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17/11/2019

La tension monte...

"Chacun se tient en vie selon ses moyens". Anne PAULY

 

Bon ben, oui, clairement, la tension monte. Il y a comme une étincelle qui flotte dans les airs et qu'un rien suffirait à embraser. Tiens, je suis à peu près certaine que vous êtes comme moi et que le ou les concerts à venir (qui a la chance d'assister aux deux, d'ailleurs ?) vous mettent un peu, beaucoup, passionnément, dans tous vos états. De mon côté, j'ai encore du mal à y croire, et je m'efforce de chasser de mon esprit peu lumineux les scénarios catastrophe que j'excelle à échafauder. Je vous en livre quelques-uns : je vais tomber malade pile dans la nuit de vendredi à samedi (je me bourre de vitamines C, de probiotiques, d'oranges pressées : prière de ne pas rire) ; samedi matin, il y aura une telle couche de neige ou de verglas sur le sol lorrain que je ne pourrai pas rejoindre la gare de Metz (la météo annonce un redoux pluvieux, mais peut-on croire les prévisions ?) ; la SNCF va se mettre en grève à partir de jeudi et condamner tous les trains Metz-Paris pour au moins une semaine (j'ai calculé : je pourrai toujours prendre ma voiture, sauf en cas de neige ou de verglas. En partant aux aurores, c'est jouable, mais une bonne partie du beau programme prévu avant le concert tombe à l'eau. Zut, alors qu'il est si alléchant ! Et pour peu que les gilets jaunes s'en mêlent, je suis condamnée à errer sempiternellement, la mort dans l'âme, sur quelque cauchemardesque rond-point de province). Que montrent ces trouilles inopinées que la raison déserte ? Que je suis une fan un peu cloche ? Peut-être. Dans ce cas, j'assume pleinement, parce que je considère que sans passion, la vie serait une erreur. Pour en revenir à cette notion de fan pathétique : tout dépend de quel point de vue on se place. De même qu'on est toujours le con ou le vieux de quelqu'un, on est sûrement toujours le pathétique de quelqu'un, celui dont les marottes demeurent incompréhensibles aux yeux de bien d'autres. Et alors, où est le problème ? Personnellement, je ne vois pas pourquoi une existence serait plus pathétique ou moins pathétique qu'une autre. Ne le sont-elles pas toutes au bout du compte ? N'est-ce pas un peu cela que nous dit Hubert dans bon nombre de ses chansons ? Tenez, prenez Errer humanum est, par exemple. Ces foutues errances qui nous trimbalent d'un point de la planète à l'autre et qui finissent par nous aplatir comme « de vieilles pizzas lâchées d'un soyouz en détresse », ne sont-elles pas une somptueuse, mais triste, ô combien triste métaphore de nos vies, toutes vouées au pathétique ? Il me semble que l'on peut faire une lecture quasi métaphysique de bien des chansons d'Hubert. Je ne dis pas que j'ai raison, je crois d'ailleurs que la grande chance que nous donne cette œuvre, c'est de ne jamais s'offrir d'un seul bloc immuable, avec tous les codes fournis de surcroît. Non, c'est bien plus complexe que cela. Des codes, il n'y en a pas. Des interprétations possibles : une pléthore. Chacun se fera la sienne en fonction de son vécu, de son histoire, de sa sensibilité. D'autres passeront leur chemin en disant que c'est trop sombre pour eux, trop labyrinthique, trop délirant. Et on ne leur en voudra pas, j'espère, parce que cette œuvre, entre mille autres choses, nous aura appris, j'espère encore, la tolérance. Bref...

 

Depuis quelques jours, j'ai fermé tous les accès à Facebook. Dans la mesure du possible, car chassez ce machin-là, il revient au galop, et j'ai quand même laissé venir à moi, à propos de l'Olympia, une ou deux infos que j'aurais aimé ne pas connaître au préalable. Préservez-vous bien, les amis, jusqu'à vendredi ou samedi, car à mon avis les surprises qu'Hubert nous réserve méritent de rester dans leurs limbes fantomatiques jusqu'au bouquet final. Elles vont décoiffer, je crois ! Bon, normalement, si tout va bien, si aucun obstacle ne se met en travers de ma route d'ici là : à samedi ! Et à ceux qui ne seront pas de la fête, je promets (si tout va bien, si aucun obstacle, etc.) un compte rendu aussi pointilleux que possible.

12/10/2019

Samedi d'automne

"Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé". CIORAN

 

« Aujourd'hui, temps gris, vent contraire », comme chantait Jacques Higelin que nous n'oublions pas. Automne : déclin scandaleusement mélancolique, ciels baudelairiens, souvent contrariés, premiers frimas. Je n'aime pas cette saison, mais je lui pardonne car elle sied comme nulle autre aux chansons de Thiéfaine. Les écouter dans cette atmosphère particulière, avouez que cela a de la gueule ! Ces jours-ci, je me suis beaucoup interrogée sur l'origine de mon (n'ayons pas peur des mots) addiction à l'œuvre d'HFT. C'est-à-dire que bien souvent, je ne me pose aucune question à ce sujet, c'est comme ça, c'est une donnée de mon existence, un truc qui se serait mis dans les gènes et n'en serait jamais parti. Je ne vois pas où est le problème. Mais, autour de moi, souvent, la stupéfaction est grande et je fais, au mieux, figure d'adolescente attardée, au pire : d'attardée tout court. Pour mes collègues, par exemple, je suis un peu cette adulescente, quadrado légèrement ridicule, qui aurait omis d'enlever des murs de sa chambre les photos de son idole. Ouille ! Je ne me sens pourtant pas dans l'idolâtrie. Plutôt dans une espèce de reconnaissance qui dure. Je ne sais pas, moi, pourquoi j'en suis toujours là à presque 46 balais ! Je suis partie en vrille par une nuit de septembre 1992, et je n'ai pas repris le contrôle. « Partir en vrille » selon mon Petit Larousse illustré 2018 : être entraîné dans une dérive incontrôlable. Il y a de cela. Quand je lis vos commentaires, je constate que nous parlons, vous et moi, la même langue. Delphine, nouvellement arrivée sur ce blog (bonjour Delphine : non, on n'est pas aux alcooliques anonymes !), se disait «fraîchement percutée par l'express HFT». J'adore l'expression ! Philippe Soltermann (qui a monté un spectacle autour de sa passion pour Thiéfaine) a dit quelque part que l'œuvre de notre poète l'avait électrocuté. Pour ma part, j'ai souvent évoqué une décharge électrique, une claque ou encore un choc. Ben ouais, quoi ? On parle quand même de révélation, mince alors, c'est le genre de truc qui n'arrive pas 55 fois dans une vie.

