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10/05/2022

Sausheim, pour boucler la boucle...

"Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur". Romain GARY

 

Sausheim pour boucler la boucle. Parce que deux sans trois ce sera toujours bancal, c'est la sagesse populaire qui le dit. Celle-là même qui vous enseigne en même temps qu'à père avare fils prodigue et que tel père, tel fils. Toujours se méfier des « en même temps »... Mais pas de "jamais deux sans trois" ! Bref...

Sausheim parce que les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais, dixit le grand Oscar Wilde qui s'y connaissait en matière de folies.

Sausheim parce qu'après tout, Grand Est ça veut dire Grand Est ! Dans ces cas-là, l'expression maudite me sied bien ! Sausheim, d'accord, ce n'est plus en Lorraine, mais cela reste dans le Grand Est. Donc jouable.

Sausheim parce que Thionville régal absolu et parce que Neuves-Maisons festin miraculeux. Sans Sausheim, je serais restée sur ma faim. « C'est évident, mais je préfère le dire », comme dans une pub que mes filles adoraient citer il y a quelques années. Comme quoi on peut écouter HFT depuis sa plus tendre enfance et se laisser tout de même influencer par des slogans à la noix.

Retour en arrière : j'ai pris un billet samedi matin pour Sausheim, portée par l'euphorie de la veille. Et déjà engloutie par cette nostalgie qui est tellement ma marque de fabrique qu'elle me visite avant même que les bonnes choses aient pris fin. Une erreur de programmation dans le computer, ai-je écrit dans mon précédent billet. Oui, il y a de ça. Peut-être une farce pas drôle d'un dieu qui s'est dit « on va essayer pour voir », et voilà le résultat. Cela donne une nana qui, à tout bout de champ, se dit, comme la pauvre Jeanne d'Une vie, « c'était fini d'attendre »...

Pour Sausheim, j'avais même deux billets. Un pour ma fille aînée aussi. Une autre façon de boucler la boucle : à Thionville, j'étais avec mon autre fille, Louise. Qui, soit dit en passant, m'a lâché avant de partir ce soir-là : « Oh, là, je vais voir Thiéfaine pour le principe ». Comme quoi on peut écouter HFT depuis sa plus tendre enfance et débiter de temps à autre quelques savoureuses conneries.

Heureusement, tiens, que pour Sausheim j'avais une accompagnatrice et copilote. Trois heures de route à l'aller, rien que ça ! D'accord, j'ai mis au programme un petit crochet par Sainte-Marie-aux-Mines, histoire de rendre hommage à Jacques Higelin (l'album Coup de foudre fut enregistré dans cette commune du Haut-Rhin). D'accord, je me suis arrêtée plusieurs fois pour faire des photos, tant était magique l'écrin de paysages dans lequel nous avancions. Mais bon, via Michelin annonçait 2h26 de route !

Une aubaine que le concert ait commencé à 18h. Sinon je n'aurais pas pu y aller. Debout à 5h55 le lundi matin, quand même...

Nous y voilà donc, après avoir désespéré plus d'une fois du côté interminable du trajet. Nous sommes dans les gradins. Un peu moyen, mais pas le choix quand on acquiert ses billets à la dernière minute. D'emblée, je constate que l'ambiance est plus molle qu'à Thionville et Neuves-Maisons. Ça réclame timidement Hubert ici ou là, mais ce n'est pas la fièvre du samedi soir. Neuves-Maisons, pour ça : imbattable ! Ça braillait de partout, ça suait la folie : un festin, vous dis-je ! Vieillissant, le public d'Hubert ? En apparence seulement. Si les cheveux grisonnent ou en sont carrément au stade où ce processus n'est plus qu'un lointain souvenir, l'ardeur, elle, est toute fraîche en sa jeunesse sans cesse renouvelée ! J'en veux pour preuve la mienne qui, malgré tout ce qui aurait pu finir par la mettre à terre, a traversé fièrement les décennies, telle une indomptable amazone. C'est peut-être le seul truc qui me donnerait envie de me vanter, et tant pis si c'est péché : au fond de moi, la jeune fille de 19 ans éblouie par sa rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine persiste et signe, et ce depuis trente ans. Les désillusions n'ont pas eu raison de son ravissement ! Ouf, il demeure quand même quelques valeurs sûres en ce bas monde qui se délite...

Juste avant le concert, Jean-Marc Poignot vient, comme à l'accoutumée, nous rappeler qu'Hubert déteste les flashes et qu'il faudra en tenir compte. « Pas une date sans flash jusqu'à présent ». Zut, c'est bête, j'aurais adoré me trouver un soir dans une salle irréprochable à qui HFT aurait adressé des félicitations attendries à la fin. Raté partout, visiblement. Et zéro pointé à Neuves-Maisons où j'ai bien cru qu'Hubert allait nous rejouer le coup de Thionville 2004, quand il avait quitté la scène pour quelques minutes qui nous parurent à tous un immense tunnel. La raison ? Encore un flash ! Il faut se le mettre une bonne fois pour toutes dans le crâne, bon sang : Hubert, le flash, ça l'fâche !

Allez, c'est reparti : toujours cette version magistrale de La Ruelle des morts. Avec quelques plantages pour faire plus vrai. Il y en aura d'autres durant la soirée. Je dis ça comme ça, mais franchement je sais bien que l'essentiel est ailleurs. Et je défie quiconque d'interpréter les chansons d'HFT sans se ramasser plusieurs fois. Les textes sont si denses aussi... La voix, elle, reste claire et assurée du début à la fin. Une vraie prouesse en cette longue enfilade de concerts. Mine de rien, en un week-end, j'ai eu un léger aperçu de ce que pouvait être la vie de la troupe durant une tournée : à peine le temps de poser ses valises quelque part que ce quelque part est déjà du passé. C'est épuisant. Il faut être sacrément solide ! Heureusement qu'hier, j'avais le boulot pour me reposer de la grande fatigue accumulée en trois jours, mais Hubert et son équipe, eux : toujours la tête dans le guidon !

Retour à Sausheim après cette digression : le public est un peu mou. Ou recueilli, peut-être. Après tout, on ne sait pas. Discret ne veut pas dire terne, ai-je écrit dans un précédent billet. Discret veut parfois dire bouche bée devant tant de grâce offerte !

Mention spéciale aux interventions qu'Hubert fait entre deux chansons : on lui a souvent réproché de dire la même chose soir après soir, mot pour mot et à la virgule près, ben là, non ! Quelques constantes, mais pas tant que ça.

Juste une valse noire, plus que Vendôme, lui donne du fil à retordre en ce dimanche soir. Il ne démarre pas au bon moment et finalement la musique s'arrête, on va recommencer. Et Hubert de s'exclamer : « Il fait noir au fond de ce trou ». Allez, pas grave : ça arrive, même aux meilleurs.

