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28/12/2023

Thiéfaine était à Colmar hier soir...

"Quelque chose vient à tout instant nous secourir". Christian BOBIN

 

C'est une grande boîte Pampers. J'en ai déjà parlé ici. Elle contient tous mes souvenirs liés à HFT : billets de concerts, articles de journaux, revues, numéros du fanzine qui n'existe plus, etc. Elle va s'enrichir dès aujourd'hui d'un billet de plus. Et voilà, encore un qu'on enferme parce qu'il appartient au passé. Le temps passe toujours un peu vite et ce n'est pas toujours notre chance*...

Donc, hier soir, Colmar.

J'arrive un peu tard dans la salle, ce qui me vaut de ne pas être aussi bien placée que les autres fois... Il est rare que je me trouve si loin dans la fosse. Sam et Bételgeuse me disent par messages que je peux tenter de les rejoindre tout devant, mais je n'ose pas fendre la foule comme ça, dire « c'est moi que v'là, j'ai pas fait la queue comme tout le monde, mais je vous grille quand même ». C'est pas tous les jours facile de vivre en société quand on a un peu d'éducation.

Bon, ben, voilà, je serai assez loin de la scène. J'en prends mon parti, je me raisonne : Hubert, je l'ai vu presque 60 fois, alors...

Il est très exactement 18h59 sur mon portable quand les lumières s'éteignent. Tout de suite, je me dis que ce ne sont pas les musiciens d'Hubert qui viennent de s'installer sur la scène. Et merde, il y a une première partie, j'aime pas les premières parties, j'ai du mal à leur accorder mon attention et mon indulgence. Mais bon, écoutons quand même, pour voir. Le chanteur s'appelle Nicolay Sanson et étonne par son univers un peu à part, ses prouesses vocales, ses textes. Franchement, à creuser dès que je pourrai.

Petit interlude avant l'arrivée du maître. Des gens se faufilent dans la foule, m'écrasant sans scrupules, et surtout sans s'excuser, les panards. Je ne dis rien, mais je n'en mugis pas moins intérieurement. Deux gars bien costauds et assez hauts sur pattes viennent s'installer pile devant ma voisine de droite et moi. Je suis furax. Alors eux, ils s'en foutent pas mal d'avoir de l'éducation ou pas. Ma voisine est moins couarde que moi. Elle tapote l'épaule d'un des gaillards et lui dit : « ça ne vous dérange pas de vous mettre là sachant que vous venez d'arriver, alors que nous on est là depuis une heure ? ». Comme je la kiffe, cette fille ! Les deux balourds s'en vont un peu plus loin, penauds, cacher le soleil de quelqu'un d'autre. On s'en fout, c'est pas le nôtre, de soleil.

L'heure tourne et Hubert se fait attendre. Je discute avec mon voisin de gauche. Au fil de la soirée, j'apprendrai qu'il vient de La Rochelle (oublié de lui demander si les filles y avaient toujours le scorbut), qu'il s'appelle Jean-Pierre et qu'il est orthophoniste. Au moment où j'apprends son prénom, je me dis que finalement le Doc, malheureusement absent ce soir, est un peu des nôtres tout de même. Jean-Pierre l'orthophoniste est accompagné de ses deux filles. De fil en aiguille, je leur dévoile ma passion pour HFT. J'explique que je l'ai découvert quand j'avais 19 ans, que j'en ai 50 à présent et qu'il me semble que je vais le voir pour la 59ème fois ce soir. J'ai l'air, une fois de plus, d'une bête curieuse. Pas grave, il suffit de s'habituer. J'ajoute quand même, comme pour m'excuser, que je ne suis pas la seule allumée de mon espèce. Mais bon, après tout, je ne peux leur fournir aucune preuve, et comme c'est moi l'unique bête curieuse qu'ils ont sous la main, ben je pense qu'ils se sont dit que j'étais bien givrée.

Givrée comme cette cuvée 2023 qui nous fait l'honneur d'accueillir HFT. Entre le champagne de Noël et celui du 31 décembre ! Quelle bonne idée !

Les lumières s'éteignent de nouveau et cette fois, ça y est, c'est eux : Sofiène, Christopher, Lucas, Bruce, Jean-François, Fred et enfin, last but not least, Hubert. Au bout de quelques secondes, Jean-Pierre me dit, à propos de Thiéfaine : « Il est beau comme un dieu ». Ah ça, JP, ce n'est pas moi qui vais te contredire ! Je me demande même, à force, si ce ne sont pas les dieux qui sont beaux comme Hubert !!!

Même setlist ou presque qu'à Saint-Dizier. Sauf qu'on est privé de Redescente climatisée et que ça me fait des regrets éternels dans le cœur. J'aurais tellement aimé. Comme 113ème cigarette sans dormir. Mais bon. On ne peut pas tout avoir non plus. Déjà, ce qu'on a ce soir et qui est inestimable, c'est la grande forme d'Hubert. Pas un seul plantage dans les paroles, à moins que je n'aie été distraite à un moment ou un autre, mais non, je ne pense pas. J'étais dedans comme on ne peut guère plus et je n'ai relevé aucune infime erreur. La voix est bien reposée, inaltérée, inaltérable semble-t-il. Quelle chance j'ai, quand même : avoir connu cet artiste quand j'avais 19 ans et pouvoir le voir encore aujourd'hui que j'en ai 50. De temps en temps, la vie est bien foutue. C'est pas tous les jours non plus, hein, alors ça mérite d'être souligné !

Je suis heureuse d'écouter les titres qui m'accompagnent depuis des lustres. Souvenirs de moments complices avec ma mère, que Groupie 89 faisait rire. Souvenirs aussi de ces moments où, gênée dans ma chambre qui jouxtait celle de mes parents, je sautais sur le poste pour baisser le son pendant les passages scabreux de Cabaret Sainte-Lilith (et le diable sait s'il y en a : entre la p'tite branlette, la reniflette, les mecs roussis, la pudeur de mes parents aurait eu de quoi être ébranlée si je n'avais veillé au grain, brave fifille à ma môman). Souvenirs de moi à 19 ans, découvrant la phrase « la bidoche est faite pour saigner » et voulant y voir un aphorisme dans lequel se tenait, concentrée, toute la tragédie de la condition humaine : « après avoir souffert, il faut souffrir encore », disait Musset, ce qui revient au même, en définitive !

