Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/06/2021

J'ai changé d'avis, comme dans la chanson d'Aubert !!!

"Y a du soleil dans ma rue mais je ne sais pas quoi en faire". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Il arrive que certaines chansons de Thiéfaine me donnent du fil à retordre. Justement parce qu'elles me semblent, de prime abord, rompre avec le fil conducteur de l'œuvre (oui, je pense qu'il y en a un). Ainsi, j'ai mis des années, je crois, avant d'intégrer « psychologiquement » Les mouches bleues à l'ensemble de l'édifice. Mytilène Island attendra encore...

Du soleil dans ma rue a bien failli connaître un sort identique. Première écoute : sidération. Oui, carrément. Une réaction du genre « mais qu'est-ce qu'il est allé nous faire là, notre Hubert ? ». J'ai découvert cette chanson un vendredi matin. Le dimanche suivant, après plusieurs auditions, j'étais catégorique : jamais je ne pourrais aimer ce titre. Et puis, et puis... Ce vendredi soir, je ne sais pas pourquoi, j'avais la mélodie dans la tête. Je repensais également aux paroles, qui m'avaient d'abord déconcertée, malgré une entrée en matière pourtant adoptée d'emblée : « Y a du soleil dans ma rue, mais je ne sais pas quoi en faire ». Avouez que c'est très thiéfainien, ça, avoir du soleil dans sa rue, mais ne savoir qu'en faire ! Youpi, c'est chouette, toute cette lumière et cette chaleur, mais pas moyen d'en tirer quelque chose. C'est comme les conneries de barbecues du mois de mai. C'est sympa, mignon, tout ce que vous voulez, mais quand on a un sentiment tragique de l'existence, impossible d'adhérer totalement !

Bref... Donc, ce vendredi soir, je réécoute la chanson. En mettant de côté mes premières réticences. Que je peux énumérer ici : ces chœurs féminins qui parsèment le morceau, cela me fait un effet bizarre, cela me rappelle les années 80, et même très précisément un truc qui martelait « il en a marre de cette nana » dans la chanson de Bruel. Autres réticences ? La musique, doucereuse, genre tube de l'été incitant à danser sur la plage, et les ruptures de rythme dans cette même musique.

Après mûre réflexion, et juste avant de réécouter la chanson, je me suis dit que ce n'était pas possible qu'Hubert ait eu l'intention de nous balancer un truc destiné à nous faire chalouper à côté d'un quelconque Club Mickey en juillet. Donc, je m'interroge avant de réécouter ladite ballade : tout cela ne serait-il pas plutôt traversé d'une profonde ironie ? Une expression me revient, inventée un jour par ma fille aînée à propos des femmes qui sortent avec des hommes plus âgés qu'elles : ce sont des cougars inversées. Et voilà l'analogie : ce morceau, faussement léger et sautillant, ne serait-ce pas un tube de l'été inversé ? Genre « je vous fais croire que, mais en fait pas du tout, loin de moi cette idée ». Quand on y regarde de plus près, le texte est d'un triste et d'un lourd incommensurables... C'est tout sauf un tube de l'été : ici, l'image du rat dans la poussière m'évoque Une charogne de l'ami Baudelaire. Là, « faisons semblant d'être amoureux » vient flinguer tout espoir d'une idylle sincère. L'amour n'est que de surface, un trompe-l'œil facétieux qui n'en pense pas moins. Que voulez-vous, « nous n'avons plus le temps d'imaginer l'amour au temps des sentiments »... De plus, la faucheuse rôde dans les parages, et elle est loin d'avoir pacifiquement déposé les armes. Au contraire : elle est capable de dézinguer quarante mille fois chacun des sept milliards d'humains que nous sommes.

Alors, Du soleil dans ma rue, petite guimauve, joli susucre, tendre romance ? Non, certainement pas : cette chanson, c'est l'absolu antitube de l'été !

