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13/10/2021

Il se fait tard, mais j'ai encore envie de parler de Géographie du vide !

"Combien de jours encore et combien de tunnels

avant de chevaucher les années sans lumière

avant d'effeuiller l'ombre et le vide éternel

délivrés à jamais du poids de l'univers". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Lorsque je découvris Thiéfaine, il y a 29 ans déjà (bon sang, je m'en souviens pourtant comme si c'était hier – ça y est, voilà la phrase typique des vieux...), je fus submergée par une avalanche d'émotions diverses et variées. Dans certaines chansons, je trouvais une profonde déréliction qui ressemblait à celle qui me visitait régulièrement alors. Dans d'autres, je me prenais en pleine face une ironie mordante qui n'était pas pour me déplaire. J'adorais le côté inattendu de certains vers (cela allait de « tu as la splendeur d'un enterrement de première classe » à « ce soir je sais que Dieu est un fox à poil dur », en passant par « les quais seront encombrés de pendus » ou bien encore « je demanderai ta main pour la couper »). C'était, il faut bien le dire, du jamais vu, du jamais entendu nulle part ailleurs. De quoi me chambouler profondément. Pour la vie, même. Mais ça, je ne le savais pas encore...

J'aimai d'emblée les collisions inattendues entre certains mots qui semblaient devoir à tout jamais s'exclure. Mais non, ils devenaient soudain d'évidentes épousailles parce qu'un chanteur habile et audacieux avait su les faire se télescoper sauvagement !

Vingt-neuf ans et un mois plus tard, je découvre le 18ème album d'HFT. Le jour où il arrive dans ma boîte à lettres (je devrais dire à factures car plus personne n'écrit de lettres aujourd'hui et le courrier se résume à ce que nous envoient le Trésor Public et quelques autres acharnés des échéances à honorer), je l'ouvre avec une certaine émotion et même une légère appréhension. C'est toujours comme ça, les rendez-vous d'amour. On ne sait jamais à l'avance si cela va le faire ou pas. Quelques semaines plus tôt, j'ai entendu La fin du roman, et je n'ai pas vraiment accroché, alors je me demande de quoi ce nouvel album sera fait et si la magie va opérer comme tant de fois.

Première écoute déroutante. Je ne saurais dire si j'aime. Ce qui est certain, c'est que je suis surprise. Bousculée, même. Il faut dire que Géographie du vide renferme des choses inattendues. Notamment cette prière ébouriffée sur un rythme qui frôle la transe : « Seigneur fou des bacchanales, ne me délivrez pas du mal ». Mais pas que. La première idée qui me vient, en découvrant l'album, c'est « oxymore musical ». Thiéfaine et les musiciens avec lesquels il a travaillé font se rencontrer des univers qui auraient pu rester à tout jamais parallèles. L'idiot qu'on a toujours été en est peut-être le meilleur exemple. On lit le texte et l'on pourrait s'attendre à une musique type Annihilation ou En remontant le fleuve. Eh bien non, ce sera une « fresque musicale » (l'expression est de Thiéfaine) d'une ampleur vertigineuse. À un moment, on est presque dans le cantique. C'est une espèce de folie qui nous emporte dans toutes les ambiances possibles et imaginables (et même les inimaginables, on y a droit aussi : bingo !). Moi, ça m'évoque une espèce de toccata 2021 en folie ! Ou, dans un autre genre, les auto-tamponneuses à la fête foraine, quand elles vous foncent dessus tous azimuts et que vous ne pouvez qu'attendre le prochain choc qui vous dévissera la tête !

Du soleil dans ma rue ouvre le bal, avec son ironie tranchante comme un silex. Comment ai-je pu, il y a quelques mois, penser une seule seconde qu'il s'agissait là de premier degré ? Évidemment qu'on est dans la farce. Le truc s'annonce comme une romance et finit en charpie. « Faisons semblant d'être amoureux », c'est d'un triste : ça veut dire qu'on ne l'est pas... Alors la musiquette enjouée derrière, c'est du pipeau, bien sûr. Une manière de nous faire croire que, alors que non, pas du tout. Je note également la petite facétie qui fait chanter aux chœurs « Atmosphère » sur le même ton qu'Arletty. D'ailleurs, si on veut parler de facéties, eh bien, il y en a un peu partout dans l'album. On pourrait s'amuser à en faire le « recensement ». Si vous en constatez d'autres, n'hésitez pas à les mentionner. J'en ai relevé plusieurs, mais elles ne me reviennent plus, à cause de l'heure tardive.