Je suis toute chose et le public tout chaud. J'ai l'impression d'être dans un bain de Jouvence. Non loin de moi, trois joyeux drilles dansent et chantent comme des gosses. Parfois, ils agitent des briquets au bout de leurs poings levés, comme au bon vieux temps. Parfois aussi, ils tirent en loucedé et rapidos sur un joint, et ça embaume tout le secteur où je me trouve. Ça me rappelle mon premier concert d'Hubert et les émanations de haschich dans la salle entière, ce qui avait fait dire à ma mère : « J'ai jamais fumé un seul joint, mais je sais désormais quel effet ça fait ». Ah, maman, comme tu me manques...

Public tout chaud, disais-je. Ah oui, vraiment, un truc de malade. Ici, ce n'est pas la cuvée givrée, c'est la cuvée en feu, ça crame de partout. Pour ça, Colmar est pour l'instant le meilleur concert auquel j'ai assisté sur la tournée Replugged. J'ai l'impression qu'Hubert et ses musiciens ont été portés par cette ambiance et que les interactions avec le public ont été plus nombreuses qu'ailleurs. Mais peut-être que je me trompe.

Je suppose que pendant le concert la joie se lit sur mon visage car mon voisin (Jean-Pierre) me demande tout à coup à combien peut battre mon pouls. Mazette, je n'en sais rien, mais je pense que ça frôle l'extase dans mes veines !

Mais déjà s'éteignent les notes de Combien de jours encore, et nous voilà seuls avec cette lancinante question. Je pense à mon père, comme à chaque fois, et au moment où il s'est « envolé à jamais vers un nouvel ailleurs ». Ah, papa, comme tu me manques... Les chansons de Thiéfaine, j'y projette toute mon histoire, chacune me renvoie à un pan de ma vie, et toujours, désormais, il en sera ainsi. Ça ne s'en ira qu'avec la bonne femme, comme disait ma mère à propos de certains de ses défauts ou de certaines de ses maladies.

Hubert revient et nous offre des Mathématiques souterraines belles à couper le souffle. Je prends mon téléphone et j'appelle mes filles pour qu'elles écoutent cette merveille. Et puis voilà, ça va bientôt finir... La salle s'embrase une dernière fois sur La fille du coupeur de joints et Lucas finit trempé dans son sweat à capuche.

C'est un concert géantissime qui s'achève. Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance*, finalement, car déjà je vois, au calendrier 2024, des concerts et encore des concerts, l'un à Mondorf-les-Bains, l'autre à Paris peut-être, l'autre à Dole sans doute. Et plus si affinités. Et ça, affinités, je peux vous dire qu'il y a toujours !

 

*"Le temps passe toujours un peu vite, et c'est peut-être notre chance" : début des paroles de la chanson Your terraplane is ready mister Bob ! (album Amicalement blues). 

24/12/2023

Bientôt Colmar !

Il paraît que c'est Georges Clémenceau qui disait : « Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier ». Comme quoi on peut être politicien et ne pas manquer de finesse !

J'ai souvent pensé à cette phrase, la remâchant en bien des circonstances... En amour, c'est vrai, quoi de plus merveilleux que cette ascension vers les sommets, sachant qu'un de ces quatre matins on en redescendra en une sale dégringolade qui va piquer le coccyx ?! Plus la montée fait de tendres promesses, plus monumentale est la chute, n'est-ce pas ? Je ne dis pas que je parle en connaissance de cause, mais tout de même, il y a un peu de traces de vécu là-dedans ! C'est comme ces emballages qui préviennent : « Peut contenir des traces de fruits à coque »...

Il est possible, comme je le disais plus haut, d'élargir le propos du père Georges à bien des moments de la vie. Noël, par exemple, c'est beau surtout avant, quand la fête se trouve, comme on dit si joliment en allemand, devant la porte (« Weihnachten steht vor der Tür »). Mais allez donc lui ouvrir ladite porte à ladite Noël, que ça y est, la magie s'estompe inéluctablement. La magie de Noël, ce sont ces cadeaux qui trônent, inviolés, au pied du sapin. C'est l'attente fiévreuse qui allume une flamme dans les yeux des enfants. C'est le moment où le père Noël n'est pas encore passé et où l'on se dit que dehors il va avoir si froid, c'est un peu à cause de moi.

Le lendemain, restes de bûches dans les assiettes, profusion de papiers cadeaux froissés. La magie a foutu le camp.

Ainsi en va-t-il de tout dans nos pauvres existences. Enfin, je trouve. On a le droit de ne pas être d'accord ! Je l'ai déjà écrit, mais je le redis parce que c'est important pour moi et carrément constitutif de ma personne : lire, adolescente, « c'était fini d'attendre », sous la plume de Maupassant, ça a remué en moi des tas de machins. J'avais trouvé la phrase qui me définissait. Rien ne vaut, je crois, l'impatience dans les starting-blocks. Une fois l'attente comblée, ben voilà, il n'y a plus d'attente, et il n'y a plus qu'à en inventer une autre !

C'est sans doute la raison pour laquelle avec HFT, par exemple, je n'en ai jamais assez, dans tous les sens de l'expression. Jamais assez : jamais suffisamment, et jamais ras-le-bol non plus ! Ce que je chéris par-dessus tout, ce sont les heures qui précèdent le concert. L'attente, quoi, le désir, l'impatience. Ce moment où, sur des parkings, on rencontre des êtres que la même impatience anime. Où l'on entend sortir des voitures des airs écoutés cent milliards de fois. On dirait que nous avons tous les mêmes rituels : avant un concert de Thiéfaine, Thiéfaine bien sûr. Après un concert de Thiéfaine, Thiéfaine évidemment !