Une fois de plus, les morceaux s'enchaînent à vive allure. J'essaie sans arrêt d'être dans ce qu'on appelle désormais la pleine conscience (une mode de plus). Je m'interdis de penser à autre chose qu'à ce qui se joue sous mes yeux, et pourtant, et pourtant, ça y est, Page noire vient signer la presque fin de la soirée... C'est pas possible que le temps passe comme ça sans pitié et comme un gros lourdaud qui s'en tape de nos émotions. Retiens la nuit, tu parles, mon coco : tu peux toujours tenter !

À la fin de Page noire, le public se lève, comme un seul homme, ou une seule femme, il faut faire attention à la parité maintenant. Et même attention à ceux qui se disent sans genre, dans un entre-deux flou : alors le public se lève comme un seul entre-deux flou ! Nul ne se remettra assis, malgré les vieux os qui tirent un peu. La jeunesse qu'on croyait perdue revient nous aveugler de ses bouquets de lumière. Vieillissant, le public d'Hubert ? T'as qu'à croire ! Plus vigoureux que jamais, oui ! Quand j'écrivais que discret ne voulait pas dire terne !

Durant La queue, je préviens ma fille : « Dès que tu entends les premières notes de La fille du coupeur de joints, tu te lèves et on va tout près de la scène ». Elle hésite, elle a peur de déranger nos voisins. Oui, ben tant pis. Il est des heures graves où il est impératif de se moquer des bienséances. On n'aura qu'à les bousculer pour passer, et puis c'est tout, ils n'avaient qu'à pas être là !

Après avoir gaillardement fendu la foule, nous y voilà donc, au cœur du volcan. Je veux être cette lave qui crame tout sur son passage, je veux dire ma gratitude à Hubert et à son équipe qui, depuis plusieurs mois déjà, se donnent à fond pour que chaque soir soit un embrasement et que pour qu'ici et là, pleuvent des pâmoisons à foison !

20h17. Ma fille et moi reprenons la route. Pas le temps de traîner. Dommage, j'aurais bien papoté un peu avec Jean-François Assy et Frédéric Gastard. La veille, à Neuves-Maisons, je leur ai dit « à demain » et j'ai trahi ma parole. Impossible de faire autrement, trop de route m'attend !

À Neuves-Maisons encore, en nous quittant, Lucas Thiéfaine nous a dit, à moi et à quelques autres : « On se revoit en 2023 ». J'ai répondu : « Et en 2024, et encore après ». Oui, comme ça jusqu'à la fin des temps, SVP, exigeons dès aujourd'hui cette immortalité qui ne vaudra d'être vécue que si Hubert vient régulièrement l'enchanter !!!

08/05/2022

Des pâmoisons qui tombent en pluie : après Thionville, Neuves-Maisons !

"Par parti pris je ne crois en rien; par expérience en moins que rien". Pierre AUTIN-GRENIER

 

Alignement des planètes, conjoncture favorable, tarots bienveillants : ça continue, que c'en est même affolant. Dans ces cas-là, je me demande toujours quelle entourloupe la vie me prépare. C'est l'expérience qui parle, sans doute. Mais non, pour une fois, tentons de nous abonner (essai gratuit) à l'optimisme et remâchons bien fort les mots de Romain Gary : « Il paraît qu'il ne faut pas avoir peur du bonheur. C'est seulement un bon moment à passer ». Oui, enfin, c'est le même Romain Gary qui écrivait aussi : « Comme quoi parfois tout finit bien. Je le dis vite en passant, car lorsque les choses s'arrangent, j'en ai de l'angoisse, je me demande toujours ce que l'avenir a en tête ».

Bref... « Couchée, mon âme ! ». Et toi, mon esprit tortueux, lass mich in Ruhe ! Plutôt que de me demander ce que l'avenir a en tête, je voudrais me poser ce matin pour me demander ce que le bel hier avait dans les tripes !

Revivons donc le concert de Neuves-Maisons, et l'avant, et l'après. Parce que tout cela vaut son pesant d'or aussi. Et me voilà confrontée à la question que secrètement, avant ce week-end, j'espérais pouvoir me poser sans être capable d'y répondre : « Alors, le meilleur concert, c'était Thionville ou Neuves-Maisons ? ». Ben voilà, je ne sais pas ! Les deux, mon camarade ! Et attendez, ce n'est pas tout : hier matin, j'avais déjà un pied dans la tombe de la nostalgie, je me disais « ça y est, ce soir, tout sera fini ». J'ai refusé cette fatalité. Et je me suis pris un billet pour Sausheim. Une folie de plus ? Oui, sans doute, mais pas de quoi en faire tout un plat non plus : ce n'est rien qu'à deux heures et demie de route de la maison, et c'est à 18 heures. Je serai rentrée vers 22 heures, comme une fifille bien sage. Une petite pilule pour dormir et au lit ! Interdiction de me demander lequel des trois concerts avait le plus d'allure et pourquoi. On se posera la question demain. En pleine redescente, la larme à l'œil !

Neuves-Maisons, donc. Forte de ce que j'y avais vécu en février pour le concert de Birkin, je me suis dit qu'il fallait arriver bien plus tôt hier. Pour Jane, j'avais trouvé une place de parking in extremis et j'avais dû courir comme une dératée jusqu'à la salle pour ne pas louper le début. Pas question de vivre ça avec Hubert. Jamais je ne suis arrivée en retard à un seul de ses concerts. C'est le genre de truc que je ne peux concevoir. Donc, à 19 heures, je me garais devant la salle. À côté de ma voiture, un autre fan de Thiéfaine, que je connais bien. On peut appeler ça un splendide hasard, comme dans la chanson de Michel Berger. Nous voilà papotant dans la belle lumière de mai. Je mange vite fait mon sandwich et nous nous dirigeons vers la salle. Et là, qui vois-je débarquer ? Un autre fan, que je n'avais pas revu depuis des années. Celui-là même qui, en 1998, m'avait proposé de m'emmener voir Thiéfaine à Bercy avec lui. Et moi, grande gourdasse impardonnable, j'avais dit non. Parce que le concert avait lieu un vendredi soir et que je travaillais le samedi matin ! J'avais peur. Je crois rêver. Je suis plus déraisonnable à 48 ans que quand j'en avais 25, si c'est pas misère (je pique ce « si c'est pas misère » au groupe Machin). Ce rendez-vous manqué, c'est un des drames de ma vie. Carrément ! Quand je pense à tout ce que j'ai pu faire par la suite pour aller voir Hubert, quand je pense aux montagnes que j'ai abattues pour lui, le faisant passer avant tout le monde ou presque ! Même, une fois, avant un amoureux qui m'en tint rigueur de longues semaines durant. Les circonstances ? Je revenais d'un séjour de neuf jours en Allemagne et Hubert chantait à Amnéville le soir de mon retour. Rentrée de Germanie, j'avais posé ma valise en catastrophe dans l'appartement et j'étais repartie illico. Ben ouais, mec, si tu choisis de vivre avec moi, il faut également accepter d'héberger ma passion pour HFT. Sinon tu t'exposes à de régulières déconvenues qui te feront dire « mais merde, on dirait bien que je suis moins aimé qu'Hubert ». Hé hé, qui sait ?!