Donc, d'où vient mon addiction et comment se fait-il (accusée, levez-vous !) qu'à presque 46 ans je n'aie toujours pas décroché ? J'ai peu d'éléments de réponse. Je dirais qu'à un moment donné, il y a 27 ans, une rencontre a eu lieu entre une œuvre et mes plus intimes cellules. Tout, dans les textes d'Hubert, trouvait une résonance en moi. Tout faisait sens, tout était limpide, même quand je n'y comprenais fichtrement que dalle. C'était comme la prolongation de mes cours de philo (et bien plus encore). Car oui, je trouve les textes d'HFT hautement philosophiques. Autant que les traités de Cioran, me semble-t-il, ils nous parlent de notre condition. Pas très enviable sauf en quelques rares moments de grâce où les dieux sont jaloux de nos corps, mais cela ne dure jamais longtemps : très vite, les mêmes dieux « s'encanaillent en nous voyant pleurer ». Comme disait Gary, notre vie n'est peut-être que le divertissement de quelqu'un. D'un sombre salaud, oui, qui se réjouit de nos défaites. Moi je le sens comme ça. Bref, revenons-en aux textes d'Hubert. Prenez Pulque Mescal y Tequila. N'y voyez-vous pas comme une allégorie de notre condition merdique à souhait ? Ne sommes-nous pas tous « tombés d'un DC 10 fantôme sur un aéroport désert » ? Vivre, n'est-ce pas, dès les premiers instants, « confier son âme à un gnome qui jongle sous un revolver », puis finir par s'écrouler piteusement devant le terminal des bus, à Mexico-City ou ailleurs ? N'est-ce pas avoir la « nostalgie de la gadoue » alors que « toujours faut se tenir debout » ? N'y a-t-il pas, là encore, une image du combat qu'il nous faut mener jour après jour pour ne pas nous effondrer comme des « pantins déglingués », de paresse ou de dégoût ? Je délire peut-être, mais moi cette œuvre me parle, entre autres, du grand mystère qui préside à notre dasein et du non moins grand foutoir qui nous entoure. Paumés dans ce cachot, enfermés dans l'étroitesse de notre existence (« bourlinguer, errer, errer humanum est »), il ne nous reste parfois plus grand-chose pour pleurer. Violons ou oreilles, c'est selon l'arrivage, selon les moyens du bord. Nous restons les naufragés dans cet avion-taxi qui nous promène d'une escale à l'autre, avant la transhumance finale. Bref, Thiéfaine, c'est du costaud, du profond, c'est l'enlacement perpétuel du rock et d'une poésie teintée de philosophie, l'humour en prime au milieu de tout cela, comme chez Gary. Le désespoir en filigrane, bien souvent, comme chez Cioran (qui ne manquait pas d'humour non plus). Je ne suis pas loin de penser qu'Hubert aurait pu écrire lui aussi : « Depuis 2000 ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé ».

Thiéfaine, Gary, Cioran : leurs œuvres ont, un jour, fait trembler quelque chose en moi, un truc logé dans le plus intime, et voilà pourquoi je ne m'en remets pas. Voilà pourquoi cette addiction aux chansons d'Hubert. C'est comme une folie qui m'aurait empêchée d'être folle. Qui me maintiendrait à bonne distance des précipices et m'inviterait à regarder vers le haut, là où se trouvent des « ascenseurs au bout d'un arc-en-ciel », vous connaissez la suite. Donc, c'est bien plus qu'un attribut de l'adolescence qui n'aurait pas trouvé plus fort que lui pour le broyer (même pas la vie). C'est, comme écrivait Gary (encore lui), « une impossibilité de respirer autrement ». Je crois que cette passion ne s'éteindra qu'avec la bonne femme. Ça, c'est ma mère qui adorait le dire, à tout bout de champ : à propos de son asthme, de ses angoisses ou de ses nombreux entêtements.

Alors une seule conclusion possible en ce samedi d'automne : « il est temps de sonner la fête », vivement l'Olympia et merde à tous les Vauban qui pensent qu'un cœur c'est comme une ville, ça a besoin d'être entouré de fortifications pour ne pas être bousculé.

30/09/2019

Question

Il s'en passe, des choses autour de Thiéfaine ! L'œuvre de l'artiste n'a pas fini de faire parler d'elle et de susciter des commentaires, des parutions, etc. Voici un livre paru dernièrement :

Jean-Michel Gaudron.jpg

Il s'agit apparemment d'un dictionnaire regroupant quelque chose comme 850 entrées. Je n'en sais pas plus. Question : qui, parmi vous, pourrait nous éclairer au sujet de ce livre (titre : Exercice de simple éducation avec dix fois le mot Paradis. Auteur : Jean-Michel Gaudron) ?

