21/11/2021
En un mot comme en cent : inattendu !
"Je choisis toujours pour errer sur la terre les lieux où il y a assez de place pour tous ceux qui ne sont plus là". Romain GARY
En art, ce qui m'a toujours semblé primordial, c'est l'effet de surprise. Exemple dans le domaine que j'affectionne tout particulièrement : la littérature. Ce que j'aime, ce sont les images qui arrachent le lecteur à sa tranquillité assise, le faisant soudain décoller de son fauteuil. En d'autres termes, thiéfainiens cette fois : trouver la fréquence que je n'attendais pas, voilà quelque chose qui me fait bicher. J'ai rencontré cela chez Gary ou encore Bianciotti. Ces deux-là sont très forts pour mettre côte à côte des mots que l'on croyait définitivement fâchés, impropres à la fusion. J'ai trouvé cela chez Thiéfaine aussi. Notamment sous la forme d'oxymores vertigineux. On peut dire qu'HFT est l'orfèvre de l'oxymore. De « blancs corbeaux » en « noires étendues de neige », en passant par « scandale mélancolique », il y a là tout un théâtre magique où s'associent, tels de majestueux malfaiteurs, des termes que tout semblait devoir renvoyer à jamais dos à dos dans des geôles séparées. Pas de geôles ici, mais plutôt une explosion de liberté ! C'est la magie de l'inattendu. Dans l'œuvre de Thiéfaine, elle occupe une place phénoménale. « Toi qui entres ici, abandonne toute espérance », avertissait Dante. Ramenée à Thiéfaine, cette sentence pourrait être quelque chose comme « Toi qui entres ici, abandonne toute attente ». Il ne sert à rien d'attendre quoi que ce soit ici car, de toute façon, toute attente sera piégée (et n'est-ce pas merveilleux ?), toute zone de confort dézinguée comme il se doit. Façon rock'n'roll. Ainsi en est-il d'un grand nombre de chansons du nouvel album. J'aimerais revenir en particulier sur trois d'entre elles. Ce sont celles qui m'ont le plus déroutée au départ. Au sens premier du terme : « égarer quelqu'un de sa route ». Ça tombe bien : je raffole de ces sorties de route qui font découvrir les bosses du paysage quand la voie toute tracée n'en donnait à voir qu'un plan rectiligne et monotone.
D'abord Nuits blanches. Si l'on s'en tient à la lecture du texte, sans y associer aucune musique (imaginons qu'on ait encore les oreilles vierges de toute écoute), on est en droit d'attendre un ensemble mélancolique. Des accents déchirants, cafardeux. Or, il n'en est rien. Le rythme est enjoué, presque dansant, et la musique tourbillonnante. La première fois qu'on écoute cette chanson, on s'attend à une plongée dans d'obscurs abîmes. On a tout faux. Abandonner toute attente, disais-je. Car le musicien Lucas Thiéfaine joue ici avec l'auditeur comme la lumière, au matin, joue avec les vitraux : tout rythme qui semblerait vouloir s'installer ici est systématiquement démonté. On ne fait que tomber dans autre chose que ce à quoi on aurait pu s'attendre. Et l'adieu que semble véhiculer le texte (« je te laisse en partant mon sourire le plus doux, mes larmes les plus tendres et mes tendres murmures ») est démenti un peu plus loin. Il ne s'agit pas de prendre définitivement congé, il s'agit seulement d'apprendre à redevenir fou. Ouf, on aime mieux ça, d'abord parce que les adieux nous laminent, ensuite parce que la folie nous va si bien.
Prenons maintenant Prière pour Ba'al Azabab. Tiens, on pourrait, pour la qualifier, utiliser un oxymore : prière sacrilège. Ici, on ne frôle pas le blasphème, on y saute à pieds joints, avec cette jouissance qui ne s'offre qu'aux habitués du « rayon des fruits défendus ». Là aussi, musicalement, des ruptures, des claques, des secousses. Des petites strophes relativement pépères (j'ai bien écrit « relativement pépères » !) qui aboutissent en apothéose dans le feu d'artifice d'un refrain déjanté. J'ai écouté ça dernièrement assez fort en voiture, avec une amie, et nous avons fini par éclater de rire, tant était comique notre impression de trimbaler une discothèque où se jouaient de mystérieuses extases !
Enfin, j'en viens à L'idiot qu'on a toujours été dont l'architecture échappant à toute règle un tant soit peu raisonnable me ravit plus encore que les deux chansons précédemment évoquées. Là aussi, je crois que Lucas s'en est donné à cœur joie. Je le soupçonne même d'avoir bien ri à l'avance du petit tour qu'il allait nous jouer en nous livrant ce morceau où l'inattendu côtoie le barge, et sur une longue distance, s'il vous plaît. Cela commence tout doucement, dans une brume tranquille. Et puis voilà que le voyant solitaire du premier vers se met à clignoter sérieusement et même furieusement. Soudain, on ne le contrôle plus ! Le voilà qui imprime un rythme délirant à une musique qui part en roue libre. Là aussi, c'est une discothèque qui se déploie dans une splendeur baroque. Tu crois que, mais en fait non. Abandonne toute attente, toute croyance, je te dis. Ce qui t'est demandé ici est de l'ordre du subtil : il faut que tu viennes là en te dépouillant d'à peu près tout ce que tu connais. Que tu foules innocemment cette terre inconnue en refusant d'avance de la comparer à d'autres sols familiers.
