27/05/2024
Reims, la ville où Thiéfaine fut sacré roi samedi !
"J'écris. Je n'ai jamais connu d'autre habitation que la phrase à venir". Christian BOBIN
Hier le cœur au soleil, aujourd'hui le même cœur à l'ombre. Ainsi va la vie, n'est-ce pas ? Ce qui est pris est pris, bien sûr, mais le problème, c'est que ce qui est pris n'est plus à prendre. Loi immuable...
Retour au bercail après un week-end de folie. Un de plus, me direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Un de moins à vivre, on peut le voir comme ça aussi. Loi immuable...
Bref... Activons la machine à souvenirs, rembobinons.
Tout commence samedi après-midi, sur l'autoroute qui va de Metz à Reims. Je me sens comme le séminariste à moto de la chanson (j'ai bien dit à moto) avant qu'il ne percute de plein fouette un pylône garé en stationnement illicite. Toute guillerette, quoi, comme si je trimbalais le Saint-Esprit sur le siège passager. Dans le trafic autour de moi, des Allemands en veux-tu en voilà. Et moi, des Allemands, j'en veux toujours et toujours plus, ça tombe bien. Je me dis « beaucoup d'Allemands dans les parages, excellent, merveilleux présage », inventant pour l'occasion un proverbe qui ne dépassera malheureusement pas, je crois, ma sphère privée ! Oui, vraiment, tous ces Allemands qui en cachent d'autres, et puis d'autres encore, ça me fait dire que la soirée sera bonne. Que « la nuit promet d'être belle », car il ne faut pas oublier Jacques Higelin.
Je rejoins au centre-ville la joyeuse clique qui va dormir dans le même hôtel que moi. Nous sommes huit en tout, je crois. Il y en a que j'ai déjà vus, d'autres que je ne connais que via les réseaux sociaux. Nous venons d'horizons divers, mais quelque chose nous lie puissamment : une même passion pour l'œuvre de Thiéfaine. J'adore ces moments de retrouvailles, de communion.
On boit un verre, on fait un peu de tourisme dans la ville des sacres, et très vite il est l'heure d'aller à la salle Arena. C'est une étrange cohorte qui se déplace, chacun arborant fièrement un tee-shirt ou un sweat rappelant un certain HFT.
Il n'est pas 19 heures et nous sommes déjà dans la salle. Je discute à droite et à gauche, comme toujours. Je récolte des témoignages, j'écoute des histoires, je me rapproche de certaines sensibilités qui se donnent à voir dans des propos enthousiastes. Et je n'en reviens pas de trouver toujours, invariablement, la même ferveur autour d'Hubert. Entre-temps, Bételgeuse est arrivée et se joint aux conversations. Avec elle et une quinquagénaire dont nous venons de faire la connaissance (Annabelle), nous nous interrogeons : que vont devenir nos vies quand Hubert décidera d'arrêter les tournées ? Oui, je vous le demande : que deviendront les rêveurs que nous sommes quand le rêve sera fini ? Nous sommes trois à tout à coup contempler le vide. Difficile d'imaginer ça... Repoussons la chose et ancrons-nous dans l'instant présent, si riche et si beau. Dans pas longtemps, Hubert sera là, il convient de ne pas se laisser plomber. Jusqu'ici, tout va bien.
Le concert démarre. Il sera lui aussi amputé de Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir, de Whiskeuses images again, de 113ème cigarette sans dormir et de Redescente climatisée. Éternels regrets posés sur ces quatre lourdes absences...
Dès le début, nous sommes plusieurs à constater que le son a des ratés. Ce sera encore plus flagrant vers la fin, sur Soleil cherche futur, où tout nous sera livré en vrac ! Paroles et musique sont là, mais pas dans l'ordre habituel. Pas grave, nul ne se laisse démonter par les incidents techniques qui ponctuent la soirée. L'indulgence est de mise puisque tout est bien quand même, malgré ça. L'ambiance n'est pas mal non plus. Pas incandescente comme à l'Olympia, mais elle se défend convenablement. La semaine dernière, j'étais en plein dans le volcan, là c'est plus modéré, un peu comme si je ne faisais que réviser ma tendresse des volcans. Oh, c'est déjà pas si mal, me direz-vous. On a connu pire ! Tout autour de moi, ça danse, ça chante, ça jubile. De temps à autre, j'échange quelques mots avec mon voisin (fort sympathique au demeurant). Je suis bien placée : troisième ou quatrième rang dans la fosse et pas de grand pour me boucher la vue et me gâcher mon Hubert … que toute la salle sacre roi en ce samedi de mai où rien n'est plus urgent que de faire ce qu'il nous plaît de nos envies.