Mais qu'on n'aille pas croire que tout se résume à un truc du style « farces et attrapes à tous les étages ». Non, ce serait trop simple. Bien que Thiéfaine se dise volontiers plus heureux aujourd'hui qu'il y a quelques années, on perçoit quand même encore, dans de nombreux textes, le « pantin déglingué » qui « traîne une vieille caisse marquée fragile ». Reykjavik, à ce propos, me bouleverse. J'y vois la complainte d'un homme qui ne sait pas bien où est sa place dans ce monde, ici ou ailleurs, c'est flou, brouillé, indétectable. Et me vient à l'esprit cette expression allemande que j'ai si souvent employée pour moi-même : « fehl am Platz ». C'est quand on ne se sent pas à sa place là où l'on est, pas là où on devrait être. Se sentir « fehl am Platz », pour moi, c'est boire jusqu'à la lie un sentiment d'étrangeté...

Reykjavik, donc, me bouleverse, mais aussi Vers la folie et Combien de jours encore. Voilà deux chansons que je rapprocherais de Petit matin : on les écoute à la fois avec délice et effroi. Elles sont d'une indicible beauté, mais elles mettent un peu mal à l'aise. C'est qu'on ne voudrait pas non plus se repaître du mal-être qui les a fait naître, n'est-ce pas...

Il y aurait tant à dire encore, mais il se fait réellement tard et je suis fatiguée ! Je voudrais bien trouver des mots corrects pour conclure, mais vers lesquels aller ? Je ne sais pas. Peut-être dire, simplement, que cet album m'enchante. Deux mots pour le caractériser ? Audace et insoumission. Voilà Thiéfaine sur un chemin où on ne l'attendait pas. Et il ne nous dit même pas « qui m'aime me suive », parce que je crois qu'il n'en a rien à battre, il est au-dessus de tout ça. Il a fait ce qui lui a plu et si ce n'est pas du goût de tous, rien à cirer.

Oser se réinventer à 73 ans, prendre, une fois encore, un virage en épingle à cheveux et foncer obstinément, j'y vois même plus que de l'audace et de l'insoumission, j'y vois une certaine forme de courage ! Alors je dis « chapeau bas » !

 

10/10/2021

Géographie du vide : quelques impressions après d'intenses écoutes !

"On redevient toujours l'ombre qui sonne le glas

le trou noir qui dévore son étoile en faillite". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

C'est la saison des chrysanthèmes et des « froides ténèbres ». La saison qui nous ramène à l'insondable silence qui entoure le marbre des tombes. Pas un mal qu'un nouvel album d'HFT nous arrive, telle une météorite, dans cette désolation.

Rembobinons le fil. Nous sommes le vendredi 8 octobre, c'est le jour tant attendu. Il est six heures du matin. Je découvre que l'intégralité de Géographie du vide est disponible sur YouTube. C'est plus fort que moi, je clique sur un morceau, puis deux, puis trois. D'abord Nuits blanches. Première impression : légèrement mitigée. J'adopte d'emblée le texte, mais la musique me semble en dissonance avec les mots que j'entends. Je suis déroutée. Pas grave, on verra plus tard. Je mets de côté. Je réserve, comme on dit en cuisine. Je clique sur L'idiot qu'on a toujours été. Des sons électro envahissent ma salle de bain. Là encore, je trouve les paroles gigantesques (je retiens « l'angle mort de mes saisons futures », « un vieux cadran fossile mesure le temps perdu »), « des visages austères qui ne reviendront plus »), mais la musique est loin de me convaincre. Allez, je réserve pour plus tard. Déjà deux chansons et je sens que ce nouvel album ne va pas s'offrir d'emblée, comme ça, à mon adhésion, qu'il va falloir escalader un peu pour en pénétrer (si tant est que cela soit possible) l'essence. Allez, cliquons sur un troisième morceau. Combien de jours encore. Alors là, c'est soudain le silence qui s'impose. Le CHOC. Pareil à ceux qui me vinrent, en d'autres temps, à la première écoute de Mathématiques souterraines, Autoroutes jeudi d'automne, Annihilation, et j'en passe parce qu'une liste exhaustive serait trop longue. Je sens que Combien de jours encore est la chanson élue parmi toutes les autres. Pour moi, en tout cas. Là, je ne réserve pas, je m'enivre, et à donf. Je n'écoute que cela sur la route sinueuse qui me mène au boulot. Dans ma salle de classe encore vide de tout élève, alors que j'allume l'ordinateur, j'écoute encore cette chanson. J'en suis fracassée. Carrément. Elle me parle, bien sûr, du temps qu'il reste à vivre et de l'horizon qui se rétrécit, mais aussi de tous ceux-là pour qui le temps s'est arrêté, pour qui le seul horizon possible est désormais la mémoire des vivants. Je pense à mon père, je pense à ma mère. Oui, il faut bien l'avouer, quand un artiste nous offre son œuvre, elle lui échappe. Une fois passée de notre côté, elle devient ce que notre vécu veut bien en faire, ce que notre imagination en saisit, ce que notre inconscient y lit !