 

 

15/09/2019

Cet instant, le nouvel album de la Grande Sophie

"Et toi tu le vois comment demain

Comme un jour de plus

Ou un jour de moins ?". La Grande Sophie

cet instant.jpg

 

 

 

Vendredi soir, la lune était blanche, joufflue et replète. C'était comme si elle allait enfanter une autre Terre, meilleure que la nôtre. Une belle atmosphère de renouveau enveloppait les champs qui s'étendaient à perte de vue de part et d'autre de la route que je suivais. Dans mon sac, à l'avant de la voiture, le dernier album de la Grande Sophie. Dans mon ventre, l'impatience de le découvrir. À la maison, au moment de déballer le CD, j'observai sur mes doigts presque le même tremblement que lorsqu'il s'agit d'extraire de la cellophane un nouveau Thiéfaine. C'est que la Grande Sophie compte pour moi, depuis des années. Comment l'ai-je découverte ? Grâce à Hubert, d'une certaine manière : sur l'album Les fils du coupeur de joints, LGS chantait Animal en quarantaine. C'était il y a bien longtemps (en 2002, je crois). Tout de suite, sa voix m'avait interpellée. Et cette grâce dans l'interprétation, cette manière de se donner tout entière à la chanson d'un autre tout en se l'appropriant. Très vite, la Grande Sophie m'intrigua. Qui était donc cette femme ? En peu de temps, elle devint une amie fidèle, destinée à m'accompagner sur bien des chemins. Rocailleux ou lisses, c'était selon.

Ce qui est fabuleux avec elle, et ce depuis le début, c'est cette faculté qu'elle a de se mettre en danger et de retomber toujours sur ses pattes, avec, de surcroît, une élégance folle. Mise en danger, pourquoi ? Parce que la Grande Sophie ne nous ressert jamais du réchauffé. Elle sait pourtant, sans doute, quelles sont les recettes qui marchent, mais elle leur préfère systématiquement celles qui n'ont pas encore été testées. Aux sentiers battus, elle oppose fièrement les territoires inexplorés. Et c'est encore le cas avec cet opus, pour le moins déroutant. La surprise commence avec Une vie, le titre qui circule depuis quelques mois sur Internet (le clip n'est pas mal non plus dans le genre déconcertant). On est entre la légèreté d'un rythme dance et l'insoutenable gravité de l'être. Et on oscille sans cesse entre ces deux pôles, tout cela étant rondement mené par une voix qui sait où elle va. Tout au long de l'album (trop court, vraiment trop court, on attend la suite, les bonus, les compléments), on se promène au bras de la Grande Sophie. Elle a l'âme un brin embuée en ce début de cinquantaine qui lui va pourtant à ravir. Elle s'interroge sur le temps qui passe et sème ses ravages sur les amours, sur les visages, sur les quais de gare. Elle se retourne sur hier qui ne fut ni plus beau ni plus intense qu'aujourd'hui. Qui fut, tout simplement, et qui n'est donc plus. C'est puissant, c'est même dérangeant parfois, tant on reconnaît chacune de ses propres rides dans ce miroir que la Grande Sophie nous tend. Et cependant, ce n'est pas triste, c'est souvent relevé par un tempo qui balance et enchante. C'est comme une douce mélancolie d'automne que viendraient balayer de somptueux déhanchements. On croit parfois entendre les accents de Barbara, et cela fait plaisir, c'est signe que deux grandes dames se tiennent la main. À d'autres moments, on croit aussi percevoir de légers échos de rap (notamment dans Hier), et c'est chouette, c'est signe que la Grande Sophie marche avec son temps. Jonction réussie entre le passé et le présent !

J'aime absolument tous les morceaux de Cet instant. J'ai une préférence pour Missive, parce que c'est presque de l'opéra sur du disco ! Les genres se superposent harmonieusement, s'interpellent, se répondent, s'envoient des clins d'œil. C'est tout à fait ce qu'on n'attendait pas et c'est l'évidence même. On se dit, comme pour chaque album de LGS, que c'était ça qu'on espérait au plus profond de soi, que cela ne pouvait se présenter que sous cette forme-là, à la fois totalement nouvelle et pourtant ancrée dans une continuité absolument logique. N'y aurait-il pas là un petit lien avec HFT, lui que l'on trouve toujours là où on ne l'imaginait pas, lui qui nous piège merveilleusement à chaque nouvel album ? À quand le prochain, d'ailleurs ? Je pose la question comme ça, en passant. Même pas dans l'idée d'obtenir une réponse, juste pour la beauté du geste, juste pour le frémissement d'un espoir...

11/08/2019

Hubert à Verdun : du lourd, du gigantesque, du transcendant !

"Moi, à force d'écrire des fragments, j'ai dû en devenir un. Couvert de bleus". Georges PERROS

 

Qu'il faisait bon flâner hier le long de la Meuse aux allures de fée verte ! C'était comme atterrir chez les mutants au sortir d'une autoroute hystérique. Sur les quais, on croisait un peu partout des tee-shirts estampillés HFT. Il n'était que 18 heures et déjà, il y avait foule près de la scène. C'est à ce moment-là, précisément, que j'ai dit à mes filles (car elles étaient de la partie, elles aussi : c'était mon premier concert de Thiéfaine avec elles) : « Vous allez manger un morceau et vous vider la vessie, puis on se posera très vite dans les premiers rangs ». Au passage, je me félicite de cette bonne inspiration. Je ne voudrais pas frimer, mais tout de même : 47 concerts d'HFT au compteur, cela vous pose légèrement en expert de la chose ! Quelques heures plus tard, les quais de Meuse débordaient d'une marée humaine, j'avais donc eu raison d'opter pour la prudence. Du monde, il y en avait partout. Sur les bords, au milieu, dans les interstices. Partout où l'on pouvait caser deux bras, deux jambes et le reste, le trou était bouché. Un truc de malade !

