26/04/2024
Miracle...
"Le petit jour favorise les songes creux car l'espérance est matinale". Paul GUIMARD
Années 1990. Il y a ce type un peu bizarre qui me chante des trucs tout aussi bizarres, comme « La vie c'est pas du bubble-gum et rien que le fait de respirer ça me fout des crampes dans le sternum ». Et tant d'autres choses encore qu'il me faudrait un livre entier pour les répertorier. Et une vie de plus pour les comprendre toutes ! Le type en question a un nom bizarre aussi : Hubert-Félix Thiéfaine. Pas mal de syllabes que l'on peut réduire, si l'envie nous en prend, à trois lettres : HFT. De la Haute Tension pour entourer le F, synonyme de Folie, ou quelque chose d'avoisinant.
J'ai la vingtaine et des illusions pas encore perdues. Avec, cependant, une tendance à penser tout au fond de moi que ça viendra, qu'un jour les illusions clamseront comme des vieux chiens au soleil. Bref... Alors je me sens en pays connu dans les chansons de Thiéfaine qui ne suintent pas toutes l'optimisme béat, c'est à souligner. Dès que je peux, je case ce Thiéfaine dans mes conversations. Je le cite, je me l'approprie, je suis en couple avec son œuvre ! Sur la pochette qui accompagnera ma vie d'étudiante pendant plusieurs années, j'ai écrit, comme d'autres écrivent le doux nom de liberté : « Je respire l'odeur alcaline des relents d'amour périmé ». Rien que pour la beauté du truc. Je trouve que ça claque (bien qu'on ne dise pas ça à l'époque, me semble-t-il, mais j'ai volontiers la plume anachronique). Dans un petit carnet où je consigne des mots d'écrivains, voilà que trônent soudain des paroles de chansons aussi. Par exemple : « À regarder passer les linceuls dans la rue aux spectres visqueux, j'sais plus si c'est moi qui suis seul ou les autres qui sont trop nombreux ».
Je viens également de découvrir Cioran et Gary et tout s'emboîte miraculeusement. L'œuvre d'HFT, je lui trouve de délicieuses accointances avec celles de ces deux auteurs que je lis fiévreusement. De l'inconvénient d'être né, Sur les cimes du désespoir, Syllogismes de l'amertume, ça pourrait être du Thiéfaine, n'est-ce pas ? « Bourlinguer, errer, errer humanum est », ça pourrait être du Cioran, n'est-ce pas ?!
Je me souviens de m'être enivrée des pages que ce philosophe a consacrées à l'insomnie (« cette indigestion de l'âme », dira Thiéfaine), étant moi-même insomniaque à cette époque-là de ma vie (et pouvant l'être encore aujourd'hui, à la moindre contrariété). Je lisais ces passages de préférence la nuit, tant qu'à faire, pour être dans l'ambiance ! Et je trouvais qu'on n'était pas loin du sieur Hubert... Je m'entourais de tout un barda pas très jouasse, mais qui, étrangement, me faisait du bien. Il n'était pas rare qu'on me dise : « Moi, Thiéfaine, j'peux pas, c'est vraiment trop désespéré ». Ce à quoi je répondais que pour moi c'était l'inverse qui se produisait : ce désespoir, comme il seyait au mien, comme il le soutenait et, ce faisant, le mettait k.o. !
Années 2020. Dans ma vie, il y a toujours ce type un peu bizarre qui m'accompagne absolument partout et tout le temps. Même quand je ne l'écoute pas. Si on m'avait dit, il y a trente ans, que je venais de tomber pour des décennies dans la marmite, y aurais-je cru, moi qui pensais déjà, indécrottable optimiste (!), que toute chose était vouée à s'effriter pitoyablement ? Et si, au premier concert, à Sarreguemines, on m'avait dit que des dizaines suivraient, qu'aurais-je répondu ? J'aurais été dubitative, je pense, mais sans doute pas totalement incrédule. Je savais déjà qu'un truc immense avait pris corps dans ma vie ! Et, à mes yeux, c'est miracle qu'il soit toujours là, sans rides, frais et pimpant comme une jeune fille. J'aurais pu, soudain, ne plus me reconnaître dans les mots de Thiéfaine. Il aurait pu, qui sait, soudain ne plus me sembler raccord avec ses idées, prêcher un truc et afficher le contraire, que sais-je encore. Nos chemins auraient pu s'éloigner comme s'éloignent tous les chemins que la vie fait. Eh bien non. C'est miracle, vous dis-je !
