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14/03/2024

"Ton piano danse toujours", un spectacle de Jean-Marc Sauvagnargues

"Il y a comme cela des nostalgies qui courent en pointillé tout au long d'une vie". Paul DE ROUX

 

« Il manque quelqu'un près de moi, je me retourne, tout le monde est là, d'où vient ce sentiment bizarre que je suis seul ? ». « Il y a peut-être quelque part un bonheur dont j'aurais eu ma part », « Diego libre dans sa tête », « Mademoiselle Chang a tout ce qu'elle demande » : ces mots ont bercé mon adolescence. Il y avait toujours, pour les accompagner, une mélodie qui portait dans son architecture la signature de son compositeur, reconnaissable entre toutes. Celle d'un certain Michel Berger. Ma mère l'adorait. Combien de fois l'ai-je surprise, chantant à tue-tête ses chansons devant son fer à repasser ? C'est qu'elle repassait toujours intelligent, ma mère. Elle se posait dans le salon, face à la fenêtre. Pas trop loin de la chaîne stéréo pour pouvoir se transformer en DJ le moment venu, et roule, c'était parti pour plusieurs heures. En un après-midi, elle venait à bout du linge entassé, et en chantant. C'est à son contact que j'ai appris que tout, dans la vie, est « plus marrant et moins désespérant en chantant ». C'est qu'on en aura passé des heures, à écouter les chanteurs et les chanteuses qu'elle aimait. Elle avait des goûts éclectiques et surprenants. Moi qui ai gardé ses CD, je ris souvent de voir Scorpions pas très loin de Dalida, Alain Barrière avoisiner A-ha, et autres savoureuses bizarreries. Ma mère se moquait bien des classifications et des genres. C'était elle qui décidait : si elle aimait un morceau de Supertramp, pourquoi ne pas acheter illico l'album sur lequel il se trouvait et ranger celui-ci à côté des Fabulettes d'Anne Sylvestre ? Dans son monde, tout était possible. Un exemple à suivre, je crois !
Et donc, elle aimait particulièrement les chansons de Michel Berger. Si bien que ce dernier devint pour moi, après la mort brutale de ma mère, un artiste au potentiel hautement inflammable. Je ne l'ai pas écouté pendant des années. Idem quelques autres. Et puis, il y a quatre ou cinq mois, j'ai fait comme dans La minute de silence : j'ai sorti, pour voir, des disques de leurs pochettes. Des disques de Michel Berger. Les grandes eaux se sont vite invitées et, en même temps, il y avait cette joie incommensurable de retrouver un petit quelque chose ayant appartenu à ma maman. Le genre de truc qui fait à la fois du bien et du mal. Après plusieurs écoutes, j'en vins à la conclusion suivante : moi aussi, j'aimais beaucoup Michel Berger. Que de souvenirs contenus dans ses chansons ! 
Et voilà qu'il y a quelques semaines, j'apprends que Jean-Marc Sauvagnargues, des Fatals Picards, tourne en solo avec un spectacle entièrement consacré à Michel Berger. Mieux encore : j'apprends que le même Jean-Marc Sauvagnargues va venir pas loin de chez moi le 13 mars. Billet pris dans la foulée. Et nous voilà le 14 mars, au lendemain d'un soir qui a chanté comme ma mère aimait. Et qui l'aurait enchantée. 
C'est que tout est enchanteur dans ce concert. Jean-Marc Sauvagnargues alterne les parties parlées et les parties chantées. Quand il parle, c'est pour nous présenter la biographie de Michel Berger, ses amours, ses amis, ses emmerdes (et Dieu sait s'il y en eut dans cette courte vie, intense mais pas exempte de drames) ou pour nous dire combien ce chanteur compte pour lui. Déjà, hasard ou pas : ils sont tous deux nés un 28 novembre, à exactement vingt ans d'écart. Il y a comme ça des choses qui interpellent. Et me ramènent à Hubert, forcément : né la même année que ma mère et le même mois que mon père, prénommé Maurice comme le sien. Jean-Marc Sauvagnargues nous confie que les chansons de Berger ont fini par composer la bande-son de sa vie. Voilà qui me ramène encore à notre cher HFT, dont les chansons me racontent désormais mon histoire, de mes dix-neuf ans à aujourd'hui. Ça en fait, des choses à me dire ! 
Bref... Le spectacle de Jean-Marc Sauvagnargues s'appelle « Ton piano danse toujours » et il est d'une grande délicatesse...
Hier encore, comme tous les jours depuis février 2009, il manquait quelqu'un près de moi. Quelqu'une, plutôt. Et pourtant, à un moment, en entendant La groupie du pianiste, j'aurais juré qu'elle était à mes côtés, en train de chanter très fort, son fer à repasser à la main ! 

14/02/2024

On attend la suite (comme dans la chanson de la Grande Sophie, dont il ne sera pas question ici)...

"Et, de nouveau, elle se sentit seule en présence de sa vieille antagoniste, la vie". Virginia WOOLF

 

Connaissez-vous le balafré, celui à qui il manquait quatre phalanges? Soit dit en passant, et on s'en doute un peu, « ça lui donnait pas l'air d'un ange ». Avez-vous entendu parler de Hyacinthe aux grosses mains d'étrangleur ? Vous sentez-vous en famille en présence d'un fou ? Et Jeanne aux cheveux mayonnaise, ça vous dit quelque chose ? Pour le formuler simplement : connaissez-vous Thomas Fersen ? Voilà un monsieur qui a un univers totalement à part et foutraque à souhait ! Il m'accompagne depuis presque autant d'années qu'Hubert. On n'est pas du tout dans le même registre, mais est-ce important ? De temps à autre, une petite infidélité à HFT ne fait pas de mal. De toute façon, c'est toujours pour « mieux revenir, vagabond(e), dans sa rue », évidemment ! On est fan ou on ne l'est pas. Mais, tout de même, comme je l'ai déjà écrit ici, il n'y a pas qu'Hubert dans la vie (encore que, parfois, on se demande, hein...). C'est aussi qu'il faut bien passer le temps entre les intervalles, entre deux tournées ou sessions de tournée. Donc, voilà, j'ai mon petit programme avant de reprendre une activité saine et normale (comprenez le prochain volet de la tournée Replugged) : vendredi soir, Thomas Fersen à Neuves-Maisons (où j'ai déjà vu Hubert), le 17 mars Véronique Sanson à Amnéville (où j'ai déjà vu Hubert itou). Ici s'impose, messieurs dames, un arrêt sur image, pour vous dire que ce soir-là, je vais réaliser un rêve : j'adore Véronique Sanson et je ne l'ai jamais vue sur scène. Je l'adore, oui, et c'est encore un coup de ma mère qui, très tôt, jugea utile de me mettre Le temps est assassin et autres délicatesses entre les deux oreilles. Comme si je n'étais pas née avec le pessimisme chevillé au corps. Comme s'il avait fallu remettre une louche de déréliction dans mon esprit que torturait déjà, durant l'enfance, la vacuité de vivre ! Mais bon, passons. Et donc, Sanson, je l'écoute depuis longtemps aussi. J'ai hâte de la voir. Je sens que ça va être magique, et je pense que Bételgeuse ne me contredira pas.

