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30/06/2024

Un article retrouvé dans le numéro 53 de Chorus (automne 2005)

"J'espère que demain sera torride et vibrant, avec des astres riants, des petites lueurs dans les yeux". Brigitte FONTAINE

 

Je vais déménager en juillet. Je suis dans les cartons jusqu'au cou et je retrouve régulièrement des trésors oubliés un peu partout dans ma maison. Ce matin, cet article que Jean Théfaine avait consacré, dans l'excellente revue Chorus qui n'existe malheureusement plus, à l'album Scandale mélancolique (2005). Je vous l'ai recopié intégralement pour vous en faire profiter ! Dans les commentaires, n'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cet album. Je vais le réécouter cet après-midi, tiens ! 

 

C'est le 17 octobre que sort le quatorzième album studio d'Hubert-Félix Thiéfaine. Patience. Une fois encore, l'imprécateur jurassien n'est pas où on pouvait l'attendre. Défloration 13, en 2001, intrégait des courants musicaux nouveaux. Sous la direction de Philippe Paradis, qui l'a réalisé, Scandale mélancolique revient à un habillage sonore plus classique, mais d'une intelligence et d'une sensibilité exemplaires. Les guitares électriques, de retour au premier plan, sont toujours utilisées à bon escient.

Dans le passé, Hubert-Félix Thiéfaine avait fait appel à certains compositeurs. À Claude Mairet surtout. Ici, c'est une toute autre aventure ! Ils sont huit à s'être coltinés à son univers – tous de la génération des 25-40 ans : Philippe Paradis, par ailleurs guitariste attitré de HFT, le bassiste Roberto Briot, Jipé Nataf, Mickey 3D, Frédéric Lo, Jérémie Kisling, Cali et Elista, un prometteur jeune groupe français. Il y a même un neuvième homme, Thiéfaine lui-même, qui s'est réservé une musique … sur l'unique texte qu'il n'a pas écrit ! Un texte, en anglais pour l'essentiel, by Boris Bergman.

Philippe Gandilhon, son directeur artistique, souhaitait amener un peu de « solaire » au royaume des ombres qu'affectionne Hubert-Félix. Et c'est globalement gagné. Il y a même deux titres authentiquement lumineux : Gynécées, une déclaration d'allégeance aux femmes, interprétée en duo par Thiéfaine et Cali ; Les jardins sauvages, une métaphorique balade au pays des fleurs perdues, autour de laquelle Mickey 3D a tressé un bouquet de notes allègres. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Un galop infernal, même, tant il y a, dans cet album-là, de douleur à nu, sans beaucoup d'humour pour l'atténuer. De Libido Moriendi, sur lequel M a posé une ritournelle de banjo, à Confessions d'un never been, en passant par l'époustouflant Jeu de la folie, devenu « un sport de l'extrême », c'est la même angoisse existentielle qui court.

Il faudrait tout citer de cet album d'exception, qui confirme une fois de plus l'importance et la cohérence de Thiéfaine dans le paysage de la chanson française ; mais trois morceaux méritent une mention particulière : Télégramme 2003, fraternelle adresse à Bertrand Cantat, jamais nommé pour autant (« Ronge tes barreaux avec les dents / Le soleil est là qui t'attend ») ; When Maurice meets Alice, déchirante déclaration d'amour filial d'Hubert, l'inconsolable, à ses chers disparus ; That angry man on the pier, une sorte d'autoportrait, qui éclaire le reste de l'album et bien d'autres choses encore du singulier parcours de HFT.
En clair, Scandale mélancolique est un nouveau sommet dans l'œuvre de l'énigmatique jurassien.

 

Jean THÉFAINE, Chorus n°53, automne 2005.

 

03/06/2024

Thiéfaine était à Besançon samedi et ce fut le feu !

"Instant délicieux, ne t'en va pas, tu es beau parce que tu meurs et que rien dans la suite des temps ne pourra prendre ta place, être absolument comme toi". Julien GREEN

 

En allemand, « jamais deux sans trois » se dit « aller guten Dinge sind drei », ce qui signifie que toutes les bonnes choses sont au nombre de trois. Guidée par ce dicton et par la désormais proverbiale phrase d'Oscar Wilde selon laquelle « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais », j'ai ajouté Besançon au calendrier, juste après Paris et Reims. Trois week-ends en Thiéfainie, qui dit mieux ?

De chacun, il faudrait pouvoir extraire la substantifique moelle. La tâche n'est pas aisée. Le premier n'a pas ressemblé au deuxième, qui lui-même n'a pas ressemblé au troisième, lequel n'a pas grand-chose à voir avec le premier ! Vous me suivez ?

Ce samedi marquait notre entrée dans le mois de juin. Difficile à croire au vu de la météo, certes, mais si, vrai, on quittait le joli mois de Marie. Mais n'allons pas pour autant renoncer à nos envies ! Les miennes sont assez simples, en définitive : un peu d'allemand par-ci, un peu d'HFT par-là, et le tour est joué. Bref...

Samedi symbolique à plus d'un égard : entrée dans le mois de l'été, disais-je (si, si, il va venir), mais aussi et surtout : rencontre, en chair et en os, avec Sandrine, une quinqua que j'ai connue sur Facebook pendant la maladie, lorsque je traînais sur les pages consacrées à la leucémie, demandant « y' a quelqu'un ? ». Or, il se trouve qu'un jour, quelqu'une il y eut. Et ce fut Sandrine. Même leucémie que la mienne, même traitement, même combat. Il n'en fallait pas plus pour créer comme une sororité. Durant les longs mois que dura la maladie, Sandrine fut un modèle pour moi. Nous nous étions promis de nous rencontrer. Nous n'en avions encore jamais eu l'occasion. Celle-ci s'est présentée il y a quelques jours. Premier message de ma part, déjà un tantinet wildien : « Sandrine, ça te dirait de m'accompagner au concert que Thiéfaine donne samedi à Besançon, pas loin de chez toi ? ». En quelques clics, l'efficace Sandrine nous dégotait deux billets.