« Après les ovations du dimanche des rameaux » marque une césure dans le morceau. On croirait soudain avoir affaire à un cantique d'église … si ce dernier n'était pas très vite envahi par de folles saccades qui transforment la musique en une orgie d'on ne sait plus trop quelle nature. Ah, que c'est bon ! Divin, même, tiens !
Et le plus surprenant a été gardé pour la fin : Thiéfaine se mue ici en sublime orateur revenu de toutes les transes (ou fonçant droit dessus, là non plus on ne sait plus trop). Ça monte, ça monte, ça monte encore, et paf, ça redescend brutalement. Puisqu'ici le silence a (et est) le dernier mot, le voilà qui impose sa loi : que plus rien ne bouge, et place à un autre monument de l'album : Combien de jours encore.
Impossible de le cacher : depuis le 8 octobre, je suis sous le charme de Géographie de vide. Je ne m'attendais pas à de telles étincelles. De bout en bout, on sent que l'équipe qui a travaillé sur ce joyau s'est éclatée. C'est audacieux, c'est espiègle, c'est désobéissant. Et moi je retrouve l'émotion de mes 19 ans, celle qui, lorsque je découvris Thiéfaine, me transbahuta fort loin, dans un autre monde. Ce n'est tout de même pas mal de pouvoir s'offrir ainsi, inopinément, une cure de jouvence !
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26/10/2021
Figures libres
"Dans la zone onirique où je gare ma planète
un vieux cadran fossile mesure le temps perdu". Hubert-Félix THIÉFAINE
Le lundi qui a suivi la sortie de Géographie du vide, un de mes collègues, croisé devant le portail du collège où je bosse (et où, parfois, j'ai plutôt l'impression de perdre ma vie à la gagner), m'a abordée de la sorte : « Une question me brûle les lèvres : comment est le dernier Thiéfaine ? ». Ce à quoi j'ai répondu : « Écoute, personnellement, j'adore, mais je ne suis peut-être pas la mieux placée pour en parler. Disons que je ne suis pas forcément objective ». Au fil des jours et des semaines, lisant ici et là les différents commentaires suscités par ce que certains qualifieraient volontiers d'objet du délit, quand moi je parlerais plutôt d'objet du délice, je me suis forgé une petite idée parmi bien d'autres : nul n'est objectif quand il parle de Thiéfaine, en tout cas parmi les gens qui le suivent depuis des décennies. J'ai rarement vu cela ailleurs. Il y a comme une frénésie, frôlant parfois l'absurde. C'est un fait : Hubert déchaîne les passions. Sans doute est-ce le propre des grands de ce monde, de ceux qui semblent miraculeusement pouvoir échapper à l'appellation « communs des mortels ».
À propos de cet album, j'ai lu, comme vous, je pense, tout et son contraire. Suivis, le tout et le contraire, de commentaires disant eux aussi tout et son contraire. Et ainsi de suite jusqu'à épuisement des arguments. Parfois jusqu'à empoignade virtuelle.
Alors, ce dernier album, c'est du Thiéfaine ou c'est pas du Thiéfaine ? C'est Thiéfaine reniant Thiéfaine, c'est Thiéfaine caricaturant Thiéfaine ? Oui, j'ai lu cela aussi, quelque part. Et cela m'a passablement contrariée. Qu'on n'aime pas une œuvre me semble tout à fait envisageable, mais qu'on aille la salir, la dézinguer, la bousiller sur cette place publique que sont désormais les réseaux sociaux : non ! Dans le village où j'ai passé mon enfance, les anciens disaient toujours : « Si tu n'aimes pas la soupe, c'est ton droit, mais n'en dégoûte pas les autres ». Sagesse populaire, certes, mais sagesse élémentaire.
Bon, il se trouve que pour ma part, j'ai été chanceuse et que je n'ai eu besoin que de quelques écoutes pour entrer dans ce nouvel album. Aujourd'hui, j'en aime toutes les chansons, toutes les couleurs, toutes les ambiances. C'est un véritable patchwork. C'est sûr, il peut requérir un peu de temps et de patience. Ce n'est pas l'album qui s'offre facilement, comme ça, en un tour de main. Et dire que certains peuvent avoir vu là-dedans un coup de commerce ! Il faudra m'expliquer ! Je répète ce que j'ai déjà écrit plusieurs fois ici (et même ailleurs) : je ne vois dans Géographie du vide que l'expression d'une audace folle. Je parlerais volontiers de témérité. Thiéfaine aurait pu se caricaturer, il aurait sans doute fait cela très bien, avec un peu d'entraînement, mais je crois que ce n'est pas le genre de la maison. « On n'en finit jamais d'écrire la même chanson » : même pas sûr !
Je vous livre ces lignes après avoir, ce soir encore, écouté l'album. Et après en avoir savouré toutes les infinies nuances. J'ai pleuré quand j'ai entendu Reykjavik. Cette chanson me bouleverse parce que oui, le cœur a ses raisons que soi-même on ignore. J'ai encore pleuré en entendant Combien de jours encore. Les paroles de cette chanson sont d'une complexité virtuose : elles disent tour à tour l'espèce de nostalgie qui peut vous étreindre quand on imagine la fin et le soulagement qu'on est en droit d'attendre de cette même fin. On peut ne pas follement aimer la vie, mais lui reconnaître tout de même quelques petits avantages.
