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07/02/2025

"Et je ne suis plus pareille quand le soleil se lève"...

"Il nous faut vivre cette espérance

pareille à la brève résurrection des herbes

après qu'elles ont bu le feu et l'eau des orages

il nous faut tenir à cette idée

qui promet un ciel au centre de toutes choses". Jean-Pierre SIMÉON

 

 

Aujourd'hui, billet qui n'a pas grand-chose à voir avec Hubert ! Cependant, je souhaite le poster ici, parce qu'il me tient grandement à cœur. Le 14 mars, dans le cadre d'un colloque sur la leucémie qui aura lieu à l'hôpital où je fus prise en charge, je témoignerai en tant qu'ancienne malade et je dirai les mots qui suivent. J'ai tellement changé depuis que j'ai vécu ce truc invraisemblable ! Merci à vous qui m'avez envoyé des marques de soutien durant les longs mois de combat ! 

 

Il est des dates qu'on n'oublie pas. Le 9 novembre 2022, ma vie devait basculer dans ce que j'appelle désormais une dimension parallèle. Lorsque j'évoque la maladie, j'ai recours à tout un arsenal lexical qui a trait à la science-fiction. Il m'arrive également de parler d'expérience aux frontières du réel.

 

En ce 9 novembre 2022, ma généraliste me faisait faire une prise de sang en urgence. Le soir, après en avoir reçu les résultats, elle m'appelait et me demandait de me rendre au plus vite à son cabinet. Cabinet où elle devait m'annoncer qu'au regard de mon bilan sanguin, elle soupçonnait une leucémie. J'avais alors 24% de blastes dans le sang.

 

Le lendemain, je voyais le docteur Carassou, qui confirma le diagnostic de ma généraliste. Il m'hospitalisa en urgence. Nous étions le 10 novembre.

 

L'avant-veille de ce jour sinistre, j'étais encore en cours, face à mes élèves. En refermant ma salle de classe à la fin de la journée, j'étais loin de me douter que je n'y retournerais pas avant bien longtemps.

 

Un long parcours commença alors. Avec des hauts et des bas. Trois semaines après mon entrée à l'hôpital, j'étais transférée en chambre stérile. Entre-temps, j'avais été renseignée sur le type de leucémie que j'avais : il s'agissait d'une leucémie promyélocytaire. Par chance, c'est celle qui se traite le mieux de nos jours, si j'ai bien compris. Contrairement à d'autres malades, je n'ai pas eu besoin de greffe, je n'ai pas connu les tourments liés à l'attente d'un donneur compatible. Mais, pour autant, mon chemin n'a pas été exempt d'embûches. J'ai connu des moments de grande faiblesse, la tension trop basse pour envisager la moindre activité en dehors de mon lit, la mise sous oxygène et plusieurs infections.

 

Fin novembre, je rencontrai l'art-thérapeute Adeline Bouillet. Elle vint me voir une première fois dans ma chambre stérile et me proposa d'exprimer mon ressenti à l'aide de collages. Elle me donna également un cahier et un stylo. Elle ne croyait pas si bien faire : j'ai toujours eu recours à l'écriture, dans tous les moments de ma vie, et notamment face aux coups durs. Ce cahier et ce stylo, j'allais en faire des alliés précieux. Avant mon entrée en chambre stérile, j'avais dû renoncer à mes propres carnets car on ne pouvait pas les désinfecter. Le matériel qu'Adeline m'offrit avait pu l'être. La couverture du cahier était en papier glacé. Dès lors, tous les jours ou presque, je consignai mes états d'âme dans ce cahier. J'essayais de trouver un mantra pour chaque jour. Un mantra positif ou, en tout cas, pas trop pessimiste. Cela m'aida énormément à traverser cette expérience aux frontières du réel dont je parlais dans mon introduction. Le travail avec Adeline me fut d'un grand secours, tout comme celui que je menai en parallèle avec la psychologue Laëtitia ou encore celui que je fis avec Valérie, la sophrologue.

 

Lorsque ma généraliste avait lâché le mot « leucémie », je n'avais pu m'empêcher de penser à une mort prochaine. Je ne connaissais rien à cette maladie, je ne savais même pas qu'elle était classée en plusieurs catégories. Cette ignorance n'avait rien d'anormal : j'avais toujours fait partie du monde des bien portants et cela me semblait une évidence, voire un dû. Aujourd'hui, je sais à quel point la santé est un bien précieux. Le plus précieux de tous.