Avec l'ami retrouvé, nous évoquons le passé. Nous nous donnons des nouvelles mutuelles. Ce faisant, l'heure approche. La tant attendue et la tant redoutée. Tant attendue parce qu'elle signe le début d'une extase. Tant redoutée parce qu'elle s'en va déjà vers la fin de la même extase. Je suis née avec la nostalgie chevillée au corps. Une erreur de programmation dans le computer. Dommage.

Juste avant le concert, je vois encore le Doc et 655321 (c'est le pseudo qu'il utilise quand il intervient sur mon blog, mais il a quand même un vrai prénom et un vrai nom, ne vous en faites pas). Je leur explique que j'ai dégoté un billet pour Sausheim. Et le Doc de me regarder, amusé, et de s'exclamer : « C'est vrai que tu es une furieuse du Bébert ». Oui, je crois qu'on peut le dire, j'avoue ma très grande faute qui dure depuis trente ans.

Allez, on se quitte. Pour ce qui est de la très grande faute qui dure depuis trente ans, on passera au confessionnal plus tard, quand on aura le temps !

L'extase va commencer. Je suis bien installée, au bout d'une rangée, côté marches. Ça me va. Parce que je suis légèrement claustro. Et parce que je déteste ne pas pouvoir bondir vers la scène quand retentissent les premières notes de La fille du coupeur de joints. C'est le seul truc qui m'a embêtée à Thionville : j'étais coincée entre deux personnes !

À Neuves-Maisons, j'ai trois voisines. Elles ne débarqueront qu'en plein milieu de La ruelle des morts. Je suis un peu vénère au moment où il faut que je me lève pour les laisser passer. Mais je leur pardonne vite : ce sont des furieuses, comme moi. Peut-être même plus ! Si, je vous jure ! Il y en a une qui pousse des cris à tout bout de champ. Le monsieur derrière moi finit par dire à son voisin : « C'est de l'amour ». Je crois bien. Un amour qui met dans de ces états, je vous raconte pas. Pour résumer, je dirais « pâmoison ». Ce n'est pas moi qui vais me moquer, je suis victime de la même ivresse, alors camembert ! Je suis simplement moins expansive, mais le cœur y est de la même manière !

La salle est chaude comme la braise. Difficile de dire si l'ambiance est encore plus pharamineuse que la veille. Disons que comme la salle est plus petite, les pâmoisons sont plus concentrées. Donc plus palpables.

Hubert le ressent puisqu'il nous dit que nous sommes super. Je crois même qu'il ajoute (il faudrait que quelqu'un me le confirme) qu'il va rêver de nous. Ma voisine me regarde et me lance : « Oh, il est chou ». Ce n'est pas le premier qualificatif qui me viendrait si on me demandait de définir Hubert, mais soit, pourquoi pas ? Il est chou, mettons ! Comme je ne suis pas certaine d'avoir compris ce qu'il a dit, je demande à cette même voisine : « Il a dit qu'il allait rêver de nous, c'est ça ? ». Elle a plutôt entendu « je suis bien avec vous ». Mais si Hubert a l'intention de rêver d'elle, me dit-elle, elle n'en serait pas mécontente. « On ne sait jamais, sur un malentendu », ajoute-t-elle, malicieuse !

Les morceaux s'enchaînent. Trop vite, trop vite. On arrive à Page noire et je n'ai rien vu passer. Page noire, c'est le moment critique. Hubert va saluer et ce sera presque fini. Mais bon sang, dans quelle brèche spatio-temporelle venons-nous de tomber ? Nous avons tous oublié, je crois, où nous étions, qui nous étions, et à quelle époque ! C'est vrai, ça, elles se mélangent toutes délicieusement : celle de la rue Mouffetard, celle des enregistrements à New York, celle des confinements en série. Et voilà qu'il est déjà l'heure de La queue. Alors là, on a frôlé la catastrophe : dans les premiers rangs du public, quelqu'un a osé dégainer un flash. Là, Hubert se fâche copieusement. « Arrête avec ton truc, je me le prends en pleine gueule », lâche-t-il. Deux secondes plus tard, c'est la chanson qu'il menace de lâcher. Il se contente d'en escamoter quelques strophes. « Faut pas gonfler Félix-Hubert quand il pousse la chansonnette », voilà ce qui me vient en écrivant ce matin. Façon Gérard Lambert sorti de ses gonds. Un peu plus et Hubert se barrait comme ça, sans autre forme de procès. Aïe, aïe, aïe... Vous voyez : un rien peut mettre le bonheur en péril. C'est pour ça que je m'en méfie. On ne sait jamais ce que ce saligaud cache dans sa besace.

Allez, pas grave : Hubert reprend le truc. Un peu en colère. Ça lui passera pendant La fille du coupeur de joints. 655321, qui est assis pas très loin de moi, me chope au passage. Allez, je descends de la montagne, moi aussi, je laisse mes voisines à leur pâmoison collective et je vais vivre la mienne un peu plus loin.

Voilà, c'est fini. Les lumières se rallument, la brèche spatio-temporelle nous recrache. Nous, c'est la réalité qu'on se prend en pleine gueule en cet instant cruel. Il faudra bien négocier la redescente. Ah ben non, c'est vrai, ce n'est pas pour tout de suite : il y a encore Sausheim !

À la fin du concert, je vais traîner du côté du merchandising. Très mauvaise idée qui va encore porter un coup fatal à mes finances. Je prends un tee-shirt (que je ne mettrai que deux fois dans ma vie) et une affiche (que je vais encadrer et accrocher dans mon salon). Je tends ma carte bleue au vendeur et je lui dis en riant : « Avec tout le fric que j'ai dépensé pour Hubert, je pense qu'il a pu se payer une voiture ». Et pas une sans permis, s'il vous plaît ! Mais c'est quoi, ces considérations tordues ? On s'en fout pas mal. La voiture, je m'en cogne. Ce qui compte, c'est quand même qu'Hubert m'ait aidée à traverser l'existence et que ses chansons aient accompagné celle-ci jusque dans ses moindres recoins, lui faisant une bande-son qui ne s'éteindra qu'avec moi. Oh yeah, je deviens lyrique !

Un peu plus tard, les musiciens se pointent. Grâce à Sam (un autre furieux du Bébert), qui n'a peur de rien ni de personne, une discussion s'engage avec Jean-François Assy et Frédéric Gastard. En voilà deux qui, en plus d'être incroyablement talentueux, sont incroyablement gentils. Vraiment choux, pour reprendre le terme de ma voisine. Nous sommes trois (Sam, 655321 et moi) à leur faire des compliments à gogo. Il faut dire qu'ils le méritent. Il faut dire que sur cette tournée, musique et textes s'emboîtent divinement. Là aussi, planètes parfaitement alignées, tarots bienveillants, épousailles rondement menées : c'est avec une grâce infinie que l'alchimie opère dans son petit laboratoire. Ça ne fait que des heureux, c'est vraiment la classe. À chaque fois, c'est la même joie qui s'exprime dans toutes les bouches. D'ailleurs, vendredi, j'ai emmené une de mes amies à son premier concert d'Hubert et on peut dire qu'elle en est ressortie éblouie.

