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01/08/2024

Nena était à la foire aux vins de Colmar hier soir (et moi aussi, quelle chance !)

"Irgendwie fängt irgendwann

Irgendwo die Zukunft an". NENA

 

Rien ne saurait entamer ma joie en ce 31 juillet. Pas même la flotte qui s'est mise à tomber drue et mélancolique en plein milieu de l'après-midi. Pas même le retard de la navette censée m'emmener de la gare de Colmar à la foire aux vins (de Colmar itou). Ce retard, vous l'aurez peut-être deviné, m'a exposée plus que prévu (et que de raison) à la pluie drue et mélancolique... Qu'à cela ne tienne. Au moment où je m'assois dans la navette enfin arrivée (avec 25 minutes de retard, tout de même), je me sens heureuse et vivante comme jamais. Durant le trajet, je me dis que c'est génial d'aller à un concert de Nena, d'avoir cette chance. D'être là, dans cette navette. Ça, c'est une petite salutation venue tout droit de la chambre stérile. C'est essentiellement de cette façon qu'elle se rappelle à mon souvenir : pour me donner de la joie, par comparaison. Il est vrai que ramener les choses à cette sordide expérience a l'avantage de tout teinter de douceur. Une classe un peu agitée cette année ? Bah, ce n'est rien, me disais-je, c'est tellement mieux que la chambre stérile ! Pas envie d'aller travailler ? Oh, souci ridicule, problème minuscule. Quel luxe de pouvoir se dire « j'ai pas envie d'aller travailler » ! Si, si, je vous assure. Bref, cessons là les divagations et revenons à nos moutons, d'autant plus qu'ils sont allemands, comme j'aime !

Oui, en ce 31 juillet, je vais voir Nena, disais-je. Nena, celle qui interprétait 99 Luftballons du temps que j'étais à des lieues de me douter qu'un jour j'enseignerais la langue dans laquelle elle chantait ! Nena, dont j'appris, une fois que je m'intéressai à fond à la culture allemande, qu'elle continuait sa carrière outre-Rhin, et comme il faut. Je me mis à la suivre, parfois de près, parfois d'un peu loin, pas toujours convaincue par ses expérimentations musicales, mais lui reconnaissant systématiquement le mérite d'avoir osé les faire. Parfois je la suivis de très près. Ainsi l'album Wenn alles richtig ist, dann stimmt was nich, dont le titre est à lui seul un traité philosophique, fut écouté des millions de fois. En substance, ça dit que quand tout roule comme sur des roulettes, c'est qu'il y a une couille dans le potage (mais Nena a exprimé les choses avec infiniment plus de finesse). Une idée qui m'est familière. Depuis toujours, j'ai en effet tendance à me méfier de ce qui ressemble d'un peu trop près à la sérénité et compagnie. Dès qu'une période de calme m'est octroyée, je me demande quelles foutues tempêtes elle cache et quel poignard viendra me transpercer le dos peu après. Donc, oui, l'idée selon laquelle il y a un truc qui cloche quand tout va bien, ça me connaît ! Cet album est une pure merveille. Il raconte des petites choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, par exemple), l'amitié qui nous tend ses bras quand on va mal (Heul dich bei mir aus), une relation qui s'effiloche (Dann fiel mir auf), la peur que l'on a ensuite à se relancer dans tout ce qui ressemble à une histoire d'amour (Todmüde). Nena, Cath : deux vécus similaires, à des kilomètres de distance. Mais une langue pour nous unir, celle de Goethe, la mal-aimée pourtant majestueuse. Si inventive que c'est à faire perdre la raison à tous les dictionnaires du monde. Cette langue crée des mots à l'infini, et elle les déroule en de longs tiroirs que quand tu en as ouvert un, tu te rends compte qu'il y en a encore un à l'intérieur, et peut-être même deux, si ce n'est plus ! Moi, l'allemand, c'est mon trip, mon shoot, ma came. C'est un peu comme avec Hubert : il m'en faut toujours plus ! J'en écoute absolument tous les jours, de l'allemand. À la télé, à la radio et sur ma chaîne. Nena, entre autres.

Et donc cette Nena, 64 ans déjà je n'en reviens pas, passait hier à Colmar, à la foire aux vins. FAV pour les intimes. J'ai même appris, grâce à plusieurs tee-shirts ayant défilé sous mes yeux, qu'assister à la FAV faisait de vous un ou une faviste. Faviste un jour, faviste toujours, voilà ce qui était écrit sur lesdits tee-shirts. Qu'on se le tienne pour dit ! Moi-même ne suis-je pas un exemple de la véracité du truc ? À la foire aux vins en décembre 2023 (c'était dans le cadre de la cuvée givrée, pour HFT) et de nouveau à la foire aux vins en juillet 2024. Voilà, vous avez devant vous une faviste, alors un peu de respect !

