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03/06/2024

Thiéfaine était à Besançon samedi et ce fut le feu !

"Instant délicieux, ne t'en va pas, tu es beau parce que tu meurs et que rien dans la suite des temps ne pourra prendre ta place, être absolument comme toi". Julien GREEN

 

En allemand, « jamais deux sans trois » se dit « aller guten Dinge sind drei », ce qui signifie que toutes les bonnes choses sont au nombre de trois. Guidée par ce dicton et par la désormais proverbiale phrase d'Oscar Wilde selon laquelle « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais », j'ai ajouté Besançon au calendrier, juste après Paris et Reims. Trois week-ends en Thiéfainie, qui dit mieux ?

De chacun, il faudrait pouvoir extraire la substantifique moelle. La tâche n'est pas aisée. Le premier n'a pas ressemblé au deuxième, qui lui-même n'a pas ressemblé au troisième, lequel n'a pas grand-chose à voir avec le premier ! Vous me suivez ?

Ce samedi marquait notre entrée dans le mois de juin. Difficile à croire au vu de la météo, certes, mais si, vrai, on quittait le joli mois de Marie. Mais n'allons pas pour autant renoncer à nos envies ! Les miennes sont assez simples, en définitive : un peu d'allemand par-ci, un peu d'HFT par-là, et le tour est joué. Bref...

Samedi symbolique à plus d'un égard : entrée dans le mois de l'été, disais-je (si, si, il va venir), mais aussi et surtout : rencontre, en chair et en os, avec Sandrine, une quinqua que j'ai connue sur Facebook pendant la maladie, lorsque je traînais sur les pages consacrées à la leucémie, demandant « y' a quelqu'un ? ». Or, il se trouve qu'un jour, quelqu'une il y eut. Et ce fut Sandrine. Même leucémie que la mienne, même traitement, même combat. Il n'en fallait pas plus pour créer comme une sororité. Durant les longs mois que dura la maladie, Sandrine fut un modèle pour moi. Nous nous étions promis de nous rencontrer. Nous n'en avions encore jamais eu l'occasion. Celle-ci s'est présentée il y a quelques jours. Premier message de ma part, déjà un tantinet wildien : « Sandrine, ça te dirait de m'accompagner au concert que Thiéfaine donne samedi à Besançon, pas loin de chez toi ? ». En quelques clics, l'efficace Sandrine nous dégotait deux billets.

Et voilà que samedi, je débarquais dans son salon. Un peu émue, il faut le dire. C'est qu'on en a traversé des choses ensemble. À distance, certes, mais tout de même !

Je suis à l'aise, immédiatement. Le courant passe. Je parle à Sandrine comme si je la connaissais depuis soixante ans, bien que n'en ayant que cinquante. C'est dire ! Je crois au coup de foudre, en amitié comme en amour !

À 18 heures, nous partons pour Besançon. Nous retrouvons Brigitte. On papote un peu, on fait quelques emplettes à la boutique, et ça y est, il est temps de sonner la fête, on nous attend ! Sandrine et moi avons des places en gradins, mais également la ferme intention de rejoindre la fosse dès que possible ! Surtout que ça a l'air de vouloir bien s'amuser là-dedans : Brigitte nous explique que des cœurs rouges en papier ont été disposés sur tous les fauteuils, avec pour consigne de les agiter sur Narcisse et je ne sais plus quand encore. Bon, d'accord, c'est légèrement kitsch, mais on a tous nos côtés kitsch à un moment ou un autre de notre vie, n'est-ce pas ? Si, si, vous aussi, cherchez bien !

Droïde Song résonne puissamment dans la salle. Je souris discrètement quand Hubert s'emmêle les pinceaux dans ses statues. La première fois, il chante un truc étrange, du style « les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des vavues ». Hubert sans ses pinceaux emmêlés ici ou là, ce ne serait pas Hubert. Cela dit sans aucune cruauté car je nous mets, tous autant que nous sommes, au défi d'interpréter ses chansons en faisant un sans-faute ! Impossible, non ?

Je me dis quand même, du haut de ma place en gradins (j'aime pas tellement ça, mais bon, on a pris ce qu'on pouvait prendre), qu'Hubert et ses musiciens sont vachement petits. C'est que je les vois de loin, de trop loin à mon goût. Dès que retentissent les premières notes de Narcisse, j'invite Sandrine à me suivre dans la fosse. C'est l'appel des petits cœurs rouges, que voulez-vous ! Nous arrivons au milieu d'une foule incandescente, digne de celle de l'Olympia. Tous ces papiers rouges qui se promènent un peu partout, c'est peut-être kitsch, mais ça me fait quelque chose. Genre qu'on dirait à Hubert « vois un peu comme on t'aime ».

Moi, j'ai pas de cœur (enfin, pas de cœur rouge en papier, en tout cas), mais ça ne m'empêche pas d'avoir, comme toujours, la fougue chevillée au corps. Ou le corps chevillé à la fougue, je ne sais même plus dans quel sens il faut mettre cette charrue tant je suis subjuguée par ce qui se donne à voir sur scène. Jamais vu la sueur de Lucas d'aussi près, c'est la réflexion que je me fais dès mon arrivée dans la fosse. Ben ouais, les réflexions qu'on se fait à soi-même ne sont pas toujours de haut vol ! Je me dis aussi, et ça c'est mieux, qu'Hubert et ses musiciens sont vachement grands.