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16/04/2024
Michel Jonasz était à Neuves-Maisons samedi dernier !
"Donnez-moi le temps - ce luxe suprême - de vivre à mon rythme, de regarder, de prendre des chemins que n'indiquent pas les cartes et les plans. De faire halte et de boire un verre de souvenirs avec des compagnons dont je suis le seul à déceler la présence". André HARDELLET
Ils arrivent main dans la main, et c'est beau. Ils, c'est-à-dire Michel Jonasz et Jean Yves D'Angelo, le musicien qui l'accompagne. Cette manière d'entrer en scène en dit long sur la complicité qui les unit. Complicité qui ne se démentira pas une seule seconde durant le spectacle !
Pour commencer, Jonasz déclame un texte qui s'adresse à un mystérieux « frère des douleurs partagées ». En fouillant sur Internet aujourd'hui, j'ai découvert que c'étaient les paroles de la chanson Les mots d'amour. Le mystérieux frère est peut-être un frère réel ou un ami. Ou encore, plus vraisemblablement ce soir, le public.
On dirait que Michel Jonasz nous convie à une promenade bras dessus, bras dessous. Et c'est bien agréable. Nous le suivons, pendant environ une heure et demie, dans cette belle flânerie qui se déroule parfois à l'ombre des jeunes filles en fleurs, notamment quand le chanteur évoque ses amours d'enfance. Je pense au « vert paradis des amours enfantines » de Baudelaire. On sent que Jonasz est légèrement nostalgique sur ce coup-là. Je me dis que plus les années passent, plus nous foudroient les premiers souvenirs. Ma mémoire me fait souvent l'effet d'une vieille radoteuse qui va toujours triturer les mêmes territoires explorés cent mille fois... Et ce n'est pas le livre acheté aujourd'hui qui va arranger mes affaires : Donnez-moi le temps, suivi de La promenade imaginaire, d'André Hardellet, qui ne raconte ici que des souvenirs teintés de nostalgie ! Bref...
Flânerie, disais-je. Si l'on veut. C'est tout de même bien rythmé ! On ne s'ennuie pas une seconde, en tout cas. Quand Michel Jonasz ne chante pas, il parle, il nous livre des anecdotes, et c'est drôle. Je ne le savais pas doté d'un tel humour ! Il faut dire que je ne le connais pas bien. De son répertoire, je n'ai retenu que l'écume des grands « classiques », et c'est tout.
Jonasz nous parle de son compagnon de scène et nous le décrit comme sacrément calé dans son domaine, la musique. Il ajoute : « Le solfège, quand c'est bien joué, ça peut être très joli », et toute la salle éclate de rire. Comme lorsqu'il évoque cette jeune fille lui ayant demandé récemment un autographe, précisant malencontreusement que c'était … pour sa grand-mère ! Il plaisante sur l'âge de son public et je regarde autour de moi. Je crois, sans vouloir offenser quiconque, que je fais partie des plus jeunes ce soir. Je ne boude pas mon plaisir, celui-ci ne m'étant plus accordé si souvent !
Vient ensuite le moment de ce que Jonasz appelle ses chansons grigris : Super nana, Joueurs de blues, La boîte de jazz. Mais on n'aura pas droit aux Vacances au bord de la mer, que j'ai espérées toute la journée.
Pas grave. On a eu d'autres choses. Du blues et du jazz, mais pas seulement. Du rire aussi. Et beaucoup d'émotions. C'est peut-être encore plus vrai pour moi qui, par moments, avec les jeux de lumière, voyais se superposer une image sur la silhouette de Michel Jonasz : celle de mon père en sa plus florissante époque, quand il ne quittait la maison qu'en costar-cravate. Terriblement troublant...
Bref, c'était un super concert !