Des pâmoisons qui tombent en pluie, vous dis-je ! Le bonheur servi sur un majestueux plateau d'argent. La facture sera salée, c'est sûr, les dieux n'accordent du répit à l'humanité que pour mieux frapper ensuite, j'en suis convaincue. Mais pour le moment, foin de ces considérations pessimistes : Sausheim, nous voilà !

07/05/2022

Thiéfaine à Thionville : or, grâce et perfection !

"L'homme, chaque soir en se couchant, peut compter ses pertes : il n'y a que ses ans qui ne le quittent point, bien qu'ils passent". CHATEAUBRIAND 

 

Vous attribuez ça à quoi, vous, ces moments qui épousent la perfection ? À un complet alignement des astres, à un répit accordé par les dieux soudain compatissants (personnellement, j'ai des doutes quant à leur capacité de compassion, mais bon, sait-on jamais) ? Vous savez, ces moments où tout s'emboîte merveilleusement, où pas une ombre ne vient obscurcir le tableau ? C'est la grâce qui nous visite durant quelques heures, puis repart discrètement, nous laissant au cœur la nostalgie de ce don qu'elle nous a accordé, on ne sait trop pour quelle raison. Ce n'est pourtant pas qu'on ait été plus sage qu'à l'accoutumée. Non, la sagesse, on ne connaît pas. Mais voilà : un cadeau nous est fait, ne cherchons pas ni comment ni pourquoi, prenons-le à pleines mains. Ne nous gênons pas, soyons comme Harpagon avec son or. D'ailleurs, dans ces moments-là, c'est de l'or qui s'offre à nous en cascade, et c'est ce qui rend la vie à peu près habitable (j'ai bien dit « à peu près » car, quand même, ce n'est pas pour rien que j'écoute Thiéfaine).

Thionville, hier soir, c'était donc ça : or, grâce et perfection. J'ai tout de suite senti que ça allait s'envoler vers les cimes. Difficile de dire pourquoi, mais vraiment, je l'ai senti. À 20h10, le concert n'ayant pas encore commencé, ça grondait « Hubert ! » un peu partout dans la salle. L'impatience faite braise. On avait affaire à des vrais, à des purs, à des durs. Jamais, je crois, je n'avais vu autant de tee-shirts à l'effigie d'HFT. Et moi qui n'avais même pas mis le mien (enfin, un des miens). Ben non, je n'y arrive pas trop, je ne saurais expliquer pourquoi. Toujours, quand j'en porte un, je me trouve légèrement ridicule avec ma passion déballée sans pudeur. Alors les tee-shirts s'entassent dans l'armoire, ne quittant leur odeur de renfermé que quand je daigne les sortir au grand air. Une fois par an, peut-être. De toute façon, j'ai trop peur de les abîmer, alors ils sont bien là où ils sont !

Bref...

Oui, donc, or, grâce et perfection. Une osmose de toute beauté entre le public et ceux qui se donnaient à fond sur scène. Frédéric Gastard égal à lui-même, mouillant la chemise comme un forcené, insufflant à tous les instruments qu'il touchait un supplément d'âme comme on en fait peu. Lucas toujours fougueux, entièrement abandonné à son extase et nous la communiquant. Jean-François Assy nous offrant, dans l'intro des Dingues, un solo de la plus pure des espèces. Discret ne veut en aucun cas dire terne, qu'on se le tienne pour dit, non mais ! Christopher Board un peu effacé lui aussi, mais efficace, comme à son habitude. Cela fait un certain nombre d'années que ça dure, pour notre plus grande joie.

Et Hubert dans tout ça ? Au sommet de son art, vraiment. Je sais, je ne suis pas un modèle d'objectivité quand il s'agit de parler de lui, mais tout de même. Il faut reconnaître que les années semblent à peine l'effleurer. Bien décidées à être avec lui ce qu'elles ne sont pas avec tout le monde : clémentes. Lui octroyant le traitement qu'elles réservent aux grands crus.

Allez, d'accord, oui, un petit accroc dans les paroles de La ruelle des morts. Allez, d'accord, oui, quelques égratignures sur Vendôme. Mais quoi, Hubert nous a prévenus : cette chanson lui donne du fil à retordre, alors un peu d'indulgence ! De toute façon, claudicante ou pas, elle me fait toujours vibrer jusqu'à la moelle ! Et puis, tout le monde sait bien que l'essentiel est ailleurs.

L'essentiel, il est dans les yeux inondés d'étincelles de ce jeune couple qui restera debout durant tout le concert et chantera à tue-tête du début à la fin. Aujourd'hui, ce sont deux voix cassées qui évoqueront avec nostalgie la soirée d'hier. À moins que ledit couple ne soit aussi allumé que moi (ce que je suis en droit de soupçonner au vu de l'ardeur qu'ils affichaient tous deux hier) : dans ce cas, ce soir, ce sera Neuves-Maisons, et la nostalgie sera priée de repasser dimanche ! D'ailleurs, le dimanche, c'est fait pour ça. C'est fait pour les lendemains de fête la tronche de travers, c'est fait pour les gueules de bois aussi mornes que les lundis...

L'essentiel, il est dans les interactions qui se jouent sans arrêt entre Hubert et le public, entre Hubert et les musiciens, entre le public et les musiciens et entre les musiciens eux-mêmes. C'est comme un boomerang qui n'en finirait pas de voltiger dans les airs, et qu'on se renverrait volontiers comme ça jusqu'au bout de la nuit.

Mais non, voilà que déjà retentissent les premières notes de La fille du coupeur de joints. Il va être l'heure de se quitter. Après la vague de démence qui aura secoué son petit monde dans la salle, il faudra s'arracher (comme la vie est cruelle) à la cascade d'or qui dégringolait sur nous il y a quelques minutes encore. Au revoir Hubert, au revoir Thionville, au revoir mes compagnons de fièvre bien sympathiques.

J'appuie sur le starter, je regarde droit devant parce que ce soir il y a encore Neuves-Maisons. Après, d'accord, on éteindra les lumières et on pourra pleurer un peu si le cœur est en berne. Il aura bien le droit de l'être, merde alors. Ça y est, j'ai fait plus de dates que je n'en ferai sur cette tournée. Attendez, c'est quoi, ce désastre ? Il n'y aurait pas moyen d'aller cueillir ici ou là une splendide perspective ? Un petit festival d'été, par exemple, pour lequel je prendrais un billet comme ça, sur un coup de tête, histoire de dire que la fête n'est pas finie ?!