Parmi ceux qui sont restés assis, ça râle un peu car nous sommes toute une masse agglutinée devant la scène, à boucher la vue. J'avoue que je ne suis pas ultra fière d'infliger ça à des gens qui aiment Thiéfaine. Mais bon, qu'ils se lèvent, eux aussi, et le problème sera réglé, non ? Et puis merde, chacun sa merde ! On sait bien, quand on va voir Hubert en configuration assise, que ça va en démanger plus d'un de se lever au bout de trois minutes. Vieux, le public, mais pas grabataire. Peut-être aussi une légère phobie des strapontins, acquise à force de trop écouter une certaine chanson du même Hubert ?! Qui sait ?

En attendant, à Besançon en ce premier samedi de juin, ça tangue tous azimuts devant la scène. Et je suis dans cette immense bouilloire, et je contribue à ce que ça bouille (purée, je suis allée le chercher loin, ce subjonctif !) et je m'enivre des bouillonnements que je perçois autour de moi. Le bateau ivre, nous sommes le bateau ivre, rien que ça ! Il se passe un truc hyper fort. Le mot « orgie » me vient à l'esprit ! Non pas de silence et de propreté, l'orgie, mais tout l'inverse et en mieux. Les musiciens se donnent à fond. Finalement, ils suent tous comme Lucas, à grosses gouttes. La voix d'Hubert est limpide, belle et puissante. Campé devant le micro, il en impose. Quelle prestance et quelle présence !

De temps à autre, je me demande ce que va penser Sandrine, elle qui ne connaît de Thiéfaine que La cancoillotte et La fille du coupeur de joints. C'est que ce n'est pas œuvre à mettre entre toutes les oreilles. « Une p'tite canette, une p'tite fumette, une reniflette, une seringuette, une bonne branlette » (par ordre croissant, la p'tite canette procurant moins d'extase que la p'tite fumette, laquelle ne vaut pas, question trip, la reniflette, etc. Complétez vous-même !!!), comment va-t-elle prendre la chose ? Je lui pose la question. Tout ça l'amuse sans l'horrifier, ouf ! L'honneur est sauf. Tout de même, moi je dis qu'il y a des cours de chasteté qui se perdent par ici !

Groupie 89 Turbo 6 éclate notre novice. Elle trouve Hubert décidément bien guilleret lors de son interprétation. Un sourire coquin sur ses lèvres donne à penser qu'il y a sûrement de l'autobiographique là-dedans, mais cela ne nous regarde pas.

Le temps passe vite, trop vite, c'est vraiment un sale connard. Il engloutit cruellement chaque seconde. Combien de jours encore, bonne question... Cette chanson qui me transperce comme de bien entendu signe la presque fin du concert. Les interrogations qu'elle exprime me glacent. Dans ma tête, je me demande « Combien de concerts encore ? », celui-là étant pour moi le dernier de la tournée actuelle (qui s'étiole, qui s'étiole, sortez les mouchoirs). C'est grande tristesse et grande injustice. Soixante concerts et quelques et aucune trace de lassitude, et aucun soupçon de satiété ! J'en veux, j'en veux encore, comme dans la chanson d'Yves Jamait. Jamais assez d'HFT, jamais assez de cette folie qui m'a fait, en trois décennies, réviser presque tous mes départements. Voir du pays, quoi !

Hubert et ses musiciens reviennent. Au moment où démarre Mathématiques souterraines, je rappelle à Sandrine que c'est cette chanson-là qui m'a servi de boussole dans la chambre stérile. Ah, comme je les ai attendus, les ascenseurs au fond des précipices ! Les chœurs bisontins entonnent « pauvre petite fille sans nourrice » et il en émane une telle féminité, pour ne pas dire félinité, que j'en ai des frissons partout. Et voilà, ça y est, un concert de plus en moins, ou presque. Bientôt La fille du coupeur de joints unira dans son cri les cheveux blonds, les cheveux gris, et Besançon ira s'échouer sur les rives du souvenir. Les cœurs rouges ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et c'était beau. Et si le kitsch n'était qu'une question d'éclairage et se bonifiait du bon usage qu'on en fait ? Brandis simultanément et dans un même élan d'amour, je vous jure que ces cœurs avaient de la gueule !

Je sors de là abasourdie. Voir Besançon et mourir, j'en suis là...

Et si cette tournée était, comme nous sommes nombreux à le redouter, la dernière ? Et si ce soir j'avais vu Hubert pour la der des ders ? Arrière, pensées pourries qui m'obscurcissent l'âme et me la font toute chagrine et merdique !

Le lendemain, dans la voiture, je suis complètement bouleversée, je repense à tout ce que j'ai vécu. Sandrine, Hubert, tout ça. Les images se télescopent, je suis d'humeur grise, et ce n'est pas l'incessante pluie qui va me contredire.

Et soudain, une idée vient me transbahuter dans un monde meilleur : si je crie très fort et très longtemps « j'en veux, j'en veux encore », comme dans la chanson d'Yves Jamait, peut-être qu'une bonne fée m'exaucera, allez savoir. Un peu de clémence, de grâce ! Je veux croire aux contes de notre enfance. « Il était une fois un chanteur incroyablement talentueux qui s'apprêtait à fêter ses cinquante ans de scène »... Ainsi pourrait commencer un nouveau chapitre de l'histoire d'Hubert. Et là je dis : revoir Besançon et renaître !