Et voilà que samedi, je débarquais dans son salon. Un peu émue, il faut le dire. C'est qu'on en a traversé des choses ensemble. À distance, certes, mais tout de même !

Je suis à l'aise, immédiatement. Le courant passe. Je parle à Sandrine comme si je la connaissais depuis soixante ans, bien que n'en ayant que cinquante. C'est dire ! Je crois au coup de foudre, en amitié comme en amour !

À 18 heures, nous partons pour Besançon. Nous retrouvons Brigitte. On papote un peu, on fait quelques emplettes à la boutique, et ça y est, il est temps de sonner la fête, on nous attend ! Sandrine et moi avons des places en gradins, mais également la ferme intention de rejoindre la fosse dès que possible ! Surtout que ça a l'air de vouloir bien s'amuser là-dedans : Brigitte nous explique que des cœurs rouges en papier ont été disposés sur tous les fauteuils, avec pour consigne de les agiter sur Narcisse et je ne sais plus quand encore. Bon, d'accord, c'est légèrement kitsch, mais on a tous nos côtés kitsch à un moment ou un autre de notre vie, n'est-ce pas ? Si, si, vous aussi, cherchez bien !

Droïde Song résonne puissamment dans la salle. Je souris discrètement quand Hubert s'emmêle les pinceaux dans ses statues. La première fois, il chante un truc étrange, du style « les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des vavues ». Hubert sans ses pinceaux emmêlés ici ou là, ce ne serait pas Hubert. Cela dit sans aucune cruauté car je nous mets, tous autant que nous sommes, au défi d'interpréter ses chansons en faisant un sans-faute ! Impossible, non ?

Je me dis quand même, du haut de ma place en gradins (j'aime pas tellement ça, mais bon, on a pris ce qu'on pouvait prendre), qu'Hubert et ses musiciens sont vachement petits. C'est que je les vois de loin, de trop loin à mon goût. Dès que retentissent les premières notes de Narcisse, j'invite Sandrine à me suivre dans la fosse. C'est l'appel des petits cœurs rouges, que voulez-vous ! Nous arrivons au milieu d'une foule incandescente, digne de celle de l'Olympia. Tous ces papiers rouges qui se promènent un peu partout, c'est peut-être kitsch, mais ça me fait quelque chose. Genre qu'on dirait à Hubert « vois un peu comme on t'aime ».

Moi, j'ai pas de cœur (enfin, pas de cœur rouge en papier, en tout cas), mais ça ne m'empêche pas d'avoir, comme toujours, la fougue chevillée au corps. Ou le corps chevillé à la fougue, je ne sais même plus dans quel sens il faut mettre cette charrue tant je suis subjuguée par ce qui se donne à voir sur scène. Jamais vu la sueur de Lucas d'aussi près, c'est la réflexion que je me fais dès mon arrivée dans la fosse. Ben ouais, les réflexions qu'on se fait à soi-même ne sont pas toujours de haut vol ! Je me dis aussi, et ça c'est mieux, qu'Hubert et ses musiciens sont vachement grands.

Parmi ceux qui sont restés assis, ça râle un peu car nous sommes toute une masse agglutinée devant la scène, à boucher la vue. J'avoue que je ne suis pas ultra fière d'infliger ça à des gens qui aiment Thiéfaine. Mais bon, qu'ils se lèvent, eux aussi, et le problème sera réglé, non ? Et puis merde, chacun sa merde ! On sait bien, quand on va voir Hubert en configuration assise, que ça va en démanger plus d'un de se lever au bout de trois minutes. Vieux, le public, mais pas grabataire. Peut-être aussi une légère phobie des strapontins, acquise à force de trop écouter une certaine chanson du même Hubert ?! Qui sait ?

En attendant, à Besançon en ce premier samedi de juin, ça tangue tous azimuts devant la scène. Et je suis dans cette immense bouilloire, et je contribue à ce que ça bouille (purée, je suis allée le chercher loin, ce subjonctif !) et je m'enivre des bouillonnements que je perçois autour de moi. Le bateau ivre, nous sommes le bateau ivre, rien que ça ! Il se passe un truc hyper fort. Le mot « orgie » me vient à l'esprit ! Non pas de silence et de propreté, l'orgie, mais tout l'inverse et en mieux. Les musiciens se donnent à fond. Finalement, ils suent tous comme Lucas, à grosses gouttes. La voix d'Hubert est limpide, belle et puissante. Campé devant le micro, il en impose. Quelle prestance et quelle présence !

De temps à autre, je me demande ce que va penser Sandrine, elle qui ne connaît de Thiéfaine que La cancoillotte et La fille du coupeur de joints. C'est que ce n'est pas œuvre à mettre entre toutes les oreilles. « Une p'tite canette, une p'tite fumette, une reniflette, une seringuette, une bonne branlette » (par ordre croissant, la p'tite canette procurant moins d'extase que la p'tite fumette, laquelle ne vaut pas, question trip, la reniflette, etc. Complétez vous-même !!!), comment va-t-elle prendre la chose ? Je lui pose la question. Tout ça l'amuse sans l'horrifier, ouf ! L'honneur est sauf. Tout de même, moi je dis qu'il y a des cours de chasteté qui se perdent par ici !

Groupie 89 Turbo 6 éclate notre novice. Elle trouve Hubert décidément bien guilleret lors de son interprétation. Un sourire coquin sur ses lèvres donne à penser qu'il y a sûrement de l'autobiographique là-dedans, mais cela ne nous regarde pas.