J'avoue qu'une fois encore, la première partie (assurée par le groupe Room Me) n'a fait que m'effleurer furtivement. Je ne peux même pas dire que cela entrait dans une oreille pour ressortir directement par l'autre car j'avais fait en sorte, dès les premières notes, de me colmater copieusement les écoutilles, avec force bouchons et même renfort de doigts. Il faut dire que le son saturé envoyé depuis la scène était de nature à vous crisper les tympans les plus bienveillants du monde. Une dame, non loin de moi, commentera ainsi : « Bouh, ça résonne dans la panse ». Oui, carrément, ça résonnait dans la panse ! Et la question angoissée que tout le monde était en droit de se poser alors : « Purée, est-ce que nous allons avoir le même son pourri quand ce sera au tour d'Hubert ? ». Fort heureusement, ce ne fut pas le cas. Bref... Je suis certaine que Room Me mériterait une écoute plus attentive, mais pour moi, quand je sais qu'Hubert va se pointer d'une minute à l'autre, il faudrait être au minimum son clone (réussi, de surcroît : autant dire le truc improbable par excellence) pour trouver grâce à mes yeux ! Le public d'hier était globalement plus patient que moi et Room Me a tout de même récolté des applaudissements fournis. Mais, il faut bien le dire, lorsque la chanteuse prononcera le nom d'Hubert-Félix Thiéfaine, devenu quasi mantra pour l'occasion, un chalumeau embrasera la foule que désormais plus rien ne retiendra. C'est comme si tout ce petit monde s'était contenu jusque là et qu'il était prêt à hurler furieusement, d'un instant à l'autre et sans prévenir : « C'est Hubert, Hubert, Hubert, c'est Hubert qu'il nous faut » !

Et d'ailleurs le voilà, le grand, le magistral, l'unique Hubert-Félix Thiéfaine. Inclonable, échappant à toutes les classifications, dézinguant les codes. Lui, tout simplement. Il se pointe avec un foulard autour du cou et je blêmis durant quelques dixièmes de seconde : peut-être n'est-il pas en forme ? Peut-être que sa voix va le, nous lâcher d'un moment à l'autre ? Quelques minutes suffisent pour me rassurer. La belle tessiture est là, sûre de son coup, accompagnant comme il se doit le coincement de l'aile gauche du Saint Esprit dans les rayons de la roue arrière. Trois fois. Et pas du tout sur le mode éraillé. Premier virage rondement négocié. Ouf. De toute façon, je ne sais pas pourquoi, mais une intuition me dit qu'Hubert a d'emblée flairé l'osmose hier soir et que ça l'a porté. Il ne tenait peut-être pas une super forme au moment d'entrer sur scène, mais un effet magique, un effet chalumeau même, l'a conduit à donner le meilleur de lui-même. C'est qu'il aurait été difficile de résister à une foule aussi diablement déchaînée. Franchement, c'était du lourd, du gigantesque, du transcendant. Hubert s'est très vite montré souriant et, chose assez incroyable, causant sans que ça semble lui coûter un effort caverneux. Et c'est ainsi que nous apprendrons que Mathématiques souterraines est une chanson non seulement codée (mais ça, on le savait déjà, n'est-ce pas : combien de fois ai-je tenté d'en décrypter les images et suis revenue bredouille de cette quête !), mais aussi et surtout codéinée. De quoi ouvrir des perspectives sur l'infini thiéfainien. Cela vous inspire quoi, cette histoire de codéine ? À vos épanchements !

Bref... Les premières notes de chaque chanson électrisent le public. L'effet chalumeau, je vous dis. Tout le monde va sortir cramé de ce truc-là. Ça crie, ça danse, ça s'agite, ça hurle même parfois des choses qui me feraient rougir si j'étais née de la dernière pluie. « Hubert, à poil ! », par exemple. Véridique ! Bon, je ne suis pas née de la dernière pluie, et mes oreilles plus très chastes ne craignent à vrai dire pas grand-chose. Va pour « Hubert, à poil ! » donc. Mais quand même : ce n'est pas le premier truc que j'ai envie de lui demander, à ce grand monsieur, quand je le vois arriver sur une scène. « Chacun sa religion, chacun son parachute » et il faut (oserai-je dire « hélas ! » ?) de tout pour faire un monde !

À n'en pas douter, ceux qui se trouvent dans les premiers rangs sont des acharnés, des purs et durs pour qui ce concert est de l'ordre de la flamboyante fête. Cette fois, ils n'ont pas payé pour voir Hubert, mais ils veulent quand même en avoir pour leur argent, c'est le jeu. Alors pour rien au monde ils n'accepteraient qu'on leur foute leur fête par terre. Ainsi, un type passablement aviné, abiéré, ajointé, et venu à plusieurs reprises perturber le bon déroulement de l'effet chalumeau, se verra tancé de la plus verte des manières. Même moi je suis prête à en découdre s'il n'arrête pas son cirque. Au moment où il viendra rôder trop près de ma sphère, je le repousserai vivement, agrémentant mon geste d'un péremptoire « casse-toi » dont mes filles se souviendront longtemps, je crois. Allez, je suis restée correcte, j'ai seulement dit « casse-toi » là où d'autres auraient accolé un « pauvre con » à l'injonction, voire un « tu pues et marche à l'ombre ». Moi qui suis d'ordinaire si effacée, j'avoue que je ne me suis pas reconnue sur ce coup-là. Touche pas à mon Hubert, ne viens pas me le gâcher, c'est mon terrain de prédilection ! Ville de la paix ou pas, s'il faut que je me batte pour protéger mon extase, je me battrai ! On ne me mettra pas en pièces mon splendide songe d'une nuit d'été. Car c'en fut un. Comparaison n'est pas raison, mais qu'à cela ne tienne, j'ose la comparaison : Hubert était plus en forme qu'aux Vieilles Charrues. À Carhaix, on le sentait tout de même un peu sur la réserve, quand j'y pense. C'est peut-être aussi que notre « lycanthrope errant » n'est pas trop à l'aise avec les heures diurnes. Il leur préfère sans doute les ombres du soir et le grand trou noir de la nuit où tout devient possible, où l'on peut « s'enfoncer plus loin dans les égouts pour voir si l'océan se trouve toujours au bout ».