La sortie du public ressemble un peu à celle de l'Olympia. En moins bouillante tout de même. Mais des « oh oh oh oh oh oh » accompagnent la promenade vers le hall. Je suis avec mon voisin de concert. Nous rejoignons ensuite son groupe d'amis. Bételgeuse se joint à nous. Et nous allons boire un verre dans le centre-ville. Principal sujet de conversation, là encore : Hubert. Hubert et ses 75 ans, bientôt 76, et une énergie qu'on lui envie d'avance, nous qui ne savons pas comment nous serons dans deux décennies (si nous sommes encore !). Hubert et ses chansons qui nous transportent depuis si longtemps, les uns et les autres. Hubert et ce truc qui fait que même quand on l'a vu de nombreuses fois, on en redemande encore, encore, encore !
Je termine aujourd'hui ce récit commencé hier dans la plus grande fatigue ! Je ne suis guère plus en forme en ce lundi ! Ah, ça, pour sûr, je n'ai plus vingt ans, ni même trente, ni même quarante ! Un week-end comme celui-là, ça vous met à plat sa quinqua, il faut bien l'admettre ! Néanmoins, ladite quinqua se demande tout de même s'il ne serait pas souhaitable pour elle d'aller faire un tour du côté de Besançon samedi prochain, on ne sait jamais, des fois que l'océan se trouve au bout... Ma nouvelle devise ? Au nom d'Hubert, au nom du vice, au nom des rades et des mégots !
17:28 | Lien permanent | Commentaires (10)
25/05/2024
Jil Caplan au Long Way à Longwy...
"Quelque chose va venir
Quelque chose vient toujours
Le meilleur comme le pire
La surprise de l'amour". Jil CAPLAN
Ça se passe au Long Way à Longwy. Vous avez la subtilité du jeu de mots ? Pas encore ? Laissez infuser, ça va venir...
Voilà un lieu tout récent et déjà presque mythique. Comment le définir ? Pub rock ? Oui, quelque chose dans le genre. En tout cas pub où sont régulièrement organisés des concerts. Il paraît que le patron apprécie beaucoup Thiéfaine. La preuve : sur un mur, la pochette du vinyle Soleil cherche futur. Un peu plus loin, un espace appelé « le mur des bons », où l'on trouve une belle photo de l'ami Hubert. À côté d'un portrait de Robert Smith, entre autres. Les Cure, toute ma jeunesse ! Je les écoutais beaucoup à une époque où mon frère habitait à Longwy, justement. C'était dans les années 90. Longwy n'était alors qu'une ville éteinte qui se cherchait un futur dans les ruines de ses aciéries désaffectées. Tout le monde la trouvait moche et triste. Moi aussi, un peu, mais j'avais quand même de la tendresse pour elle. Ça m'arrive toujours avec les lieux qui n'ont pas eu de chance, je crois que ça me vient de mon expérience de l'ex-RDA !
Mais hier, en traversant Longwy, je fus plus qu'agréablement surprise : sauvagement surprise, dirais-je. Les anciennes usines ont été démontées et ont fait place à des espaces verts. Les fortifications ont été mises en valeur. Je reviendrai un jour, en touriste, c'est promis.
Mais ce soir, je suis là pour Jil Caplan. Elle et moi, ça commence aussi dans les années 90. Et ça commence avec sa voix, que je trouve belle, enveloppante, swingante. J'achète un album, À peine 21. Dans la chanson du même nom, ça dit « j'ai si vite grandi et je me sens tellement vieille, à peine 21 ça vaut plus le coup que j'essaye ». Ce pessimisme noir c'est noir il n'y a plus d'espoir me plaît, il faut dire que je patauge alors dans les mêmes eaux troubles. Je me nourris d'œuvres littéraires et musicales qui dépeignent le spleen dans de grandes largeurs anthracites. Je comprends qu'elles font plus que le dépeindre : elles le dépassent, elles le subliment, elles aident à moins claudiquer. Je n'ai pas encore croisé la route d'HFT, mais je suis lancée sur la bonne trajectoire, il n'y a plus qu'à patienter...