Alors, ce dernier album, c'est du Thiéfaine ou c'en est pas ?! Je n'ai pas vraiment répondu à la question, mais pour moi il est évident que c'est trois fois oui. Géographie du vide, c'est Thiéfaine refusant d'aller dans le sens du courant, comme toujours. Il n'a jamais été, je crois, l'artiste des figures imposées. Toujours celui des figures libres, lui-même en étant une, et pas des moindres, non mais !
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17/10/2021
De l'audace avant toute chose !
« Sans prendre de risques, on est dans une situation un peu bourgeoise, on devient « Les Assis » de Rimbaud. Ça m'intéresse d'aller là où j'ai envie et non pas là où on me souhaite ». Hubert-Félix THIÉFAINE (extrait d'une interview donnée à L'Est Républicain).
Au début de mon précédent billet, je revenais sur ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Je disais l'émerveillement qui fut le mien alors, mais aussi l'étonnement. Jamais je n'avais rien entendu de tel. Il y avait là tout ce que j'avais toujours souhaité entendre sans jamais oser le demander, certaine que cela n'existait pas. Des musiques frôlant parfois l'ivresse (je pense notamment à celles d'Alambic/sortie-Sud). Des paroles flirtant avec le surréalisme (« j'étais beau comme un passage à niveau » n'étant qu'un exemple que je choisis parmi tant d'autres possibles !). Une ironie grinçante pouvant aller, si ça lui chantait, jusqu'au glaçant. Des pochettes un tantinet flippantes. À quelques semaines de mes 19 ans, j'adoptai d'une seule pièce cette galaxie totalement foutraque qui se faisait volontiers le refuge des bancroches et des estropiés. Des dingues et des paumés, quoi. Mes amis, pour la plupart, me regardaient bizarrement quand j'évoquais Thiéfaine. Ils trouvaient que son univers était glauque. Je ne partageais mon incandescente passion qu'avec de rares initiés. HFT, c'était comme une substance illicite qu'on se refilait sous le manteau, dans une arrière-cour obscure.
Si je tente d'analyser les choses avec le recul que devraient pouvoir m'offrir 29 ans de fouilles menées sans relâche dans une œuvre complexe et multiple, je peux dire que ce qui me happa d'emblée, c'est l'audace absolue qui la caractérisait. Du jamais entendu nulle part ailleurs, comme je l'écrivais plus haut. Du vertigineux qui me retournait l'âme, me la mettait sens dessus dessous tout en me l'apaisant !
Nous étions en septembre 1992. Thiéfaine avait déjà, dans les différents albums qu'il avait commis jusque là, montré la multitude de cordes dont il savait orner son arc. Des ruptures me sautaient aux yeux. Dernières balises avant mutation n'était pas De l'amour, de l'art ou du cochon. Chroniques bluesymentales ne ressemblait pas vraiment à Soleil cherche futur. Pourtant, dans ce dédale fait de zigzags et de virages, je percevais une réelle cohérence. Incontestablement, c'était le même artiste qui s'exprimait d'album en album. Cela ne faisait aucun doute pour moi qui découvrais tout simultanément, L'Agence des amants de madame Müller en même temps que Nyctalopus Airline. Je comprenais qu'entre les deux, le chanteur avait parcouru du chemin. Qu'il s'était renouvelé tout en restant lui-même.
8 octobre 2021. Presque trois décennies ont passé sur l'enchantement originel, sans jamais parvenir à lui coller une seule ride. Pas même un cheveu blanc. Que faut-il retenir de ce nouvel opus (nyctal-opus !!) qui en a déconcerté plus d'un, que ce soit parmi les fans de la première heure ou les récemment atterris sur la galaxie dont je parlais dans un autre paragraphe ? Eh bien, je dirais qu'il faut en retenir, une fois encore, la belle impertinence. Avec Hubert, ce n'est pas « on prend les mêmes et on recommence » ! Décliner indéfiniment Alambic/sortie-Sud et arpenter jusqu'à l'épuisement des territoires déjà explorés, très peu pour lui. Cela ne lui dit rien qui vaille de se tenir assis bien droit, comme dans le poème de Rimbaud. Assis veut dire immobile et frileux. Fonctionnaire, en somme, dans tout ce que cela a de pas très palpitant. Non, à 73 ans, Thiéfaine a choisi de troquer le fauteuil moelleux contre un sous-marin en folie ! Cap sur des profondeurs laissées vierges jusqu'à présent. Expédition dans les abysses, à des lieues de ce qu'il a déjà fait. Cela peut paraître inconfortable, voire incompréhensible, à certains. C'est qu'Hubert ne nous emmènera jamais que là où il a décidé d'aller lui-même. On suit ou on ne suit pas. Bon, ben moi je suis. Ce n'est pas que je sois le bon toutou à son maîmaître, mais il se trouve que cet album, je l'adore, du début à la fin, et que je n'ai pas eu à me forcer. En l'écoutant dans son ensemble, j'y ai perçu la même cohérence que celle que j'évoquais plus haut. Une grande liberté de ton aussi. J'adore que Géographie du vide s'ouvre sur Du soleil dans ma rue. Avec le premier vers, tu te crois rendu aux abords d'un été rougeoyant et tu te réjouis, toi qu'enchantent les canicules. Sauf que le deuxième vers te renverse, tel un couperet : Ok, du soleil, « mais je ne sais pas quoi en faire ». N'est-ce pas là un excellent résumé de l'œuvre tout entière ? Avec le premier vers, on a frôlé l'optimisme. Que c'en était même inquiétant ! Hubert ne nous a pas habitués à ça. Avec le deuxième vers, Hubert redevient Hubert. Faudrait tout de même pas aller croire qu'un miracle nous l'aurait réconcilié avec les « conneries de barbecues » ! Du soleil dans ma rue, c'est la chanson qui dit l'incompatibilité d'humeur entre HFT et la lumière. Tout l'album est un festival de choses inattendues. Jusqu'à la dernière chanson, Elle danse, dont le chanteur a dit qu'elle était un peu sa Madame Bovary. C'est-à-dire que sans doute, elle parle de lui, avec la pudeur que permet l'emploi du pronom personnel féminin, sorte de voile jeté sur la douleur. D'accord, il y a incompatibilité d'humeur entre lui et la lumière, mais cela ne l'a jamais empêché de danser. Peut-être même que c'est cela qui l'a fait danser. Genre sagesse tirée de Sénèque (« La vie, ce n'est pas d'attendre que l'orage passe, c'est d'apprendre à danser sous la pluie »).