Bon, il faut bien gagner sa vie, disait mon père, et c'est donc ce que je m'emploie à faire en ce vendredi qui devrait être férié pour tous ceux de la planète Thiéfaine. Mais bon, faut pas rêver avec les stakhanos qui nous gouvernent, tonitruants banquiers pour qui la poésie est un genre de peste bubonique qu'il convient d'endiguer... Alors j'accomplis en bon soldat les gestes quotidiens, je sais que dans quelques heures je débarquerai sur un autre astre, loin de toute contrainte.

11h30 : je rentre chez moi. J'ouvre le bel objet, fiévreusement. Comme il est beau, ce buste tout rapiécé ! Dans les morceaux recollés, je lis des cicatrices et des fêlures. Mais aussi la farouche volonté d'en découdre avec elles. Genre Phénix qui se serait réinventé sans même s'en apercevoir, après avoir fait voler son image en éclats.

L'album tourne dans la chaîne. Je suis déroutée, encore une fois. Mais je sens que c'est un mal pour un bien. Me voilà face à une œuvre inattendue, d'une extrême audace, pas une fille facile. Je tombe illico sous le charme de Vers la folie, dont je trouve l'ambiance et le thème flippants, caractéristiques souvent croisées dans l'univers d'HFT et qui ne sont pas pour me déplaire. Reykjavik prend tout de suite, dans mon esprit, des allures d'Automne à Tanger. Lui ou je, c'est du pareil au même pour dire l'étrangeté d'être ici plutôt que là. J'ai l'impression qu'un pont unit ces deux chansons, ne me demandez pas trop pourquoi. Sans doute parce que je sens que celui qui s'exprime ici est en butte à une anormalité qui le tient à l'écart de tout ce qui l'entoure.

Autre pont, peut-être complètement injustifié : Prière pour Ba'al Azabab me rappelle les accents loufoques de L'Agence des amants de madame Müller. On dirait que celui qui gueulait « je ne suis pas le mari de madame Müller » est revenu pour nous chanter avec délices les orgies maléfiques qui le piègent dans leurs filets. Et comme j'aime cette prière inversée : « Ne me délivrez pas du mal » ! C'est l'anachorète d'Exercice de simple provocation qui serait redevenu cénobite, ou quoi ?!

Voilà pour les premières impressions. Nous sommes toujours vendredi 8 octobre et je dois aller chercher ma fille aînée à l'internat. Je me mets en route un peu plus tôt qu'il ne faudrait, histoire de pouvoir aller faire mon traditionnel petit tour à la FNAC. Au rayon musique française, c'est l'album d'Hubert qui m'accueille. Il est en bonne place, à l'entrée dudit rayon. Mais aucune affiche ne surplombe les différents produits présents ici : coffrets, vinyles, CD. Je m'en étonne auprès d'un des employés du magasin. Il est lui-même étonné : il n'a rien reçu, aucune affiche. Il me dit de repasser dans quelques jours, on ne sait jamais. Ce que je compte faire, évidemment !

Bref... Et nous voilà dimanche. De nombreuses écoutes de Géographie du vide m'ont permis d'apprivoiser cet album. Plus encore : elles m'ont permis de l'adopter, totalement. Je suis scotchée par la hardiesse de l'ensemble. Ce n'est pas qu'Hubert ait souhaité rompre avec le rock, c'est plutôt, je crois, qu'il a souhaité tâter de tout à fait autre chose. Se réinventer. Au début, le truc me semblait bancal et les musiques pas vraiment adaptées au propos. Je retire ce que j'ai dit et pensé. C'est finalement une superbe orfèvrerie. À l'heure qu'il est, seule la musique de L'idiot qu'on a toujours été me reste encore impénétrable. Mais je réserve pour d'autres ivresses, que je crois possibles !