Mais pour l'heure, Jil Caplan. Démarre alors une longue histoire. Qui m'a menée jusqu'au Long Way hier. Et m'entraînera sans doute encore plus loin, ailleurs, je l'espère...
Jil Caplan, je l'avais déjà vue deux fois : chez Paulette en 2006 (je crois) et à Longlaville en 2018, peut-être bien. Chez Paulette, j'avais été estomaquée de la voir, avant le concert, arriver au bar avec son labrador noir. Qui, à un moment, avait même fini sur la scène ! Il paraît que Jil a toujours aimé les animaux en général et les chiens en particulier et que si elle devait créer un parti politique, il s'appellerait LPC, Liberté pour les Chiens. Voilà ce qu'elle nous dit, au Long Way, pour introduire la chanson Animal Animal, extraite du dernier album (que je vous recommande, comme tous les autres). Elle est accompagnée de sa complice Emilie Marsh, qui a composé les musiques de cet opus joliment intitulé Sur les cendres danser. Paru en septembre 2023, à un moment où j'avais, au sortir de la maladie, le sentiment de devoir moi aussi contempler des cendres, avec en tête un seul mot d'ordre : danser dessus.
Bref... Tout au long de la soirée, cet album est mis à l'honneur, et c'est tant mieux pour moi qui l'adore et l'écoute régulièrement en boucle. Je ne le connais pas encore tout à fait par cœur, mais ça va venir, c'est sûr. Que nous raconte Sur les cendres danser ? Qu'un jour les enfants grandissent et font de leurs parents des darons et des daronnes. Jil Caplan a tiré une chanson très émouvante de cette expérience troublante : Daronne. Qu'elle introduit avec humour : « On fait des enfants. Au début, ils sont tout petits et ils nous obéissent. On leur dit va au lit, et ils vont au lit. Ils nous disent je t'aime, maman. Et puis, un jour, on entre dans leur chambre et on les entend dire à quelqu'un, au téléphone : J'peux pas te parler, y'a ma daronne ».
Que raconte encore Sur les cendres danser ? La triste histoire de Virginia Woolf, des voix dans la tête, des pierres dans les poches pour être certaine de bien sombrer dans les flots où elle s'enfonce. Ça raconte aussi qu'être heureux, peut-être que ça n'existe pas. Et bien d'autres choses encore, que je vous invite chaudement à découvrir sans tarder, non mais !
Quelques chansons anciennes viennent ponctuer la soirée. Notamment un mémorable Tout c'qui nous sépare, le tube de Jil (son cylindre, comme elle dit), porté au Long Way par un public qui en connaît les paroles par cœur, ainsi que toutes les modulations. C'est beau à pleurer, ce chœur qui s'est formé spontanément dès les premières notes du morceau. Dans la série des anciens, il y a aussi Les deux bras arrachés (quoi de plus radical pour décrire l'absence ?), Natalie Wood, À la fenêtre, Des toutes petites choses. Je suis au deuxième rang et je ne me lasse pas de regarder Jil. C'est une des plus belles femmes que je connaisse. Elle a ce qu'on appelle du chien, et ce n'est peut-être pas un hasard, n'est-ce pas ?!
Après le concert, elle vient à la rencontre du public. Je prends mon courage à deux mains et j'exagère un peu en lui demandant de signer Le feu aux joues (son livre paru en 2022 aux éditions Robert Laffont) et l'album sur lequel il y a L'âge de raison, L'écrin, Les clés, Blanc, etc. Celui-là, je l'ai écouté des milliers de fois. Sur la première page du livret, ces mots d'Anaïs Nin : « Je marche au-devant de moi-même dans l'attente perpétuelle d'un miracle ». N'est-ce pas ainsi qu'il faudrait toujours marcher ? Parfois, les miracles se produisent. Comme hier au Long Way à Longwy. Être heureux, peut-être que ça existe. De temps en temps, par touches subtiles. Et fugaces, bien sûr, sinon ce serait trop beau et trop facile. Il faut savoir saisir ces touches subtiles et fugaces comme on saisit une balle au bond. Comme Jil Caplan saisit son tambourin et Emilie Marsh sa guitare : avec grâce et toujours au bon moment !