En avril, je reprendrai une activité saine et normale. Comprenez la même chose que tout à l'heure, à savoir : aller voir Hubert aux quatre coins de la France ou presque, et même par-delà les frontières. Pour le moment, je n'ai qu'un billet : c'est pour le concert qui aura lieu le 5 avril au casino de Mondorf-les-Bains. Mon p'tit Jiminy Cricket inversé me susurre à l'âme que j'ai un peu merdouillé, n'ayant toujours pas de place ni pour l'Olympia, ni pour Reims, ni pour Dole. Et ne sachant pas s'il reste des places... Quoi ? Ça coûte cher, me hurle dans l'oreille mon Jiminy Cricket pas inversé. Oui mais ça, mon ami, c'est accessoire, compte tenu des autres soucis qu'on peut avoir dans l'existence. Plaie d'argent n'étant pas mortelle, je dis qu'il est grand temps de regarder s'il reste des billets pour l'Olympia, Reims et Dole ! Au diable l'avarice !

Et vous, comment patientez-vous jusqu'à la reprise de Replugged ? Quels concerts sont inscrits à votre calendrier ? Et en ce qui concerne Hubert, lesquels avez-vous prévus ?

01/01/2024

Mathématiques (souterraines et autres)...

"Il y a une étoile mise dans le ciel pour chacun de nous, assez éloignée pour que nos erreurs ne viennent jamais la ternir". Christian BOBIN

 

Années 1980. Je suis cette enfant littéraire qui grandit dans un milieu où tous ne jurent que par les sacro-saintes mathématiques : mon père, ma mère, mon frère. Je suis là, au milieu de ce beau monde scientifique, et j'y détonne à pleins tuyaux puisque je ne pige absolument rien aux maths. Mais quand je dis rien, c'est rien : néant absolu, sur toute la ligne. Le moindre problème à résoudre me plisse le front pour de longues heures. Ce n'est pas avec moi qu'il trouvera sa solution ! Dès la lecture des premiers mots de la consigne, il me vient des sueurs froides. Le train X, en provenance de Paris et en route pour Metz, roule à 150 kilomètres heure. Sachant que le train Y, en partance de Metz, roule à 130 vers la capitale, trouvez l'heure à laquelle les deux trains se croiseront. Sans dec, vous ne voulez pas non plus qu'on vous dise en quel endroit précis de la pampa française ils vont se rejoindre ?! Tout ça ne m'intéresse pas et me rend chèvre. Enfin, par chance, ce n'est pas moi qui règle les aiguillages !

Idem les histoires de robinets qui fuient : sachant que le liquide coule à raison de tant de centilitres par heure, combien le foyer souffrant de cette fuite aura-t-il perdu d'eau à la fin d'une journée ? Truc de maboul ! Je n'en sais saintement que dalle ! Dire qu'il suffirait d'appeler un plombier pour qu'on arrête d'emmêler la tête de mômes comme moi avec ces histoires à dormir debout !

Les maths deviennent très vite le cauchemar de ma scolarité. Et comme si la torture quotidienne n'était pas à son comble, ma mère, institutrice de son état, fomente un bien sale coup avec une de ses collègues : elles conviennent toutes deux que je resterai les soirs après la classe pour faire … des maths. Pendant que ma mère préparera tranquillement dans sa salle les activités du lendemain, ma maîtresse de CM1 me fera bosser ce truc infâme dont je n'ai pas la bosse. Me voilà donc, tous les jours, à suer sang et eau sur de nouveaux problèmes, aussi tordus que ceux parlant de trains ou de robinets. Margaux dispose de 136 francs. Elle achète dix sachets de bonbons à 2,36 francs, et gnagnagna... J'en pleurerais.

Par la suite, tous mes profs de maths se tritureront les neurones pour voir par quel bout prendre mes tristes incompétences. Ils s'y casseront tous les dents. Si bien que lorsque j'arriverai en terminale A2 (à l'époque, certaines mauvaises langues disaient que c'était la filière qui servait de dépotoir aux nullos qui n'étaient pas dotés d'assez de cellules grises pour pouvoir choisir un cursus scientifique), je dirai directement à mon prof de maths : « Ne vous fatiguez pas avec moi, monsieur, je suis nulle en maths et je le resterai ». Le brave homme s'indigna : personne n'était nul en maths, selon lui. Qui donc m'avait fourré cette sombre conviction dans le crâne ? Ben, moi-même, mes tristes incompétences et, il faut bien le dire, quelques profs. Monsieur D. ne pouvait accepter que l'on parte vaincu d'avance. Habilement et sans jamais se montrer insistant, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour me gagner à sa cause. Il mit beaucoup de cœur et d'humour à l'ouvrage. À cette époque, quand on était en A2, on présentait, lors des épreuves de maths du baccalauréat, un dossier sur le thème de son choix. J'optai pour la correspondance de Pascal et de Fermat. Monsieur D. se marra : « Alors toi, tu es drôle : tout le monde déteste les probabilités et voilà que tu t'es entichée de la question ». Ben ouais, allez savoir pourquoi. N'empêche que je sauvai l'honneur du mieux que je pus : j'obtins un convenable 14 en maths au bac. Peu après, j'allai trouver monsieur D. pour le remercier. Il me répondit que je ne devais ma note qu'à mon travail sérieux. Non, mais quel homme ! Lors de la première réunion parents-profs, je lui dis : « Je vous assure, vous m'avez presque fait aimer les maths ». Ce à quoi il répondit, sans se laisser attendrir : « Te fous pas de ma gueule ». Il était comme ça, monsieur D. : on ne la lui faisait pas. Cependant, il était du genre à tout mettre en œuvre pour sauver les brebis égarées (et Dieu sait si je m'éloignais régulièrement du troupeau). Il y a une quinzaine d'années, je retrouvai sa trace sur Copains d'avant et je lui envoyai un courrier de remerciement, dans lequel je ne manquai pas de lui dire que, devenue prof à mon tour, j'essayais de faire comme lui et d'amener chaque élève au meilleur de lui-même, ajoutant que la tâche demeurait ardue. Monsieur D. : le meilleur pédagogue du monde. Il répondit à mon message et m'expliqua qu'il était toujours prof et très heureux de l'être !