Nena, Nena, Nena : je m'éloigne trop de mes moutons (pourtant allemands, mes préférés, vous l'ai-je déjà expliqué ?!). Avec cette connerie de retard qu'avait la navette, j'ai loupé le début du concert. J'ai couru comme une dératée en arrivant sur le site de la foire. Vite, retrouver mes moutons, surtout qu'ils sont allemands, je ne sais plus si je l'ai mentionné !

À peine suis-je arrivée dans la salle que je succombe à la magie Nena. 64 ans déjà je n'en reviens pas et une silhouette de jeune fille. Un look rock : tee-shirt noir, pantalon en cuir. Le cheveu tombant en cascade en une frange un peu désordonnée. « Ich geh' mit dir wohin du willst, auch bis ans Ende dieser Welt », chante la jolie voix, et je me dis que l'homme à qui Nena a dédié ces mots a bien de la chance. Ça veut dire qu'elle le suivrait au bout du monde, quand même, rien que ça ! Le veinard, purée ! Sait-il seulement qu'il est béni des Dieux entre tous les hommes, l'enflure ?! Il y a comme ça des êtres élus, qui sont toujours du bon côté. Tandis que soi-même on rame pour être aperçu(e) de la Providence. Mais ça c'est une autre histoire.

Voilà donc Nena chantant ceci avec force et enthousiasme. Ça balance pas mal à Colmar en ce 31 juillet. C'est que le feu règne sous le chapiteau. Nena entraîne la foule. Elle bouge sans arrêt. Et que je t'envoie ma jambe dans les airs, et que je te montre combien mes genoux sont encore alertes à leur âge. C'est à me faire pâlir de honte, moi qu'un déménagement vient de mettre sur les rotules. Le dos en compote, l'esprit ne fonctionnant plus qu'au ralenti. Ah, si j'étais Nena, j'aurais une autre allure ! Mais bon, je suis faviste, c'est déjà beaucoup, et on ne peut pas tout être à la fois.

Je reconnais plein de titres aimés, notamment Irgendwie, irgendwo, irgendwann. Chanson qui dit que quelque part commence le futur, d'une manière ou d'une autre. Encore un petit traité philosophique. Et puis, soudain, Nena taquine un énorme ballon blanc sur la scène. On devinera aisément de quelle chanson il va être l'illustration. Les premiers mots retentissent et la foule ne contient pas son extase, à quoi bon ? Des mains se lèvent, des fesses décollent de leur siège. Immense communion franco-allemande. C'est tellement beau que j'en ai les larmes aux yeux. Quelle chance j'ai d'être là ce soir, je me le répète X fois, et encore plus en écoutant 99 Luftballons.

Nena chante un peu plus d'une heure et je reste sur ma faim. J'en aurais voulu encore, et bien plus. Je suis épatée par l'énergie de cette femme, énergie qu'elle sait insuffler à chacun chacune. Impressionnant. Cela relève de l'exploit car la France n'est pas un terrain conquis d'office pour une chanteuse allemande. Ok, ici, c'est l'Alsace, et l'Allemagne n'est qu'à quelques encablures, mais quand même. Il faut le faire pour mettre tout le monde d'accord, surtout des Français et des Allemands ! Chapeau, madame Nena ! Défi relevé avec brio et charme par-dessus le marché !

Je suis tellement scotchée par la prestation de la chanteuse que j'ai du mal à entrer dans le concert suivant, celui de Toto. Je finirai par me laisser emporter aussi, mais peut-être pas comme il se devait. C'est que je suis ingrate, je le reconnais. Quand j'aime un artiste, je rechigne à lui faire succéder qui que ce soit. Je n'aime pas non plus que qui que ce soit le précède (et j'en veux pour preuves les premières parties d'Hubert qui me voient piaffer d'impatience au fond des starting-blocks). C'est mon côté entier. Mon côté faviste, peut-être.

En tout cas, Nena sur scène, ça dépote, et ça te démonte tous les préjugés à la con qui courent sur la langue allemande. J'vous jure que celle-ci, dans la bouche de la chanteuse, est d'un sexy hallucinant. C'est à n'y pas croire. Et d'un rock'n'roll, c'est à ne pas imaginer. Alors toi, le grincheux, la grincheuse qui trouves que l'allemand est une langue crasseuse pas digne de tes oreilles soi-disant délicates, va donc un jour à un concert de Nena, et on en reparlera. J'suis sûre que t'es même pas cap. Dommage. Et en même temps, ce n'est pas si grave : laisse le meilleur de ce monde à qui sait l'apprécier !