Tout le reste m'a conquise. Hubert-Félix Thiéfaine, 73 ans, et une féroce insoumission pour tout bagage. Avec Géographie du vide, on a droit à ce qu'on n'attendait pas. On prend ou on laisse, c'est selon. Moi je prends. À pleines mains !

06/10/2021

Joie dans les cœurs et les chaumières : jour J moins deux !

"La sagesse est d'être fou lorsque les circonstances en valent la peine". Jean COCTEAU

 

Agitation, ébullition, bouillonnement, embrasement, tout ça, tout ça ! À deux jours de la Parution tant attendue, j'avoue que je suis aussi survoltée que peut l'être un élève à l'approche des vacances ! Un certain Fred06 comparait dernièrement cette excitation à celle qui précède un premier rendez-vous d'amour. Oui, trois fois oui, il y a quelque chose de cet ordre-là. Mieux que Tinder et Meetic réunis : HFT ! Je n'ai pas perdu le sommeil, mais c'est tout juste. Je ne rêve pas de l'album et de la tournée à venir, mais ça ne saurait tarder. Il faudrait d'ailleurs que mes rêves pensent à se mettre raccord complet avec l'événement de vendredi, non mais ! Tenez, cette nuit, j'ai rêvé de tout à fait autre chose : d'un autre type à trois initiales, JMB. Nettement moins glamour, cependant, qu'HFT. En plus, c'était d'un sérieux, ce truc... À pleurer. Je rencontrais JMB et lui faisais part de tout ce qui ne va pas dans l'Éducation nationale (le boulot me monte au ciboulot, punaise). Je lui envoyais à la figure une liste longue comme le bras. D'ailleurs, en théorie, je devrais y être encore, dans ce rêve, parce que ladite liste, déjà kilométrique, aurait pu être prolongée de quelques coudées encore. Bref... Là n'est pas le propos.

Donc, jour J moins deux. Sur France Inter, dans l'émission Le mur du son, j'ai pu entendre récemment deux autres extraits de Géographie du vide. Je sens que Combien de jours encore va me faire frissonner, vibrer, trembler !

Vendredi, je recevrai le CD par voie postale. Merveilleux hasard de mon emploi du temps : je serai rentrée chez moi à 11h30 du matin. En week-end ! J'aurai deux jours et demi pour faire résonner dans toutes les pièces de la maison cette Géographie du vide tant désirée ! Bon, quand même, le vendredi soir, pause, je m'autoriserai une petite infidélité, un pas de côté : j'irai écouter Miossec et La Chica à la salle Poirel, à Nancy. Nobody is perfect ! Ce n'est pas parce qu'on flirte sur Tinder qu'on doit refuser tout effleurement sur Meetic ! Mais sinon, voilà comment devrait s'organiser mon week-end : le moins de sorties possible. Me terrer au maximum et siroter comme il se doit le nectar sacré !

Petite question à l'approche du grand jour : comment allez-vous vivre tout cela ? Avez-vous des rituels quand il s'agit de découvrir un album d'HFT ? Dans quel ordre faites-vous les choses ? Ouvrez-vous d'abord le livret pour lire les paroles des chansons avant la première audition ? Moi, je fais tout en même temps : je déballe l'objet, je glisse le CD dans la chaîne, je lis les textes tout en écoutant l'album, je contemple les pages du livret, tout cela d'un seul et même tremblement ! Il faut que la maisonnée m'obéisse au doigt et à l'œil (c'est bien la seule fois où je sais faire preuve d'autorité) : silence absolu exigé !

J'ai un autre rituel : je m'arrange toujours, les jours où sort un album d'Hubert, pour aller fureter dans les rayons de la FNAC. Voir un peu si tout le monde a fait correctement son job là-dedans. Est-ce qu'Hubert est bien en tête de gondole ? La place qui lui revient de droit lui a-t-elle été faite ? Et puis, si je peux récupérer une affiche ou deux, ce n'est pas de refus, c'est pour ma petite collection, parfois même pour les murs de ma chambre (oui, j'avoue, j'ai un léger côté ado qui s'est attardée sur le quai et a laissé passer un certain nombre de trains !!!). Vendredi, donc, j'aurai mon CD dès le matin dans la boîte aux lettres, mais cela ne m'empêchera pas d'aller effectuer mon habituel contrôle à la FNAC, juste comme ça, pour voir...