Géographie du vide ou l'art de ne pas être là où on était attendu. L'art d'envoyer des pieds-de-nez, quand ce ne sont pas des doigts d'honneur, au déjà-vu. L'art de lui dire « je t'emmerde », mais avec une somptueuse élégance. Géographie du vide ou l'audace poussée à l'extrême (et notre chanteur a 73 ans, je le répète !).
Septembre 1992, octobre 2021 : à presque trente ans de distance, le même uppercut envoyé dans la face. Et vous savez quoi ? Je tendrais bien l'autre joue, manière de dire que j'en redemande !
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13/10/2021
Il se fait tard, mais j'ai encore envie de parler de Géographie du vide !
"Combien de jours encore et combien de tunnels
avant de chevaucher les années sans lumière
avant d'effeuiller l'ombre et le vide éternel
délivrés à jamais du poids de l'univers". Hubert-Félix THIÉFAINE
Lorsque je découvris Thiéfaine, il y a 29 ans déjà (bon sang, je m'en souviens pourtant comme si c'était hier – ça y est, voilà la phrase typique des vieux...), je fus submergée par une avalanche d'émotions diverses et variées. Dans certaines chansons, je trouvais une profonde déréliction qui ressemblait à celle qui me visitait régulièrement alors. Dans d'autres, je me prenais en pleine face une ironie mordante qui n'était pas pour me déplaire. J'adorais le côté inattendu de certains vers (cela allait de « tu as la splendeur d'un enterrement de première classe » à « ce soir je sais que Dieu est un fox à poil dur », en passant par « les quais seront encombrés de pendus » ou bien encore « je demanderai ta main pour la couper »). C'était, il faut bien le dire, du jamais vu, du jamais entendu nulle part ailleurs. De quoi me chambouler profondément. Pour la vie, même. Mais ça, je ne le savais pas encore...
J'aimai d'emblée les collisions inattendues entre certains mots qui semblaient devoir à tout jamais s'exclure. Mais non, ils devenaient soudain d'évidentes épousailles parce qu'un chanteur habile et audacieux avait su les faire se télescoper sauvagement !
Vingt-neuf ans et un mois plus tard, je découvre le 18ème album d'HFT. Le jour où il arrive dans ma boîte à lettres (je devrais dire à factures car plus personne n'écrit de lettres aujourd'hui et le courrier se résume à ce que nous envoient le Trésor Public et quelques autres acharnés des échéances à honorer), je l'ouvre avec une certaine émotion et même une légère appréhension. C'est toujours comme ça, les rendez-vous d'amour. On ne sait jamais à l'avance si cela va le faire ou pas. Quelques semaines plus tôt, j'ai entendu La fin du roman, et je n'ai pas vraiment accroché, alors je me demande de quoi ce nouvel album sera fait et si la magie va opérer comme tant de fois.
Première écoute déroutante. Je ne saurais dire si j'aime. Ce qui est certain, c'est que je suis surprise. Bousculée, même. Il faut dire que Géographie du vide renferme des choses inattendues. Notamment cette prière ébouriffée sur un rythme qui frôle la transe : « Seigneur fou des bacchanales, ne me délivrez pas du mal ». Mais pas que. La première idée qui me vient, en découvrant l'album, c'est « oxymore musical ». Thiéfaine et les musiciens avec lesquels il a travaillé font se rencontrer des univers qui auraient pu rester à tout jamais parallèles. L'idiot qu'on a toujours été en est peut-être le meilleur exemple. On lit le texte et l'on pourrait s'attendre à une musique type Annihilation ou En remontant le fleuve. Eh bien non, ce sera une « fresque musicale » (l'expression est de Thiéfaine) d'une ampleur vertigineuse. À un moment, on est presque dans le cantique. C'est une espèce de folie qui nous emporte dans toutes les ambiances possibles et imaginables (et même les inimaginables, on y a droit aussi : bingo !). Moi, ça m'évoque une espèce de toccata 2021 en folie ! Ou, dans un autre genre, les auto-tamponneuses à la fête foraine, quand elles vous foncent dessus tous azimuts et que vous ne pouvez qu'attendre le prochain choc qui vous dévissera la tête !