05/05/2022

Ce week-end sera thiéfainien ou ne sera pas !

"Les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais". Oscar WILDE (je l'ai déjà citée ici, celle-là, mais je me répète sans scrupules parce qu'elle est d'actualité et tellement vraie !).

 

Le week-end qui arrive sera diablement thiéfainien ou ne sera pas ! Enfin, je reprends une activité normale : un concert demain à Thionville, un autre samedi soir à Neuves-Maisons. Franchement, je me félicite d'avoir choisi de vivre dans le Grand Est. Euh, pourquoi j'utilise cette expression, moi, alors que je la trouve indigeste ? J'habite en Lorraine, point !!! Bref ! En tout cas, dans l'Est de la France, il y a toujours moyen de voir Hubert plusieurs fois sur la même tournée. Je me suis déjà fait des semaines HFT !!! Enfin, j'exagère un peu, mais pas exagérément : il y a quelques années, j'ai effectivement pu assister à un concert par soir pendant quatre jours ! L'extase, quoi ! La semaine que je devrais pouvoir revivre en boucle jusqu'à la fin des temps !

Bon, là, ce sera un peu plus « modeste », deux soirs seulement. Mais quand même ! Je ne vais pas bouder mon plaisir, ce n'est pas mon genre quand il s'agit de choses aussi sérieuses.

Allez, pour changer de registre, je vais faire mon Gauvain Sers :

Pourvu qu'aucun obstacle ne se mette en travers de ma route, ni demain, ni samedi. On ne sait jamais, une grippe foudroyante, etc. J'ai déjà tout envisagé et je sais que la vie, cette tordue, a encore plus d'imagination que mon esprit déjà pas mal tordu dans son genre, alors je reste sur mes gardes : tant que je ne serai pas dans la place, comme on dit, une légère appréhension flottera encore dans l'air que je respirerai – du bout du nez et des lèvres pour ne pas me faire contaminer par les microbes ambiants, qui sont légion, méfiez-vous !

Pourvu qu'Hubert ait la même pêche qu'à Bar-le-Duc. Là, vraiment, il m'a épatée. Celui qui s'est déjà défini lui-même comme un caillou catatonique a fait preuve d'une belle loquacité lors du concert meusien. Avant de se lancer à l'assaut de Vendôme, il nous a expliqué combien jouer cette chanson lui coûtait d'efforts. Et de nous raconter que des gens ont le culot de dire que la guitare, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. « Mais il y a des vélos vicieux, hein », a-t-il ajouté d'un air malicieux ! Puis, il nous a dit que pour ce morceau, il avait vraiment tout essayé : avec un tabouret, assis sur ledit tabouret, puis debout, toujours sur le même tabouret ! Tout cela pour, si j'ai bien compris, pincer les bonnes cordes au bon moment ! C'était vraiment drôle. Point de vue ambiance dans la salle, Bar-le-Duc, ça n'avait rien d'exceptionnel. J'ai préféré Vittel. Bar-le-Duc, c'était tranquille pépère. Je ne saurais dire pourquoi, mais il y avait un truc un peu ronronnant là-bas. Moins d'entrain que dans les Vosges. La fille du coupeur de joints a tout de même réussi à mettre tout le monde dans un mood festif (voilà que je me mets à parler comme les ados que je côtoie à longueur de temps, désolée). Bon, ça rattrapait le reste.

Pourvu aussi qu'Hubert ne soit pas malade. Je rappelle qu'il a quand même dû annuler un concert sur cette tournée, puis écourter celui du lendemain. Inenvisageable demain ou samedi. Il faut que ça pulse et que grâce à l'effet magique d'HFT, on retrouve (même nous, les vieux) la lumière de nos vingt ans, celle qui éclairait de son faisceau aveuglant la longue route qu'on devinait devant nous, de loin...

Pourvu que chaque musicien soit lui-même, qui avec sa réserve, qui avec son grain de folie, et que tous ces tempéraments mêlés nous offrent la splendide harmonie qui préside à chacun des concerts de cette tournée.

Pourvu qu'au bout du compte, en faisant le bilan du week-end, on ne sache pas dire quel concert était le meilleur, le plus intense, le plus beau, le plus fou !

24/04/2022

Putain, putain, c'est vachement triste : Arno nous a quittés...

"La vie est belle, chic et pas chère". ARNO

 

Cher Arno, je ne connais pas ton répertoire comme je connais celui d'HFT, loin de là. Je ne t'ai pas vu souvent en concert : deux fois seulement. Mais l'annonce de ta mort me secoue, comme un tremblement de terre de plus. Je me souviens de toi tout débraillé au festival du JDM. Quelle année ? Je ne sais plus, mais cela ne date pas d'hier. Tu étais en grande forme alors. Une chose est sûre : on voyait bien que l'apparence n'était pas ta préoccupation numéro un, et c'était chouette, tu avais mieux à penser en ce monde qui souvent ne pense qu'à ça. Tu n'avais pas le sourire Colgate des petits minets, tu avais une tignasse invraisemblable, qui semblait dire merde aux autres, les bien coiffées, les trop bien mises. Tu pouvais cracher sur scène si cela te prenait comme une envie de … cracher. Il ne fallait pas se formaliser, c'était ainsi. Tu avais l'allure d'un vrai rocker qui n'était pas tombé sur les dents d'un peigne, mais plutôt, tout petit, dans une immense marmite où bouillonnaient toutes sortes d'influences. On les retrouverait plus tard dans tes chansons, joyeux melting-pot mêlant les mots littéraires d'un Brel ou d'un Caussimon à tes mots à toi, moins léchés, frisant parfois la naïveté. C'est pour ça qu'on t'aimait.

Tu étais, je crois, de ceux que l'on nomme écorchés vifs. La chanson que tu avais écrite sur ta mère nous le prouvait, si besoin. Celle-là, je l'ai écoutée des milliers de fois après la mort de ma mère à moi. En suppliant je ne sais qui, je ne sais quoi de faire en sorte qu'il y ait toujours une lumière dans ses yeux, même après extinction des feux... Y a-t-il toujours une lumière dans les yeux de ma mère ? Aujourd'hui encore, je n'ai pas la réponse, la mort se barre avec ceux qu'on aime et avec ses mystères à la con dont nous ne savons rien de rien. Heureusement qu'il existe des chansons qui nous réconcilient un peu avec les questions insolubles.

Je revois ma fille Clara toute petite, chantant à tue-tête « j'ai tout compris, oui j'ai dormi avec miss Amérique ». Et qui sait si grâce à toi, elle ne dormait pas de temps à autre aux côtés de miss Amérique ? Tu étais capable de tout, n'est-ce pas !

Je t'entends encore, et c'est pur délice, célébrer le plurilinguisme, la diversité et l'Europe. C'est vrai quoi, « putain putain, c'est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens ». Ce n'est pas moi qui vais te dire le contraire !