18/09/2021

Petite flamme

"Il fait grand deuil

En cette vie". André VELTER

 

Qu'elle est belle, cette petite flamme qui scintille dans les yeux de qui vient de découvrir Thiéfaine et s'en trouve émerveillé ! Comme elle en dit long, cette petite flamme, sur la claque qu'il a prise et à laquelle il ne s'attendait pas !

Explications : il y a un peu plus d'un an, j'avais parlé de Thiéfaine à un de mes collègues, un prof d'anglais, musicien non pas à ses heures perdues, comme on a coutume de le dire, mais plutôt à ses heures retrouvées, celles que l'on vit en dehors du carcan professionnel. Ce collègue n'est pas spécialement branché chanson française, il préfère tout ce qui vient d'Angleterre ou des États-Unis. Mais il est quand même toujours à l'affût de nouvelles découvertes. Donc, à la fin de l'année scolaire 2020, j'avais exposé à ce collègue ma passion pour l'œuvre d'Hubert, le tout en long, en large et en travers, avec sans doute une petite flamme dans les yeux, moi aussi. Ce collègue m'avait promis d'écouter HFT. Un an et des poussières plus tard, c'est chose faite. Et là, révélation de type électrochoc, claque monumentale. « Aha-Erlebnis », comme on dit dans cette langue de Goethe que j'aime tant. « Aha-Erlebnis », ce n'est pas l'événement qui vous agite quand vous découvrez le groupe Aha. Encore que cela soit possible aussi, après tout ! « Aha-Erlebnis », c'est le déclic qui vous tombe dessus et qui vous fait dire « Aha » ! Genre, pour mon collègue : « Aha, c'est donc ça, Thiéfaine » ! ». Ce « Aha-Erlebnis », vous et moi l'avons également connu un jour. Dans ma vie, ce fut, il y a presque trente ans, le point de départ d'une certaine folie, mais je ne regrette rien car c'est celle-là même qui m'a « toujours sauvée et m'a empêchée d'être folle ». Carrément. J'assume pleinement ces mots qui pourront paraître outranciers à ceux qui n'ont jamais eu besoin d'un accompagnement spécialisé pour vivre...

Bref, revenons à nos moutons : jeudi, mon collègue arrive et m'explique que ça y est, il a acheté les trois premiers albums de Thiéfaine, pour une somme dérisoire de surcroît. Et qu'il ne s'attendait pas à ça. Et qu'il n'en revient pas. Et qu'il s'en veut de ne pas avoir entamé cette vertigineuse plongée bien plus tôt. En substance, voilà ses propos : « Ouah, comme ça sonne, je n'imaginais pas que la langue française pouvait donner un tel rendu dans des chansons. On sent des influences venues d'un peu partout, du rock anglo-saxon, mais aussi de la bonne chanson française. C'est tellement inhabituel, tellement hors norme. Je suis bien décidé à me faire toute la discographie, chronologiquement. Et qu'est-ce que c'est bon musicalement aussi ».

Eh bien, voyez-vous, la petite flamme qui vibrait dans les yeux de mon collègue, elle a illuminé tout mon jeudi, tout mon vendredi, et elle me porte encore en ce samedi. Pour moi, elle est comme une madeleine de Proust qui ravive bien des souvenirs. Par une nuit de septembre 1992, je sortais un peu groggy d'une voiture où je venais d'entendre un chanteur au nom bizarre. Je rentrais chez moi avec une cassette qui allait tourner inlassablement dans un lecteur un peu poussif, tourner tant et tant qu'elle en deviendrait poussive elle aussi. Cette cassette, c'était celle sur la pochette de laquelle il y avait un clap de cinéma. Je crois qu'elle a été pour beaucoup d'entre nous le déclencheur de bien des aventures ! Il y a là une version très habitée des Dingues et des paumés. Le son monte, monte, monte, créant une impatience quasi palpable dans le public. Lorsque survient l'apogée, le rythme chauffe, et toute la salle itou. Et je suis bien certaine que si l'on avait pu voir les yeux de tous ceux qui eurent la chance de se trouver dans le public ce soir-là, on aurait pu y percevoir la petite flamme qui allait briller, quelques décennies plus tard, dans une salle des profs de Moselle !

15/09/2021

Fil à retordre !