Le temps passe vite, trop vite, c'est vraiment un sale connard. Il engloutit cruellement chaque seconde. Combien de jours encore, bonne question... Cette chanson qui me transperce comme de bien entendu signe la presque fin du concert. Les interrogations qu'elle exprime me glacent. Dans ma tête, je me demande « Combien de concerts encore ? », celui-là étant pour moi le dernier de la tournée actuelle (qui s'étiole, qui s'étiole, sortez les mouchoirs). C'est grande tristesse et grande injustice. Soixante concerts et quelques et aucune trace de lassitude, et aucun soupçon de satiété ! J'en veux, j'en veux encore, comme dans la chanson d'Yves Jamait. Jamais assez d'HFT, jamais assez de cette folie qui m'a fait, en trois décennies, réviser presque tous mes départements. Voir du pays, quoi !

Hubert et ses musiciens reviennent. Au moment où démarre Mathématiques souterraines, je rappelle à Sandrine que c'est cette chanson-là qui m'a servi de boussole dans la chambre stérile. Ah, comme je les ai attendus, les ascenseurs au fond des précipices ! Les chœurs bisontins entonnent « pauvre petite fille sans nourrice » et il en émane une telle féminité, pour ne pas dire félinité, que j'en ai des frissons partout. Et voilà, ça y est, un concert de plus en moins, ou presque. Bientôt La fille du coupeur de joints unira dans son cri les cheveux blonds, les cheveux gris, et Besançon ira s'échouer sur les rives du souvenir. Les cœurs rouges ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et c'était beau. Et si le kitsch n'était qu'une question d'éclairage et se bonifiait du bon usage qu'on en fait ? Brandis simultanément et dans un même élan d'amour, je vous jure que ces cœurs avaient de la gueule !

Je sors de là abasourdie. Voir Besançon et mourir, j'en suis là...

Et si cette tournée était, comme nous sommes nombreux à le redouter, la dernière ? Et si ce soir j'avais vu Hubert pour la der des ders ? Arrière, pensées pourries qui m'obscurcissent l'âme et me la font toute chagrine et merdique !

Le lendemain, dans la voiture, je suis complètement bouleversée, je repense à tout ce que j'ai vécu. Sandrine, Hubert, tout ça. Les images se télescopent, je suis d'humeur grise, et ce n'est pas l'incessante pluie qui va me contredire.

Et soudain, une idée vient me transbahuter dans un monde meilleur : si je crie très fort et très longtemps « j'en veux, j'en veux encore », comme dans la chanson d'Yves Jamait, peut-être qu'une bonne fée m'exaucera, allez savoir. Un peu de clémence, de grâce ! Je veux croire aux contes de notre enfance. « Il était une fois un chanteur incroyablement talentueux qui s'apprêtait à fêter ses cinquante ans de scène »... Ainsi pourrait commencer un nouveau chapitre de l'histoire d'Hubert. Et là je dis : revoir Besançon et renaître !

27/05/2024

Reims, la ville où Thiéfaine fut sacré roi samedi !

"J'écris. Je n'ai jamais connu d'autre habitation que la phrase à venir". Christian BOBIN

 

Hier le cœur au soleil, aujourd'hui le même cœur à l'ombre. Ainsi va la vie, n'est-ce pas ? Ce qui est pris est pris, bien sûr, mais le problème, c'est que ce qui est pris n'est plus à prendre. Loi immuable...

Retour au bercail après un week-end de folie. Un de plus, me direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Un de moins à vivre, on peut le voir comme ça aussi. Loi immuable...

Bref... Activons la machine à souvenirs, rembobinons.

Tout commence samedi après-midi, sur l'autoroute qui va de Metz à Reims. Je me sens comme le séminariste à moto de la chanson (j'ai bien dit à moto) avant qu'il ne percute de plein fouette un pylône garé en stationnement illicite. Toute guillerette, quoi, comme si je trimbalais le Saint-Esprit sur le siège passager. Dans le trafic autour de moi, des Allemands en veux-tu en voilà. Et moi, des Allemands, j'en veux toujours et toujours plus, ça tombe bien. Je me dis « beaucoup d'Allemands dans les parages, excellent, merveilleux présage », inventant pour l'occasion un proverbe qui ne dépassera malheureusement pas, je crois, ma sphère privée ! Oui, vraiment, tous ces Allemands qui en cachent d'autres, et puis d'autres encore, ça me fait dire que la soirée sera bonne. Que « la nuit promet d'être belle », car il ne faut pas oublier Jacques Higelin.

Je rejoins au centre-ville la joyeuse clique qui va dormir dans le même hôtel que moi. Nous sommes huit en tout, je crois. Il y en a que j'ai déjà vus, d'autres que je ne connais que via les réseaux sociaux. Nous venons d'horizons divers, mais quelque chose nous lie puissamment : une même passion pour l'œuvre de Thiéfaine. J'adore ces moments de retrouvailles, de communion.

On boit un verre, on fait un peu de tourisme dans la ville des sacres, et très vite il est l'heure d'aller à la salle Arena. C'est une étrange cohorte qui se déplace, chacun arborant fièrement un tee-shirt ou un sweat rappelant un certain HFT.

Il n'est pas 19 heures et nous sommes déjà dans la salle. Je discute à droite et à gauche, comme toujours. Je récolte des témoignages, j'écoute des histoires, je me rapproche de certaines sensibilités qui se donnent à voir dans des propos enthousiastes. Et je n'en reviens pas de trouver toujours, invariablement, la même ferveur autour d'Hubert. Entre-temps, Bételgeuse est arrivée et se joint aux conversations. Avec elle et une quinquagénaire dont nous venons de faire la connaissance (Annabelle), nous nous interrogeons : que vont devenir nos vies quand Hubert décidera d'arrêter les tournées ? Oui, je vous le demande : que deviendront les rêveurs que nous sommes quand le rêve sera fini ? Nous sommes trois à tout à coup contempler le vide. Difficile d'imaginer ça... Repoussons la chose et ancrons-nous dans l'instant présent, si riche et si beau. Dans pas longtemps, Hubert sera là, il convient de ne pas se laisser plomber. Jusqu'ici, tout va bien.