Hier, à Verdun, il s'est passé un truc immense que je n'oublierai pas de sitôt. C'était de l'ordre du presque indicible et tout ce que je pourrai bien écrire sur ce blog ne sera pas de taille, je le crains, à retranscrire le grand feu. Je ne peux en livrer ici que quelques braises, certes encore tièdes, mais braises quand même. C'était de l'ordre de la communion spirituelle, ça vous avait presque des goûts d'hostie (j'ai bien dit presque, seulement !). Un grand prêtre vêtu de noir distribuait la joie (oserai-je dire des « orgasmes en sachets » ?!) à une foule frôlant à chaque instant la pâmoison, et sautant parfois à pieds joints dedans, tellement c'était unique, inattendu et divinement savoureux, cette osmose qui durerait encore, j'en suis sûre, si la sinistre réalité n'y avait pas mis absurdement un terme.

Je n'oublierai pas les voix scandant avec ardeur « Sweet amanite phalloïde queen » comme si l'avenir du monde en dépendait, je n'oublierai pas les poings levés, les soleils égarés que l'on cherchait à ressusciter en les appelant à cor et à cri, les invitant à des futurs festifs. Je n'oublierai pas, une fois de plus, les visages traversés de la flamme de l'ivresse, les yeux presque hagards qui n'en reviennent pas de ce spectacle hallucinant et déjanté. Je n'oublierai pas que quand ça lui chante, la Meuse déserte la belle ville de Verdun pour laisser place à l'océan. Surtout : quand on lui chante quelque chose de fracassant où l'individuel se confond avec le planétaire. Car, n'ayons pas peur des mots : les histoires que nous conte Hubert, ce sont un peu, beaucoup, les nôtres. Alors, devant ce truc immense qui lui est tombé dessus hier, la Meuse s'est inclinée et est allée se tapir dans son coin, bien sagement, pour laisser vibrer les déferlantes sur les quais...

 

 

 

Dans la journée, je vous mettrai ici des photos du concert d'hier. En attendant, voici la setlist, un peu différente de celle des Vieilles Charrues. J'ai quand même dû merdouiller en la citant hier dans les commentaires. Je vais « revoir ma copie » avec Erwan et Évadné, et je vous tiendrai au courant. Une chose est sûre tout de même : pas de Septembre rose ni de Je t'en remets au vent à Carhaix. La setlist que voilà est en revanche sûre à cent pour cent puisque j'ai noté minutieusement dans mon téléphone tous les titres joués hier :

-22 mai

-Stalag-tilt

-Éloge de la tristesse

-Les dingues et les paumés

-Crépuscule-Transfert

-La Ruelle des morts

-La vierge au dodge 51

-Septembre rose

-Lorelei Sébasto Cha

-Confessions d'un never been

-Mathématiques souterraines

-Un vendredi 13 à cinq heures

-Je t'en remets au vent

-Enfermé dans les cabinets (avec la fille mineure des 80 chasseurs)

-Alligators 427

-Sweet amanite phalloïde queen

-Soleil cherche futur

-La fille du coupeur de joints.

 

P.S. : Vous voudrez bien excuser les changements de temps inopinés (et sans doute inappropriés) dans le compte rendu ci-dessus, les maladresses, les lourdeurs, tout ce qui peut casser le rythme. Désolée d'avance, je ne sais pas écrire autrement que sous le choc et donc ce matin, c'est l'ébullition, qui est encore à son comble, jusqu'à ce qu'une méchante redescente ne vienne remettre bon (ou mauvais) ordre à tout ça... 

10/08/2019

Thiéfaine sera à Verdun ce soir : haut les cœurs !

"Béni sois-tu et reviens-moi 

présent lointain qui fait mémoire". Georges PERROS

 

Je pense souvent à la chanson de Bashung, Hier à Sousse. Pour en appliquer les paroles à ma vie, au gré du vent, au rythme du vécu. En novembre dernier, lors de ma semaine thiéfainienne, mon refrain, c'était « hier à Metz, demain à Paris, après-demain à Dijon ». Cet été, c'est « en juillet à Carhaix, en août à Verdun ». Et aussi : « Hier à Walygator, aujourd'hui près des Alligators ». Walygator, c'est un parc d'attractions de ma région, j'y ai emmené mes filles hier. Suis-je la seule à le nommer « Walygator 427 » ?! De même, lorsqu'il est question d'Uber ici ou là, suis-je la seule à ressentir comme un léger tilt dans le cerveau et à penser à Hubert ?! Je sais, je sais, les circuits chauffent là-dedans !

Bref, ce soir, c'est Verdun. Je suis déjà en train de m'habiller le cœur. Carrément, à la Saint-Ex ! J'attends avec impatience le moment où je monterai dans ma voiture pour une folle chevauchée. La 47ème, je crois. On the road again ! Cette fois, ça y est : j'ai plus de concerts d'Hubert au compteur que d'années sur la trogne ! Yeah ! L'an dernier, lors de mon 45ème, je disais fièrement à qui voulait bien m'entendre : « Voilà, 45 ans, 45 concerts de Thiéfaine, ça me fait une moyenne d'un concert par an depuis la naissance ». Oui, je sais, les circuits chauffent dans le bocal...