Et vous, qu'en pensez-vous ? Et que dites-vous du titre de l'album à venir, Géographie du vide ? Pour moi, c'est très cioranesque, on n'est pas loin de Syllogismes de l'amertume, quelque chose comme ça. Bref, j'adore ! Ce que j'adore aussi, c'est être complètement déroutée (et avec Thiéfaine je suis servie, cela fait presque trente ans qu'il me promène de surprise en étonnement : jamais aucune autre œuvre ne m'aura autant amenée à écarquiller les yeux, ou plutôt les oreilles !). Ce que j'adore, c'est ne plus savoir sur quel pied danser. Croire d'abord, comme avec Du soleil dans ma rue, qu'il faut danser, puis me rendre compte qu'il n'en est pas question une seule seconde, et qu'il conviendrait plutôt, devant tant de misère, de s'écrouler de tout son long, dans la poussière, les bras en croix...

Oui, après mûre réflexion, j'adopte cette chanson, complètement ! C'est bizarre, mais c'est ainsi. Je ne suis pas avare de contradictions. Et comme dit la sagesse populaire, n'est-ce pas, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. C'est plutôt sympa de se dire ça pour conclure, cela permet de se ranger soi-même, tranquillos, dans la catégorie des non-imbéciles !

16/05/2021

Une équipe qui gagne !

"L'homme dérive

et la terre avec

de loin en loin 

un sanglot surnage". Paul VALET

 

C'est drôle, tout de même, n'est-ce pas, d'avoir fait d'un artiste son compagnon de vie ? D'avoir tellement intériorisé son œuvre qu'on la sent, qu'on la sait partie intégrante de soi-même... C'est une histoire d'affinités électives, j'imagine. Quelque chose nous prédestinait à rencontrer cette œuvre et à la recevoir en nous comme un grand choc. Quand on a connu ce genre de révélation (oui, carrément, révélation, j'ose le mot), on ne peut qu'en être infiniment reconnaissant à l'artiste qui l'a suscitée. Thiéfaine, ce fut pour moi, il y a presque trente ans, comme une décharge électrique. Délicieusement dévastée par la beauté d'un vers (« tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices »), je me mis à engloutir boulimiquement tout ce qui avait trait au chanteur jurassien (dont j'ignorais, d'ailleurs, qu'il était jurassien). À l'époque, on ne trouvait pas grand-chose sur le bonhomme. L'immense toile que nous connaissons aujourd'hui n'avait pas encore déployé ses ailes. HFT, c'était l'artiste un peu maudit, un peu obscur, sorti tout droit des bas-fonds, dont on se passait les albums sous le manteau. Une fois initié à son univers, on avait l'impression de faire partie d'un petit cercle où n'était pas forcément admis le premier venu. Et c'était bon de se sentir familier de ce monde interlope, peuplé de curieux personnages. C'était un peu comme un théâtre magique à la Hermann Hesse où l'on pouvait se réfugier à sa guise. Où il suffisait d'appuyer sur un bouton pour déclencher de vertigineuses émotions. On se sentait compris. Quelque part, quelqu'un avait su dire tout haut, et avec les mots qu'il fallait, ce qu'on ressentait tout bas. Je me souviens d'avoir pensé alors « je ne suis plus tout à fait seule ».

La découverte de cette œuvre fut pour moi à peu près ce que devait être celle de Romain Gary, quelques années plus tard. Impression d'arriver en terre familière, d'avoir trouvé le point d'ancrage vers lequel était tendue toute mon existence.

Il m'arrive de ne pas lire Gary et de ne pas écouter Thiéfaine pendant de longues périodes. Non qu'il y ait lassitude. Simplement, ces deux œuvres coulent en moi, et à flots, s'il vous plaît. J'en suis tellement imprégnée que les mois sans sont tout de même des mois avec. Comprenne qui pourra !