Toute une scolarité parasitée par une matière, voilà mon histoire. Les chiffres m'intimidaient, c'est tout. Il n'y en avait que pour eux à la maison, ça ne me simplifia pas la tâche ! Souvent, mes parents se montraient désespérés : comme ils auraient aimé que leur fille comprenne à quel point les maths structurent l'esprit ! Raté. Plus tard, quand même, ils se dirent très fiers de mon choix qui s'était porté sur l'allemand. Il paraît que c'est une langue qui, dans sa logique pointilleuse, n'est pas si éloignée que ça des maths : voilà qui me fait bien marrer !

Durant mon adolescence, j'affichai sans scrupules un flamboyant mépris vis-à-vis de cette matière que j'estimais peu noble. Je disais à qui voulait bien m'entendre qu'il fallait être un peu con pour s'intéresser à « ça ». Aujourd'hui, mon point de vue s'est, fort heureusement, teinté de nuance ! De plus, ne manquant pas de lucidité, je m'afflige fréquemment de mon désespérant niveau en maths. Parlez-moi de deux TGV qui roulent à telle allure, et patati et patata, et voilà que je blêmis, sachant déjà que le problème en question demeurera toujours un problème pour moi.

Ce qui est drôle, c'est que tous les artistes que j'aime ont déclaré à un moment ou un autre qu'ils étaient nuls en maths. Les deux exemples les plus frappants : Romain Gary et Hubert-Félix Thiéfaine ! Ce dernier a expliqué plus d'une fois que sa « manie » de mettre des nombres partout s'apparentait à une vengeance : besoin de prendre sa revanche sur un univers qui lui restera toujours désespérément fermé.

Le destin ne manque pas d'ironie : la pauvre gamine que j'étais et qui pleurait sur ses exercices de maths ne savait pas que son train, lancé à grande vitesse sur les rails, se dirigeait tout droit depuis l'enfance vers celui d'HFT. Pas plus qu'elle ne savait que le morceau qui la ferait tomber dans la marmite s'appellerait Mathématiques souterraines ! C'est, de loin, la chanson que j'ai le plus écoutée dans ma vie. Quelqu'un me demandait dernièrement si j'en avais pris les paroles à mon compte : un peu, oui. À 19 ans, lorsque j'entendis pour la première fois parler de cette « pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil », je reconnus en elle une frangine d'infortune. Depuis, elle ne m'a pas lâché la main, et nous parcourons l'existence côte à côte, toujours, ça nous rend plus fortes. Je sais, il y a là beaucoup de prétention de ma part ! Mais les chansons, dans le message universel qu'elles peuvent délivrer, ne sont-elles pas faites pour s'adresser à chacun d'entre nous ? On se les approprie, et on les réécrit presque. Ainsi, j'ai une lecture toute personnelle de Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-ville, qui me parle de ma mère se faisant trimbaler entre Metz et Nancy, par une nuit de décembre, dans un « fourgon sanitaire au galop ». Quelques semaines plus tard, « adrénaline au point zéro et silence au stétho »... J'ai une écoute toute nombriliste des chansons de Thiéfaine, désolée !

Ces Mathématiques souterraines et le lien quasi surréaliste que j'entretiens avec elles depuis septembre 1992, n'est-ce pas un peu ma revanche personnelle sur un univers destiné à me rester à jamais fermé ?!

 

Sur ce, je vous souhaite une excellente année 2024. Qu'elle soit thiéfainienne plus plus plus, et glou et glou et glou !

28/12/2023

Thiéfaine était à Colmar hier soir...

"Quelque chose vient à tout instant nous secourir". Christian BOBIN

 

C'est une grande boîte Pampers. J'en ai déjà parlé ici. Elle contient tous mes souvenirs liés à HFT : billets de concerts, articles de journaux, revues, numéros du fanzine qui n'existe plus, etc. Elle va s'enrichir dès aujourd'hui d'un billet de plus. Et voilà, encore un qu'on enferme parce qu'il appartient au passé. Le temps passe toujours un peu vite et ce n'est pas toujours notre chance*...

Donc, hier soir, Colmar.

J'arrive un peu tard dans la salle, ce qui me vaut de ne pas être aussi bien placée que les autres fois... Il est rare que je me trouve si loin dans la fosse. Sam et Bételgeuse me disent par messages que je peux tenter de les rejoindre tout devant, mais je n'ose pas fendre la foule comme ça, dire « c'est moi que v'là, j'ai pas fait la queue comme tout le monde, mais je vous grille quand même ». C'est pas tous les jours facile de vivre en société quand on a un peu d'éducation.

Bon, ben, voilà, je serai assez loin de la scène. J'en prends mon parti, je me raisonne : Hubert, je l'ai vu presque 60 fois, alors...

Il est très exactement 18h59 sur mon portable quand les lumières s'éteignent. Tout de suite, je me dis que ce ne sont pas les musiciens d'Hubert qui viennent de s'installer sur la scène. Et merde, il y a une première partie, j'aime pas les premières parties, j'ai du mal à leur accorder mon attention et mon indulgence. Mais bon, écoutons quand même, pour voir. Le chanteur s'appelle Nicolay Sanson et étonne par son univers un peu à part, ses prouesses vocales, ses textes. Franchement, à creuser dès que je pourrai.