 

Après quelques péripéties, en janvier 2023, je pus commencer le traitement en ambulatoire. Au début, à la maison, je me sentais perdue. À l'hôpital, même si je n'étais pas chez moi, j'avais mes repères et toute une équipe qui me rassurait. Je n'oublierai jamais les soignants qui m'accompagnèrent lors de cette longue traversée. Pendant plusieurs semaines, nous fûmes comme une famille. Nous avons vécu des choses tellement fortes ensemble ! Je me souviens des propos d'un certain William, qui me dit un jour avec beaucoup d'humour : « Madame Auboyer, on vit de ces choses intimes, vous et moi, c'est un truc de fou ». Cela me fit rire ! Il faut dire que c'était toujours William qui était de service quand mes hémorragies se déclaraient de manière intempestive. Il savait dédramatiser toutes les situations. Parfois, avant de m'annoncer ma température, il me demandait d'essayer de la deviner. Quand je tombais à côté, il me disait : « Bon, c'est pas aujourd'hui qu'on aura notre loto gagnant ». J'ai apprécié son sens de l'humour. Comme j'ai apprécié les mots délicats de Nastasia, d'Amandine, de Lysiane et de tant d'autres.

 

En plein milieu du traitement en ambulatoire, je fis une infection qui me conduisit à nouveau à l'hôpital. J'y restai une semaine. Car l'infection était sérieuse. Elle faillit me coûter la vie. C'est lors de cette deuxième hospitalisation que je rencontrai des membres de l'association Leucémie espoir 57, qui devait m'accompagner jusqu'à la fin de mon parcours. Et même au-delà.

 

Ensuite, les choses se tassèrent un peu et je pus continuer le traitement sans encombre jusqu'au 14 juillet 2023. Et je pus même partir en vacances fin juillet avec mes deux filles ! C'est à partir de ce moment que ce qui me semblait évident avant la maladie se mit à revêtir un caractère exceptionnel à mes yeux ! Tout est exceptionnel, finalement, et on l'ignore généralement : partir en vacances, aller au travail, sortir avec des amis, se lever le matin et être en bonne santé !

 

En août 2023, je revoyais le docteur Carassou. Il me disait que je pouvais reprendre une vie normale. C'était quasiment inconcevable pour moi ! J'avais vécu dans une dimension parallèle à la vie ordinaire, et voilà que je pouvais quitter cette dimension ! Je repris le travail en septembre 2023, à mi-temps. Ce fut une grande joie.

 

Un mois plus tard, en octobre, je fêtai mes cinquante ans. En aucun cas, cet âge ne signa mon entrée dans la vieillesse ! Je me souviens d'avoir dit à mes filles que cet anniversaire était précieux car il avait failli ne pas être !

 

Depuis, je me sens incroyablement jeune. Je savoure la seconde chance qui m'a été accordée. J'ai repris le travail à temps plein. Quand il m'arrive de ne pas avoir envie d'y aller, je me dis que ce manque d'envie est un luxe ! Quand j'ai des tracas, qu'ils soient d'ordre professionnel ou privé, je repense à la chambre stérile et je me dis : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ».

 

Cette expérience a changé ma vie. Je sais que j'ai eu une chance incroyable. Je sais que la santé n'est pas un dû, mais un cadeau du ciel. Désormais, je savoure chaque aube nouvelle avec, dans le cœur, un enthousiasme indestructible. Et une gratitude infinie. Gratitude envers tout le personnel de l'hôpital de Mercy. Gratitude envers Leucémie espoir 57. Gratitude envers ma famille, mes amis, mes élèves, mes collègues, qui furent là pour me soutenir. Gratitude envers mes filles qui, à l'époque, du haut de leurs 14 et 17 ans, firent preuve d'une maturité admirable. Chaque matin, durant mon hospitalisation, je les suppliais intérieurement de me donner la force de tenir debout sur mes jambes, chose qui n'allait pas toujours de soi. Elles exaucèrent jour après jour ma prière, sauf une fois, parce que j'étais trop faible. Elles ont un super pouvoir, mes filles ! Ce sont des fées. La maladie a renforcé nos liens. Maintenant, nous nous aimons encore plus fort et, j'ose espérer, encore mieux.

 

Que serait cette expérience aux frontières du réel si elle n'avait pas modifié mon regard sur l'existence ? J'en ai tiré des leçons qui, je crois, m'accompagneront jusqu'à la fin de mes jours. Je ne suis plus la même personne. Avant de tomber malade, j'avais tendance à toujours voir le verre à moitié vide. Maintenant, je ne le vois jamais autrement qu'à moitié plein, et même : il déborde. Il est rempli d'un nectar délicieux que je sirote jour après jour : ce nectar, c'est la vie, ici et maintenant !