Le concert démarre. Il sera lui aussi amputé de Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir, de Whiskeuses images again, de 113ème cigarette sans dormir et de Redescente climatisée. Éternels regrets posés sur ces quatre lourdes absences...

Dès le début, nous sommes plusieurs à constater que le son a des ratés. Ce sera encore plus flagrant vers la fin, sur Soleil cherche futur, où tout nous sera livré en vrac ! Paroles et musique sont là, mais pas dans l'ordre habituel. Pas grave, nul ne se laisse démonter par les incidents techniques qui ponctuent la soirée. L'indulgence est de mise puisque tout est bien quand même, malgré ça. L'ambiance n'est pas mal non plus. Pas incandescente comme à l'Olympia, mais elle se défend convenablement. La semaine dernière, j'étais en plein dans le volcan, là c'est plus modéré, un peu comme si je ne faisais que réviser ma tendresse des volcans. Oh, c'est déjà pas si mal, me direz-vous. On a connu pire ! Tout autour de moi, ça danse, ça chante, ça jubile. De temps à autre, j'échange quelques mots avec mon voisin (fort sympathique au demeurant). Je suis bien placée : troisième ou quatrième rang dans la fosse et pas de grand pour me boucher la vue et me gâcher mon Hubert … que toute la salle sacre roi en ce samedi de mai où rien n'est plus urgent que de faire ce qu'il nous plaît de nos envies.

La sortie du public ressemble un peu à celle de l'Olympia. En moins bouillante tout de même. Mais des « oh oh oh oh oh oh » accompagnent la promenade vers le hall. Je suis avec mon voisin de concert. Nous rejoignons ensuite son groupe d'amis. Bételgeuse se joint à nous. Et nous allons boire un verre dans le centre-ville. Principal sujet de conversation, là encore : Hubert. Hubert et ses 75 ans, bientôt 76, et une énergie qu'on lui envie d'avance, nous qui ne savons pas comment nous serons dans deux décennies (si nous sommes encore !). Hubert et ses chansons qui nous transportent depuis si longtemps, les uns et les autres. Hubert et ce truc qui fait que même quand on l'a vu de nombreuses fois, on en redemande encore, encore, encore !

Je termine aujourd'hui ce récit commencé hier dans la plus grande fatigue ! Je ne suis guère plus en forme en ce lundi ! Ah, ça, pour sûr, je n'ai plus vingt ans, ni même trente, ni même quarante ! Un week-end comme celui-là, ça vous met à plat sa quinqua, il faut bien l'admettre ! Néanmoins, ladite quinqua se demande tout de même s'il ne serait pas souhaitable pour elle d'aller faire un tour du côté de Besançon samedi prochain, on ne sait jamais, des fois que l'océan se trouve au bout... Ma nouvelle devise ? Au nom d'Hubert, au nom du vice, au nom des rades et des mégots !

25/05/2024

Jil Caplan au Long Way à Longwy...

"Quelque chose va venir

Quelque chose vient toujours 

Le meilleur comme le pire

La surprise de l'amour". Jil CAPLAN

 

Ça se passe au Long Way à Longwy. Vous avez la subtilité du jeu de mots ? Pas encore ? Laissez infuser, ça va venir...

Voilà un lieu tout récent et déjà presque mythique. Comment le définir ? Pub rock ? Oui, quelque chose dans le genre. En tout cas pub où sont régulièrement organisés des concerts. Il paraît que le patron apprécie beaucoup Thiéfaine. La preuve : sur un mur, la pochette du vinyle Soleil cherche futur. Un peu plus loin, un espace appelé « le mur des bons », où l'on trouve une belle photo de l'ami Hubert. À côté d'un portrait de Robert Smith, entre autres. Les Cure, toute ma jeunesse ! Je les écoutais beaucoup à une époque où mon frère habitait à Longwy, justement. C'était dans les années 90. Longwy n'était alors qu'une ville éteinte qui se cherchait un futur dans les ruines de ses aciéries désaffectées. Tout le monde la trouvait moche et triste. Moi aussi, un peu, mais j'avais quand même de la tendresse pour elle. Ça m'arrive toujours avec les lieux qui n'ont pas eu de chance, je crois que ça me vient de mon expérience de l'ex-RDA !

Mais hier, en traversant Longwy, je fus plus qu'agréablement surprise : sauvagement surprise, dirais-je. Les anciennes usines ont été démontées et ont fait place à des espaces verts. Les fortifications ont été mises en valeur. Je reviendrai un jour, en touriste, c'est promis.
Mais ce soir, je suis là pour Jil Caplan. Elle et moi, ça commence aussi dans les années 90. Et ça commence avec sa voix, que je trouve belle, enveloppante, swingante. J'achète un album, À peine 21. Dans la chanson du même nom, ça dit « j'ai si vite grandi et je me sens tellement vieille, à peine 21 ça vaut plus le coup que j'essaye ». Ce pessimisme noir c'est noir il n'y a plus d'espoir me plaît, il faut dire que je patauge alors dans les mêmes eaux troubles. Je me nourris d'œuvres littéraires et musicales qui dépeignent le spleen dans de grandes largeurs anthracites. Je comprends qu'elles font plus que le dépeindre : elles le dépassent, elles le subliment, elles aident à moins claudiquer. Je n'ai pas encore croisé la route d'HFT, mais je suis lancée sur la bonne trajectoire, il n'y a plus qu'à patienter...

Mais pour l'heure, Jil Caplan. Démarre alors une longue histoire. Qui m'a menée jusqu'au Long Way hier. Et m'entraînera sans doute encore plus loin, ailleurs, je l'espère...