Une fois que les premières notes de musique retentissent sur la scène, il y a quelque chose qui nous échappe, qu'on le veuille ou non. Qui nous pousse vers la sortie, tels ces vigiles indélicats qui hurlent désormais après chaque concert : « Allez, messieurs dames, il faut partir ». C'est comme dans la chanson, on « roule à toute allure vers un point non défini ». Un point qu'il vaut mieux ne pas définir, justement. Parce qu'on sait tous de quoi il s'agit : de la fin. Du moment où il faudra, à contrecœur et déglingué, redescendre l'escalier de service. Du moment où l'on se dira : « C'est fini d'attendre » (ah, Maupassant, Maupassant !). Personnellement, c'est un truc dont j'ai du mal à me remettre à chaque fois, et je crois que c'est pour panser la suppurante plaie que j'en redemande encore et toujours ! Immer und immer wieder ! Je me souviens de l'affreux cafard qui m'avait étreinte au lendemain de mon premier concert d'HFT. Tout à coup, l'automne en pleine gueule... Et cela avait été le prélude à bien des automnes en pleine gueule !

Il reste trois minuscules dodos avant Colmar. Et je suis bien décidée à savourer chaque minute qui me rapproche du début du concert, c'est-à-dire de la fin ! L'escalier, je vais le monter sur un rythme pépère, c'est moi qui vous le dis ! En amour et comme en Thiéfaineland, il s'agit d'économiser son souffle !

26/11/2023

Concert de vendredi soir aux Fuseaux (Saint-Dizier) : que c'était bon !

"Le jour de ma mort, peut-être que je serai réconcilié avec le néant dont je suis tiré", Serge REZVANI (lors d'une rencontre à Metz, hier). 

 

Vendredi 24 novembre 2023, Saint-Dizier, région Grand Est, département de la Haute-Marne, les Fuseaux (c'est le nom de la salle). Direction la fosse. Je découvre le lieu en compagnie de ma fille aînée (Clara) et je fais remarquer à cette dernière qu'il y a des places assises, en mezzanine. Elle me dit que ce serait peut-être pas mal d'aller nous y installer. Euh, moi, assise à un concert de Thiéfaine ? Pas tellement mon genre. De temps en temps, oui, pourquoi pas, histoire d'avoir une autre perspective. Alternative à ne pas exclure. Mais là, hors de question. Je veux être au cœur de la grande marmite bouillonnante qu'est la fosse. C'est mon 57ème concert d'HFT. Le troisième après la maladie. Vais-je encore, comme lors des deux précédents, m'étonner d'être là et presque en pleurer ? Réponse dans quelques instants...

Dès les premières minutes, je sens que l'ambiance va être à la braise. C'est toujours assez impalpable, ces choses-là, c'est un truc qui flotte dans l'air, reconnaissable à des « Hubert » scandés un peu partout, une impatience trépignante qui se répand comme une traînée de poudre. D'emblée, j'ai l'impression que ça va être plus ardent qu'à Nancy et à Troyes. Ai-je raison ou tort ? Réponse dans quelques instants... Ça en fait des questions qui se bousculent dans ma tête, en plus de toutes les autres d'ordre métaphysique et toujours pas résolues !

Les musiciens s'installent. Ce soir, Fred Gastard est absent. C'est Fabrice Theuillon qui le remplace. Les premières notes de Droïde song retentissent. Souvenirs de jeunesse : je citais régulièrement, dans mes conversations, « quand j'ai besoin d'amour ou de fraternité j'vais voir Caïn cherchant Abel pour le plomber » ou encore « le jour où les Terriens prendront figure humaine, j'enlèverai ma cagoule pour entrer dans l'arène ». Je vous jure que ça faisait toujours son petit effet ! « Avant de m'enfoncer plus loin dans les égouts pour voir si l'océan se trouve toujours au bout », remarquez, ce n'est pas rien non plus. Encore une de ces formules dont Hubert a le secret et dont on pourrait faire un recueil. « Et je viendrai troubler de mon cri distordu les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des statues » serait à y inscrire aussi. Ouais, bon, laissons tomber le recueil, tout est bon dans les chansons d'Hubert, « y a rien à jeter, sur l'île déserte il faut tout emporter » (décidément, je cite beaucoup Brassens depuis quelque temps). Oh non, je m'égare déjà. Retour à nos moutons : Hubert arrive et c'est l'explosion de joie. Derrière moi, quelqu'un s'écrie : « Voilà le patron ». Pas complètement faux !

Comme toujours, une fois la première chanson entamée, ça sent déjà la fin. Je m'efforce de ne pas y penser, je veux me fondre dans le présent, m'y dissoudre comme un comprimé effervescent qui ne ferait plus qu'un avec l'eau dans laquelle il vient d'être jeté (oui ben, on a les images qu'on peut). Enfin disparaître un peu, m'oublier, faire corps avec l'instant à vivre, là, maintenant, tout de suite, et qui ne reviendra pas. Ne pas regarder la montre. Même si ma fille m'y oblige parfois. Que c'en est vexant, à la fin. C'est comme dans une salle de classe, quand un môme demande à son voisin l'heure qu'il est. Je le prends comme une attaque personnelle. Ma fille est fatiguée, elle a mal au dos. Purée, j'y crois pas, c'est qui la quinquagénaire ici ? Je vous présente ma fille, Clara, je viens de la sortir de l'Ehpad pour quelques heures, elle est un peu faiblarde en ce soir de novembre, veuillez l'excuser. Moi je n'ai mal nulle part et je ne veux pas savoir quelle heure il est, je sais que l'horloge, « dieu sinistre, effrayant, impassible »* me dira bientôt « souviens-toi ». Si je répète cent mille fois à je ne sais qui « faites que cette soirée ne finisse jamais », peut-être que ça marchera, qui sait ? Après tout, je n'ai jamais essayé !

Mais non, ça ne marche pas, et les morceaux s'enchaînent impitoyablement. Tous plus somptueux les uns que les autres. À chaque chanson, je me dis « Dieu, que c'est beau ». Un de mes voisins, lui, s'exclame « C'est bon », et on sent que l'orgasme n'est plus qu'à quelques millimètres de là. Il dit « c'est bon » à X reprises, et je me marre intérieurement. Peut-être que d'une certaine manière, nous sommes en train de vivre un orgasme collectif ? J'adore l'idée !

Je me marre un peu moins quand j'entends, derrière moi, un groupe qui, apparemment, vient de loin et doit gérer en urgence des problèmes de logistique : « Il faut qu'on se trouve un point de chute pour la nuit », dit une femme, « ça fait trop de bornes sinon », poursuit un homme. C'est tellement décalé et prosaïque que je pense au sketch du Schmilblick et au routier qui vient là juste pour faire passer un message à Zézette. Mais d'où vient donc cette bande ? Du sud de la France ou quoi ? Si c'étaient des Bretons, ça se saurait : ils auraient déjà brandi le drapeau aux hermines, c'est sûr.