Petit interlude avant l'arrivée du maître. Des gens se faufilent dans la foule, m'écrasant sans scrupules, et surtout sans s'excuser, les panards. Je ne dis rien, mais je n'en mugis pas moins intérieurement. Deux gars bien costauds et assez hauts sur pattes viennent s'installer pile devant ma voisine de droite et moi. Je suis furax. Alors eux, ils s'en foutent pas mal d'avoir de l'éducation ou pas. Ma voisine est moins couarde que moi. Elle tapote l'épaule d'un des gaillards et lui dit : « ça ne vous dérange pas de vous mettre là sachant que vous venez d'arriver, alors que nous on est là depuis une heure ? ». Comme je la kiffe, cette fille ! Les deux balourds s'en vont un peu plus loin, penauds, cacher le soleil de quelqu'un d'autre. On s'en fout, c'est pas le nôtre, de soleil.

L'heure tourne et Hubert se fait attendre. Je discute avec mon voisin de gauche. Au fil de la soirée, j'apprendrai qu'il vient de La Rochelle (oublié de lui demander si les filles y avaient toujours le scorbut), qu'il s'appelle Jean-Pierre et qu'il est orthophoniste. Au moment où j'apprends son prénom, je me dis que finalement le Doc, malheureusement absent ce soir, est un peu des nôtres tout de même. Jean-Pierre l'orthophoniste est accompagné de ses deux filles. De fil en aiguille, je leur dévoile ma passion pour HFT. J'explique que je l'ai découvert quand j'avais 19 ans, que j'en ai 50 à présent et qu'il me semble que je vais le voir pour la 59ème fois ce soir. J'ai l'air, une fois de plus, d'une bête curieuse. Pas grave, il suffit de s'habituer. J'ajoute quand même, comme pour m'excuser, que je ne suis pas la seule allumée de mon espèce. Mais bon, après tout, je ne peux leur fournir aucune preuve, et comme c'est moi l'unique bête curieuse qu'ils ont sous la main, ben je pense qu'ils se sont dit que j'étais bien givrée.

Givrée comme cette cuvée 2023 qui nous fait l'honneur d'accueillir HFT. Entre le champagne de Noël et celui du 31 décembre ! Quelle bonne idée !

Les lumières s'éteignent de nouveau et cette fois, ça y est, c'est eux : Sofiène, Christopher, Lucas, Bruce, Jean-François, Fred et enfin, last but not least, Hubert. Au bout de quelques secondes, Jean-Pierre me dit, à propos de Thiéfaine : « Il est beau comme un dieu ». Ah ça, JP, ce n'est pas moi qui vais te contredire ! Je me demande même, à force, si ce ne sont pas les dieux qui sont beaux comme Hubert !!!

Même setlist ou presque qu'à Saint-Dizier. Sauf qu'on est privé de Redescente climatisée et que ça me fait des regrets éternels dans le cœur. J'aurais tellement aimé. Comme 113ème cigarette sans dormir. Mais bon. On ne peut pas tout avoir non plus. Déjà, ce qu'on a ce soir et qui est inestimable, c'est la grande forme d'Hubert. Pas un seul plantage dans les paroles, à moins que je n'aie été distraite à un moment ou un autre, mais non, je ne pense pas. J'étais dedans comme on ne peut guère plus et je n'ai relevé aucune infime erreur. La voix est bien reposée, inaltérée, inaltérable semble-t-il. Quelle chance j'ai, quand même : avoir connu cet artiste quand j'avais 19 ans et pouvoir le voir encore aujourd'hui que j'en ai 50. De temps en temps, la vie est bien foutue. C'est pas tous les jours non plus, hein, alors ça mérite d'être souligné !

Je suis heureuse d'écouter les titres qui m'accompagnent depuis des lustres. Souvenirs de moments complices avec ma mère, que Groupie 89 faisait rire. Souvenirs aussi de ces moments où, gênée dans ma chambre qui jouxtait celle de mes parents, je sautais sur le poste pour baisser le son pendant les passages scabreux de Cabaret Sainte-Lilith (et le diable sait s'il y en a : entre la p'tite branlette, la reniflette, les mecs roussis, la pudeur de mes parents aurait eu de quoi être ébranlée si je n'avais veillé au grain, brave fifille à ma môman). Souvenirs de moi à 19 ans, découvrant la phrase « la bidoche est faite pour saigner » et voulant y voir un aphorisme dans lequel se tenait, concentrée, toute la tragédie de la condition humaine : « après avoir souffert, il faut souffrir encore », disait Musset, ce qui revient au même, en définitive !

Je suis toute chose et le public tout chaud. J'ai l'impression d'être dans un bain de Jouvence. Non loin de moi, trois joyeux drilles dansent et chantent comme des gosses. Parfois, ils agitent des briquets au bout de leurs poings levés, comme au bon vieux temps. Parfois aussi, ils tirent en loucedé et rapidos sur un joint, et ça embaume tout le secteur où je me trouve. Ça me rappelle mon premier concert d'Hubert et les émanations de haschich dans la salle entière, ce qui avait fait dire à ma mère : « J'ai jamais fumé un seul joint, mais je sais désormais quel effet ça fait ». Ah, maman, comme tu me manques...

Public tout chaud, disais-je. Ah oui, vraiment, un truc de malade. Ici, ce n'est pas la cuvée givrée, c'est la cuvée en feu, ça crame de partout. Pour ça, Colmar est pour l'instant le meilleur concert auquel j'ai assisté sur la tournée Replugged. J'ai l'impression qu'Hubert et ses musiciens ont été portés par cette ambiance et que les interactions avec le public ont été plus nombreuses qu'ailleurs. Mais peut-être que je me trompe.

Je suppose que pendant le concert la joie se lit sur mon visage car mon voisin (Jean-Pierre) me demande tout à coup à combien peut battre mon pouls. Mazette, je n'en sais rien, mais je pense que ça frôle l'extase dans mes veines !

Mais déjà s'éteignent les notes de Combien de jours encore, et nous voilà seuls avec cette lancinante question. Je pense à mon père, comme à chaque fois, et au moment où il s'est « envolé à jamais vers un nouvel ailleurs ». Ah, papa, comme tu me manques... Les chansons de Thiéfaine, j'y projette toute mon histoire, chacune me renvoie à un pan de ma vie, et toujours, désormais, il en sera ainsi. Ça ne s'en ira qu'avec la bonne femme, comme disait ma mère à propos de certains de ses défauts ou de certaines de ses maladies.