"Les soirs de juin sont tragiquement beaux, les vivre, c'est déjà les perdre, la beauté n'est beauté que parce qu'elle contient déjà en elle l'expérience de sa perte". Fabienne JACOB

 

Bon, bon, bon, il faut bien l'avouer : Hubert me donne du fil à retordre depuis quelque temps ! Et ce n'est pas La fin du roman qui viendra simplifier les choses et démêler l'imbroglio dans lequel me voilà perdue. Est-ce là un Thiéfaine nouvelle manière qui s'offre à nous, comme l'écrivait Delphine ? Il est évident que l'écriture s'est clarifiée. Pour autant, les paroles de La fin du roman continuent à receler de nombreux mystères pour moi. Je ne vois pas bien où HFT veut en venir. Fin de quel roman ? Fin d'une civilisation, déjà dépeinte dans Page noire ? Fin d'un chapitre ? Fin de quoi, nom de nom ? Mystère et boule de gomme.

En tout cas, si Du soleil dans ma rue, après m'avoir désarçonnée, a fini par gagner mon affection, La fin du roman se voit pour le moment perdante sur toute la ligne. Déjà, je n'en aime guère la musique. Les paroles, ben, je l'ai déjà écrit plus haut, je n'y pige tout bonnement que dalle, éclairez-moi si votre lanterne y voit mieux que la mienne ! Un point positif à mes yeux, cependant, car il ne saurait y avoir d'obscurité absolue : la voix d'Hubert reste inchangée, belle et assurée. Pas un tremblement qui trahirait la moindre faiblesse. Allez, Cath, console-toi, cette voix qui demeure ferme en dépit du temps qui assassine bien des choses, c'est déjà beaucoup !

Console-toi aussi en te rappelant les albums précédents, qui ne remportèrent pas ton adhésion totale, loin s'en faut. On ne peut pas plaire à tout le monde et à son père, disait le mien, de père. On ne peut pas plaire à tous les coups, dirais-je aujourd'hui dans le contexte qui me fait écrire ce billet.

Alors, oui, je suis un peu déçue. Mais j'essaie de me reprendre illico. De quel droit serais-je déçue ? Après tout, Hubert ne me doit rien, ni à moi, ni à quiconque. Pas même la quasi perfection à laquelle il nous a habitués. Après presque trente années d'un compagnonnage fébrile, proche d'une certaine folie, n'est-ce pas moi qui dois quelque chose à Hubert ? Si, il me semble. Je lui dois un peu d'indulgence. Un peu de patience aussi. Jusqu'au 8 octobre, jour où je découvrirai l'album et où peut-être, insérée dans un ensemble sans doute assez cohérent, la chanson que je juge « coupable » aujourd'hui m'apparaîtra comme une pierre logique de l'édifice...

31/08/2021

Questionnaire de rentrée !

Bon, il faut bien le dire : je n'en ai pas fichu une rame durant ces vacances ! J'aurais eu du temps, pourtant. Eh bien non, que dalle, je n'ai presque pas écrit. Et maintenant que la rentrée approche à pas gigantesques, les idées fusent. C'est toujours comme ça ! Je m'aperçois également que je n'ai pas livré ici une seule note sur les références présentes dans les deux titres qu'il nous a été donné de découvrir dernièrement (c'était pourtant un de mes projets). Décidément, je suis une mauvaise élève ! Je ferai tout en catastrophe une fois que les cours auront repris. Me sentir prisonnière de l'urgence me stimule, il faut croire ! En tout cas, les occasions de revenir sur ce blog seront bientôt légion car cette rentrée promet d'être riche. Nous n'avons pas fini d'entendre parler (de) Thiéfaine, entre la sortie de l'album et la parution d'un nouvel ouvrage sur lui (HF Thiéfaine, animal en quarantaine, de Sébastien Bataille). L'automne n'est pas toujours la foutue saison mélancolique qui fait regretter la "vive clarté de nos étés trop courts" !

En cette presque rentrée, j'ai eu l'idée de vous soumettre un petit questionnaire portant sur (comme c'est étonnant !) votre rapport à l'œuvre de Thiéfaine. Je vais moi-même m'amuser à répondre à ces questions ! Je vous propose également, si le cœur vous en dit, d'en poser d'autres à votre tour. Si chacun en ajoute une ou deux (ou davantage) de son cru, nous aurons de quoi bavarder ensemble durant les longues soirées de septembre !

 

Voici les miennes, suivies de mes réponses, tant qu'à faire !