La question « d'où viennent-ils ? » restera sans réponse. Au moment où ça commence à sentir sérieusement le roussi parce qu'Hubert lui-même a dit qu'il allait être l'heure de se quitter, un des messieurs de la même bande dit aux autres : « Oh non, j'ai pas fait tous ces kilomètres pour n'avoir droit qu'à 1h20 de concert ». Putain, l'horloge, le dieu sinistre, effrayant, impassible : ces mots viennent de m'en rappeler l'existence ! On n'est donc jamais tranquille !

Bref... Je n'ai même pas parlé de la deuxième chanson, Dies olé sparadrap joey. Autres souvenirs de jeunesse : j'adorais citer « la bidoche est faite pour saigner » dans mes conversations. Je voyais là l'expression de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus terrifiant. Et j'aimais l'image, puissante, en plein dans ta gueule comme un aphorisme de Cioran.

Je n'ai pas parlé non plus de Whiskeuses images again : la vieille caisse marquée fragile, qu'est-ce que j'ai pu la citer, elle aussi, rapport à ma vulnérabilité...

Bref... Je n'ai pas dit non plus que nous avons droit, en ce 24 novembre, à Redescente climatisée. Morceau planant s'il en est. J'en suis dingue. Souvenirs de jeunesse là encore (c'est fou comme ma vie est étroitement liée à l'œuvre de Thiéfaine) : trajets en voiture passés essentiellement à rembobiner la cassette pour que ça tombe pile au bon endroit, là où se situait le graal absolu : ladite Redescente climatisée. C'est planant et surtout déchirant. Une histoire où la drogue prend les commandes. Que même si tu n'as jamais touché à ça tu sens tout à coup dans ta chair combien ça rend esclave...

Bref... Je n'ai pas mentionné non plus les nombreux problèmes techniques dont Hubert nous fait part. Mais qui, franchement, vus d'ici, ne gâchent rien. Je suis, une fois encore, dans l'émerveillement d'être là, rescapée d'un monde de formol et d'arsenic. Réponse à la première question que je me posais.

Réponse à la deuxième question : plus ardent ou pas qu'à Nancy et à Troyes ? Oui, je crois. C'est surtout sur Bipède à station verticale que l'ambiance s'électrise. Là, le public glisse vers encore plus de braise, et c'est bon, comme dirait mon voisin aux extases sonores. « Toujours faut se tenir debout » : encore une de ces phrases où semble s'être logé le résumé de notre condition dans ce qu'elle a de plus contraignant.

Le dieu sinistre, effrayant, impassible finit par avoir raison de ma bonne volonté : je n'ai pas su retenir le temps. Et merde, je suis trop nulle. Il faut dire que je n'ai pas répété cent mille fois à je ne sais qui « faites que cette soirée ne finisse jamais », je n'ai pas pu, j'étais occupée à autre chose. J'avais mieux à faire, quoi. Quand Thiéfaine est dans les parages, c'est lui, tout simplement, mon « mieux à faire ». Mais voilà. : la négligence coûte cher. Le temps a donc filé. À me voir occupée à mon mieux à faire, il en a profité, le saligaud. Et voilà qu'arrive, sur son chariot chargé de paille, sur son chariot chargé de foin, qui vous savez...

La vie, ça ne devrait pas être ce que c'est. Ça devrait être des concerts de Thiéfaine que tu enchaînes tout comme tu veux, selon un calendrier défini par toi-même. Notre pauvre Bébert n'aurait plus une minute à lui ! Parce que les concerts de Thiéfaine, c'est si bon que tu ne peux pas te résoudre à la loi du dieu sinistre, effrayant, impassible. C'est pour ça que nous sommes nombreux à en redemander toujours et encore. Donc, maintenant, la question qui va m'occuper, en plus de toutes les autres d'ordre métaphysique, c'est : Colmar le 27 décembre, chiche ou pas chiche ?! J'sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression qu'une partie de moi (la moins raisonnable, la plus wildienne, celle qui se dit régulièrement « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais ») a déjà répondu...

 

P.S. : Après le concert de vendredi, je suis passée dans les loges, un truc de ouf. Moi qui ai toujours eu si peur de me retrouver devant Thiéfaine. Oui, vraiment peur, parce qu'il est, depuis 31 ans, celui dont l'œuvre me permet de ne pas m'emmêler trop fort dans mes tourments, que j'ai nombreux, pour ne pas dire innombrables. Je lui ai bredouillé comme j'ai pu mon admiration et ma reconnaissance. Il a été absolument charmant et nous avons beaucoup ri. Ce fut un moment presque hors du temps, même si le dieu sinistre, effrayant, impassible a tout de même fini par se rappeler à mon souvenir pourtant réticent. Rien ne m'appartient, si j'en crois Natacha Appanah, mais ces moments-là, j'ai l'impression qu'ils seront toujours rien qu'à moi, douces lueurs d'une beauté indescriptible. Tellement indescriptible que je me refuse à essayer d'en livrer quelque chose ici. En clair, en net et sans décodeur : cette rencontre, ce fut l'aboutissement d'une admiration qui remonte presque au déluge (« ma mère, jamais dans l'excès », dirait ma fille Louise si elle me lisait !).

 

*Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible : Baudelaire (poème L'horloge).

24/11/2023

Thiéfaine sera à Saint-Dizier ce soir. Tiens donc, moi aussi !