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06/04/2024
HFT était au Casino de Mondorf-les-Bains hier soir !
"La nuit
tombe, l'aube se lève, un été a passé.
Déjà, disent les fumées du hameau
tandis que des animaux sans colère continuent
d'amasser l'or du temps, l'or
de nos yeux avides et si vite fermés". Guy GOFFETTE
Heureusement que de temps en temps, un brin de raison vient me percuter et bloquer mes pulsions / impulsions, sans quoi je serais en ce moment même en route pour Dole. Bon, j'avoue que le pincement au cœur est énorme de ne pouvoir assouvir le désir de voir Hubert dans sa ville natale. Mais on ne peut pas tout avoir, n'est-ce pas ? J'ai eu Mondorf-les-Bains hier, j'aurai Paris et Reims en mai. Peut-être Besançon en juin, peut-être Bois d'Amont en septembre. C'est déjà pas si mal. Mais Dole, tout de même, ne m'aurait pas déplu !
Mondorf-les-Bains, donc. Hubert s'y est produit hier au Casino. J'y avais déjà vu, il y a bien longtemps, la chanteuse Berry dont on n'entend plus du tout parler aujourd'hui. Dommage, d'ailleurs. À l'époque, déjà, j'avais noté le côté un peu surréaliste du truc : aller voir un artiste pas loin des machines à sous et autres bandits manchots...
Hier, en traversant tout cet arsenal, je pensais à la chanson Sexe, Casino et tendritude, qui n'est pas la plus connue d'HFT. Je me disais que ce serait drôle qu'il nous la fasse. Vous imaginez ? Une chanson par ambiance. Ce soir Villes natales et frenchitude. À Reims Affaire Rimbaud, parce qu'on n'est pas loin des Ardennes. À vous de poursuivre la liste à l'envi.
Bon, mais non, pas de Sexe, Casino et tendritude hier soir, pas plus que de Maalox Texas Blues qui était venu visiter un de mes rêves la semaine dernière. J'aurais adoré, pourtant. Tout comme Dole ce soir. Mais on ne peut pas tout avoir, n'est-ce pas, et pas la peine de radoter.
Reprenons donc depuis le début. Départ de la maison vers 16h30. Une heure et demie plus tard, même pas tout à fait, j'arrive dans un pays où « herzlich willkommen » se dit «häerzlech wëllkomm ». On dirait de l'allemand, en plus compliqué encore !!!
Je suis toute guillerette en ce 5 avril 2024 qui, comme tous les jours que Dieu fait d'ailleurs, aura la particularité de ne jamais revenir. J'y pense un peu au volant de ma voiture, je sais que chaque seconde qui passe est précieuse. Il faut la savourer comme il se doit. Dans quelques secondes, elle ne sera plus là. Et m'amènera, avec ses petites sœurs, au point de non-retour : la fin du roman de ce soir. Je roule vers Bruce et Cindy, lorrains comme moi. Fans de Thiéfaine aussi. Adeptes quand il le faut des grandes discussions sur les parkings qui bordent les salles de concert... Même durant les hivers que la Lorraine sait rendre rigoureux à souhait.
Nous nous retrouvons et allons manger ensemble. À 20h et des brouettes, agitation à notre table de resto : il ne faudrait pas que nous soyons en retard où vous savez. Il n'y a que cinq minutes de marche de là où nous sommes au Casino, mais prévoyons large quand même, on ne sait jamais, une traversée d'engin, que sais-je...
Comme moi, Bruce et Cindy ont chacun un billet pour le premier rang. Mais pas du même côté que moi. Nous nous séparons donc. Embrassades à droite et à gauche, et je m'installe. Ça y est, le voilà, le moment tant attendu.
Concert assis. Ça me fait toujours un peu bizarre. Incompatibilité avec les chansons d'Hubert. Mais son public n'ayant plus tout à fait vingt ans, il faut offrir un certain confort aux arthroses naissantes, aux rhumatismes, aux cartilages devenus trop poreux, n'est-ce pas ?!