Hubert revient et nous offre des Mathématiques souterraines belles à couper le souffle. Je prends mon téléphone et j'appelle mes filles pour qu'elles écoutent cette merveille. Et puis voilà, ça va bientôt finir... La salle s'embrase une dernière fois sur La fille du coupeur de joints et Lucas finit trempé dans son sweat à capuche.

C'est un concert géantissime qui s'achève. Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance*, finalement, car déjà je vois, au calendrier 2024, des concerts et encore des concerts, l'un à Mondorf-les-Bains, l'autre à Paris peut-être, l'autre à Dole sans doute. Et plus si affinités. Et ça, affinités, je peux vous dire qu'il y a toujours !

 

*"Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance" : début des paroles de la chanson Your terraplane is ready mister Bob ! (album Amicalement blues). 

24/12/2023

Bientôt Colmar !

Il paraît que c'est Georges Clémenceau qui disait : « Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier ». Comme quoi on peut être politicien et ne pas manquer de finesse !

J'ai souvent pensé à cette phrase, la remâchant en bien des circonstances... En amour, c'est vrai, quoi de plus merveilleux que cette ascension vers les sommets, sachant qu'un de ces quatre matins on en redescendra en une sale dégringolade qui va piquer le coccyx ?! Plus la montée fait de tendres promesses, plus monumentale est la chute, n'est-ce pas ? Je ne dis pas que je parle en connaissance de cause, mais tout de même, il y a un peu de traces de vécu là-dedans ! C'est comme ces emballages qui préviennent : « Peut contenir des traces de fruits à coque »...

Il est possible, comme je le disais plus haut, d'élargir le propos du père Georges à bien des moments de la vie. Noël, par exemple, c'est beau surtout avant, quand la fête se trouve, comme on dit si joliment en allemand, devant la porte (« Weihnachten steht vor der Tür »). Mais allez donc lui ouvrir ladite porte à ladite Noël, que ça y est, la magie s'estompe inéluctablement. La magie de Noël, ce sont ces cadeaux qui trônent, inviolés, au pied du sapin. C'est l'attente fiévreuse qui allume une flamme dans les yeux des enfants. C'est le moment où le père Noël n'est pas encore passé et où l'on se dit que dehors il va avoir si froid, c'est un peu à cause de moi.

Le lendemain, restes de bûches dans les assiettes, profusion de papiers cadeaux froissés. La magie a foutu le camp.

Ainsi en va-t-il de tout dans nos pauvres existences. Enfin, je trouve. On a le droit de ne pas être d'accord ! Je l'ai déjà écrit, mais je le redis parce que c'est important pour moi et carrément constitutif de ma personne : lire, adolescente, « c'était fini d'attendre », sous la plume de Maupassant, ça a remué en moi des tas de machins. J'avais trouvé la phrase qui me définissait. Rien ne vaut, je crois, l'impatience dans les starting-blocks. Une fois l'attente comblée, ben voilà, il n'y a plus d'attente, et il n'y a plus qu'à en inventer une autre !

C'est sans doute la raison pour laquelle avec HFT, par exemple, je n'en ai jamais assez, dans tous les sens de l'expression. Jamais assez : jamais suffisamment, et jamais ras-le-bol non plus ! Ce que je chéris par-dessus tout, ce sont les heures qui précèdent le concert. L'attente, quoi, le désir, l'impatience. Ce moment où, sur des parkings, on rencontre des êtres que la même impatience anime. Où l'on entend sortir des voitures des airs écoutés cent milliards de fois. On dirait que nous avons tous les mêmes rituels : avant un concert de Thiéfaine, Thiéfaine bien sûr. Après un concert de Thiéfaine, Thiéfaine évidemment !

Une fois que les premières notes de musique retentissent sur la scène, il y a quelque chose qui nous échappe, qu'on le veuille ou non. Qui nous pousse vers la sortie, tels ces vigiles indélicats qui hurlent désormais après chaque concert : « Allez, messieurs dames, il faut partir ». C'est comme dans la chanson, on « roule à toute allure vers un point non défini ». Un point qu'il vaut mieux ne pas définir, justement. Parce qu'on sait tous de quoi il s'agit : de la fin. Du moment où il faudra, à contrecœur et déglingué, redescendre l'escalier de service. Du moment où l'on se dira : « C'est fini d'attendre » (ah, Maupassant, Maupassant !). Personnellement, c'est un truc dont j'ai du mal à me remettre à chaque fois, et je crois que c'est pour panser la suppurante plaie que j'en redemande encore et toujours ! Immer und immer wieder ! Je me souviens de l'affreux cafard qui m'avait étreinte au lendemain de mon premier concert d'HFT. Tout à coup, l'automne en pleine gueule... Et cela avait été le prélude à bien des automnes en pleine gueule !

Il reste trois minuscules dodos avant Colmar. Et je suis bien décidée à savourer chaque minute qui me rapproche du début du concert, c'est-à-dire de la fin ! L'escalier, je vais le monter sur un rythme pépère, c'est moi qui vous le dis ! En amour et comme en Thiéfaineland, il s'agit d'économiser son souffle !

26/11/2023

Concert de vendredi soir aux Fuseaux (Saint-Dizier) : que c'était bon !

"Le jour de ma mort, peut-être que je serai réconcilié avec le néant dont je suis tiré", Serge REZVANI (lors d'une rencontre à Metz, hier). 

 

Vendredi 24 novembre 2023, Saint-Dizier, région Grand Est, département de la Haute-Marne, les Fuseaux (c'est le nom de la salle). Direction la fosse. Je découvre le lieu en compagnie de ma fille aînée (Clara) et je fais remarquer à cette dernière qu'il y a des places assises, en mezzanine. Elle me dit que ce serait peut-être pas mal d'aller nous y installer. Euh, moi, assise à un concert de Thiéfaine ? Pas tellement mon genre. De temps en temps, oui, pourquoi pas, histoire d'avoir une autre perspective. Alternative à ne pas exclure. Mais là, hors de question. Je veux être au cœur de la grande marmite bouillonnante qu'est la fosse. C'est mon 57ème concert d'HFT. Le troisième après la maladie. Vais-je encore, comme lors des deux précédents, m'étonner d'être là et presque en pleurer ? Réponse dans quelques instants...