La chanson / les chansons que vous avez écoutée(s) des milliers, voire des milliards de fois, sans jamais vous en lasser :

Mathématiques souterraines (toujours autant de frissons à chaque fois que je l'entends), Les dingues et les paumés, Autoroutes jeudi d'automne, Redescente climatisée, 542 lunes et sept jours environ, Annihilation, En remontant le fleuve, Petit matin 4.10 heure d'été.

 

La chanson qui est étroitement liée à votre histoire personnelle :

Je t'en remets au vent, la seule chanson de Thiéfaine que ma mère aimait ! 

 

La chanson qui a fait tilt en vous dès la première écoute et vous a conduit(e) à vous plonger dans l'œuvre de Thiéfaine :

Mathématiques souterraines. Le choc de ma vie !

 

La chanson que vous n'aimez pas, malgré tous vos efforts :

Mytilène Island.

 

Votre meilleur concert :

Alors là, j'hésite ! Je crois quand même que celui dont le souvenir me procure le plus d'émotions est celui de Verdun (août 2019). Les rues et les quais, le long de la Meuse, débordant d'une foule en délire, m'ont marquée à tout jamais. Je me souviens avec un émoi quasi similaire du concert qui avait eu lieu à la salle Poirel de Nancy lors de la tournée en solitaire. A un moment, tout le public s'était levé, comme un seul homme, pour acclamer Thiéfaine, et c'était beau !

 

La chanson que vous n'avez pas aimée à la première écoute et que vous avez fini par apprécier à force de persévérance :

Du soleil dans ma rue ! Comme quoi, en écrivant "ne désespérez jamais, faites infuser davantage", Henri Michaux avait raison !

 

Une chanson dont vous vous êtes lassé(e) :

J'ai beau chercher, je ne vois pas ! Je n'ai même pas réussi, contrairement à certains, à me lasser de la Fille du coupeur de joints

 

La ou les chanson(s) que vous souhaiteriez (ré)entendre lors de la prochaine tournée (essayez de limiter votre choix, si possible, et de mentionner de préférence des titres qu'HFT n'a jamais - ou que rarement - interprétés sur scène !!) :

Maalox Texas Blues, Juste une valse noire, Vendôme Gardenal Snack

10/07/2021

Géographie du vide

Géographie du vide (sortie prévue le 8 octobre), ce sera ça :

Du soleil dans ma rue

Page noire

Fotheringhay 1587

La fin du roman

Nuits blanches

Prière pour Ba'al Azabab

Eux

Reykjavik

Vers la folie

L'idiot qu'on a toujours été

Combien de jours encore

Elle danse

 

Déjà, mon imaginaire s'enflamme au contact de ce Zippo enchanteur ! Eux, c'est qui ? Reykjavik, pourquoi ? Fotheringhay, c'est quoi ? Petit tour rapide sur Wikipédia, qui m'apprend que Fotheringhay est un village et une paroisse civile du Northamptonshire, en Angleterre. Plus loin, je découvre que le château de la commune est, au XVème siècle, l'une des résidences des chefs de la maison d'York et qu'aujourd'hui, il ne reste de ce château que la motte castrale. Je poursuis mes recherches : c'est à Fotheringhay que la reine Marie Stuart passe les derniers jours de sa vie. Elle y sera exécutée le 8 février 1587. 

Prière pour Ba'al Azabab nous emmène tout à fait ailleurs. De grands écarts en perspective, je le sens ! Ce que je sens aussi, c'est que l'impatience va aller crescendo de maintenant à octobre ! Il y a de quoi rêver sur ces titres qui débordent de promesses. Je vais les emmener avec moi, sur la route des vacances, et me laisser aller à toutes les tempêtes qu'ils voudront bien déclencher dans mon esprit !

Et vous, ça vous inspire quoi, tout ça ? 

 

27/06/2021

J'ai changé d'avis, comme dans la chanson d'Aubert !!!

"Y a du soleil dans ma rue mais je ne sais pas quoi en faire". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Il arrive que certaines chansons de Thiéfaine me donnent du fil à retordre. Justement parce qu'elles me semblent, de prime abord, rompre avec le fil conducteur de l'œuvre (oui, je pense qu'il y en a un). Ainsi, j'ai mis des années, je crois, avant d'intégrer « psychologiquement » Les mouches bleues à l'ensemble de l'édifice. Mytilène Island attendra encore...