Du soleil dans ma rue ouvre le bal, avec son ironie tranchante comme un silex. Comment ai-je pu, il y a quelques mois, penser une seule seconde qu'il s'agissait là de premier degré ? Évidemment qu'on est dans la farce. Le truc s'annonce comme une romance et finit en charpie. « Faisons semblant d'être amoureux », c'est d'un triste : ça veut dire qu'on ne l'est pas... Alors la musiquette enjouée derrière, c'est du pipeau, bien sûr. Une manière de nous faire croire que, alors que non, pas du tout. Je note également la petite facétie qui fait chanter aux chœurs « Atmosphère » sur le même ton qu'Arletty. D'ailleurs, si on veut parler de facéties, eh bien, il y en a un peu partout dans l'album. On pourrait s'amuser à en faire le « recensement ». Si vous en constatez d'autres, n'hésitez pas à les mentionner. J'en ai relevé plusieurs, mais elles ne me reviennent plus, à cause de l'heure tardive.
Mais qu'on n'aille pas croire que tout se résume à un truc du style « farces et attrapes à tous les étages ». Non, ce serait trop simple. Bien que Thiéfaine se dise volontiers plus heureux aujourd'hui qu'il y a quelques années, on perçoit quand même encore, dans de nombreux textes, le « pantin déglingué » qui « traîne une vieille caisse marquée fragile ». Reykjavik, à ce propos, me bouleverse. J'y vois la complainte d'un homme qui ne sait pas bien où est sa place dans ce monde, ici ou ailleurs, c'est flou, brouillé, indétectable. Et me vient à l'esprit cette expression allemande que j'ai si souvent employée pour moi-même : « fehl am Platz ». C'est quand on ne se sent pas à sa place là où l'on est, pas là où on devrait être. Se sentir « fehl am Platz », pour moi, c'est boire jusqu'à la lie un sentiment d'étrangeté...
Reykjavik, donc, me bouleverse, mais aussi Vers la folie et Combien de jours encore. Voilà deux chansons que je rapprocherais de Petit matin : on les écoute à la fois avec délice et effroi. Elles sont d'une indicible beauté, mais elles mettent un peu mal à l'aise. C'est qu'on ne voudrait pas non plus se repaître du mal-être qui les a fait naître, n'est-ce pas...
Il y aurait tant à dire encore, mais il se fait réellement tard et je suis fatiguée ! Je voudrais bien trouver des mots corrects pour conclure, mais vers lesquels aller ? Je ne sais pas. Peut-être dire, simplement, que cet album m'enchante. Deux mots pour le caractériser ? Audace et insoumission. Voilà Thiéfaine sur un chemin où on ne l'attendait pas. Et il ne nous dit même pas « qui m'aime me suive », parce que je crois qu'il n'en a rien à battre, il est au-dessus de tout ça. Il a fait ce qui lui a plu et si ce n'est pas du goût de tous, rien à cirer.
Oser se réinventer à 73 ans, prendre, une fois encore, un virage en épingle à cheveux et foncer obstinément, j'y vois même plus que de l'audace et de l'insoumission, j'y vois une certaine forme de courage ! Alors je dis « chapeau bas » !
00:14 | Lien permanent | Commentaires (35)
10/10/2021
Géographie du vide : quelques impressions après d'intenses écoutes !
"On redevient toujours l'ombre qui sonne le glas
le trou noir qui dévore son étoile en faillite". Hubert-Félix THIÉFAINE
C'est la saison des chrysanthèmes et des « froides ténèbres ». La saison qui nous ramène à l'insondable silence qui entoure le marbre des tombes. Pas un mal qu'un nouvel album d'HFT nous arrive, telle une météorite, dans cette désolation.
Rembobinons le fil. Nous sommes le vendredi 8 octobre, c'est le jour tant attendu. Il est six heures du matin. Je découvre que l'intégralité de Géographie du vide est disponible sur YouTube. C'est plus fort que moi, je clique sur un morceau, puis deux, puis trois. D'abord Nuits blanches. Première impression : légèrement mitigée. J'adopte d'emblée le texte, mais la musique me semble en dissonance avec les mots que j'entends. Je suis déroutée. Pas grave, on verra plus tard. Je mets de côté. Je réserve, comme on dit en cuisine. Je clique sur L'idiot qu'on a toujours été. Des sons électro envahissent ma salle de bain. Là encore, je trouve les paroles gigantesques (je retiens « l'angle mort de mes saisons futures », « un vieux cadran fossile mesure le temps perdu »), « des visages austères qui ne reviendront plus »), mais la musique est loin de me convaincre. Allez, je réserve pour plus tard. Déjà deux chansons et je sens que ce nouvel album ne va pas s'offrir d'emblée, comme ça, à mon adhésion, qu'il va falloir escalader un peu pour en pénétrer (si tant est que cela soit possible) l'essence. Allez, cliquons sur un troisième morceau. Combien de jours encore. Alors là, c'est soudain le silence qui s'impose. Le CHOC. Pareil à ceux qui me vinrent, en d'autres temps, à la première écoute de Mathématiques souterraines, Autoroutes jeudi d'automne, Annihilation, et j'en passe parce qu'une liste exhaustive serait trop longue. Je sens que Combien de jours encore est la chanson élue parmi toutes les autres. Pour moi, en tout cas. Là, je ne réserve pas, je m'enivre, et à donf. Je n'écoute que cela sur la route sinueuse qui me mène au boulot. Dans ma salle de classe encore vide de tout élève, alors que j'allume l'ordinateur, j'écoute encore cette chanson. J'en suis fracassée. Carrément. Elle me parle, bien sûr, du temps qu'il reste à vivre et de l'horizon qui se rétrécit, mais aussi de tous ceux-là pour qui le temps s'est arrêté, pour qui le seul horizon possible est désormais la mémoire des vivants. Je pense à mon père, je pense à ma mère. Oui, il faut bien l'avouer, quand un artiste nous offre son œuvre, elle lui échappe. Une fois passée de notre côté, elle devient ce que notre vécu veut bien en faire, ce que notre imagination en saisit, ce que notre inconscient y lit !