Jil Caplan, je l'avais déjà vue deux fois : chez Paulette en 2006 (je crois) et à Longlaville en 2018, peut-être bien. Chez Paulette, j'avais été estomaquée de la voir, avant le concert, arriver au bar avec son labrador noir. Qui, à un moment, avait même fini sur la scène ! Il paraît que Jil a toujours aimé les animaux en général et les chiens en particulier et que si elle devait créer un parti politique, il s'appellerait LPC, Liberté pour les Chiens. Voilà ce qu'elle nous dit, au Long Way, pour introduire la chanson Animal Animal, extraite du dernier album (que je vous recommande, comme tous les autres). Elle est accompagnée de sa complice Emilie Marsh, qui a composé les musiques de cet opus joliment intitulé Sur les cendres danser. Paru en septembre 2023, à un moment où j'avais, au sortir de la maladie, le sentiment de devoir moi aussi contempler des cendres, avec en tête un seul mot d'ordre : danser dessus.

Bref... Tout au long de la soirée, cet album est mis à l'honneur, et c'est tant mieux pour moi qui l'adore et l'écoute régulièrement en boucle. Je ne le connais pas encore tout à fait par cœur, mais ça va venir, c'est sûr. Que nous raconte Sur les cendres danser ? Qu'un jour les enfants grandissent et font de leurs parents des darons et des daronnes. Jil Caplan a tiré une chanson très émouvante de cette expérience troublante : Daronne. Qu'elle introduit avec humour : « On fait des enfants. Au début, ils sont tout petits et ils nous obéissent. On leur dit va au lit, et ils vont au lit. Ils nous disent je t'aime, maman. Et puis, un jour, on entre dans leur chambre et on les entend dire à quelqu'un, au téléphone : J'peux pas te parler, y'a ma daronne ».

Que raconte encore Sur les cendres danser ? La triste histoire de Virginia Woolf, des voix dans la tête, des pierres dans les poches pour être certaine de bien sombrer dans les flots où elle s'enfonce. Ça raconte aussi qu'être heureux, peut-être que ça n'existe pas. Et bien d'autres choses encore, que je vous invite chaudement à découvrir sans tarder, non mais !

Quelques chansons anciennes viennent ponctuer la soirée. Notamment un mémorable Tout c'qui nous sépare, le tube de Jil (son cylindre, comme elle dit), porté au Long Way par un public qui en connaît les paroles par cœur, ainsi que toutes les modulations. C'est beau à pleurer, ce chœur qui s'est formé spontanément dès les premières notes du morceau. Dans la série des anciens, il y a aussi Les deux bras arrachés (quoi de plus radical pour décrire l'absence ?), Natalie Wood, À la fenêtre, Des toutes petites choses. Je suis au deuxième rang et je ne me lasse pas de regarder Jil. C'est une des plus belles femmes que je connaisse. Elle a ce qu'on appelle du chien, et ce n'est peut-être pas un hasard, n'est-ce pas ?!

Après le concert, elle vient à la rencontre du public. Je prends mon courage à deux mains et j'exagère un peu en lui demandant de signer Le feu aux joues (son livre paru en 2022 aux éditions Robert Laffont) et l'album sur lequel il y a L'âge de raison, L'écrin, Les clés, Blanc, etc. Celui-là, je l'ai écouté des milliers de fois. Sur la première page du livret, ces mots d'Anaïs Nin : « Je marche au-devant de moi-même dans l'attente perpétuelle d'un miracle ». N'est-ce pas ainsi qu'il faudrait toujours marcher ? Parfois, les miracles se produisent. Comme hier au Long Way à Longwy. Être heureux, peut-être que ça existe. De temps en temps, par touches subtiles. Et fugaces, bien sûr, sinon ce serait trop beau et trop facile. Il faut savoir saisir ces touches subtiles et fugaces comme on saisit une balle au bond. Comme Jil Caplan saisit son tambourin et Emilie Marsh sa guitare : avec grâce et toujours au bon moment !

C'était hier au Long Way et je crois que je me suis pas trop mal débrouillée pour choper tout ça et m'en faire des souvenirs exaltants. Sur ce, on the road again, car aujourd'hui il y a Hubert à Reims, du soleil dans ma rue et un feu dans ma tête, comme dans la chanson de Jil Caplan !

20/05/2024

A armes égales avec la lave et le magma !

"Comme la poussière, le temps tombe en petites miettes fines sur les meubles et sur mon cœur". Brigitte FONTAINE

 

Ne me cherchez pas en ce mai, joli mai, mois de Marie, car je suis bien décidée à faire ce qu'il me plaît de mes envies ! Est-ce ma faute à moi si celles-ci me ramènent si souvent à Hubert ?! Non, c'est sa faute à lui, d'abord. À peine un concert s'achève-t-il que j'ai besoin de me projeter dans le prochain pour ne pas déprimer. Je parlais justement de ce curieux phénomène à la sortie de l'Olympia, vendredi soir, avec deux jeunes dont la passion m'a émue. Lui, vingt-six ans, initié à Thiéfaine par son père. Elle, vingt-sept ans, tombée je ne sais comment dans le grand feu. Lui voyant HFT pour la vingtième fois, elle pour la cinquième fois. Là, je n'ai pas pu m'empêcher de frimer et d'évoquer ma soixantaine de concerts. Attendez, jeune homme et jeune fille, on ne peut pas avoir et la jeunesse et l'expérience. Il faut bien que vieillir offre quelques avantages, mince alors, c'est déjà assez cruel comme ça de devoir s'accommoder jour après jour des chairs tombantes, des yeux flétris, et autres implacables joyeusetés. La gravité est une sacrée salope, entre nous soit dit. Alors oui, j'ai cinquante ans, mais un palmarès que ces deux jeunes-là n'atteindront jamais, fussent-ils animés de la meilleure volonté du monde ! Non mais ! N'empêche que cinquante, vingt-six ou vingt-sept ans, c'est rien que du pareil au même : à peine tu quittes une salle de concert que tu mets déjà mentalement un pied dans la suivante, pour ne pas sombrer. C'est ce que m'expliquait la jeune fille vendredi. C'est ce que je me tue à répéter moi-même ici, depuis dix-huit ans !