C'était hier au Long Way et je crois que je me suis pas trop mal débrouillée pour choper tout ça et m'en faire des souvenirs exaltants. Sur ce, on the road again, car aujourd'hui il y a Hubert à Reims, du soleil dans ma rue et un feu dans ma tête, comme dans la chanson de Jil Caplan !
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20/05/2024
A armes égales avec la lave et le magma !
"Comme la poussière, le temps tombe en petites miettes fines sur les meubles et sur mon cœur". Brigitte FONTAINE
Ne me cherchez pas en ce mai, joli mai, mois de Marie, car je suis bien décidée à faire ce qu'il me plaît de mes envies ! Est-ce ma faute à moi si celles-ci me ramènent si souvent à Hubert ?! Non, c'est sa faute à lui, d'abord. À peine un concert s'achève-t-il que j'ai besoin de me projeter dans le prochain pour ne pas déprimer. Je parlais justement de ce curieux phénomène à la sortie de l'Olympia, vendredi soir, avec deux jeunes dont la passion m'a émue. Lui, vingt-six ans, initié à Thiéfaine par son père. Elle, vingt-sept ans, tombée je ne sais comment dans le grand feu. Lui voyant HFT pour la vingtième fois, elle pour la cinquième fois. Là, je n'ai pas pu m'empêcher de frimer et d'évoquer ma soixantaine de concerts. Attendez, jeune homme et jeune fille, on ne peut pas avoir et la jeunesse et l'expérience. Il faut bien que vieillir offre quelques avantages, mince alors, c'est déjà assez cruel comme ça de devoir s'accommoder jour après jour des chairs tombantes, des yeux flétris, et autres implacables joyeusetés. La gravité est une sacrée salope, entre nous soit dit. Alors oui, j'ai cinquante ans, mais un palmarès que ces deux jeunes-là n'atteindront jamais, fussent-ils animés de la meilleure volonté du monde ! Non mais ! N'empêche que cinquante, vingt-six ou vingt-sept ans, c'est rien que du pareil au même : à peine tu quittes une salle de concert que tu mets déjà mentalement un pied dans la suivante, pour ne pas sombrer. C'est ce que m'expliquait la jeune fille vendredi. C'est ce que je me tue à répéter moi-même ici, depuis dix-huit ans !
Ça m'a fait quelque chose de voir ces deux-là. Lui, je le regardais régulièrement pendant le concert, car il se trouve qu'il n'était pas loin de moi. À aucun moment je n'aurais pu le prendre en défaut : il connaît toutes les paroles par cœur. Il écoute Thiéfaine depuis l'âge de huit ans. La classe. Et tous deux de s'extasier sur le mélange de générations auquel ils assistent à chaque fois qu'ils vont voir Thiéfaine... C'est peut-être moins flagrant qu'après Suppléments de mensonge, mais quand même. Et dire qu'un jour je fus comme eux, toutes risettes dehors... Émerveillée par le palmarès des plus âgés... Un jour, un de mes collègues m'avait dit : « J'écoutais Thiéfaine, t'étais même pas née ». Maintenant, voici venu mon tour de tenir ce genre de propos. Ma mère aimait citer Corneille : « On m'a vu ce que vous êtres, vous serez ce que je suis ». Ce n'est pas que j'en tire de l'amertume, non, mais une putain de nostalgie. Toutes ces choses qui nous filent entre les doigts, et cette vie qui passe comme une rivière, faut pas trop regarder l'heure (c'est la deuxième fois que je cite Capdevielle en quelques jours, il doit y avoir un truc, mais quoi, je ne sais pas)...