Bon, il faut bien gagner sa vie, disait mon père, et c'est donc ce que je m'emploie à faire en ce vendredi qui devrait être férié pour tous ceux de la planète Thiéfaine. Mais bon, faut pas rêver avec les stakhanos qui nous gouvernent, tonitruants banquiers pour qui la poésie est un genre de peste bubonique qu'il convient d'endiguer... Alors j'accomplis en bon soldat les gestes quotidiens, je sais que dans quelques heures je débarquerai sur un autre astre, loin de toute contrainte.
11h30 : je rentre chez moi. J'ouvre le bel objet, fiévreusement. Comme il est beau, ce buste tout rapiécé ! Dans les morceaux recollés, je lis des cicatrices et des fêlures. Mais aussi la farouche volonté d'en découdre avec elles. Genre Phénix qui se serait réinventé sans même s'en apercevoir, après avoir fait voler son image en éclats.
L'album tourne dans la chaîne. Je suis déroutée, encore une fois. Mais je sens que c'est un mal pour un bien. Me voilà face à une œuvre inattendue, d'une extrême audace, pas une fille facile. Je tombe illico sous le charme de Vers la folie, dont je trouve l'ambiance et le thème flippants, caractéristiques souvent croisées dans l'univers d'HFT et qui ne sont pas pour me déplaire. Reykjavik prend tout de suite, dans mon esprit, des allures d'Automne à Tanger. Lui ou je, c'est du pareil au même pour dire l'étrangeté d'être ici plutôt que là. J'ai l'impression qu'un pont unit ces deux chansons, ne me demandez pas trop pourquoi. Sans doute parce que je sens que celui qui s'exprime ici est en butte à une anormalité qui le tient à l'écart de tout ce qui l'entoure.
Autre pont, peut-être complètement injustifié : Prière pour Ba'al Azabab me rappelle les accents loufoques de L'Agence des amants de madame Müller. On dirait que celui qui gueulait « je ne suis pas le mari de madame Müller » est revenu pour nous chanter avec délices les orgies maléfiques qui le piègent dans leurs filets. Et comme j'aime cette prière inversée : « Ne me délivrez pas du mal » ! C'est l'anachorète d'Exercice de simple provocation qui serait redevenu cénobite, ou quoi ?!
Voilà pour les premières impressions. Nous sommes toujours vendredi 8 octobre et je dois aller chercher ma fille aînée à l'internat. Je me mets en route un peu plus tôt qu'il ne faudrait, histoire de pouvoir aller faire mon traditionnel petit tour à la FNAC. Au rayon musique française, c'est l'album d'Hubert qui m'accueille. Il est en bonne place, à l'entrée dudit rayon. Mais aucune affiche ne surplombe les différents produits présents ici : coffrets, vinyles, CD. Je m'en étonne auprès d'un des employés du magasin. Il est lui-même étonné : il n'a rien reçu, aucune affiche. Il me dit de repasser dans quelques jours, on ne sait jamais. Ce que je compte faire, évidemment !
Bref... Et nous voilà dimanche. De nombreuses écoutes de Géographie du vide m'ont permis d'apprivoiser cet album. Plus encore : elles m'ont permis de l'adopter, totalement. Je suis scotchée par la hardiesse de l'ensemble. Ce n'est pas qu'Hubert ait souhaité rompre avec le rock, c'est plutôt, je crois, qu'il a souhaité tâter de tout à fait autre chose. Se réinventer. Au début, le truc me semblait bancal et les musiques pas vraiment adaptées au propos. Je retire ce que j'ai dit et pensé. C'est finalement une superbe orfèvrerie. À l'heure qu'il est, seule la musique de L'idiot qu'on a toujours été me reste encore impénétrable. Mais je réserve pour d'autres ivresses, que je crois possibles !
Tout le reste m'a conquise. Hubert-Félix Thiéfaine, 73 ans, et une féroce insoumission pour tout bagage. Avec Géographie du vide, on a droit à ce qu'on n'attendait pas. On prend ou on laisse, c'est selon. Moi je prends. À pleines mains !
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06/10/2021
Joie dans les cœurs et les chaumières : jour J moins deux !