Est-ce cette foutue position assise qui fait que pendant quelque temps rien ne bouge ou presque dans les rangs ? C'est mou du genou, tout ça. Et, pour ma part, je reconnais que quand ça ne s'agite pas plus que ça, je suis plutôt du genre à ne pas oser. Il n'en va pas de même pour un de mes voisins, 655321, qui, à un moment, estimant que la mollesse ça va bien cinq minutes, même quand on a les articulations rouillées, jouera les ambianceurs à grand renfort de larges gestes bien qu'étant lui-même perclus de douleurs !
Démarrage tout doux, donc. Ce n'est que sur Amanite phalloïde queen que tout ce petit monde se décrispe. Ah, ça y est, enfin ! Désormais, chaque chanson connaîtra ses envolées, et je suis soulagée. Je ne voudrais pas qu'Hubert pense qu'on n'est pas d'humeur à le suivre. Ou qu'on a mal vieilli.
Aux quatre coins de la salle, des vigiles veillent au grain. Le moindre flash apparent se voit couvert de remontrances. Ici et là, quelques personnes se lèvent. Le vigile qui est à quelques pas de moi est aux aguets. Ok pour la position debout, mais pas trop près de la scène.
Et puis, finalement, tout part en vrille quand même, et ce avant La fille du coupeur de joints. D'accord, on n'a plus vingt ans, ni même trente, parfois même plus quarante, mais il ne s'agirait pas non plus de nous condamner direct à l'Ehpad. On a de la ressource et on va (enfin) le prouver. La même ressource donnant à voir le meilleur d'elle-même quand retentissent les premières notes de La fille. À ce propos, savez-vous que désormais, on trouve au merchandising une boîte à musique qui joue ce morceau ?! J'adore l'idée ! Mais je n'ai pas acheté le gadget en question : dans quelques mois, je déménage et j'ai bien assez de bibelots comme ça. Notamment un cendrier HFT qui ne sert jamais, vous vous souvenez ?!
Hubert et ses musiciens arborent un franc sourire à la fin : le public du Casino a mis un peu de temps à s'enflammer, mais une fois que ce fut chose faite, le brasier s'avéra pas mal. Aurait pu mieux faire, mais je m'attendais à pire compte tenu du départ mollasson.
Encore un concert que j'ai kiffé. De l'émotion à foison en ce qui me concerne. Des frissons partout et des larmes quand j'ai vu Hubert apparaître sur la scène. Il m'a toujours fait ça, ne me demandez pas pourquoi, c'est un truc entre lui et moi ! Re-frissons et re-larmes pendant Combien de jours encore. Chanson ambiguë, vous ne trouvez pas ? Ce qui sous-tend le texte semble se situer entre nostalgie de partir (« Combien de jours encore à contempler l'automne ? ») et soulagement de partir (« délivré à jamais du poids de l'univers »). Tout cela me laisse songeuse à chaque écoute...
Durant la chanson, je me demande combien de concerts encore. C'est miracle d'en avoir vu autant. Miracle d'avoir partagé tant de décennies avec l'œuvre qui me fracassa littéralement il y a trente-et-un ans. Je savais bien, à l'époque, que je venais de me prendre un choc émotionnel déterminant, fondamental, irréversible, mais de là à imaginer qu'il durerait ainsi... J'en éprouve régulièrement une profonde gratitude.
Après le concert, je discute avec un monsieur qui me dit qu'il vient de voir HFT pour la 25ème fois. J'allonge (sans même vouloir frimer) mes quelque soixante concerts et je me transforme soudain en phénomène de foire. Le monsieur va chercher ses potes, qui me félicitent, n'en reviennent pas. Ils sont mordus aussi, me disent-ils, mais tout de même pas à ce point. Ouais, je sais...
Notez encore ceci, s'il vous plaît : à la toute fin, Hubert s'est approché de la foule qui s'était massée près de la scène et a distribué une avalanche de checks. En riant lui-même de son audace. Moment de grâce parmi tant d'autres. Quel homme, vous dis-je, quel homme !
Je ne dévoile pas la setlist pour l'instant. Laissez-vous surprendre lors des dates à venir. Vous ne serez pas déçus !
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05/04/2024
Les affaires reprennent !!!
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