Du soleil dans ma rue a bien failli connaître un sort identique. Première écoute : sidération. Oui, carrément. Une réaction du genre « mais qu'est-ce qu'il est allé nous faire là, notre Hubert ? ». J'ai découvert cette chanson un vendredi matin. Le dimanche suivant, après plusieurs auditions, j'étais catégorique : jamais je ne pourrais aimer ce titre. Et puis, et puis... Ce vendredi soir, je ne sais pas pourquoi, j'avais la mélodie dans la tête. Je repensais également aux paroles, qui m'avaient d'abord déconcertée, malgré une entrée en matière pourtant adoptée d'emblée : « Y a du soleil dans ma rue, mais je ne sais pas quoi en faire ». Avouez que c'est très thiéfainien, ça, avoir du soleil dans sa rue, mais ne savoir qu'en faire ! Youpi, c'est chouette, toute cette lumière et cette chaleur, mais pas moyen d'en tirer quelque chose. C'est comme les conneries de barbecues du mois de mai. C'est sympa, mignon, tout ce que vous voulez, mais quand on a un sentiment tragique de l'existence, impossible d'adhérer totalement !

Bref... Donc, ce vendredi soir, je réécoute la chanson. En mettant de côté mes premières réticences. Que je peux énumérer ici : ces chœurs féminins qui parsèment le morceau, cela me fait un effet bizarre, cela me rappelle les années 80, et même très précisément un truc qui martelait « il en a marre de cette nana » dans la chanson de Bruel. Autres réticences ? La musique, doucereuse, genre tube de l'été incitant à danser sur la plage, et les ruptures de rythme dans cette même musique.

Après mûre réflexion, et juste avant de réécouter la chanson, je me suis dit que ce n'était pas possible qu'Hubert ait eu l'intention de nous balancer un truc destiné à nous faire chalouper à côté d'un quelconque Club Mickey en juillet. Donc, je m'interroge avant de réécouter ladite ballade : tout cela ne serait-il pas plutôt traversé d'une profonde ironie ? Une expression me revient, inventée un jour par ma fille aînée à propos des femmes qui sortent avec des hommes plus âgés qu'elles : ce sont des cougars inversées. Et voilà l'analogie : ce morceau, faussement léger et sautillant, ne serait-ce pas un tube de l'été inversé ? Genre « je vous fais croire que, mais en fait pas du tout, loin de moi cette idée ». Quand on y regarde de plus près, le texte est d'un triste et d'un lourd incommensurables... C'est tout sauf un tube de l'été : ici, l'image du rat dans la poussière m'évoque Une charogne de l'ami Baudelaire. Là, « faisons semblant d'être amoureux » vient flinguer tout espoir d'une idylle sincère. L'amour n'est que de surface, un trompe-l'œil facétieux qui n'en pense pas moins. Que voulez-vous, « nous n'avons plus le temps d'imaginer l'amour au temps des sentiments »... De plus, la faucheuse rôde dans les parages, et elle est loin d'avoir pacifiquement déposé les armes. Au contraire : elle est capable de dézinguer quarante mille fois chacun des sept milliards d'humains que nous sommes.

Alors, Du soleil dans ma rue, petite guimauve, joli susucre, tendre romance ? Non, certainement pas : cette chanson, c'est l'absolu antitube de l'été !

Et vous, qu'en pensez-vous ? Et que dites-vous du titre de l'album à venir, Géographie du vide ? Pour moi, c'est très cioranesque, on n'est pas loin de Syllogismes de l'amertume, quelque chose comme ça. Bref, j'adore ! Ce que j'adore aussi, c'est être complètement déroutée (et avec Thiéfaine je suis servie, cela fait presque trente ans qu'il me promène de surprise en étonnement : jamais aucune autre œuvre ne m'aura autant amenée à écarquiller les yeux, ou plutôt les oreilles !). Ce que j'adore, c'est ne plus savoir sur quel pied danser. Croire d'abord, comme avec Du soleil dans ma rue, qu'il faut danser, puis me rendre compte qu'il n'en est pas question une seule seconde, et qu'il conviendrait plutôt, devant tant de misère, de s'écrouler de tout son long, dans la poussière, les bras en croix...

Oui, après mûre réflexion, j'adopte cette chanson, complètement ! C'est bizarre, mais c'est ainsi. Je ne suis pas avare de contradictions. Et comme dit la sagesse populaire, n'est-ce pas, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. C'est plutôt sympa de se dire ça pour conclure, cela permet de se ranger soi-même, tranquillos, dans la catégorie des non-imbéciles !