"La sagesse est d'être fou lorsque les circonstances en valent la peine". Jean COCTEAU
Agitation, ébullition, bouillonnement, embrasement, tout ça, tout ça ! À deux jours de la Parution tant attendue, j'avoue que je suis aussi survoltée que peut l'être un élève à l'approche des vacances ! Un certain Fred06 comparait dernièrement cette excitation à celle qui précède un premier rendez-vous d'amour. Oui, trois fois oui, il y a quelque chose de cet ordre-là. Mieux que Tinder et Meetic réunis : HFT ! Je n'ai pas perdu le sommeil, mais c'est tout juste. Je ne rêve pas de l'album et de la tournée à venir, mais ça ne saurait tarder. Il faudrait d'ailleurs que mes rêves pensent à se mettre raccord complet avec l'événement de vendredi, non mais ! Tenez, cette nuit, j'ai rêvé de tout à fait autre chose : d'un autre type à trois initiales, JMB. Nettement moins glamour, cependant, qu'HFT. En plus, c'était d'un sérieux, ce truc... À pleurer. Je rencontrais JMB et lui faisais part de tout ce qui ne va pas dans l'Éducation nationale (le boulot me monte au ciboulot, punaise). Je lui envoyais à la figure une liste longue comme le bras. D'ailleurs, en théorie, je devrais y être encore, dans ce rêve, parce que ladite liste, déjà kilométrique, aurait pu être prolongée de quelques coudées encore. Bref... Là n'est pas le propos.
Donc, jour J moins deux. Sur France Inter, dans l'émission Le mur du son, j'ai pu entendre récemment deux autres extraits de Géographie du vide. Je sens que Combien de jours encore va me faire frissonner, vibrer, trembler !
Vendredi, je recevrai le CD par voie postale. Merveilleux hasard de mon emploi du temps : je serai rentrée chez moi à 11h30 du matin. En week-end ! J'aurai deux jours et demi pour faire résonner dans toutes les pièces de la maison cette Géographie du vide tant désirée ! Bon, quand même, le vendredi soir, pause, je m'autoriserai une petite infidélité, un pas de côté : j'irai écouter Miossec et La Chica à la salle Poirel, à Nancy. Nobody is perfect ! Ce n'est pas parce qu'on flirte sur Tinder qu'on doit refuser tout effleurement sur Meetic ! Mais sinon, voilà comment devrait s'organiser mon week-end : le moins de sorties possible. Me terrer au maximum et siroter comme il se doit le nectar sacré !
Petite question à l'approche du grand jour : comment allez-vous vivre tout cela ? Avez-vous des rituels quand il s'agit de découvrir un album d'HFT ? Dans quel ordre faites-vous les choses ? Ouvrez-vous d'abord le livret pour lire les paroles des chansons avant la première audition ? Moi, je fais tout en même temps : je déballe l'objet, je glisse le CD dans la chaîne, je lis les textes tout en écoutant l'album, je contemple les pages du livret, tout cela d'un seul et même tremblement ! Il faut que la maisonnée m'obéisse au doigt et à l'œil (c'est bien la seule fois où je sais faire preuve d'autorité) : silence absolu exigé !
J'ai un autre rituel : je m'arrange toujours, les jours où sort un album d'Hubert, pour aller fureter dans les rayons de la FNAC. Voir un peu si tout le monde a fait correctement son job là-dedans. Est-ce qu'Hubert est bien en tête de gondole ? La place qui lui revient de droit lui a-t-elle été faite ? Et puis, si je peux récupérer une affiche ou deux, ce n'est pas de refus, c'est pour ma petite collection, parfois même pour les murs de ma chambre (oui, j'avoue, j'ai un léger côté ado qui s'est attardée sur le quai et a laissé passer un certain nombre de trains !!!). Vendredi, donc, j'aurai mon CD dès le matin dans la boîte aux lettres, mais cela ne m'empêchera pas d'aller effectuer mon habituel contrôle à la FNAC, juste comme ça, pour voir...
09:52 | Lien permanent | Commentaires (22)
18/09/2021
Petite flamme
"Il fait grand deuil
En cette vie". André VELTER
Qu'elle est belle, cette petite flamme qui scintille dans les yeux de qui vient de découvrir Thiéfaine et s'en trouve émerveillé ! Comme elle en dit long, cette petite flamme, sur la claque qu'il a prise et à laquelle il ne s'attendait pas !
Explications : il y a un peu plus d'un an, j'avais parlé de Thiéfaine à un de mes collègues, un prof d'anglais, musicien non pas à ses heures perdues, comme on a coutume de le dire, mais plutôt à ses heures retrouvées, celles que l'on vit en dehors du carcan professionnel. Ce collègue n'est pas spécialement branché chanson française, il préfère tout ce qui vient d'Angleterre ou des États-Unis. Mais il est quand même toujours à l'affût de nouvelles découvertes. Donc, à la fin de l'année scolaire 2020, j'avais exposé à ce collègue ma passion pour l'œuvre d'Hubert, le tout en long, en large et en travers, avec sans doute une petite flamme dans les yeux, moi aussi. Ce collègue m'avait promis d'écouter HFT. Un an et des poussières plus tard, c'est chose faite. Et là, révélation de type électrochoc, claque monumentale. « Aha-Erlebnis », comme on dit dans cette langue de Goethe que j'aime tant. « Aha-Erlebnis », ce n'est pas l'événement qui vous agite quand vous découvrez le groupe Aha. Encore que cela soit possible aussi, après tout ! « Aha-Erlebnis », c'est le déclic qui vous tombe dessus et qui vous fait dire « Aha » ! Genre, pour mon collègue : « Aha, c'est donc ça, Thiéfaine » ! ». Ce « Aha-Erlebnis », vous et moi l'avons également connu un jour. Dans ma vie, ce fut, il y a presque trente ans, le point de départ d'une certaine folie, mais je ne regrette rien car c'est celle-là même qui m'a « toujours sauvée et m'a empêchée d'être folle ». Carrément. J'assume pleinement ces mots qui pourront paraître outranciers à ceux qui n'ont jamais eu besoin d'un accompagnement spécialisé pour vivre...
