencer le traitement en ambulatoire. Au début, à la maison, je me sentais perdue. À l'hôpital, même si je n'étais pas chez moi, j'avais mes repères et toute une équipe qui me rassurait. Je n'oublierai jamais les soignants qui m'accompagnèrent lors de cette longue traversée. Pendant plusieurs semaines, nous fûmes comme une famille. Nous avons vécu des choses tellement fortes ensemble ! Je me souviens des propos d'un certain William, qui me dit un jour avec beaucoup d'humour : « Madame Auboyer, on vit de ces choses intimes, vous et moi, c'est un truc de fou ». Cela me fit rire ! Il faut dire que c'était toujours William qui était de service quand mes hémorragies se déclaraient de manière intempestive. Il savait dédramatiser toutes les situations. Parfois, avant de m'annoncer ma température, il me demandait d'essayer de la deviner. Quand je tombais à côté, il me disait : « Bon, c'est pas aujourd'hui qu'on aura notre loto gagnant ». J'ai apprécié son sens de l'humour. Comme j'ai apprécié les mots délicats de Nastasia, d'Amandine, de Lysiane et de tant d'autres.
En plein milieu du traitement en ambulatoire, je fis une infection qui me conduisit à nouveau à l'hôpital. J'y restai une semaine. Car l'infection était sérieuse. Elle faillit me coûter la vie. C'est lors de cette deuxième hospitalisation que je rencontrai des membres de l'association Leucémie espoir 57, qui devait m'accompagner jusqu'à la fin de mon parcours. Et même au-delà.
Ensuite, les choses se tassèrent un peu et je pus continuer le traitement sans encombre jusqu'au 14 juillet 2023. Et je pus même partir en vacances fin juillet avec mes deux filles ! C'est à partir de ce moment que ce qui me semblait évident avant la maladie se mit à revêtir un caractère exceptionnel à mes yeux ! Tout est exceptionnel, finalement, et on l'ignore généralement : partir en vacances, aller au travail, sortir avec des amis, se lever le matin et être en bonne santé !
En août 2023, je revoyais le docteur Carassou. Il me disait que je pouvais reprendre une vie normale. C'était quasiment inconcevable pour moi ! J'avais vécu dans une dimension parallèle à la vie ordinaire, et voilà que je pouvais quitter cette dimension ! Je repris le travail en septembre 2023, à mi-temps. Ce fut une grande joie.
Un mois plus tard, en octobre, je fêtai mes cinquante ans. En aucun cas, cet âge ne signa mon entrée dans la vieillesse ! Je me souviens d'avoir dit à mes filles que cet anniversaire était précieux car il avait failli ne pas être !
Depuis, je me sens incroyablement jeune. Je savoure la seconde chance qui m'a été accordée. J'ai repris le travail à temps plein. Quand il m'arrive de ne pas avoir envie d'y aller, je me dis que ce manque d'envie est un luxe ! Quand j'ai des tracas, qu'ils soient d'ordre professionnel ou privé, je repense à la chambre stérile et je me dis : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
Cette expérience a changé ma vie. Je sais que j'ai eu une chance incroyable. Je sais que la santé n'est pas un dû, mais un cadeau du ciel. Désormais, je savoure chaque aube nouvelle avec, dans le cœur, un enthousiasme indestructible. Et une gratitude infinie. Gratitude envers tout le personnel de l'hôpital de Mercy. Gratitude envers Leucémie espoir 57. Gratitude envers ma famille, mes amis, mes élèves, mes collègues, qui furent là pour me soutenir. Gratitude envers mes filles qui, à l'époque, du haut de leurs 14 et 17 ans, firent preuve d'une maturité admirable. Chaque matin, durant mon hospitalisation, je les suppliais intérieurement de me donner la force de tenir debout sur mes jambes, chose qui n'allait pas toujours de soi. Elles exaucèrent jour après jour ma prière, sauf une fois, parce que j'étais trop faible. Elles ont un super pouvoir, mes filles ! Ce sont des fées. La maladie a renforcé nos liens. Maintenant, nous nous aimons encore plus fort et, j'ose espérer, encore mieux.
Que serait cette expérience aux frontières du réel si elle n'avait pas modifié mon regard sur l'existence ? J'en ai tiré des leçons qui, je crois, m'accompagneront jusqu'à la fin de mes jours. Je ne suis plus la même personne. Avant de tomber malade, j'avais tendance à toujours voir le verre à moitié vide. Maintenant, je ne le vois jamais autrement qu'à moitié plein, et même : il déborde. Il est rempli d'un nectar délicieux que je sirote jour après jour : ce nectar, c'est la vie, ici et maintenant !
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