"Fou, oui, fou puisque j'ai voulu la grandeur que le sort n'accorde pas". Fernando PESSOA

 

« Mais tu es là au rendez-vous, j'oublie tout », chante Pierre Bachelet sur une scène messine en un certain dimanche après-midi de l'année 1997 ou 1998. J'accompagne ma mère à ce concert. Dans quelques heures, je reprendrai la route pour regagner les terribles Ardennes où m'a conduite une malencontreuse mutation. Au début, j'étais contente, je me disais que j'allais, la classe, rejoindre la terre qui avait vu naître Rimbaud. Très vite, le désenchantement sur toute la ligne. Élèves rudes, collègues désagréables (dont un - prof d'histoire-géo, ça se souligne - qui, avant chacun de mes retours en Lorraine, me disait : « Ah, ça y est, tu retournes en Bochie ? »). Et moi, pauvrette, de comparer mon triste sort à celui de Verlaine (tant qu'à faire, autant viser haut) qui fut emprisonné quelque temps à Vouziers. Je pris l'habitude de raconter cette anecdote en ajoutant : « Moi aussi »... Emprisonnée à Vouziers, en ces sombres Ardennes où, en tant que prof, je vécus la pire année de mon parcours ! Bref... Mais, en ce dimanche de concert où j'accompagne ma mère, moi aussi j'oublie tout. Ce n'est pas seulement ma période ardennaise, c'est aussi et surtout ma phase schizo, qui me voit passer, parfois sans transition, d'un concert de Thiéfaine à un concert de Bachelet. J'en connais un autre qui fit la même chose en ce temps-là : Philippe Gonnand ! Oui, ce musicien joua et avec Pierre, et avec Hubert-Félix !

Lorsque retentit la chanson qui parle de rendez-vous, les yeux de ma mère se plissent un peu. C'est qu'elle est émue. C'est comme si, depuis la scène, Pierre Bachelet lui chantait rien qu'à elle : « Tu es là au rendez-vous, j'oublie tout ». Enfin, je suppose que c'est comme si, que c'est comme ça.

Ces moments de partage avec ma mère deviendront un jour (et je l'ignore allègrement en les vivant, privilège de la jeunesse pas encore éraflée par trop de coups du sort) mes plus beaux souvenirs avec elle. Birkin, Bachelet, Renaud, Thiéfaine : nous les voyons tous, certains plusieurs fois, dans les années 1990. À chaque fois que l'un d'eux est au rendez-vous, nous oublions tout. Magie de ces instants qui ne reviendront plus. Aragon a écrit avec justesse que la vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui, pour effacer ses traces, et on pourrait difficilement mieux dire, n'est-ce pas ?

Le savent-ils, les artistes, que chaque concert est pour chaque spectateur une parenthèse dans une vie souvent alourdie par mille fardeaux ? Le savent-ils que, quand ils se tiennent face à nous, on oublie tout ?

Ce soir encore, je vois Hubert (ça vous étonne ?!). Et lorsqu'il s'avérera qu'une fois de plus, il est au rendez-vous, j'oublierai tout... Et ne pensons pas au lendemain qui, forcément, déchantera grave. Les redescentes ne sont jamais climatisées dans la réalité. Mais peut-être bien que j'irai me consoler à Metz demain, avec un autre rendez-vous : Serge Rezvani viendra au musée de la cour d'or pour une rencontre avec le public. Ensuite, dans la somptueuse église Saint-Maximin où flamboient de non moins somptueux vitraux Cocteau, Léopoldine HH chantera Rezvani. De quoi me rabibocher l'âme, que je me serai sûrement un peu esquintée à Saint-Dizier, une fois venue la fin du concert. Mais que devient le rêveur quand le rêve est fini ? Je vous le demande !

 

12/11/2023

Sur les cendres danser, le dernier album de Jil Caplan

"Tu voudrais tout éteindre

Sur les cendres danser

Tu voudrais tout étreindre

Quitte à mourir brûlé". Jil CAPLAN

 

Enfant, j'appris très tôt, grâce à ma mère, que la vie sans musique ne pouvait être qu'une succession de jours sans couleurs. Je me souviens des longues séances avec elle dans la cuisine, à écouter religieusement après les repas Véronique Sanson, Alain Souchon, et tant d'autres. Ma mère possédait de nombreuses cassettes qui recelaient des trésors. Elle était convaincue que la vaisselle, c'était plus marrant, c'était moins désespérant en chantant. La musique l'accompagnait dans toutes les tâches qu'elle accomplissait jour après jour. Et moi j'étais là, dans mon coin, l'air de ne pas me laisser chambouler plus que ça, et pourtant... Et pourtant, j'avais déjà des tracas qui me dépassaient : pourquoi la dame de Vive la rose était-elle malade ? Pourquoi « j'suis mal en campagne et j'suis mal en ville, peut-être un p'tit peu trop fragile » ? Tout cela me perturbait beaucoup. Quelque part, au fond de moi, sans que je puisse le formuler clairement, je sentais que les artistes étaient des êtres à part qui, de la vie méchante, faisaient autre chose. Quelque chose de plus grand et de meilleur. C'est avec eux que j'appris à marcher en ce bas monde. Grâce à ma mère pour qui une seule journée sans musique était inconcevable. Elle me mit très vite entre les oreilles des chansons mélancoliques qui parlaient du temps assassin, d'amours brisées, etc. Même La demoiselle, d'Angelo Branduardi, sous ses allures de romance enjouée, avait un arrière-plan ultra triste.

Ma mère aimait également les poèmes. Ceux de Ronsard tout particulièrement. J'eus très tôt accès sans restriction aucune à la bibliothèque maternelle. C'est ainsi qu'à douze ans je lus Les amours, de Ronsard justement, sans forcément comprendre toujours de quoi il retournait, mais me laissant bercer par la musique qui faisait danser l'ensemble. Ce n'était pas très joyeux non plus. « Et on voudrait qu'j'aie le moral », comme chantait Brel ! Plus tard, je lus, sous la plume de Musset, que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Tout un programme ! Qui devait me conduire, de façon assez logique, vers Thiéfaine et sa poésie rarement jouasse !

Mais il n'y a pas que Thiéfaine dans la vie, je l'ai déjà dit. Quoique, des fois, quand même, on se demande... Non, soyons honnêtes : même quand on a fait d'un artiste son chouchou, on reste ouvert aux autres (et c'est souhaitable). Ainsi, en ce moment, je n'écoute pas Thiéfaine, mais le dernier album de Jil Caplan et quelques chansons de Warhaus, groupe que j'ai découvert au NJP (il passait avant HFT). Open window, entre autres, est une petite merveille. Essayez, pour voir !