Ce qui est bien, avec les concerts de Thiéfaine, c'est que d'emblée, quand je vais rôder près des salles ou des scènes où il passe, je me sens parfaitement dans mon élément. Le seul élément qui tienne debout dans ma vie, qui ne se soit jamais cassé la gueule, effrité, élimé. Allez savoir pourquoi. Partout où je vais, je me sens en décalage, pas à ma place. L'impression de ne jamais en être totalement. C'est le cas, par exemple, dans mon boulot. Mettez-moi dans une salle des profs et je me sens une étrangère sur la Terre, jusqu'à la moelle. Cet univers, je n'en suis pas. Depuis 23 ans, je fais de mon mieux pour y mettre ne serait-ce qu'un orteil, mais non, rien à faire, ça ne prend pas, ça ne prendra jamais. Plongez-moi dans les « à-côtés » d'un concert d'Hubert, et là, miracle, la cancoillotte prend direct, j'en suis illico. Je regarde autour de moi les visages emplis d'attente, comme le mien sans doute, et je sais que me voilà dans un monde qui me ressemble trait pour trait. D'ailleurs, il vous est déjà arrivé, je suppose, d'aller traîner de la même manière avant les concerts d'autres artistes. Et alors, bilan ? Eh bien, vous n'en êtes pas tout à fait, si ? Quand j'allais voir Higelin, par exemple, je me sentais légèrement mise de côté. J'avais beau faire, j'avais beau connaître relativement bien l'œuvre du bonhomme, quand je regardais tous ceux qui attendaient comme moi (je me souviens d'un homme croisé X fois aux concerts du grand Jacques, c'était son sosie, il avait assimilé intégralement la dégaine de son idole, jusqu'à ses cheveux fous), je me sentais un peu différente d'eux. Pas du même monde. Alors que tout à l'heure, à Verdun, c'est écrit d'avance, je me sentirai de cette faune un peu cinglée qui sera là des heures avant le concert ! De plain-pied avec leur ferveur ! Nous serons, l'espace de quelques instants, d'un même sang, d'une même folie, d'une même ardeur. Et peut-être bien que nous donnerons à d'autres, qui n'en seront pas tout à fait, eux, l'impression d'être une bande à part, de drôles de types et de nanas, branchés sur un drôle de secteur à ultra-haute tension !

Allez, bon concert à tous ceux qui auront la chance d'être à Verdun ce soir !

26/07/2019

Thiéfaine aux Vieilles Charrues

"Sommes-nous jamais arrivé ? Et où ? Et si la mort seule détenait la réponse du vrai départ et de l'authentique arrivée ?" Jean-Claude BOURLÈS

 

Et voilà, c'est comme ça : ce qui, il y a quelques jours encore, était attente fébrile, est devenu souvenir. L'attente a ceci de formidable qu'elle permet de supposer tous les possibles. Le souvenir a ceci de formidable qu'il englobe tous les possibles advenus.

C'est qu'il en faut, des conjonctions heureuses, des emboîtements corrects, pour qu'un concert soit réussi. Tout ne dépend pas que de l'artiste. Ce que le spectateur amène avec lui compte aussi, n'est-ce pas ? Par exemple, moi, je n'ai jamais aimé me pointer pile à l'heure pour un concert d'Hubert, c'est trop de stress, trop d'adrénaline dépensée inutilement ! J'aime prendre mon temps, rêvasser devant la salle, observer ceux qui, comme moi, se sont déplacés pour le chanteur jurassien.

Dimanche 21 juillet, pour les Vieilles Charrues, je n'ai pas dérogé à la règle. Je suis arrivée avec deux heures d'avance. Comme ça, j'ai eu le temps de bien analyser les choses : où serais-je idéalement placée ? J'ai fait plusieurs essais avant de trouver. Deux heures, c'est long, me direz-vous. Pas tant que ça quand on papote avec d'autres, pas tant que ça quand on attend des amis pas revus depuis la dernière date parisienne. Quelle joie de discuter avec plusieurs personnes dont j'ignorerai à jamais le prénom, quelle joie, surtout, de discuter plus amplement avec mon jeune voisin, dont je n'oublierai jamais le prénom : Kilian. Un gamin de vingt ans, pas encore tout à fait remis de sa rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Pour lui, la révélation, ce fut La Ruelle des morts. Et puis le vertige, dont je connais tous les méandres : s'apercevoir que ladite révélation en cachait d'autres, comme autant de trains fous, lâchés à vive allure. S'apercevoir que La Ruelle des morts n'était qu'un OVNI parmi beaucoup d'autres, vouloir les étreindre tous le plus vite possible. Avoue, Katell, que tout ça te rappelle ta jeunesse envolée, et surtout la grande décharge électrique qui devait révolutionner ta vie ! Toi aussi, n'est-ce pas, tu le vécus, en d'autres temps, ce profond big bang ! Et cette frénésie qui soudain donnait de la consistance à tout : envie de découvrir l'œuvre entière de ce drôle de type au nom bizarre, s'en emparer, s'en imprégner à toute berzingue, maudire les heures sans, ne plus espérer que les heures avec !

À 16h10 (j'ai bien écrit 16h10 : Hubert était programmé dans l'après-midi, chose sans doute pas très courante !), à 16h10 donc, le concert démarrait. Toujours de cette façon culottée qui vous plaque direct dans le vif du sujet : 22 mai ! Dès lors, les titres vont s'enchaîner sans temps mort. Petite déception pour tous ceux (dont moi) qui comptaient souhaiter un joyeux anniversaire à monsieur Hubert-Félix Thiéfaine ! Même en s'époumonant de la plus atroce des manières, impossible de se faire entendre. La configuration de la scène ne permettait pas une réelle proximité avec l'artiste. Certains furent prévoyants, ils avaient préparé des pancartes. Auxquelles Hubert ne réagira pas, mais que voulez-vous, "c'est pas tous les jours facile de vivre en société"...