Bref, revenons à nos moutons : jeudi, mon collègue arrive et m'explique que ça y est, il a acheté les trois premiers albums de Thiéfaine, pour une somme dérisoire de surcroît. Et qu'il ne s'attendait pas à ça. Et qu'il n'en revient pas. Et qu'il s'en veut de ne pas avoir entamé cette vertigineuse plongée bien plus tôt. En substance, voilà ses propos : « Ouah, comme ça sonne, je n'imaginais pas que la langue française pouvait donner un tel rendu dans des chansons. On sent des influences venues d'un peu partout, du rock anglo-saxon, mais aussi de la bonne chanson française. C'est tellement inhabituel, tellement hors norme. Je suis bien décidé à me faire toute la discographie, chronologiquement. Et qu'est-ce que c'est bon musicalement aussi ».
Eh bien, voyez-vous, la petite flamme qui vibrait dans les yeux de mon collègue, elle a illuminé tout mon jeudi, tout mon vendredi, et elle me porte encore en ce samedi. Pour moi, elle est comme une madeleine de Proust qui ravive bien des souvenirs. Par une nuit de septembre 1992, je sortais un peu groggy d'une voiture où je venais d'entendre un chanteur au nom bizarre. Je rentrais chez moi avec une cassette qui allait tourner inlassablement dans un lecteur un peu poussif, tourner tant et tant qu'elle en deviendrait poussive elle aussi. Cette cassette, c'était celle sur la pochette de laquelle il y avait un clap de cinéma. Je crois qu'elle a été pour beaucoup d'entre nous le déclencheur de bien des aventures ! Il y a là une version très habitée des Dingues et des paumés. Le son monte, monte, monte, créant une impatience quasi palpable dans le public. Lorsque survient l'apogée, le rythme chauffe, et toute la salle itou. Et je suis bien certaine que si l'on avait pu voir les yeux de tous ceux qui eurent la chance de se trouver dans le public ce soir-là, on aurait pu y percevoir la petite flamme qui allait briller, quelques décennies plus tard, dans une salle des profs de Moselle !
12:36 | Lien permanent | Commentaires (25)
15/09/2021
Fil à retordre !
"Les soirs de juin sont tragiquement beaux, les vivre, c'est déjà les perdre, la beauté n'est beauté que parce qu'elle contient déjà en elle l'expérience de sa perte". Fabienne JACOB
Bon, bon, bon, il faut bien l'avouer : Hubert me donne du fil à retordre depuis quelque temps ! Et ce n'est pas La fin du roman qui viendra simplifier les choses et démêler l'imbroglio dans lequel me voilà perdue. Est-ce là un Thiéfaine nouvelle manière qui s'offre à nous, comme l'écrivait Delphine ? Il est évident que l'écriture s'est clarifiée. Pour autant, les paroles de La fin du roman continuent à receler de nombreux mystères pour moi. Je ne vois pas bien où HFT veut en venir. Fin de quel roman ? Fin d'une civilisation, déjà dépeinte dans Page noire ? Fin d'un chapitre ? Fin de quoi, nom de nom ? Mystère et boule de gomme.
En tout cas, si Du soleil dans ma rue, après m'avoir désarçonnée, a fini par gagner mon affection, La fin du roman se voit pour le moment perdante sur toute la ligne. Déjà, je n'en aime guère la musique. Les paroles, ben, je l'ai déjà écrit plus haut, je n'y pige tout bonnement que dalle, éclairez-moi si votre lanterne y voit mieux que la mienne ! Un point positif à mes yeux, cependant, car il ne saurait y avoir d'obscurité absolue : la voix d'Hubert reste inchangée, belle et assurée. Pas un tremblement qui trahirait la moindre faiblesse. Allez, Cath, console-toi, cette voix qui demeure ferme en dépit du temps qui assassine bien des choses, c'est déjà beaucoup !
Console-toi aussi en te rappelant les albums précédents, qui ne remportèrent pas ton adhésion totale, loin s'en faut. On ne peut pas plaire à tout le monde et à son père, disait le mien, de père. On ne peut pas plaire à tous les coups, dirais-je aujourd'hui dans le contexte qui me fait écrire ce billet.
Alors, oui, je suis un peu déçue. Mais j'essaie de me reprendre illico. De quel droit serais-je déçue ? Après tout, Hubert ne me doit rien, ni à moi, ni à quiconque. Pas même la quasi perfection à laquelle il nous a habitués. Après presque trente années d'un compagnonnage fébrile, proche d'une certaine folie, n'est-ce pas moi qui dois quelque chose à Hubert ? Si, il me semble. Je lui dois un peu d'indulgence. Un peu de patience aussi. Jusqu'au 8 octobre, jour où je découvrirai l'album et où peut-être, insérée dans un ensemble sans doute assez cohérent, la chanson que je juge « coupable » aujourd'hui m'apparaîtra comme une pierre logique de l'édifice...
12:15 | Lien permanent | Commentaires (29)