Ce qui est triste, quand un artiste nous quitte, c'est que désormais, à sa place, nous accompagnera toujours la complainte du jamais plus. Jamais plus tes entrées sur scène différentes de toutes les autres. Totalement anticonformistes, légèrement bringuebalantes. Jamais plus tes concerts où la foule en délire se mettait à « schunkeln » sur Les filles du bord de mer. Pas de toi, cette chanson, d'accord, mais c'était tout comme. Il faut bien un verbe allemand pour décrire ce truc inouï qui se produisait dès que tu te mettais à la chanter  : soudain, chacun prenait le bras de son voisin ou de sa voisine et se mettait à se balancer avec lui, avec elle. En quelques secondes, toute la salle était réunie en cette folle oscillation et cela valait toutes les thérapies de groupe. C'était beau, aussi bien à voir qu'à vivre. Jamais plus tes concerts où toujours quelqu'un ou plutôt quelques cent versaient une larme en entendant ta voix éraillée chanter la fameuse lumière dans les yeux de ta mère.

Il paraît que tu avais déclaré dernièrement ne pas pouvoir mourir maintenant, alors que les fleurs sont si chères. La mort ne s'est pas trop préoccupée de la hausse des prix et t'a cueilli comme ça, sans autre forme de procès. C'est sa manière de faire, il faut s'y faire. Il nous reste tes chansons pour nous en consoler.

09/04/2022

Hubert, les folies que pour toi l'on commet...

"Les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais". Oscar WILDE

 

Pourquoi cette nostalgie qui m'étreint au lendemain de chaque concert de Thiéfaine ? Bon, déjà, il faut dire que ce sentiment rencontre chez moi, d'emblée, un terrain favorable, installé depuis l'enfance. Conscience aiguë, au moment même où je vis les choses, qu'elles passeront comme tout passe... Une certaine Anna de Noailles a écrit : « Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir », et si ces mots ont trouvé un fort écho en moi, ce n'est pas pour rien.
Sûr que la soirée d'hier ne reviendra jamais, que le souvenir des visages entrevus autour de moi pâlira très vite, trop vite. Déjà, ce qui a peu de chances de revenir sous la même forme, ce sont les conditions météo de ce 8 avril qu'on aurait cru sorti tout droit de l'hiver. À l'aller (environ 1h45 de route), des pluies torrentielles, parfois de la grêle. Tout cela cognait si fort sur la tôle de ma voiture que je n'entendais pas toujours très distinctement le live d'Hubert que j'avais mis pour me plonger dans l'ambiance. Au retour, ce fut pire encore. Là, j'eus droit à un tableau surpassant toutes mes appréhensions ! De la neige, même du verglas par endroits. Et, pour finir, une route inondée à traverser, les deux mains crispées sur le volant. À maintes reprises, hier, je me suis répété cette phrase qui me vient souvent quand il s'agit d'HFT : « Hubert, les folies que pour toi l'on commet »... J'ai vraiment flippé ma race, tiens !

Mais faut-il regretter l'audace qui ne m'a pas fait reculer devant le danger ? Surtout pas, voyons ! Dans ma voiture hier, ramenée à ma fragilité extrême, mise en face de la toute-puissance des éléments sur nous, je faisais le bilan de cette passion pour Hubert, celle-là même qui dure depuis presque trente ans. Une folie qui m'a sauvée et m'a empêchée d'être folle, comme dans la chanson... C'est sans doute parce que le ciel, au-dessus de ma tête, avait des allures de fin du monde, que j'ai fait un bref retour en arrière sur ma vie. Je me disais que jamais la jeune fille de 19 ans, découvrant Thiéfaine dans une R18 déglinguée en septembre 1992, n'aurait pu imaginer que l'impact reçu en plein cœur cette nuit-là ferait des ricochets sur une longue enfilade de décennies. Je me disais aussi que si cette jeune fille croisait la femme que je suis devenue, elle ne changerait peut-être pas de trottoir. C'est ce qu'il faut espérer.

Bref... Après avoir joué des coudes pour entrer dans le Palais des Congrès (et je note qu'il y aura toujours des sans-gêne qui, arrivés après moi, parviendront tout de même à me griller la place, je le dis en passant, comme si cela ne m'énervait que très peu, mais en fait, ça me fait bouillir), je me suis retrouvée assise à côté d'un joli minois sans rides. Je n'ai pas pu m'empêcher de demander à cette voisine comment elle avait atterri là, et pourquoi. Encore une histoire de transmission, comme cela arrive souvent dans le public d'Hubert. « C'est mon père qui m'a fait découvrir Thiéfaine. Il l'écoute depuis 40 ans. J'ai tout de suite été happée par cette poésie lunaire qui ne ressemble à rien d'autre ». On est bien d'accord ! Nous échangeons des mots forts en quelques minutes. Parfois, on ne sait pas pourquoi, une magie qui passe, un courant, une sympathie, et l'on raconte à un inconnu des choses que l'on ne confierait pas à son voisin. Dingue. La jeune femme me demande ce que je fais dans la vie. Et là, moment de grâce encore : quand je lui avoue, un peu craintive, ma profession, elle s'exclame : « Oh, j'adore l'allemand, c'est une langue merveilleuse ». Ce n'est pas tous les jours que l'on me rétorque ceci, d'où la crainte évoquée plus haut sous forme d'adjectif. Quand je vous dis que cette belle soirée ne reviendra jamais...

Une première partie : Archi Deep. Archi sympa, vraiment, mais il faudra que je prenne le temps d'écouter un peu plus tard, quand Hubert ne menacera plus de venir jeter (sans le vouloir, bien sûr) son ombre sur le tableau. Je n'y peux rien, j'ai du mal avec les premières parties de ses concerts. Sans doute parce que, d'une certaine manière, façon Éluard, je suis si près de lui que j'ai froid près des autres. Ah, l'intransigeance qui est la mienne, quand j'y pense !

Bon, inutile de s'abîmer dans ces digressions, venons-en au noyau, comme on dit en allemand : cette entrée sur La Ruelle des morts, c'est tellement beau, inattendu et doux. Quoi de plus puissant que ce rythme lent pour déplorer que rien ne demeure ? Quoi de plus magique que la délicatesse de ces instruments épousant la délicatesse d'une voix pour verser des larmes sur ce qui ne reviendra plus ?

J'ai pris de somptueuses claques hier. Ça y est, la tournée est bien lancée, les morceaux rôdés et huilés comme il faut. Le spectacle vous entre dans les oreilles et dans les yeux. Et dans la peau aussi, via d'innombrables frissons. Il faut prendre le temps de regarder les musiciens autant que de les écouter. Chacun apporte sa touche à l'édifice et l'alchimie est sans accroc. Personnellement, j'avoue avoir un petit faible pour Frédéric Gastard. J'adore le regarder mettre tout son coffre dans son saxo ou son espièglerie dans un petit déhanchement inattendu !