Le concert, s'intégrant dans la programmation d'un festival, est une version allégée de ceux auxquels nous pûmes assister en novembre dernier. Ici, pas d'Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, pas d'Agence des amants de madame Müller, pas de Maison Borniol. Pas d'Éloge de la tristesse, ni de Je t'en remets au vent, pas plus que nous n'entendrons La dèche, le twist et le reste. Une playlist plutôt "classique" (si tant est que l'on puisse appliquer cette épithète au répertoire d'Hubert !). Mais qu'on n'aille pas croire que cela ratisse large et fasse tomber en ses filets les non-initiés venus s'égarer là sans trop savoir. Si j'en crois un article de Ouest France, paru au lendemain de la prestation de Thiéfaine sur la scène Glenmor, ses chansons peuvent effrayer ("c'est trop lent, trop grave", confiera une spectatrice au journal breton). Bah, on connaît bien ça. Moi, cela fait des années que j'entends régulièrement des questions intriguées concernant ma folle passion : "Comment peut-on écouter ça sans avoir envie de se flinguer ?" Ou encore : "Ouah, c'est barré, quand même, faut piger". Certes, et je ne prétends pas être toujours à même de le faire. D'ailleurs, ce n'est pas mon but. Naviguer dans l'obscur déroutant n'est pas pour me déplaire ! Quant à se flinguer pour avoir trop écouté Hubert, qu'on se détrompe : ce type-là, il agit depuis presque 27 ans comme un calmant sur mon âme ! Ses mots, loin de me coller la déprime, me remettent bien souvent d'aplomb.

Mais je m'éloigne de mon sujet : les Vieilles Charrues 2019. Je n'oublierai jamais, je crois, la tape amicale de Kilian sur mon épaule aux premières notes de La Ruelle des morts. Ni son visage radieux, illuminé par un sourire rempli d'étoiles. J'en ai vu tant, de ces extases chopées en plein vol, même pas par indiscrétion, juste comme ça, au passage, parce qu'elles se donnaient à voir si bellement. Je ne m'en lasserai jamais !

À 17h22, le concert s'achevait sur une Fille du coupeur de joints relativement sage. Disons que j'en ai connu de plus endiablées, mais peut-être aussi que l'atmosphère plus intime des salles confère une autre énergie à cette ballade. 1h12 de concert, donc : c'est peu, trop peu, mais c'est la loi des festivals ! Allez, ne nous plaignons pas : on va dire que c'était un avant-goût de ce qui nous attend à l'Olympia. Voilà une bonne raison d'espérer l'automne, saison pourtant maudite entre toutes à mes yeux.

Fin de concert, disais-je. Un salut rapide à Kilian, qui m'envie ma quarantaine de concerts d'HFT et mon prochain rendez-vous avec l'artiste (en août, à Verdun, encore pour un festival). Quelques moments passés avec Évadné et Erwan, et il est temps de se quitter, déjà, "ça me fait de la peine, mais il faut que je m'en aille". Je dois retrouver le parking D où j'ai laissé ma voiture. Évidemment, c'est le seul qui n'est pas indiqué correctement. D'abord rangé avec les parkings A, B et C sur les panneaux, il finira par tomber dans les oubliettes (c'est une tradition bretonne qui veut ça, je l'ai constaté au fil des nombreux séjours que j'ai effectués ici : une grande direction vous est donnée, puis soudain, elle n'apparaît plus nulle part). Après une longue errance sur le bord d'une route qui ne m'inspire aucune confiance, je reviens sur mes pas. Pour tomber sur un monsieur qui, comme moi, cherche désespérément ce foutu parking D ! Nous décidons de cheminer ensemble. Finalement, une voiture immatriculée 29 s'arrête à notre hauteur. Non, ce n'est pas un Chinois de Hambourg, mais un habitant de Carhaix qui nous demande délicieusement, ô miracle, ce qu'il peut faire pour nous. Ces Bretons, punaise, ils sont incroyables ! Dix minutes plus tôt, je me voyais condamnée à errer à jamais en boucle dans mon insoluble fin de partie, me décollant les poumons à force de demander "Où est la sortie ?", et me voilà en présence d'un sauveur ! Qui nous invite, mon compagnon d'égarement et moi, à prendre place à l'arrière de sa voiture. Comme je m'extasie devant son chien, installé fièrement à l'avant, il me dit : "Eh bien, montez donc avec lui !". Et nous voilà partis vers d'autres aventures, à la recherche du mystérieux parking D … que nous finissons par trouver. Je reprends le volant, gardant en mémoire la grande forme d'Hubert (71 ans, mais où est-il donc allé les pêcher ?!), les sourires des musiciens, et celui de Kilian dont l'insolente jeunesse m'a rappelé la mienne. Allez, que les vieux de la vieille (dont désormais je suis) se rassurent : notre âge bien tassé nous offre le plus grand, le plus beau des privilèges, avoir vu Hubert des dizaines et des dizaines de fois !

Mention spéciale à l'organisation qui accompagne Les Vieilles Charrues. Distribution d'eau gratuite, en bouteilles et même au bout de tuyaux d'arrosage venant régulièrement se déverser sur la foule. Purée, les Bretons sont incroyables : ils aiment tellement la pluie qu'ils sont prêts à l'inventer quand elle ne se donne pas d'elle-même ! Il ne faisait pourtant pas si chaud dimanche, et se prendre de la flotte à intervalles soutenus sur la bobine, cela vous arrachait un peu, beaucoup même, à l'ambiance du concert. Mais allez, soyons indulgents : mieux vaut prévenir que guérir… Vivement l'Olympia, vivement l'automne, et quand même : vive la Bretagne !