J'ai vu Thiéfaine presque cinquante fois en concert. Pourquoi se gêner puisque j'aime tellement ça ? J'ai beaucoup côtoyé l'œuvre (et je continue, bien sûr), mais pas l'homme. Cinq ou six rencontres comme ça, dans les loges d'une salle de concert. Ce n'est pas ce que je recherche, en fait. Thiéfaine, je n'ai rien à lui dire, c'est-à-dire qu'il y aurait trop à dire et que ce n'est pas la peine de commencer. À chaque fois, je me suis sentie gênée en face de lui. Comme si d'avoir fréquenté à ce point son œuvre m'avait ouvert impudiquement toutes les portes de son intimité. Je n'ai pas jugé utile de réitérer ces entrevues où j'étais plus godiche que spirituelle !!!

Certains parleront d'un truc malsain, peut-être, d'un fanatisme idiot dont il serait peut-être bon de se guérir (à mon âge, tout de même, c'est pas Dieu possible d'être encore fourrée dans des admirations pareilles !). On pourrait sans doute me conseiller une thérapie, un désenvoûtement, que sais-je ? Taratata, je vous balaie toutes ces bonnes intentions d'un revers de la main : on ne change pas une équipe qui gagne !

13/05/2021

Page noire : premières impressions.

"La terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd'hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l'assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l'homme n'aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu'un monde entièrement refait de sa main à son idée - et je doute qu'à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne". Julien GRACQ

 

Alors, vous aussi, vous vous l'êtes pris en pleine face, votre uppercut ? Personnellement, j'ai mal aux yeux en ce début d'après-midi, et je ne sais plus si c'est d'avoir trop fixé les écrans entre hier et aujourd'hui (et vas-y que je t'épluche les commentaires des uns et des autres, et vas-y que je te lance des recherches débridées sur Telemann, Mahler, le mont Sinaï, Rembrandt, et j'en passe), ou si c'est d'avoir trop pleuré devant tant de vérité crue. Cette Page noire, c'est notre époque qui nous saute à la gueule comme le retour d'une flamme qu'on ne pourrait plus maîtriser. T'as voulu jouer avec le feu, mon gars, eh bien danse, maintenant, au milieu de l'incontrôlable brasier ! Un de ces quatre matins, quand tout aura bien cramé, il ne te restera plus qu'à tenter de danser sur les braises moribondes d'un monde englouti.

Que dire, et par où commencer ? Première écoute hier, dans ma voiture, sur un parking. Pas possible d'être à la maison à 18 heures, mais j'avais quand même tout prévu. Être à l'heure dite devant mon téléphone : motif impérieux. Même que s'il avait fallu, je me serais fait une attestation pour ça. Il y a des fois où utiliser les formulaires d'autorisation de délirer de notre sinistre époque est justifié par un besoin vital.

Première écoute, premier coup de poing : ça cogne sévère. La voix d'Hubert dans un registre où on ne l'attendait pas. Le texte : un tsunami qui dévaste tout sur son passage. Un constat sans appel, et ce dès les premiers mots : plus le temps d'imaginer le pire. Peut-être parce que nous avons déjà les deux pieds dedans (ou au bord, je ne sais pas) et que penser pouvoir faire marche arrière serait folle prétention (en même temps, cela nous ressemblerait bien).

Quel regard Hubert pose-t-il sur les temps troublés où il nous faut vivre ? Nous brûlions de le savoir, n'est-ce pas ? Eh bien voilà, c'est là, sous nos yeux. Évidemment que ça ne pouvait pas être joyeux, évidemment que cela n'allait pas ressembler à un feu d'artifice où les belles bleues arrachent des cris de liesse à un public endimanché pour l'occasion.