Ça m'a fait quelque chose de voir ces deux-là. Lui, je le regardais régulièrement pendant le concert, car il se trouve qu'il n'était pas loin de moi. À aucun moment je n'aurais pu le prendre en défaut : il connaît toutes les paroles par cœur. Il écoute Thiéfaine depuis l'âge de huit ans. La classe. Et tous deux de s'extasier sur le mélange de générations auquel ils assistent à chaque fois qu'ils vont voir Thiéfaine... C'est peut-être moins flagrant qu'après Suppléments de mensonge, mais quand même. Et dire qu'un jour je fus comme eux, toutes risettes dehors... Émerveillée par le palmarès des plus âgés... Un jour, un de mes collègues m'avait dit : « J'écoutais Thiéfaine, t'étais même pas née ». Maintenant, voici venu mon tour de tenir ce genre de propos. Ma mère aimait citer Corneille : « On m'a vu ce que vous êtres, vous serez ce que je suis ». Ce n'est pas que j'en tire de l'amertume, non, mais une putain de nostalgie. Toutes ces choses qui nous filent entre les doigts, et cette vie qui passe comme une rivière, faut pas trop regarder l'heure (c'est la deuxième fois que je cite Capdevielle en quelques jours, il doit y avoir un truc, mais quoi, je ne sais pas)...

Donc, en ce lundi de mai, joli mai, mois de Marie, la nostalgie, camarade, anime ma plume comme souvent, plus souvent qu'à mon tour. L'Olympia, c'est fini. Ça ne reviendra plus. Et c'est fort dommage car ce fut un truc de malade. Sur cette tournée, jamais je n'avais vu une telle ambiance. D'habitude, il fallait attendre une bonne demi-heure avant que le dégel n'arrive au sein de la foule, mais là, mais là... Dès les premières notes de Droïde song, comme l'impression de flotter sur un volcan. Non pas sur, mais dedans. Pour tout bagage, l'incandescence. À armes égales avec la lave et le magma ! Très vite, je sens le sol onduler sous mes pieds. Pas besoin de danser, il le fait pour moi, mû par d'autres ardents. C'est une communion immense. Même mon voisin de derrière, pourtant roi de l'indélicatesse, est soudain mon semblable, mon frère, en ces circonstances exceptionnelles. À plusieurs reprises, il me donne des coups. L'un d'eux me fait plus mal que les autres. Je me retourne et je gueule : « Purée, ça fait mal ». Le gars ne me calcule même pas. En proie à une extase que je finis par trouver belle et touchante (ah ça oui, très touchante, encore plus au propre qu'au figuré). Pas grave, l'ami, reste accroché à ta transe, la mienne n'est pas mal non plus dans son genre. Simplement plus discrète et moins rentre-dedans !

Je crois que la folie qui agite le public galvanise et Hubert et ses musiciens. Partout, des bras levés, des mains qui tapent, des corps qui bougent (mesdames, quelques séances de rééducation périnéale ne nuiront pas, je pense !), des cordes vocales qui s'enflamment. Vers la fin, un type, devant moi, lance tout de go : « Hubert, nous on est Bretons et les Bretons aiment les Jurassiens » ! Ah, ben voilà un début d'explication pour mon cas clinique : c'est du côté des origines qu'il faut chercher...

La setlist est un peu rabotée. Dommage. On aurait aimé réentendre Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir (j'adore cette chanson et cette déclaration d'amour à rebours, je trouve que c'est assez génial d'aller dire ça à quelqu'un), Redescente climatisée, 113ème cigarette sans dormir et Whiskeuses images again.

Toujours des musiciens au top du top. Un Fred Gastard volontiers taquin. Il m'éclate. Il est non seulement virtuose, mais en plus incroyablement marrant, ce qui fait de lui un être éminemment sympathique. Oui, désolée, c'est mon chouchou.

Au début de Sweet Amanite Phalloïde Queen, Thiéfaine s'emmêle les pinceaux. Le pilote aux yeux de gélatine se crashe, le public rit et applaudit. Le pilote se ressaisit presque aussitôt, avec brio. De temps en temps, sur une ou deux chansons, un peu de yaourt, par-ci, par-là, mais rien de grave, docteur !

On arrive soudain à La fille du coupeur de joints sans avoir rien vu passer. C'est dingue quand même, ce que provoque cette ritournelle, en tout cas en moi : joie et tristesse mélangées.

La sortie du public est à l'image de cette soirée : délirante et volcanique. Des voix s'élèvent dans le hall et entonnent le refrain de La fille. Des bras promènent un drapeau franc-comtois. Même pas un drapeau breton pour rivaliser. Ben mince alors. La fierté bretonne ne serait-elle plus ce qu'elle était ?! Mais si, voyons : ne pas oublier qu'en plein concert, le type devant moi a exhibé ses origines à voix haute. Même que sa femme a eu un peu honte, elle me l'a avoué entre deux chansons. Je lui ai dit que je comprenais son mari, étant moi-même à moitié de son pays. Les origines qui vous remontent tout soudain, je connais, ça vous prend toujours au moment où on s'y attend le moins !

Donc, dans le hall, ça chante, ça danse. Un vigile se marre, il nous dit qu'il faut partir quand même, comme dans la chanson*. Il est presque gêné de nous demander ça, il voit bien qu'ici on aime faire durer, comme dans une autre chanson (pas de Françoise Hardy, celle-là). La joyeuse petite bande fredonnante ne se démonte pas et poursuit son récital sur le trottoir, secouant l'âme de Bruno Coquatrix qui, à mon avis, n'en est toujours pas revenue.

Mes filles me rejoignent alors (elles ne m'ont pas accompagnée au concert). Louise, voyant l'ambiance qui se prolonge délicieusement dans la rue, me dit : « Je regrette tellement de ne pas être venue ». Et ça, c'est peut-être le plus cadeau de cette soirée qui n'en fut pourtant pas avare...

 

*Partir quand même, Françoise Hardy.