Dès les premières minutes, je sens que l'ambiance va être à la braise. C'est toujours assez impalpable, ces choses-là, c'est un truc qui flotte dans l'air, reconnaissable à des « Hubert » scandés un peu partout, une impatience trépignante qui se répand comme une traînée de poudre. D'emblée, j'ai l'impression que ça va être plus ardent qu'à Nancy et à Troyes. Ai-je raison ou tort ? Réponse dans quelques instants... Ça en fait des questions qui se bousculent dans ma tête, en plus de toutes les autres d'ordre métaphysique et toujours pas résolues !

Les musiciens s'installent. Ce soir, Fred Gastard est absent. C'est Fabrice Theuillon qui le remplace. Les premières notes de Droïde song retentissent. Souvenirs de jeunesse : je citais régulièrement, dans mes conversations, « quand j'ai besoin d'amour ou de fraternité j'vais voir Caïn cherchant Abel pour le plomber » ou encore « le jour où les Terriens prendront figure humaine, j'enlèverai ma cagoule pour entrer dans l'arène ». Je vous jure que ça faisait toujours son petit effet ! « Avant de m'enfoncer plus loin dans les égouts pour voir si l'océan se trouve toujours au bout », remarquez, ce n'est pas rien non plus. Encore une de ces formules dont Hubert a le secret et dont on pourrait faire un recueil. « Et je viendrai troubler de mon cri distordu les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des statues » serait à y inscrire aussi. Ouais, bon, laissons tomber le recueil, tout est bon dans les chansons d'Hubert, « y a rien à jeter, sur l'île déserte il faut tout emporter » (décidément, je cite beaucoup Brassens depuis quelque temps). Oh non, je m'égare déjà. Retour à nos moutons : Hubert arrive et c'est l'explosion de joie. Derrière moi, quelqu'un s'écrie : « Voilà le patron ». Pas complètement faux !

Comme toujours, une fois la première chanson entamée, ça sent déjà la fin. Je m'efforce de ne pas y penser, je veux me fondre dans le présent, m'y dissoudre comme un comprimé effervescent qui ne ferait plus qu'un avec l'eau dans laquelle il vient d'être jeté (oui ben, on a les images qu'on peut). Enfin disparaître un peu, m'oublier, faire corps avec l'instant à vivre, là, maintenant, tout de suite, et qui ne reviendra pas. Ne pas regarder la montre. Même si ma fille m'y oblige parfois. Que c'en est vexant, à la fin. C'est comme dans une salle de classe, quand un môme demande à son voisin l'heure qu'il est. Je le prends comme une attaque personnelle. Ma fille est fatiguée, elle a mal au dos. Purée, j'y crois pas, c'est qui la quinquagénaire ici ? Je vous présente ma fille, Clara, je viens de la sortir de l'Ehpad pour quelques heures, elle est un peu faiblarde en ce soir de novembre, veuillez l'excuser. Moi je n'ai mal nulle part et je ne veux pas savoir quelle heure il est, je sais que l'horloge, « dieu sinistre, effrayant, impassible »* me dira bientôt « souviens-toi ». Si je répète cent mille fois à je ne sais qui « faites que cette soirée ne finisse jamais », peut-être que ça marchera, qui sait ? Après tout, je n'ai jamais essayé !

Mais non, ça ne marche pas, et les morceaux s'enchaînent impitoyablement. Tous plus somptueux les uns que les autres. À chaque chanson, je me dis « Dieu, que c'est beau ». Un de mes voisins, lui, s'exclame « C'est bon », et on sent que l'orgasme n'est plus qu'à quelques millimètres de là. Il dit « c'est bon » à X reprises, et je me marre intérieurement. Peut-être que d'une certaine manière, nous sommes en train de vivre un orgasme collectif ? J'adore l'idée !

Je me marre un peu moins quand j'entends, derrière moi, un groupe qui, apparemment, vient de loin et doit gérer en urgence des problèmes de logistique : « Il faut qu'on se trouve un point de chute pour la nuit », dit une femme, « ça fait trop de bornes sinon », poursuit un homme. C'est tellement décalé et prosaïque que je pense au sketch du Schmilblick et au routier qui vient là juste pour faire passer un message à Zézette. Mais d'où vient donc cette bande ? Du sud de la France ou quoi ? Si c'étaient des Bretons, ça se saurait : ils auraient déjà brandi le drapeau aux hermines, c'est sûr.

La question « d'où viennent-ils ? » restera sans réponse. Au moment où ça commence à sentir sérieusement le roussi parce qu'Hubert lui-même a dit qu'il allait être l'heure de se quitter, un des messieurs de la même bande dit aux autres : « Oh non, j'ai pas fait tous ces kilomètres pour n'avoir droit qu'à 1h20 de concert ». Putain, l'horloge, le dieu sinistre, effrayant, impassible : ces mots viennent de m'en rappeler l'existence ! On n'est donc jamais tranquille !

Bref... Je n'ai même pas parlé de la deuxième chanson, Dies olé sparadrap joey. Autres souvenirs de jeunesse : j'adorais citer « la bidoche est faite pour saigner » dans mes conversations. Je voyais là l'expression de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus terrifiant. Et j'aimais l'image, puissante, en plein dans ta gueule comme un aphorisme de Cioran.

Je n'ai pas parlé non plus de Whiskeuses images again : la vieille caisse marquée fragile, qu'est-ce que j'ai pu la citer, elle aussi, rapport à ma vulnérabilité...

Bref... Je n'ai pas dit non plus que nous avons droit, en ce 24 novembre, à Redescente climatisée. Morceau planant s'il en est. J'en suis dingue. Souvenirs de jeunesse là encore (c'est fou comme ma vie est étroitement liée à l'œuvre de Thiéfaine) : trajets en voiture passés essentiellement à rembobiner la cassette pour que ça tombe pile au bon endroit, là où se situait le graal absolu : ladite Redescente climatisée. C'est planant et surtout déchirant. Une histoire où la drogue prend les commandes. Que même si tu n'as jamais touché à ça tu sens tout à coup dans ta chair combien ça rend esclave...