Donc, en ce lundi de mai, joli mai, mois de Marie, la nostalgie, camarade, anime ma plume comme souvent, plus souvent qu'à mon tour. L'Olympia, c'est fini. Ça ne reviendra plus. Et c'est fort dommage car ce fut un truc de malade. Sur cette tournée, jamais je n'avais vu une telle ambiance. D'habitude, il fallait attendre une bonne demi-heure avant que le dégel n'arrive au sein de la foule, mais là, mais là... Dès les premières notes de Droïde song, comme l'impression de flotter sur un volcan. Non pas sur, mais dedans. Pour tout bagage, l'incandescence. À armes égales avec la lave et le magma ! Très vite, je sens le sol onduler sous mes pieds. Pas besoin de danser, il le fait pour moi, mû par d'autres ardents. C'est une communion immense. Même mon voisin de derrière, pourtant roi de l'indélicatesse, est soudain mon semblable, mon frère, en ces circonstances exceptionnelles. À plusieurs reprises, il me donne des coups. L'un d'eux me fait plus mal que les autres. Je me retourne et je gueule : « Purée, ça fait mal ». Le gars ne me calcule même pas. En proie à une extase que je finis par trouver belle et touchante (ah ça oui, très touchante, encore plus au propre qu'au figuré). Pas grave, l'ami, reste accroché à ta transe, la mienne n'est pas mal non plus dans son genre. Simplement plus discrète et moins rentre-dedans !
Je crois que la folie qui agite le public galvanise et Hubert et ses musiciens. Partout, des bras levés, des mains qui tapent, des corps qui bougent (mesdames, quelques séances de rééducation périnéale ne nuiront pas, je pense !), des cordes vocales qui s'enflamment. Vers la fin, un type, devant moi, lance tout de go : « Hubert, nous on est Bretons et les Bretons aiment les Jurassiens » ! Ah, ben voilà un début d'explication pour mon cas clinique : c'est du côté des origines qu'il faut chercher...
La setlist est un peu rabotée. Dommage. On aurait aimé réentendre Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir (j'adore cette chanson et cette déclaration d'amour à rebours, je trouve que c'est assez génial d'aller dire ça à quelqu'un), Redescente climatisée, 113ème cigarette sans dormir et Whiskeuses images again.
Toujours des musiciens au top du top. Un Fred Gastard volontiers taquin. Il m'éclate. Il est non seulement virtuose, mais en plus incroyablement marrant, ce qui fait de lui un être éminemment sympathique. Oui, désolée, c'est mon chouchou.
Au début de Sweet Amanite Phalloïde Queen, Thiéfaine s'emmêle les pinceaux. Le pilote aux yeux de gélatine se crashe, le public rit et applaudit. Le pilote se ressaisit presque aussitôt, avec brio. De temps en temps, sur une ou deux chansons, un peu de yaourt, par-ci, par-là, mais rien de grave, docteur !
On arrive soudain à La fille du coupeur de joints sans avoir rien vu passer. C'est dingue quand même, ce que provoque cette ritournelle, en tout cas en moi : joie et tristesse mélangées.
La sortie du public est à l'image de cette soirée : délirante et volcanique. Des voix s'élèvent dans le hall et entonnent le refrain de La fille. Des bras promènent un drapeau franc-comtois. Même pas un drapeau breton pour rivaliser. Ben mince alors. La fierté bretonne ne serait-elle plus ce qu'elle était ?! Mais si, voyons : ne pas oublier qu'en plein concert, le type devant moi a exhibé ses origines à voix haute. Même que sa femme a eu un peu honte, elle me l'a avoué entre deux chansons. Je lui ai dit que je comprenais son mari, étant moi-même à moitié de son pays. Les origines qui vous remontent tout soudain, je connais, ça vous prend toujours au moment où on s'y attend le moins !
Donc, dans le hall, ça chante, ça danse. Un vigile se marre, il nous dit qu'il faut partir quand même, comme dans la chanson*. Il est presque gêné de nous demander ça, il voit bien qu'ici on aime faire durer, comme dans une autre chanson (pas de Françoise Hardy, celle-là). La joyeuse petite bande fredonnante ne se démonte pas et poursuit son récital sur le trottoir, secouant l'âme de Bruno Coquatrix qui, à mon avis, n'en est toujours pas revenue.