Jil Caplan, je l'ai découverte, comme bien des gens je crois, avec Tout c'qui nous sépare. C'était dans les années 1990. Je fus immédiatement conquise par les mots et la voix de cette chanteuse. La voix : vraiment incroyable. Si bien que même quand Jil Caplan ne chante pas, elle a toujours un chant dans la gorge. Au bord des lèvres, prêt à éclore, et c'est beau. C'est une voix qui swingue naturellement. Qui est le swing à elle toute seule ! 

J'ai tous les albums de Jil Caplan. Et je l'ai vue deux fois en concert. La première fois, c'était chez Paulette, à Pagney-derrière-Barine, bled paumé non loin de Toul. À frôler le panneau qui indique Pagney-derrière-Barine, tu ne soupçonnerais pas l'existence, ici, d'une salle de concert. Eh bien si ! Jil Caplan s'y produisit en 2006. Je me souviendrai toujours de son arrivée complètement dingue à Pagney-derrière-Barine : elle avait débarqué, pas starlette du tout, tenant en laisse un magnifique labrador noir. Je crois qu'aujourd'hui encore elle aime les chiens. Preuve : la chanson Animal animal, dans laquelle elle dit « J'ai trouvé mon frère qui ne parle pas, qui ne dit rien,

Qui ne demande qu'un geste tendre ».

Tout l'album est beau. Le titre, déjà : Sur les cendres danser. Un titre qui annonce la couleur : ce n'est pas parce que tout est désastre autour de nous qu'il faut renoncer à danser. C'est ça que nous apprennent les artistes, eux à qui il est donné d'empoigner des horizons plus beaux que ceux du commun des mortels !

Allez, quand même, il faut bien l'avouer : même si j'aime absolument toutes les chansons de cet album, j'ai un faible pour Virginia (une chanson sur Virginia Woolf), Daronne, Sur les cendres danser, Être heureux, Même Marylin. Musicalement, c'est très différent du CD précédent, Imparfaite. C'est plus rock, plus tranchant.

« Être heureux, peut-être que ça n'existe pas », chante Jil Caplan. Non, c'est vrai, c'est par touches, de temps à autre. Entre les gouttes, comme disait Romain Gary. En tout cas, être heureux, sans la musique : impossible ! Ma mère avait raison...

 

28/10/2023

Thiéfaine était aux Nuits de Champagne mercredi... Tiens donc, moi aussi !

"Un caractère moral s'attache aux scènes de l'automne : ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s'affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées". CHATEAUBRIAND

Se souvenir des belles choses...

La ville de Troyes même pas défigurée par la lancinante pluie d'octobre.

Les retrouvailles avec, par ordre chronologique, Laurence, Philippe, Pascal, Françoise et le Doc.

Les burgers du MacDo avalés en faisant la queue devant l'espace Argence. Initier ma fille Louise à ces drôles de rituels qui précèdent les concerts !

L'attente dans la salle. Laurence qui me dit que c'est le moment qu'elle préfère. Tiens, c'est marrant, moi aussi, et je l'ai écrit plus d'une fois. Dès lors que l'attente fait place à l'attendu, celui-ci glisse vers sa fin et prend une teinte mélancolique. Je comprends mieux pourquoi, à quinze ans, lisant Une vie de Maupassant, je fus saisie par cette phrase : « C'était fini d'attendre ». J'aime l'attente pour ce qu'elle contient de promesses, pour ce qu'elle offre d'excitation. Plus tard, j'eus un autre choc en lisant cette expression sous la plume de Serge Rezvani : « la nostalgie du présent ». La nostalgie du présent se nourrit de la peur que l'on a de voir s'évanouir trop vite les belles minutes que l'on est en train de vivre. Ainsi en va-t-il de toutes les minutes qui font les concerts d'HFT !

Le moment où les lumières s'éteignent, puis celui où les musiciens arrivent.

Tous les regards cherchent la silhouette d'Hubert. Ça y est, le voilà, il est là, devant nous, et pour moi c'est comme un miracle qui se renouvellerait depuis vingt-huit ans.

Les voix qui s'élèvent dans la salle, en même temps que la sienne sur la scène.

Le regard pétillant de Louise, qui m'a dit dans l'après-midi : « En vrai, je suis super contente d'aller à ce concert ».

Ma voisine de droite qui connaît toutes les chansons par cœur. Nos dandinements qui finissent par s'entrechoquer, et l'éclat de rire qui en résulte.

Thiéfaine qui sourit, va vers les musiciens, les honore de regards complices. Ces mêmes musiciens qui donnent tout.

Le plantage d'Hubert au début de Mathématiques souterraines. « Eh ben, c'est mal barré », lance-t-il, puis il se reprend et tout roule nickel. Philippe se retourne et me dit : « C'est ta chanson ». En quelque sorte, oui. C'est la chanson de ma vie, ai-je envie de dire, comme d'autres disent « la femme de ma vie » ou « l'homme de ma vie ». On remplit sa vie comme on peut. Moi, c'est de chansons !

Cette Fille du coupeur de joints qui, comme dans toutes les salles, unit dans son rythme « les cheveux blonds, les cheveux gris ».

Les lumières se rallument et Philippe s'exclame : « C'était trop court ». La nostalgie du présent devient nostalgie du passé. Moments qui ne reviendront jamais, et l'on en crève un peu chaque fois...

Mais... Se souvenir des belles choses. Demander à l'oublieuse mémoire de s'efforcer de bien graver tout ça, précieusement, jalousement, pour que cela fasse un soleil éclatant à serrer au fond de soi par mauvais temps.

Pascal qui récupère la setlist et me la tend parce que « si quelqu'un mérite de l'avoir, celle-là, c'est bien toi ».

Les discussions dehors, sur le trottoir, « dans le froid qui nous pince ». Le Doc qui me dit que j'ai bonne mine. C'est Hubert qui m'a requinquée ! Et toutes ces belles choses qui ne sont déjà plus.

Face à tant de cruauté, une seule revanche possible : attendre le prochain concert. C'est ça, ma vie, depuis 1995, et je n'en reviens pas tout à fait moi-même. Et tous les concerts me ramènent immanquablement au premier, un certain 27 octobre 1995, celui auquel j'assistai en compagnie de ma mère, le plus beau, le plus fort... Alors, vivement le prochain !