Le clip ? Âmes sensibles s'abstenir. Ou, au moins, se préparer à quelque chose de violent. Moi, j'avoue que ces larmes de sang noir se répandant sur le sol, ça m'a retournée. Le visage d'Hubert figé dans un impitoyable plâtre, je n'ose même pas vous dire quelles images cela m'évoque. Bref... Au commencement du clip est le chaos. Un big bang désordonné d'où émerge, peu à peu, quelque chose. Et même quelqu'un. Hubert sur un socle de rêve. On sait, grâce à une autre chanson, que cela ne présage rien de bon. Qu'à un moment donné, chute ravageuse il y aura. Et cela arrive bel et bien. La tête tombe de son socle de rêve pour exploser en « millions d'étincelles ». La désagrégation s'amorce dans les sanglots orgiaques du saxo. Peu après, terminé, tout le monde descend. Retour au chaos originel. Fin de partie brutale, comme un couperet. La musique s'arrête sans prévenir, un peu comme la vie parfois. Et toi tu restes là, pantois(e), ne sachant que dire. Gardant en toi ce fracas qui t'a répandu(e), en morceaux, au sol. Oui, je sais, j'y vais un peu fort, peut-être. Mais je ne me suis pas remise de ce que j'ai vu et entendu hier, à 18 heures, sur un parking. Et j'en ai redemandé et repris toute la soirée, jusqu'à épuisement.

Ce nouveau titre est à l'image de bien d'autres : il réalise la prouesse de s'inscrire dans une certaine continuité tout en s'en éloignant. Un petit pas de côté qui n'est pas une rupture. Je vois là quelque chose qui s'apparente à un pied-de-nez, genre « vous pensiez me trouver ici, eh bien c'est ailleurs que je suis, encore plus loin, ailleurs ». C'est comme ça avec Hubert : pas de routine, pas de zone de confort. Toujours il lui faut explorer des territoires inconnus. Se mettre en danger. Marcher en zigzags au bord des falaises tout en scrutant l'horizon parce que même pas peur.

« On n'en finit jamais d'écrire la même chanson » : c'est vite dit !

12/05/2021

Page noire

"Nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire

d'imaginer la peur à l'heure du temps zéro

nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires

plus le temps de flirter avec les chaînes infos

notre besoin de paix, d'amour et d'illusion

s'est perdu dans le feu de notre hypocrisie

quand nous cherchions en vain, là-bas, dans les bas-fonds

sous le marbre des morts l'entrée d'un paradis

 

nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire

d'imaginer nos yeux de chiens hallucinés

nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires

plus le temps d'éviter à nos corps de sombrer

les rats inoculés ont quitté l'arrière-cour

et les mouches tombent avant de goûter au festin

quand de joyeux banquiers cherchent un nouveau tambour

pour battre le retour du veau d'or clandestin

 

nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire

d'imaginer nos lois tombant d'un Sinaï

nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires

plus le temps d'oublier ceux qui nous ont trahis

le décalogue se brise en milliards de versions

mais les nouveaux Moïse n'intéressent plus Rembrandt

et dans les ruines obscures des salles de rédaction

les rotatives annulent le Sacre du printemps

 

nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire

d'imaginer nos pleurs d'esclaves à Babylone

nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires

plus le temps de prier les vierges et les madones

j'entends les harmonies d'un chant de rémission

d'un cantique atonal aussi vieux que nos races

et puis j'entends les cloches de la résurrection

quand j'arrache le suaire qui nous colle à la face

 

nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire

d'imaginer nos rêves au rythme du chaos

nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires

plus le temps d'affronter la beauté de nos mots (maux ?)

j'ai rangé nos désirs au fond de l'univers

entre deux météores et une comète en feu

et j'ai mis de côté Telemann et Mahler

pour ne pas oublier la B.O. de nos jeux

 

nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire

d'imaginer l'amour au temps des sentiments

nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires

la nuit gronde et se lève du côté de l'Orient

les visions incolores des peuples asservis

demain joueront peut-être avec un jour nouveau

quand les enfants cosmos en visite à Paris

caresseront les chevreuils aux sorties du métro

 

Paroles : Hubert-Félix Thiéfaine

Musique : Arman Méliès

 

Rendez-vous à 18 heures !

https://youtu.be/1wyvh08fr4E

11/05/2021

Indéchiffrables hiéroglyphes, chapitre 2. Ou : "dans les carnets intimes du messager des runes"...