Mes filles me rejoignent alors (elles ne m'ont pas accompagnée au concert). Louise, voyant l'ambiance qui se prolonge délicieusement dans la rue, me dit : « Je regrette tellement de ne pas être venue ». Et ça, c'est peut-être le plus cadeau de cette soirée qui n'en fut pourtant pas avare...
*Partir quand même, Françoise Hardy.
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04/05/2024
Relire Hölderlin...
"Ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin". Hubert-Félix THIÉFAINE
Hier encore, j'étais à Tübingen, en Allemagne (il paraît qu'on dit Tubingue en français, mais ce n'est pas terrible). C'est une ville où j'étais déjà passée en coup de vent il y a quelques années. J'avais voulu y visiter la tour Hölderlin, mais elle était fermée, je ne sais plus pour quelle raison. Je m'étais promis de retourner là-bas. C'est chose faite.
Pendant cinq jours (c'est si peu), j'ai eu le plaisir de me promener dans une ville où la littérature tient une large place. De nombreux écrivains sont venus ici. Hermann Hesse y a été apprenti libraire. Goethe y a séjourné. Mais celui qui a le plus profondément marqué Tübingen n'est autre qu'Hölderlin, celui-là même que Thiéfaine évoque dans Les dingues et les paumés. Un « catalogue » où ce poète est plus que légitime. Il fut déclaré fou en 1806. On l'interna à la clinique du docteur Authenrieth à Tübingen, puis le menuisier Zimmer lui offrit l'hospitalité, dans une tour située sur le fleuve Neckar (toujours à Tübingen). C'est cette tour que je vous présente en photos dans le nouvel album qui orne ce blog. Elle a été reconstituée, elle fut détruite par un incendie cinq ans après le passage d'Hölderlin en ses murs. Celui-ci y vécut les 36 dernières années de sa vie. Il transforma très vite la pièce qu'il occupait en laboratoire d'écriture. Il l'arpenta de long en large durant de longues années, scandant régulièrement ses vers, pour voir un peu si une mélodie acceptable en sortait (cela rappelle le gueuloir de Flaubert). Ses poèmes, parlons-en : ils firent mon désespoir durant mes années d'études. Je n'y pigeais tout simplement que dalle (ni en allemand, ni en français). Je me souviens d'y avoir écorché mes neurones sans aucun succès. Galère. En revanche, l'homme me fut d'emblée sympathique. Sa vie nous fut présentée avec beaucoup d'empathie par un professeur que la littérature allemande faisait vibrer par tous les pores, ça se voyait. Plus tard, une autre prof nous dirait, à nous ses étudiants, que nombreux étaient les génies germanophones qui avaient fini par se suicider ou par sombrer dans la folie. Une sorte de marque de fabrique, en quelque sorte. Je venais de pénétrer sur un territoire de sables mouvants, peuplé des fantômes de Kleist, de Zweig et d'autres désespérés... Ce ne fut pas pour me déplaire. Le tout porté par une langue majestueuse. Si, si, je persiste et je signe : l'allemand est une très belle langue. Ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de ses accents toniques (un peu fiévreux, il est vrai, mais tellement « aussagekräftig », justement) me désolent. Disons qu'exprimer ce genre d'opinion devant moi n'est pas faire preuve de diplomatie... Bref...
Dans les jours qui viennent, je rassemblerai les informations que j'ai récoltées à Tübingen au sujet de ce pauvre Hölderlin à l'esprit embrumé, et je les mettrai ici. Avec quelques poèmes, en version bilingue. Vous me direz si vous y comprenez quelque chose ! Pour moi, c'est rien que du flou, mais je me laisse porter par la beauté des mots. Un peu comme si je me baladais en « Stocherkahn » sur le Neckar.... Doux souvenir de ces embarcations, à mi-chemin entre la pirogue et la gondole ! J'ai fait une jolie promenade sur l'une d'elles mardi dernier. Ah, que le temps file vite, mes amis ! « La vie passe comme une rivière, faut pas trop regarder l'heure », c'est le cas de le dire avec ce brave Capdevielle que je ne cite pas souvent ici !!!
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