19/10/2023

HFT était au NJP hier soir

"Combien de jours encore à contempler l'automne

à surveiller l'orage dans le cri des guetteurs

à pleurer dans les bras de ceux qui abandonnent

qui s'envolent à jamais vers un nouvel ailleurs". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Nancy, chapiteau de la Pépinière, 18 octobre 2023. Il n'est pas loin de 22h43 quand, dans la fosse, on sent l'ambiance glisser vers autre chose, cette autre chose qui m'est familière et qui tient de la braise. De-ci de-là, retentissent des « Hubert ! ». La foule se resserre. On sent que chaque petit centimètre carré compte. Tout le monde veut prendre sa place, comme dans l'émission. Moi aussi. Et, d'ailleurs, ma place (dans les premiers rangs de la fosse), je la tiens solidement depuis le début de la soirée. J'ai tout fait pour n'avoir pas à bouger une seule fois : buvette interdite, et toilettes itou. La première entraînant souvent les deuxièmes, je n'ai ingurgité qu'un minimum de liquide dans la soirée. J'ai la gorge sèche, mais tant pis. Les deux premiers concerts m'ont bien plu. Surtout le premier, de Tankus the Henge. Celui de Warhaus légèrement moins, mais c'est un univers qui demande à être découvert tranquillou chez soi, je crois, et c'est ce que je ferai bientôt.

Peu à peu, des petits malins essaient de se frayer un chemin jusque tout devant. Ah, je les connais, ces énergumènes qui, sous prétexte qu'ils apprécient Hubert comme moi, seraient prêts à tout pour griller ma place. Ah non, c'est hors de question ! Je pourrais facilement devenir mauvaise dans ces cas-là. Cependant, je laisse passer deux dames quand même parce qu'au fond, je reste une gentille. Elles sont petites, l'une des deux mesure 1 mètre 46, précise-t-elle, et elle veut avoir une chance d'apercevoir ce qui se passe sur scène. D'accord, ces deux-là peuvent me dépasser, mais pas les autres. Trop facile sinon. Il suffirait que chacun y aille de ses trémolos attendrissants, et le tour serait joué, et puis quoi encore ? Cent balles et un Mars, comme on disait quand j'étais ado ?!

Autour de moi, gens de toutes sortes. Des jeunes, des moins jeunes. Plus de moins jeunes que de jeunes, il est vrai, mais tout de même : il faut noter que la jeunesse se déplace pour HFT et que ça fait plaisir. Je voudrais bien savoir d'où viennent ces tout frais au visage encore lisse, comment ils sont tombés dans l'œuvre d'HFT, pourquoi, quand, grâce à qui ou à quoi. Ah, si j'osais, je leur demanderais !

Mais je n'ose pas et, de toute façon, il est bientôt 23 heures, ce qui veut dire qu'il est temps de sonner la fête. 23 heures, mais je fais beaucoup plus jeune, si vous voyez de quoi je parle : depuis 31 ans, la même chamade dans le cœur à chaque concert. Ça veut bien dire quelque chose, n'est-ce pas ? Ça veut dire qu'il y a encore des bouts de jeunesse là-dedans, parmi les débris, et que les concerts, ça entretient les artères ! Eh oui, un chouïa d'illusions ne nuit pas en ce monde de brutes !

Les musiciens entrent en scène, les premières notes de Droïde song emplissent le chapiteau, que tout cela échauffe de quelques degrés supplémentaires. Cette fois, Thiéfaine arrive presque en même temps que la musique, pas comme à Amnéville, par exemple, où on l'entendait d'abord chanter un certain temps avant de le voir, ce qui n'était pas sans susciter quelques questions : d'où venait sa voix ? Où se cachait-il, l'espiègle ? Quand allait-il arriver ? Là, non. Le voilà direct. C'est bien aussi. Je crois même que je préfère cette version. Et vous ?

Les morceaux s'enchaînent. Vite, trop vite. Je sais d'avance que ce concert sera un format court et qu'il ne suffira pas vraiment à étancher ma soif, que j'ai grande et exigeante ! Mais bon, c'est toujours ça quand même. C'est mon premier concert d'après maladie. J'ai l'impression de revenir d'un autre monde, sans couleurs et sans joie. D'un monde aseptisé envahi par les bilans sanguins, les plaquettes, les neutrophiles et compagnie. Si bien que malgré moi, je suis devenue une spécialiste des globules. Je les connais tous, je sais à quoi ils servent, pourquoi ils sont là, pourquoi ils manquent parfois, etc. Avoir mal aux globules, comme dans la chanson, je sais désormais exactement ce que ça fait, je l'ai vécu dans ma chair ! Bref... Premier concert d'après maladie, disais-je, et je suis émue. Normal. C'est donc bien vrai : je me tiens là, debout et vivante parmi ces autres vivants ? Ouah, permettez-moi de ne pas tout à fait en revenir ! Et de m'en extasier, tranquillement dans mon coin. Un énième concert d'Hubert, quelle chance ! Les comptes peuvent reprendre. Il faudra d'ailleurs que je regarde où j'en suis : à une cinquantaine de concerts sans doute, mais combien au juste ? À vérifier. Juste pour ma petite gouverne, comme ça, parce que cela ne lui fera pas une belle jambe. Les comptes, elle aime ça. Figurez-vous qu'il y a peu, je me suis même amusée à calculer le nombre d'heures que j'avais passées en compagnie d'HFT. Mis bout à bout, tous les concerts font même pas une semaine. Pas tout à fait cinq jours et cinq nuits, si mes calculs et mes souvenirs sont bons. Ce n'est pas bézef. Conclusion : il en faut encore ! Oui, je sais : l'arithmétique, chez moi, revêt d'étranges formes...

Donc, les morceaux s'enchaînent, écrivais-je plus haut. À Droïde song succèdent Dies olé sparadrap joey, Narcisse, Eux, 113ème cigarette sans dormir (plus que jamais d'actualité, c'est désolant comme l'Histoire c'est l'éternel retour du même qui s'empile sur le même qui reviendra), Cabaret Sainte-Lilith (tellement sensuelle, pour le coup, qu'elle me ferait presque venir le rouge aux joues), Groupie 89 turbo 6, Diogène (joie d'entendre retentir du Goethe dans le chapiteau bondé : yeah, ça claque, et j'ai même le temps de me dire que décidément, j'adore vraiment cette langue, que ce qu'on lui reproche - son côté soi-disant rugueux -, c'est justement ce qui me fait vibrer), La fin du roman, Combien de jours encore. À propos de La fin du roman, je me demande pourquoi cette chanson a été choisie pour figurer au programme d'Unplugged et de Replugged. On sait qu'elle déchaîna quelques commentaires bien cinglants sur la toile, et m'est avis que Thiéfaine ferait là un pied de nez à tous ceux qui ne seraient pas contents, mais peut-être que je me trompe ?