"Dans les carnets intimes du messager des runes

l'écriture est en transe et clignote à la une". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

J'ai passé la nuit en des contrées lointaines, à chevaucher des « dragons écarlates » et à mâcher, comme autant d'enivrantes chiques, d'énigmatiques hiéroglyphes superposés. Déjà, en temps normal, les hiéroglyphes, c'est coton. Mais imaginez-les donc en piles, se faisant la courte échelle pour atteindre Dieu sait quelle étoile invisible à l'œil nu. C'est, peut-être, toute la vie de Thiéfaine qui se tient résumée là : des mots, des mots, et encore des mots. Le petit truc indéchiffrable qu'on a découvert hier sur les réseaux sociaux et sur le site officiel, on dirait une ardoise. Ce n'est pas écrit noir sur blanc, mais blanc sur noir. Subtile différence. Avec notre artiste (je dis « notre », mais je ne m'illusionne pas : il ne nous appartient pas), rien n'est jamais, me semble-t-il, le fruit du hasard. Un message codé en contient dix autres, plus sibyllins encore. Blanc sur noir, donc : comme si l'écriture avait toujours été celle qui apportait un peu de clarté dans les ténèbres. J'ai bien dit un peu. Car la clarté qui semble s'afficher ici n'est clarté qu'en surface : partout, cela grouille de lignes illisibles. Palimpseste, oui, mais dont on n'aurait pas pris la peine d'effacer les premières versions. Pas le temps. Parce que parfois, l'écriture, ça urge. Ça te prend comme un galop.

J'en reviens au mystérieux manuscrit : ici ou là, tout de même, se dressent quelques mots plus distincts que les autres. Certains acharnés de la pierre de Rosette ont déjà lu « imaginer nos pleurs » ou encore « imaginer nos rêves ». Moi, hier soir, toute à mon ébullition, je n'ai absolument rien décrypté. Que ma joie d'être en ce mois de mai où, tout à coup, comme dans une chanson de Thiéfaine, j'ai miraculeusement « trouvé la fréquence que je n'attendais pas » !

« Mai, joli mai », vraiment : cela faisait des mois et des mois et encore des mois qu'Hubert était claquemuré dans le silence. C'en était même un peu flippant. Mais, comme je le disais hier, tous autant que nous sommes, nous y avons toujours cru. Impossible qu'il se taise en ces temps troublés. Impossible, surtout, qu'il nous laisse les traverser, ces temps troublés, sans nous indiquer, au moins un minimum, la lecture qu'il en fait. J'y ai toujours cru résolument, en un recoin caché de mon cœur que je n'ouvre à personne, pas même à moi !

On peut dire aussi que les mots qui nous ont été offerts hier se sont adaptés à l'époque : ils sont masqués. Enfin, ça, avec Thiéfaine, ce n'est pas nouveau, et je pense à toutes ces strophes qui me bercent depuis près de trente ans et auxquelles je ne pige toujours rien. D'ailleurs, ce mystère parmi tant d'autres n'est pas fait pour me déplaire. Ce qui s'offre sans jamais réserver aucune surprise n'a d'attrait qu'un certain temps. On s'en lasse. Moi en tout cas.

Alors, ces lignes emmêlées comme d'inextricables lianes, qu'est-ce donc ? La pochette du nouvel album ? Les mots qui ont servi à l'écriture de cet album ? Aucune idée, mais qu'importe puisqu'ils font rêver. En les regardant, je pense : 1) qu'ils sont beaux et que je les aime déjà, 2) que leur élégance à ne dévoiler que le strict minimum s'accorde bien avec une œuvre dont il est impossible d'explorer tous les mystères...

10/05/2021

Indéchiffrables hiéroglyphes...