Bref... Je n'ai pas mentionné non plus les nombreux problèmes techniques dont Hubert nous fait part. Mais qui, franchement, vus d'ici, ne gâchent rien. Je suis, une fois encore, dans l'émerveillement d'être là, rescapée d'un monde de formol et d'arsenic. Réponse à la première question que je me posais.

Réponse à la deuxième question : plus ardent ou pas qu'à Nancy et à Troyes ? Oui, je crois. C'est surtout sur Bipède à station verticale que l'ambiance s'électrise. Là, le public glisse vers encore plus de braise, et c'est bon, comme dirait mon voisin aux extases sonores. « Toujours faut se tenir debout » : encore une de ces phrases où semble s'être logé le résumé de notre condition dans ce qu'elle a de plus contraignant.

Le dieu sinistre, effrayant, impassible finit par avoir raison de ma bonne volonté : je n'ai pas su retenir le temps. Et merde, je suis trop nulle. Il faut dire que je n'ai pas répété cent mille fois à je ne sais qui « faites que cette soirée ne finisse jamais », je n'ai pas pu, j'étais occupée à autre chose. J'avais mieux à faire, quoi. Quand Thiéfaine est dans les parages, c'est lui, tout simplement, mon « mieux à faire ». Mais voilà. : la négligence coûte cher. Le temps a donc filé. À me voir occupée à mon mieux à faire, il en a profité, le saligaud. Et voilà qu'arrive, sur son chariot chargé de paille, sur son chariot chargé de foin, qui vous savez...

La vie, ça ne devrait pas être ce que c'est. Ça devrait être des concerts de Thiéfaine que tu enchaînes tout comme tu veux, selon un calendrier défini par toi-même. Notre pauvre Bébert n'aurait plus une minute à lui ! Parce que les concerts de Thiéfaine, c'est si bon que tu ne peux pas te résoudre à la loi du dieu sinistre, effrayant, impassible. C'est pour ça que nous sommes nombreux à en redemander toujours et encore. Donc, maintenant, la question qui va m'occuper, en plus de toutes les autres d'ordre métaphysique, c'est : Colmar le 27 décembre, chiche ou pas chiche ?! J'sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression qu'une partie de moi (la moins raisonnable, la plus wildienne, celle qui se dit régulièrement « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais ») a déjà répondu...

 

P.S. : Après le concert de vendredi, je suis passée dans les loges, un truc de ouf. Moi qui ai toujours eu si peur de me retrouver devant Thiéfaine. Oui, vraiment peur, parce qu'il est, depuis 31 ans, celui dont l'œuvre me permet de ne pas m'emmêler trop fort dans mes tourments, que j'ai nombreux, pour ne pas dire innombrables. Je lui ai bredouillé comme j'ai pu mon admiration et ma reconnaissance. Il a été absolument charmant et nous avons beaucoup ri. Ce fut un moment presque hors du temps, même si le dieu sinistre, effrayant, impassible a tout de même fini par se rappeler à mon souvenir pourtant réticent. Rien ne m'appartient, si j'en crois Natacha Appanah, mais ces moments-là, j'ai l'impression qu'ils seront toujours rien qu'à moi, douces lueurs d'une beauté indescriptible. Tellement indescriptible que je me refuse à essayer d'en livrer quelque chose ici. En clair, en net et sans décodeur : cette rencontre, ce fut l'aboutissement d'une admiration qui remonte presque au déluge (« ma mère, jamais dans l'excès », dirait ma fille Louise si elle me lisait !).

 

*Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible : Baudelaire (poème L'horloge).

24/11/2023

Thiéfaine sera à Saint-Dizier ce soir. Tiens donc, moi aussi !

"Fou, oui, fou puisque j'ai voulu la grandeur que le sort n'accorde pas". Fernando PESSOA

 

« Mais tu es là au rendez-vous, j'oublie tout », chante Pierre Bachelet sur une scène messine en un certain dimanche après-midi de l'année 1997 ou 1998. J'accompagne ma mère à ce concert. Dans quelques heures, je reprendrai la route pour regagner les terribles Ardennes où m'a conduite une malencontreuse mutation. Au début, j'étais contente, je me disais que j'allais, la classe, rejoindre la terre qui avait vu naître Rimbaud. Très vite, le désenchantement sur toute la ligne. Élèves rudes, collègues désagréables (dont un - prof d'histoire-géo, ça se souligne - qui, avant chacun de mes retours en Lorraine, me disait : « Ah, ça y est, tu retournes en Bochie ? »). Et moi, pauvrette, de comparer mon triste sort à celui de Verlaine (tant qu'à faire, autant viser haut) qui fut emprisonné quelque temps à Vouziers. Je pris l'habitude de raconter cette anecdote en ajoutant : « Moi aussi »... Emprisonnée à Vouziers, en ces sombres Ardennes où, en tant que prof, je vécus la pire année de mon parcours ! Bref... Mais, en ce dimanche de concert où j'accompagne ma mère, moi aussi j'oublie tout. Ce n'est pas seulement ma période ardennaise, c'est aussi et surtout ma phase schizo, qui me voit passer, parfois sans transition, d'un concert de Thiéfaine à un concert de Bachelet. J'en connais un autre qui fit la même chose en ce temps-là : Philippe Gonnand ! Oui, ce musicien joua et avec Pierre, et avec Hubert-Félix !

Lorsque retentit la chanson qui parle de rendez-vous, les yeux de ma mère se plissent un peu. C'est qu'elle est émue. C'est comme si, depuis la scène, Pierre Bachelet lui chantait rien qu'à elle : « Tu es là au rendez-vous, j'oublie tout ». Enfin, je suppose que c'est comme si, que c'est comme ça.

Ces moments de partage avec ma mère deviendront un jour (et je l'ignore allègrement en les vivant, privilège de la jeunesse pas encore éraflée par trop de coups du sort) mes plus beaux souvenirs avec elle. Birkin, Bachelet, Renaud, Thiéfaine : nous les voyons tous, certains plusieurs fois, dans les années 1990. À chaque fois que l'un d'eux est au rendez-vous, nous oublions tout. Magie de ces instants qui ne reviendront plus. Aragon a écrit avec justesse que la vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui, pour effacer ses traces, et on pourrait difficilement mieux dire, n'est-ce pas ?