Les titres s'enchaînent, on en prend plein les écoutilles. Ma voisine est à fond, elle connaît toutes les chansons par cœur. À ma droite, une autre voisine, bien plus jeune encore. Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire au moment où, innocemment, elle scande ces paroles de Lorelei : « Reviens jouir mon amour dans ma bouche-agonie ». Ah, vraiment, ce mélange des générations, en plus d'être touchant, a un côté savoureux !

Sur La fille du coupeur de joints, on assiste, comme toujours, à une joyeuse explosion qui part dans tous les sens. Des gens se lèvent et se massent devant la scène, moi y compris. C'est là que toutes les hardiesses se rejoignent ; c'est là qu'un prof, au milieu de tout cela, se dirait : « Bon, c'est un fait, je ne tiens plus ma classe, elle m'a échappé ». C'est que le public d'Hubert n'est pas le plus docile qui soit ! Cette Fille du coupeur de joints, incomparable générique de fin, me sera toujours sympathique. Elle a le don de réunir dans ses vertiges les cheveux blonds, les cheveux gris, mais pas que. Elle fait communier toutes les individualités, les looks lisses et les un peu moins lisses. C'est toute une foule qui s'envole au même moment pour pédaler dans les nuages, et c'est beau, c'est l'effet magique d'Hubert, c'est indéniable.

À la fin, je cherche ma voisine, que j'ai laissée en plan sur La fille du coupeur de joints, lui confiant ma veste et mon sac à main et, du même coup, mes papiers, mon chéquier, ma clé de voiture, ma carte bancaire. Bien certaine qu'elle prendrait grand soin de toutes ces possessions qui soudain ne comptaient plus pour moi. Émues, nous nous remercions mutuellement pour le moment d'échange véritable. Je ressens une légère tristesse en la quittant (la nostalgie, camarade, je te dis !). Je pense aussi à la route qui m'attend. Et au courage dont il faudra s'armer face à l'avis de tempête ! 

Ah, Hubert, les folies que pour toi l'on commet !

Hubert, les folies que pour toi l'on commet, c'est la certitude d'atteindre le sommet ! Je sais, c'est une fin légèrement cucul la praline, mais rien de mieux ne me vient !

20/03/2022

Méthode de dissection d'un concert d'HFT : où se mêlent subtilement l'avant, le pendant et l'après !

"Es geht in jedem Augenblick etwas verloren". Robert SEETHALER

 

Un concert d'Hubert, c'est un ensemble tissé de trois moments distincts : avant, pendant et après.

L'avant, c'est généralement celui qui dure le plus longtemps. Ça démarre avec l'acquisition d'un billet qui a des allures de Saint Graal. Loin de n'être qu'un vulgaire bout de papier, le billet en question est une promesse. On peut, si l'on est un peu trouillard, méfiant, superstitieux, planquer la belle promesse dans un endroit dont on ne dira rien à personne (dans ces cas-là, il n'existe plus d'amis, plus de famille, plus un être digne de confiance ici-bas, je vous le dis comme je le vis). C'est qu'on en deviendrait totalement parano. Dernièrement, lors d'une vague de cambriolages qui a durement frappé le secteur dans lequel je vis, je me trimbalais avec pas moins de cinq billets de concert dans mon sac à main. Pure folie, n'est-ce pas ? Qui sait si, en voulant ainsi protéger jalousement mon doux trésor, je ne l'ai pas exposé à encore plus de risques ?! Maintenant, les promesses de papier sont cachées dans un lieu secret. « Que rigoureusement ma mère m'a défendue de nommer ici »... Je me demande quand même, soit dit en passant, s'il ne serait pas judicieux d'investir dans un coffre-fort !

Donc, cet avant, c'est la douceur même. Tu regardes ton billet et déjà les étoiles te dégoulinent droit dans les yeux. Tu imagines les chansons qu'HFT va te susurrer à l'oreille le grand soir. Tu rêves. Les jours qui précèdent, tu es dans un état qui confine, diront certains, à la démence. Tu fais tout pour te tenir à l'écart des possibles microbes qui auraient la faculté de venir brouiller ton bonheur. Ben oui, quoi, un mauvais rhume, une vilaine grippe, ou que sais-je encore, c'est le gâchis assuré. Et gâcher, dans ces moments-là, c'est sacrilège et c'est malédiction. Ensuite, il y a en toi cette euphorie grandissante que parfois, dans ton entourage le plus proche, on regarde d'un drôle d'air, de ce drôle d'air qui hésite entre la pitié et l'inquiétude. Ça y est, madame a de nouveau ses vapeurs... Ben oui, c'est l'effet magique d'HFT, dont j'ai déjà parlé. Quelques heures avant le concert, c'est un bouillonnement indescriptible qui renverse absolument toutes tes cellules. Où que tu sois, tu y es sans y être, la rétine déjà mangée par un ailleurs où se baladent, dans un décor abstrait, des dragons écarlates, d'inusables Lorelei, des cinglés sublimes, et j'en passe parce qu'ils sont légion, les bizarroïdes qui traversent l'œuvre de Thiéfaine...

Le mieux, dans ces moments-là, c'est de se rendre dès que possible sur le lieu du délice. Allez, huit heures avant le concert, voilà qui me paraît raisonnable, une panne est si vite arrivée. Faire la queue sans en avoir sa claque, c'est encore l'effet magique d'HFT. Rôder sur des parkings de misère, regarder, de loin ou de près, des gens siroter des bières et les entendre hurler sur la musique qui s'évade joyeusement d'une chignole à la tôle défraîchie. Se dire qu'on préfère, pour sa part, la sobriété. Dans un premier temps, en tout cas. Dans un deuxième temps, c'est HFT en personne qui viendra instiller l'ivresse dans nos veines. « Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse » : pas si sûr ! Moi, ce que je veux et exige, c'est l'ébriété de la plus noble  espèce, celle que seuls peuvent offrir en grande pompe les mots arrosés d'une musique et d'une voix qui se mettent divinement à leur service.

L'avant a ma préférence. C'est peut-être parce que j'ai lu trop tôt Maupassant et son « c'était fini d'attendre ». Adolescente, déjà, j'avais bloqué sur cette phrase. Elle me racontait avec une précision remarquable ce que j'étais : celle qui redoutait déjà le moment où l'attente prendrait fin. Car qui dit fin de l'attente dit aussi, quelque part, déjà, fin tout court. Ton concert d'HFT, tu l'espères pendant des mois, voire parfois des années, il te secoue avant même d'avoir eu lieu, et puis voilà que d'un seul coup tout devrait s'arrêter ? Les premières notes de musique qui se répandent dans la salle sont aussi celles qui conduiront vers les toutes dernières. C'est une loi immuable, malheureusement : tout ce qui commence court vers son terme.

Alors, quand le pendant palpite en nous et autour de nous, se dire : « Je n'ai pas le droit d'en perdre une miette ». C'est une enfilade d'instants qui ne tolère aucune inattention. Il faut être là à cent pour cent. Pas un pied ici et le regard ailleurs, non. Tout doit être enraciné ici et nulle part ailleurs. Il est même bon d'essayer de croire, dans ces moments-là, que le présent a l'éternel chevillé aux entournures. Carpe diem n'a jamais été aussi vrai.