04/05/2024

Relire Hölderlin...

"Ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Hier encore, j'étais à Tübingen, en Allemagne (il paraît qu'on dit Tubingue en français, mais ce n'est pas terrible). C'est une ville où j'étais déjà passée en coup de vent il y a quelques années. J'avais voulu y visiter la tour Hölderlin, mais elle était fermée, je ne sais plus pour quelle raison. Je m'étais promis de retourner là-bas. C'est chose faite.
Pendant cinq jours (c'est si peu), j'ai eu le plaisir de me promener dans une ville où la littérature tient une large place. De nombreux écrivains sont venus ici. Hermann Hesse y a été apprenti libraire. Goethe y a séjourné. Mais celui qui a le plus profondément marqué Tübingen n'est autre qu'Hölderlin, celui-là même que Thiéfaine évoque dans Les dingues et les paumés. Un « catalogue » où ce poète est plus que légitime. Il fut déclaré fou en 1806. On l'interna à la clinique du docteur Authenrieth à Tübingen, puis le menuisier Zimmer lui offrit l'hospitalité, dans une tour située sur le fleuve Neckar (toujours à Tübingen). C'est cette tour que je vous présente en photos dans le nouvel album qui orne ce blog. Elle a été reconstituée, elle fut détruite par un incendie cinq ans après le passage d'Hölderlin en ses murs. Celui-ci y vécut les 36 dernières années de sa vie. Il transforma très vite la pièce qu'il occupait en laboratoire d'écriture. Il l'arpenta de long en large durant de longues années, scandant régulièrement ses vers, pour voir un peu si une mélodie acceptable en sortait (cela rappelle le gueuloir de Flaubert). Ses poèmes, parlons-en : ils firent mon désespoir durant mes années d'études. Je n'y pigeais tout simplement que dalle (ni en allemand, ni en français). Je me souviens d'y avoir écorché mes neurones sans aucun succès. Galère. En revanche, l'homme me fut d'emblée sympathique. Sa vie nous fut présentée avec beaucoup d'empathie par un professeur que la littérature allemande faisait vibrer par tous les pores, ça se voyait. Plus tard, une autre prof nous dirait, à nous ses étudiants, que nombreux étaient les génies germanophones qui avaient fini par se suicider ou par sombrer dans la folie. Une sorte de marque de fabrique, en quelque sorte. Je venais de pénétrer sur un territoire de sables mouvants, peuplé des fantômes de Kleist, de Zweig et d'autres désespérés... Ce ne fut pas pour me déplaire. Le tout porté par une langue majestueuse. Si, si, je persiste et je signe : l'allemand est une très belle langue. Ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de ses accents toniques (un peu fiévreux, il est vrai, mais tellement « aussagekräftig », justement) me désolent. Disons qu'exprimer ce genre d'opinion devant moi n'est pas faire preuve de diplomatie... Bref...

Dans les jours qui viennent, je rassemblerai les informations que j'ai récoltées à Tübingen au sujet de ce pauvre Hölderlin à l'esprit embrumé, et je les mettrai ici. Avec quelques poèmes, en version bilingue. Vous me direz si vous y comprenez quelque chose ! Pour moi, c'est rien que du flou, mais je me laisse porter par la beauté des mots. Un peu comme si je me baladais en « Stocherkahn » sur le Neckar.... Doux souvenir de ces embarcations, à mi-chemin entre la pirogue et la gondole ! J'ai fait une jolie promenade sur l'une d'elles mardi dernier. Ah, que le temps file vite, mes amis ! « La vie passe comme une rivière, faut pas trop regarder l'heure », c'est le cas de le dire avec ce brave Capdevielle que je ne cite pas souvent ici !!!

26/04/2024

Miracle...

"Le petit jour favorise les songes creux car l'espérance est matinale". Paul GUIMARD

 

Années 1990. Il y a ce type un peu bizarre qui me chante des trucs tout aussi bizarres, comme « La vie c'est pas du bubble-gum et rien que le fait de respirer ça me fout des crampes dans le sternum ». Et tant d'autres choses encore qu'il me faudrait un livre entier pour les répertorier. Et une vie de plus pour les comprendre toutes ! Le type en question a un nom bizarre aussi : Hubert-Félix Thiéfaine. Pas mal de syllabes que l'on peut réduire, si l'envie nous en prend, à trois lettres : HFT. De la Haute Tension pour entourer le F, synonyme de Folie, ou quelque chose d'avoisinant.

J'ai la vingtaine et des illusions pas encore perdues. Avec, cependant, une tendance à penser tout au fond de moi que ça viendra, qu'un jour les illusions clamseront comme des vieux chiens au soleil. Bref... Alors je me sens en pays connu dans les chansons de Thiéfaine qui ne suintent pas toutes l'optimisme béat, c'est à souligner. Dès que je peux, je case ce Thiéfaine dans mes conversations. Je le cite, je me l'approprie, je suis en couple avec son œuvre ! Sur la pochette qui accompagnera ma vie d'étudiante pendant plusieurs années, j'ai écrit, comme d'autres écrivent le doux nom de liberté : « Je respire l'odeur alcaline des relents d'amour périmé ». Rien que pour la beauté du truc. Je trouve que ça claque (bien qu'on ne dise pas ça à l'époque, me semble-t-il, mais j'ai volontiers la plume anachronique). Dans un petit carnet où je consigne des mots d'écrivains, voilà que trônent soudain des paroles de chansons aussi. Par exemple : « À regarder passer les linceuls dans la rue aux spectres visqueux, j'sais plus si c'est moi qui suis seul ou les autres qui sont trop nombreux ».

Je viens également de découvrir Cioran et Gary et tout s'emboîte miraculeusement. L'œuvre d'HFT, je lui trouve de délicieuses accointances avec celles de ces deux auteurs que je lis fiévreusement. De l'inconvénient d'être né, Sur les cimes du désespoir, Syllogismes de l'amertume, ça pourrait être du Thiéfaine, n'est-ce pas ? « Bourlinguer, errer, errer humanum est », ça pourrait être du Cioran, n'est-ce pas ?!