Le savent-ils, les artistes, que chaque concert est pour chaque spectateur une parenthèse dans une vie souvent alourdie par mille fardeaux ? Le savent-ils que, quand ils se tiennent face à nous, on oublie tout ?

Ce soir encore, je vois Hubert (ça vous étonne ?!). Et lorsqu'il s'avérera qu'une fois de plus, il est au rendez-vous, j'oublierai tout... Et ne pensons pas au lendemain qui, forcément, déchantera grave. Les redescentes ne sont jamais climatisées dans la réalité. Mais peut-être bien que j'irai me consoler à Metz demain, avec un autre rendez-vous : Serge Rezvani viendra au musée de la cour d'or pour une rencontre avec le public. Ensuite, dans la somptueuse église Saint-Maximin où flamboient de non moins somptueux vitraux Cocteau, Léopoldine HH chantera Rezvani. De quoi me rabibocher l'âme, que je me serai sûrement un peu esquintée à Saint-Dizier, une fois venue la fin du concert. Mais que devient le rêveur quand le rêve est fini ? Je vous le demande !

 

12/11/2023

Sur les cendres danser, le dernier album de Jil Caplan

"Tu voudrais tout éteindre

Sur les cendres danser

Tu voudrais tout étreindre

Quitte à mourir brûlé". Jil CAPLAN

 

Enfant, j'appris très tôt, grâce à ma mère, que la vie sans musique ne pouvait être qu'une succession de jours sans couleurs. Je me souviens des longues séances avec elle dans la cuisine, à écouter religieusement après les repas Véronique Sanson, Alain Souchon, et tant d'autres. Ma mère possédait de nombreuses cassettes qui recelaient des trésors. Elle était convaincue que la vaisselle, c'était plus marrant, c'était moins désespérant en chantant. La musique l'accompagnait dans toutes les tâches qu'elle accomplissait jour après jour. Et moi j'étais là, dans mon coin, l'air de ne pas me laisser chambouler plus que ça, et pourtant... Et pourtant, j'avais déjà des tracas qui me dépassaient : pourquoi la dame de Vive la rose était-elle malade ? Pourquoi « j'suis mal en campagne et j'suis mal en ville, peut-être un p'tit peu trop fragile » ? Tout cela me perturbait beaucoup. Quelque part, au fond de moi, sans que je puisse le formuler clairement, je sentais que les artistes étaient des êtres à part qui, de la vie méchante, faisaient autre chose. Quelque chose de plus grand et de meilleur. C'est avec eux que j'appris à marcher en ce bas monde. Grâce à ma mère pour qui une seule journée sans musique était inconcevable. Elle me mit très vite entre les oreilles des chansons mélancoliques qui parlaient du temps assassin, d'amours brisées, etc. Même La demoiselle, d'Angelo Branduardi, sous ses allures de romance enjouée, avait un arrière-plan ultra triste.

Ma mère aimait également les poèmes. Ceux de Ronsard tout particulièrement. J'eus très tôt accès sans restriction aucune à la bibliothèque maternelle. C'est ainsi qu'à douze ans je lus Les amours, de Ronsard justement, sans forcément comprendre toujours de quoi il retournait, mais me laissant bercer par la musique qui faisait danser l'ensemble. Ce n'était pas très joyeux non plus. « Et on voudrait qu'j'aie le moral », comme chantait Brel ! Plus tard, je lus, sous la plume de Musset, que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Tout un programme ! Qui devait me conduire, de façon assez logique, vers Thiéfaine et sa poésie rarement jouasse !

Mais il n'y a pas que Thiéfaine dans la vie, je l'ai déjà dit. Quoique, des fois, quand même, on se demande... Non, soyons honnêtes : même quand on a fait d'un artiste son chouchou, on reste ouvert aux autres (et c'est souhaitable). Ainsi, en ce moment, je n'écoute pas Thiéfaine, mais le dernier album de Jil Caplan et quelques chansons de Warhaus, groupe que j'ai découvert au NJP (il passait avant HFT). Open window, entre autres, est une petite merveille. Essayez, pour voir !

Jil Caplan, je l'ai découverte, comme bien des gens je crois, avec Tout c'qui nous sépare. C'était dans les années 1990. Je fus immédiatement conquise par les mots et la voix de cette chanteuse. La voix : vraiment incroyable. Si bien que même quand Jil Caplan ne chante pas, elle a toujours un chant dans la gorge. Au bord des lèvres, prêt à éclore, et c'est beau. C'est une voix qui swingue naturellement. Qui est le swing à elle toute seule ! 

J'ai tous les albums de Jil Caplan. Et je l'ai vue deux fois en concert. La première fois, c'était chez Paulette, à Pagney-derrière-Barine, bled paumé non loin de Toul. À frôler le panneau qui indique Pagney-derrière-Barine, tu ne soupçonnerais pas l'existence, ici, d'une salle de concert. Eh bien si ! Jil Caplan s'y produisit en 2006. Je me souviendrai toujours de son arrivée complètement dingue à Pagney-derrière-Barine : elle avait débarqué, pas starlette du tout, tenant en laisse un magnifique labrador noir. Je crois qu'aujourd'hui encore elle aime les chiens. Preuve : la chanson Animal animal, dans laquelle elle dit « J'ai trouvé mon frère qui ne parle pas, qui ne dit rien,

Qui ne demande qu'un geste tendre ».

Tout l'album est beau. Le titre, déjà : Sur les cendres danser. Un titre qui annonce la couleur : ce n'est pas parce que tout est désastre autour de nous qu'il faut renoncer à danser. C'est ça que nous apprennent les artistes, eux à qui il est donné d'empoigner des horizons plus beaux que ceux du commun des mortels !

Allez, quand même, il faut bien l'avouer : même si j'aime absolument toutes les chansons de cet album, j'ai un faible pour Virginia (une chanson sur Virginia Woolf), Daronne, Sur les cendres danser, Être heureux, Même Marylin. Musicalement, c'est très différent du CD précédent, Imparfaite. C'est plus rock, plus tranchant.

« Être heureux, peut-être que ça n'existe pas », chante Jil Caplan. Non, c'est vrai, c'est par touches, de temps à autre. Entre les gouttes, comme disait Romain Gary. En tout cas, être heureux, sans la musique : impossible ! Ma mère avait raison...