"Il ne reste que la soif pour inventer des mondes moins affligeants que ce monde". André VELTER

 

Dites, vous avez vu ce que j'ai vu ? Sur le site officiel et partout où ceux qui côtoient le secret des dieux posent leur griffe, on voit la même image apparaître. Cela fait penser à la pierre de Rosette et, paraît-il, d'après quelqu'un de bien informé de mon entourage, aux œuvres de Roman Opalka. Cela tient aussi, un peu, du palimpseste qu'on aurait vingt fois remis sur le métier, comme un ouvrage qu'il conviendrait de reprendre sans cesse (pour quelle obscure raison, je ne sais). Ami fan de Thiéfaine, va-t'en donc te composer un espoir avec ça, essaie un peu, pour voir, alors que c'est trois fois rien, qu'on n'y comprend rien et qu'on n'en sait rien ! Et pourtant, bien sûr que tous ceux qui, comme moi, attendent dans un silence inquiet un nouvel album, que dis-je : LE nouvel album, bien sûr que nous sommes tous en train d'interroger les cieux : alors, cet opus espéré comme le messie, descendra-t-il bientôt jusqu'à nous, providentielle manne qui serait de taille à, d'un seul coup d'un seul, « recoller du soleil sur nos ailes d'albatros » ? C'est que nous avons soif, c'est que la traversée du désert a été longue. Mais nous n'avons pas manqué de courage, on peut même dire que nous nous sommes montrés sacrément vaillants. Pas d'album depuis 2014 !! C'est la première fois qu'Hubert nous fait poireauter ainsi, nous qui goûtons moyennement le pied-de-grue... Nous n'avons en aucun cas démérité, gardant intacte en nous la foi du charbonnier. Pas un d'entre nous, me semble-t-il, n'a imaginé une seule seconde (c'eût été blasphème) qu'Hubert nous lâcherait comme ça, que plus d'album, que plus rien. On le connaît, notre Bébert : ce qui l'anime, c'est une foi pas si éloignée de la nôtre. Ce qui le tient debout, contre vents et marées, c'est la création artistique.

Bon, moi j'y crois. Je ne suis pas Champollion, mais quelque chose me susurre cependant gentiment à l'oreille que ces hiéroglyphes-là sont porteurs d'une grande nouvelle. Si vous voyez ce que je veux dire. Je me suis déjà amusée à bidouiller lesdits hiéroglyphes dans tous les sens, celui des aiguilles d'une montre, celui contraire à celui des aiguilles d'une montre, celui contraire à toute logique (mon préféré). J'ai passé le tout au mixer de Photo Filtre. Bingo : quelques mots sont apparus. Un même verbe, à plusieurs reprises : imaginer. Imaginer quoi ? Moi je vous le dis déjà : la joie de serrer comme un amour précieux un petit joyau destiné à enchanter les mois, les années, les siècles qui viennent ! Amen, ai-je envie d'ajouter, alors je l'ajoute !!!

18/04/2021

"La vie est folle, libre et volage" : souvenirs d'un monde sans corona et avec Higelin...

"La vie est folle, libre et volage". Jacques HIGELIN

 