 

31/05/2019

Pigalle en concert à Essey chantant

"dans le château maudit de la vie qu'il faut vivre". Fernando PESSOA

 

Hier, Pigalle donnait un concert gratuit au festival Essey chantant. Pour l'occasion, l'espace Maringer avait été rebaptisé « salle du bar-tabac de la rue des Martyrs ». Voilà, le ton était donné, le groupe avait investi les lieux. Le public ? Assez hétérogène, pas très éloigné de celui de Thiéfaine, hésitant entre le flambant neuf et l'éclat sur le retour. Pêle-mêle : des jeunes, des quadragénaires et au-delà, flanqués pour certains d'une vigoureuse marmaille, des tatoués aux gros bras, et puis des plus « classiques », échoués en territoire inconnu, mais qu'importe ? Des méritants, quoi, qui passaient presque par hasard et voulaient savoir de quoi il retournait.

Le groupe ? Composé comme suit : Benoît à la basse, Gaël à la guitare, Christophe à la batterie et l'incomparable François Hadji-Lazaro à la voix et à d'innombrables instruments, parfois totalement extra-terrestres ! Impressionnant, le monsieur. Et pas seulement par la carrure. La voix, d'abord : revenue de tous les cauchemars et de tous les troquets enfumés de la planète. Les textes ensuite : d'une sensibilité à fleur de peau. Le tout contrastant presque violemment avec sa physionomie. François, c'est le genre de type avec qui, si tu es une femme, tu peux te promener sans crainte à n'importe quelle heure de la nuit, dans les coupe-gorges, les quartiers mal famés, les hôtels borgnes. Balance ton porc peut se rhabiller : François est là pour te protéger du harcèlement de rue ! C'est qu'il ne faudrait pas aller le titiller trop longtemps, et cela se sent sur scène : à des gens effrontés qui discutaient pendant qu'il chantait, hier, il a lancé un sarcastique « ça va, les gars et les filles, vous tapez la causette, tranquilles ? ». Il est même allé jusqu'à interpeller vertement un vigile qui, si j'ai bien compris, enjoignait un monsieur en fauteuil roulant d'aller prendre place dans le carré prévu à cet effet. Pas commode, le François ! Il ne peut renier son passé de garçon boucher. Et pourtant, pourtant, cette voix presque fluette parfois, ces textes qui vous arrachent des frissons et des larmes... Par exemple, il y a l'histoire de cet homme aux « yeux couleur de canal (c'est pas banal) » qui, au fond d'une auberge, attend désespérément le passage d'un chaland. Tous les jours, il l'espère, et le chaland ne vient pas. Il finira par arriver, mais il sera trop tard, et l'on pense à Giovanni Drogo, du Désert des Tartares, et à ses rêves de gloire que le destin ne satisfera pas. Il y a aussi Ne reviens, cette supplique qui, parce qu'elle porte dans son titre une moitié de négation seulement, en dit long sur ses intentions : ne reviens pas, mais reviens peut-être quand même, des fois que ça pourrait repartir comme au temps de la jolie fleurette, sait-on jamais. Il y a aussi cette ballade, quasi complainte à la Rutebeuf (« que sont mes amis devenus », etc.), qui raconte ce que les adolescents de la campagne ont tous connu (moi, en tout cas, cela me parle) : le soir, on se retrouvait sous l'abri-bus du village. Vingt-cinq ans plus tard, « avec le temps qu'arbre défeuille », les amis en question ont tous été clairsemés, comme dans la complainte du Moyen Âge. Voilà ce que raconte cette chanson dont j'ignore le titre (si quelqu'un peut me venir en aide sur ce coup-là, je suis preneuse). C'est que Pigalle, ce n'est pas qu'un univers de bars interlopes avec tout ce qui va avec (castagne, picole, passes et compagnie), c'est aussi, ici ou là, des méandres de nostalgie dans lesquels on se perd, faisant la somme des idéaux qui furent les nôtres autrefois et que la vie aura rognés jusqu'à la moelle. L'amer constat fait dire à François Hadji-Lazaro qu'en gros et en détail, s'il avait été prévenu, enfant, de cette déconfiture à venir, il serait resté bien tranquille dans les pénates d'un néant bienfaisant.

Voilà, Pigalle, c'est donc assez indéfinissable et inclassable. On est entre le punk, le rock et la chanson réaliste, parfois pas très loin de François Béranger.

Au menu du rappel, deux chansons, chacune mythique dans son genre : Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs et Il faut que je m'en aille, de Graeme Allwright. Ça y est, le verre est vide, on a bu à l'amitié, l'amour, la joie, il faut se quitter. Mais, longtemps, l'univers de Pigalle nous hantera et nous traînera dans ses caboulots poussiéreux, ses arrière-cours un peu tristes, ses « baraquements pourris », ses autoroutes saturées sur lesquelles la solitude est plus violente encore, par contraste. On n'est pas très loin des ambiances chères à Hubert, me semble-t-il. Je sais, je sais, je vais toujours le chercher là où il n'est pas, celui-là, c'est un tic, une espèce de déformation passionnelle !

En tout cas, je me disais hier, en entrant dans la « salle du bar-tabac de la rue des Martyrs », qu'il y aurait, dans le répertoire d'HFT, de quoi rebaptiser bien des salles de spectacle les soirs où Hubert s'y produit. Qu'écrirait-on alors sur les affiches à l'entrée ? « Au fond des caboulots », « ascenseur de 22h43 », « rue barrée à Hambourg », « au bout des bars de nuit » ? Il y aurait de quoi faire, vous dis-je ! Si vous avez des suggestions, juste comme ça, pour le plaisir : allez-y !