Et, malheureusement encore, Carpe diem n'a jamais été aussi vain et déchirant. Sans prévenir, soudain, l'après est là, avec ses gros sabots boueux. Les lumières se rallument. Quelque part, derrière la scène, des coulisses accueillent des sueurs, des émotions, des étincelles qui vont s'éteindre. Voilà, c'est fini. En trois fois rien de temps, le temps est passé, comme un con incapable du moindre égard.

Au fond de toi, tu ranges ta belle attente, elle est morte, adieu. Tu peux aussi tourner la page du pendant, c'est tout pareil, il est mort, adieu, cloué dans un passé qui ne reviendra plus.

Alors, alors, commence l'après, celui où tu croises, dans un hall aseptisé, des attentes qui ont cessé d'être, des dingues et des paumés qui se retrouvent aussi démunis que toi. Une soudaine tendresse vous unit, même si dans la vraie vie, tout vous éloigne peut-être. Pour l'heure, il y a cet élan magique qui fait communier vos âmes. La quête que tu crois voir dans leurs yeux, c'est aussi la tienne. Celle qui se tend déjà vers l'avant d'un autre concert...

27/02/2022

"Signalement : yeux bleus, cheveux châtains" : Jane Birkin était au centre culturel Jean Lhôte, à Neuves-Maisons, hier soir !

"Croire aux cieux

croire aux dieux 

même quand tout nous semble odieux". Serge GAINSBOURG

 

Alors ça, pour une entrée en matière, c'est une entrée en matière : une version instrumentale (et raccourcie) de Je t'aime … moi non plus, nous plongeant d'emblée dans les grandes heures du tandem Gainsbourg-Birkin, celui-là même que je découvris quelques années avant HFT et qui sculpta tout autant ma vie d'adolescente. Deuxième chanson, sur la même lancée « héroïque » : Jane B.

Jane B., justement : c'est elle, cette femme de 75 ans, ayant récemment traversé plusieurs tempêtes, mais là, devant nous, debout, vaille que vaille. Durant tout le concert, elle s'appuiera sur un tabouret. Symbole émouvant d'une fragilité qui semble lui être venue comme ça, sans prévenir. Fragilité qu'elle est bien décidée à combattre pour ne donner que le meilleur d'elle-même. À côté de moi, une chaise vide. Symbole d'une absence étouffante, inguérissable, celle de ma mère. Sur la route qui me menait de chez moi à Neuves-Maisons hier soir (une heure de trajet), j'ai eu le temps de repasser le film dans ma tête. Birkin, ce serait comme le cordon ombilical qui me relierait à ma mère par-delà la mort. Birkin, nous l'avons vue plusieurs fois ensemble, nous l'avons aimée, nous avons forgé de solides souvenirs autour de sa personne. J'en garde un en particulier, comme une couverture chauffante sur la glace de l'absence : Sarreguemines, 1997 ou 1998, je ne sais plus très bien. Nous sommes là, à un concert de Jane, au premier rang. À un moment, les lumières s'allument dans la salle et Jane scrute quelques visages. Elle nous regarde, ma mère et moi, et nous dit tout en nous faisant un joli clin d'œil : « Moi aussi, je suis venue avec ma mère aujourd'hui, elle est dans le public ». Moment de grâce où j'ai été reconnue comme la fille de ma mère ! Il faut dire qu'il n'y avait pas de doute possible tant la ressemblance était (et est encore, paraît-il) frappante.

Je reviens au trajet d'hier soir. J'écoute le dernier album, ainsi que celui intitulé Enfants d'hiver (que j'adore). Je repasse en boucle les souvenirs : ma mère chantant à tue-tête Quoi ou L'anamour, sa chanson adorée. Et puis ma mère ne chantant plus. Emportée prématurément par un Accident Vraiment Con. Et surtout irrémédiable, imposant à ma vie sa loi dégueulasse, belliqueuse, sordide. Des années à traverser le désert, entre effroi et révolte. Pour les 61 ans de ma mère (que nous aurions dû fêter en mai 2009), j'avais tout prévu : je devais lui offrir une place pour un concert de Birkin. Mais ma mère mourut quelques mois plus tôt, creusant dans plusieurs existences un trou béant, géant. Le concert de Birkin, en mai 2009, je décidai d'y aller quand même, seule. Tout comme je décidai d'assister à tous ceux qui suivraient dans la région. J'en ai fait un paquet. Birkin est restée ce lien indéfectible entre ma mère et moi.

Donc, le concert d'hier, il était normal que j'y aille. Question de respect des traditions, pèlerinage. La soirée fut magique. Il y en avait pour tous les goûts : des chansons récentes, extraites du dernier album (ce pur joyau où Jane se raconte sans fard, tantôt en amoureuse déboussolée, tantôt en mère endeuillée), et des chansons anciennes. Un hommage inattendu à l'album Histoire de Melody Nelson, un de mes préférés de Gainsbourg. Des morceaux indétrônables, inaltérables : Quoi, Les dessous chics, Ex-fan des sixties, Di Doo Dah, Baby alone in Babylone, Ballade de Johny Jane (avec une construction géniale : un rythme lent au début, le tout prenant une accélération soudaine, négociant à la perfection les virages du « camion à benne »). Et puis Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve. Une chanson dont le titre est presque un traité de philosophie. Dont le message « croire aux cieux, croire aux dieux, même quand tout nous semble odieux » m'accompagne depuis si longtemps, avec toute la maladresse et les entorses à la règle dont je suis capable. Parfois, non, moi je n'y crois plus, ni aux cieux, ni aux dieux.

Je pensais que le concert s'ouvrirait sur Les jeux interdits, ma chanson favorite du dernier album, mais non : celle-là, nous l'avons eue vers la fin, et c'était très bien comme ça. Les lalala-lalala du refrain ont réuni Jane, ses musiciens et le public en une belle osmose dont on aurait voulu qu'elle ne s'arrête jamais. C'était comme une bulle de tendresse dans un monde qui sue de brutalité. On avait envie d'en redemander, tout en n'osant pas trop. Jane était fatiguée. Qu'aurait-elle pu nous donner de plus, elle qui venait de tout donner ? Les élans de générosité, c'est sa marque de fabrique.

Dans le hall du centre culturel, après le concert, je rejoins quelques acharnés qui attendent que Jane vienne faire une séance de dédicaces. Mais l'espoir est vite déçu : un membre de l'équipe vient nous dire qu'elle est trop fatiguée et qu'elle renonce. Laissons-la repartir, ce n'est pas grave. Nous ne risquons pas de nous sentir floués : un miracle vient de se produire. Jane B., 75 ans, certes fragile, mais là, debout, vaille que vaille, et allumant par milliers des étoiles dans des « yeux fiévreux »...