Combien de jours encore me déchiquette le cœur, couplet après couplet. C'est une chanson grave, impitoyable. Et toujours ce même coup de poing dans la poitrine quand il est question de ceux qui abandonnent, qui « s'envolent à jamais vers un nouvel ailleurs ». Cela me fait penser à mon père, immanquablement, et à la longue fatigue qui précéda son départ. Je pleure. Ben oui. La chanson s'achève dans un rock brûlant, ce qui la délivre, sur la fin, d'un certain poids (celui de l'univers, peut-être ?). On se concentre sur le jeu des musiciens, et l'on oublie un peu que les accents de leurs instruments font suite à une troublante interrogation métaphysique.

Avant de chanter Combien de jours encore, Hubert a annoncé que c'était la fin du concert. Des voix s'insurgent : comment, déjà ? Mais est-ce possible ? Ça vient à peine de commencer. On était là, peinards, et déjà il faut songer à reprendre le cours de la vie, sans autre forme de procès ? C'est carrément injuste. La fosse et les gradins réclament un rappel, à grand renfort de cris, de sifflements, de tapotements de pieds. L'équipe revient. Secrètement, j'espère Mathématiques souterraines, mais non, nous ne l'aurons pas. Dommage. C'est Sweet Amanite Phalloïde Queen et La fille du coupeur de joints qui viennent boucler le show, les deux électrisant bien la foule. Qui en aurait voulu un peu plus, comme moi. Mais bon, on est en mode festival. J'ai remarqué que les festivals, c'était rien que pour me donner plus soif encore. Heureusement que je vais à Troyes la semaine prochaine, tiens ! Et à Saint-Dizier en novembre, et peut-être à Colmar en décembre, et sans doute à Mondorf-les-Bains en avril, et probablement à l'Olympia en mai !

J'ajoute, parce que je n'ai pas réussi à caser cette information cruciale dans les paragraphes qui précèdent, qu'hier soir Hubert et ses musiciens étaient en grande forme et que quand est venue la minuit, ils faisaient tous beaucoup plus jeunes, et que c'était beau à voir. Avant le concert, j'ai entendu une femme dire à son voisin : « C'est fou, Thiéfaine a toujours une très belle voix ». Je ne peux qu'abonder dans son sens. Et remercier la vie qui (tout en restant une sacrée chienne) m'a donné la possibilité d'entendre une nouvelle fois cette voix que les années n'ont pas abîmée, juste rendue plus profonde. Combien de concerts encore, à regarder passer l'infini sur la scène ? Autre troublante interrogation métaphysique, et une seule réponse possible : qui vivra verra.

 

 

17/10/2023

HFT sera au NJP demain soir. Tiens donc, moi aussi !

"Si tu n'es pas présent à l'instant que tu vis,

que peut-il te donner ?" Charles JULIET.

 

Quand j'ai rendez-vous avec Hubert, tout le restant m'indiffère ! Ça rime et c'est comme dans la chanson de Brassens, à ceci près que Georges n'eut jamais rendez-vous avec Hubert... Le pauvre, comme je le plains (je parle de Georges, mais la réciproque tient la route aussi !).

Moi, en revanche, j'ai grande chance et grande joie : demain, je verrai Hubert, l'immense, l'unique. Dans ma ville préférée, en plus. J'ai nommé la hautement culturelle et magique Nancy. J'espère avoir la forme demain soir car il faudra patienter jusqu'à 23 heures avant de voir HFT se produire sur la scène du chapiteau de la Pépinière. Pour moi qui me couche désormais avec les poules, cet horaire est un peu source de panique. Et si je ne tenais pas le coup jusqu'à 23 heures ? Je compte sur mon petit grain de folie pour m'assister en ces moments compliqués : normalement, la perspective de voir Hubert m'a toujours permis d'ignorer ma fatigue. Souvenirs de semaines sous haute tension où je pouvais enchaîner les concerts trois, voire quatre soirs de suite. Ces temps bénis reviendront-ils ? Il faut l'espérer. Mais force est de constater, en mon organisme malmené par la maladie et un traitement de cheval, que l'énergie n'est plus ce qu'elle était. Bref, on verra, n'anticipons pas ! De toute façon, pour l'instant, l'occasion ne se présente pas. Allez, je veux quand même parier que si HFT avait donné un concert à Metz le lendemain du NJP et un autre à Thionville le surlendemain, j'aurais été des trois ! On ne perd pas son grain de folie comme ça, non mais ! Manquerait plus que ça !

Pour le concert de demain, j'aurai une veste dont vous ne trouverez jamais la réplique au merchandising, et pour cause : c'est ma personnelle, rien qu'à moi. Explications : il y a quelques semaines, j'ai esquinté ladite veste (pensée pour mon père qui employait beaucoup le verbe « esquinter ». Maintenant, à chaque fois qu'on dit « esquinter », mes filles et moi, on a à la fois du chagrin et de la malice dans le regard). Donc, oui, j'ai fait un stupide accroc dans ma veste à peine portée l'hiver dernier. Soudain, une idée : parmi mes collègues, il y a Peggy aux mains d'or. D'un rien, elle te fait une somptueuse robe. Dans la salle des profs, il n'est pas rare qu'on fasse appel à ses services pour une tenue de mariage, un ourlet et tutti quanti. En voyant le désastre sur ma veste, j'ai immédiatement pensé à Peggy. Et alors, elle a eu, comme toujours, une idée de génie : elle a proposé de raccommoder le trou et de mettre un écusson HFT dessus. Aussitôt dit, aussitôt fait. Je vais désormais porter une veste résiliente. Ouais, rien que ça ! Une pièce unique, comme vous n'en verrez sur personne d'autre ! Moi je dis que ça va être ma cape de toute-puissance et que demain, le simple fait de la porter m'ôtera toute fatigue...