Je me souviens de m'être enivrée des pages que ce philosophe a consacrées à l'insomnie (« cette indigestion de l'âme », dira Thiéfaine), étant moi-même insomniaque à cette époque-là de ma vie (et pouvant l'être encore aujourd'hui, à la moindre contrariété). Je lisais ces passages de préférence la nuit, tant qu'à faire, pour être dans l'ambiance ! Et je trouvais qu'on n'était pas loin du sieur Hubert... Je m'entourais de tout un barda pas très jouasse, mais qui, étrangement, me faisait du bien. Il n'était pas rare qu'on me dise : « Moi, Thiéfaine, j'peux pas, c'est vraiment trop désespéré ». Ce à quoi je répondais que pour moi c'était l'inverse qui se produisait : ce désespoir, comme il seyait au mien, comme il le soutenait et, ce faisant, le mettait k.o. !

 

Années 2020. Dans ma vie, il y a toujours ce type un peu bizarre qui m'accompagne absolument partout et tout le temps. Même quand je ne l'écoute pas. Si on m'avait dit, il y a trente ans, que je venais de tomber pour des décennies dans la marmite, y aurais-je cru, moi qui pensais déjà, indécrottable optimiste (!), que toute chose était vouée à s'effriter pitoyablement ? Et si, au premier concert, à Sarreguemines, on m'avait dit que des dizaines suivraient, qu'aurais-je répondu ? J'aurais été dubitative, je pense, mais sans doute pas totalement incrédule. Je savais déjà qu'un truc immense avait pris corps dans ma vie ! Et, à mes yeux, c'est miracle qu'il soit toujours là, sans rides, frais et pimpant comme une jeune fille. J'aurais pu, soudain, ne plus me reconnaître dans les mots de Thiéfaine. Il aurait pu, qui sait, soudain ne plus me sembler raccord avec ses idées, prêcher un truc et afficher le contraire, que sais-je encore. Nos chemins auraient pu s'éloigner comme s'éloignent tous les chemins que la vie fait. Eh bien non. C'est miracle, vous dis-je !

16/04/2024

Michel Jonasz était à Neuves-Maisons samedi dernier !

"Donnez-moi le temps - ce luxe suprême - de vivre à mon rythme, de regarder, de prendre des chemins que n'indiquent pas les cartes et les plans. De faire halte et de boire un verre de souvenirs avec des compagnons dont je suis le seul à déceler la présence". André HARDELLET

 

Ils arrivent main dans la main, et c'est beau. Ils, c'est-à-dire Michel Jonasz et Jean Yves D'Angelo, le musicien qui l'accompagne. Cette manière d'entrer en scène en dit long sur la complicité qui les unit. Complicité qui ne se démentira pas une seule seconde durant le spectacle !

Pour commencer, Jonasz déclame un texte qui s'adresse à un mystérieux « frère des douleurs partagées ». En fouillant sur Internet aujourd'hui, j'ai découvert que c'étaient les paroles de la chanson Les mots d'amour. Le mystérieux frère est peut-être un frère réel ou un ami. Ou encore, plus vraisemblablement ce soir, le public.

On dirait que Michel Jonasz nous convie à une promenade bras dessus, bras dessous. Et c'est bien agréable. Nous le suivons, pendant environ une heure et demie, dans cette belle flânerie qui se déroule parfois à l'ombre des jeunes filles en fleurs, notamment quand le chanteur évoque ses amours d'enfance. Je pense au « vert paradis des amours enfantines » de Baudelaire. On sent que Jonasz est légèrement nostalgique sur ce coup-là. Je me dis que plus les années passent, plus nous foudroient les premiers souvenirs. Ma mémoire me fait souvent l'effet d'une vieille radoteuse qui va toujours triturer les mêmes territoires explorés cent mille fois... Et ce n'est pas le livre acheté aujourd'hui qui va arranger mes affaires : Donnez-moi le temps, suivi de La promenade imaginaire, d'André Hardellet, qui ne raconte ici que des souvenirs teintés de nostalgie ! Bref...

Flânerie, disais-je. Si l'on veut. C'est tout de même bien rythmé ! On ne s'ennuie pas une seconde, en tout cas. Quand Michel Jonasz ne chante pas, il parle, il nous livre des anecdotes, et c'est drôle. Je ne le savais pas doté d'un tel humour ! Il faut dire que je ne le connais pas bien. De son répertoire, je n'ai retenu que l'écume des grands « classiques », et c'est tout.

Jonasz nous parle de son compagnon de scène et nous le décrit comme sacrément calé dans son domaine, la musique. Il ajoute : « Le solfège, quand c'est bien joué, ça peut être très joli », et toute la salle éclate de rire. Comme lorsqu'il évoque cette jeune fille lui ayant demandé récemment un autographe, précisant malencontreusement que c'était … pour sa grand-mère ! Il plaisante sur l'âge de son public et je regarde autour de moi. Je crois, sans vouloir offenser quiconque, que je fais partie des plus jeunes ce soir. Je ne boude pas mon plaisir, celui-ci ne m'étant plus accordé si souvent !

Vient ensuite le moment de ce que Jonasz appelle ses chansons grigris : Super nana, Joueurs de blues, La boîte de jazz. Mais on n'aura pas droit aux Vacances au bord de la mer, que j'ai espérées toute la journée.

Pas grave. On a eu d'autres choses. Du blues et du jazz, mais pas seulement. Du rire aussi. Et beaucoup d'émotions. C'est peut-être encore plus vrai pour moi qui, par moments, avec les jeux de lumière, voyais se superposer une image sur la silhouette de Michel Jonasz : celle de mon père en sa plus florissante époque, quand il ne quittait la maison qu'en costar-cravate. Terriblement troublant...

Bref, c'était un super concert !