Vous souvenez-vous de Jacques Higelin ? Quand on l'a aimé, on l'aime encore, c'est sûr, et on ne peut l'oublier. Ah, ses concerts, c'était quelque chose ! Quand on a goûté à cela au moins une fois dans sa vie (mais une seule fois c'est dommage), on ne peut, par la suite, que se montrer intransigeant avec la fadeur ! Car Jacques sur scène, c'était tout sauf de la fadeur ! C'était un feu d'artifice, une explosion de folie qui partait dans tous les sens, un peu comme ses cheveux ébouriffés, qui semblaient stupéfaits eux-mêmes de se trouver sur un crâne aussi azimuté ! Jacques, c'était la fantaisie avec un grand F. Entre deux chansons (quand ce n'était pas au cœur même d'une chanson, d'ailleurs), il plongeait souvent dans des tirades kilométriques et délirantes. Je me souviens d'un soir où il avait appelé le public (à qui il disait « tu » comme à un seul homme ou à une seule femme, réunissant tous les opposés par la grâce de ce seul pronom) à défier la banalité quotidienne. « Le matin, on se lève, on shoote dans les croissants » : l'image ne m'a jamais quittée. J'aurais aimé la rendre possible dans ma propre vie, mais ce n'est pas forcément une évidence qui s'offre au premier venu. De temps en temps, quand même, quand mes filles et moi partons dans nos petites divagations, je me dis qu'on n'est pas mal point de vue shootage de croissants à l'aube. Ce midi, par exemple, Louise et moi avions décidé de donner des noms poétiques aux plats qui se succédaient sur notre table. D'abord, ce fut une moisson de riz accompagnée de fagots de poireaux et d'une onctueuse sauce ocre, puis une concassée de pommes de nos vergers saupoudrée d'une dentelle de cannelle. Il y avait un peu d'Higelin dans tout cela, je vous assure. Tout à coup, nous n'étions plus assises à notre banale table de cuisine, non : nous savourions des splendeurs culinaires préparées rien que pour nous par un grand chef. Eh bien, quand tu assistais à un concert d'Higelin, c'était pareil : tu étais soudain d'un autre monde et tu n'en revenais pas toi-même d'y avoir été catapulté(e). Jacques savait, quelques heures durant, te donner des ailes et te faire croire que toi aussi tu pourrais voler un jour. Magie de l'imaginaire. Pouvoir du magicien.

Quelques heures durant, disais-je : oui, et plus encore si affinités. Les concerts d'Higelin, on savait quand ils commençaient, mais on ne pouvait faire aucun pronostic sur leur durée. Quand le bonhomme était en forme et que le public lui donnait le répondant qu'il espérait, c'était parti pour un très long moment. Le plus drôle dans tout ça, c'est que cela ne nous semblait pas long et qu'on en redemandait, encore et encore. Parce qu'une fois la soif étanchée, on découvrait que finalement, elle ne pouvait l'être ! On pensait à telle ou telle chanson oubliée ce soir-là, et qu'on aurait voulu entendre. Alors quelques voix s'élevaient, ici ou là, et se mettaient à en fredonner la mélodie. Si Jacques était bien disposé, il y allait. Moments de bonheur qu'on n'oublie jamais. Et qui manquent maintenant, qui manquent tellement qu'on ne saurait le dire avec les mots qu'il faut.

Il y avait également l'incomparable démarche d'Higelin. On eût dit celle d'un danseur qui funambulait d'un rêve à un autre, nous emportant dans ses palpitations. Cela devait être ça, « flâner entre les intervalles », comme il disait.

Aux moments les plus sombres de mon existence, Jacques a toujours brillé comme un soleil. Il avait ce côté fortement ancré dans l'existence et qui te chope par la manche pour t'inciter à y rester, que n'a pas forcément Hubert-Félix Thiéfaine. J'ai souvent dit que j'avais besoin de ces deux compagnons. Avers et revers d'une même médaille gri-gri que je transbahute avec moi depuis, depuis … ouh la, ça fait longtemps. Tellement d'années que je n'ai plus assez de mes doigts pour les compter. Ou alors il faut faire trois tours, à peu près. D'accord, ça pique. Mais il y a deux chances incomparables que me confère mon grand âge : avoir vu Higelin pas loin de dix fois sur scène. Et avoir vu Hubert 47 fois, je crois. Il faudrait que je recompte pour être sûre. Mais 47, cela m'arrange bien, car c'est pile mon âge. Ce qui nous fait une moyenne d'une fois par an depuis la naissance. J'aime bien l'idée.

En attendant, puisque, aujourd'hui encore, c'est temps gris et vent contraire, comme dans la chanson d'Higelin, sortir ne s'impose pas. Je m'en vais donc m'écouter d'une même oreille reconnaissante d'abord Jacques, ensuite Hubert ! Ou d'abord Hubert, ensuite Jacques, on verra !