18/09/2016
Septembre rose et splendide hasard...
"J'appelle la vie un splendide hasard". Michel BERGER
D’aucuns baptisent la vie « splendide hasard », affirmant du même coup leur adhésion totale à ce truc étrange qui leur tomba dessus. D’autres, plus nuancés et plus sceptiques, ont besoin de temps pour apprivoiser ce qu’ils considèrent d’abord comme une malédiction. C’est qu’ils sont nés, comme l’écrivait Verlaine, « sous le signe SATURNE », et « ont entre tous bonne part de malheurs et bonne part de bile ». Thiéfaine me semble être de ceux-là. De ceux pour qui la vie est d’abord une écorchure. Et pas du bubble-gum ! De ceux à qui la création artistique évita habilement le naufrage. C’est sans doute la raison pour laquelle l’écriture de Thiéfaine, qui ne triche pas (même quand il se dit « escroc solitaire », « truand qui blanchit des mots et du vent », il nous fait simultanément, selon moi, l’aveu de sa profonde probité), c’est sans doute la raison pour laquelle, disais-je, cette écriture s’adresse à cette partie de nous-même qui, dormant en des replis souterrains, attend une consolation. Peut-être s’agit-il de notre âme ? Dernièrement, m’interrogeant sur mon parcours et tentant d’esquisser un vague bilan de tout ce qui avait pu me constituer jusqu’alors (je parle de ces attachements qui naquirent en notre jeune âge et ne nous ont jamais quittés), m’est apparue une évidence. Elle m’a même carrément sauté à la face : à une époque chaotique de ma vie, Thiéfaine m’a littéralement sauvée. Il a suffi d’une histoire d’ascenseurs au fond des précipices pour que je me décide à déserter les gouffres ! Si je suis loin, à présent, de l’adolescente qui, découvrant une œuvre à nulle autre pareille (des chansons aux accents rimbaldiens dans « ce siècle marron », qui peut se targuer d’en connaître pléthore ?), ne cessait d’écarquiller les esgourdes, je n’en reste pas moins admirative de tant de phénoménale et insurpassable beauté ! Ma passion, loin de s’étioler au fil du temps, s’est étoffée, est devenue autre. C’est tout simplement une immense part de moi-même, qui a pris naissance à mon insu, il y a de cela vingt-quatre ans ! A vingt ans, je tombais facilement dans la grandiloquence et je répétais à qui voulait bien m’entendre que l’ami Hubert était mon maître à penser. Aujourd’hui, je suis moins catégorique (je l’espère, en tout cas !) et je crois savoir qu’on ne peut avoir qu’un seul maître à penser : soi-même. Cela me paraît souhaitable. Mais je reconnais que de somptueuses influences peuvent venir nous percuter dans notre petit confort quotidien et que l’on peut aussi en trimbaler d’autres depuis des décennies, sans que cela entrave notre propre jugement, au contraire. Ainsi, cela fait vingt-quatre ans que Thiéfaine déverse quotidiennement dans ma vie son incomparable poésie. J’ai découvert Mathématiques souterraines par une nuit de septembre où l’automne, déjà, déployait sa grosse artillerie de brume et de mélancolie. On ne peut rêver saison plus propice à l’écoute de Thiéfaine ! Et c’est pourquoi, malgré tout le fil à retordre que me donne chaque année l’été finissant, septembre est rose, incroyablement !
J’appelle ma rencontre avec l’œuvre d’Hubert plus qu’un « splendide hasard ». Elle fut une nécessité, une impossibilité de faire autrement.
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28/08/2016
Un dimanche 28 à six heures...
"Oh ! s'éveiller chaque matin - et pourquoi pas chaque minute - et regarder le monde qui commence !" Jacques LUSSEYRAN
Les chefs-d'œuvre succèdent aux chefs-d'œuvre et, de cet ensemble, se dégage une grande cohérence, malgré les virages en épingle, les changements de direction et les sorties de route ! Ce qui fut écrit par le jeune Hubert peut encore être chanté par celui de la maturité, sans que le morceau pâtisse du poids des années. Ainsi, Je t'en remets au vent ne détonne pas au milieu des chansons de la soixantaine.
Depuis quelques jours, je me fais ma petite thiéfainothérapie avant la rentrée ! Chaque fin de mois d'août fait resurgir en moi une sorte de peur ancestrale : et si la reprise du travail me détournait désespérément de mes inclinations profondes ? Je sais qu'il faudra désormais se contenter d'infimes miettes dans certains domaines : lecture, écriture, musique. D'où une fièvre paniquée, chaque année, à l'approche de septembre ! Ma cure HFT m'a trimbalée en l'espace de quelques jours de Fragments d'hébétude à Suppléments de mensonge, en passant par Le bonheur de la tentation et le concert enregistré à la Maison de la Poésie. À force de réécouter les mêmes chansons jusqu'à plus soif (plus soif ? Impossible avec Thiéfaine !), j'observe de secrètes correspondances entre les anciennes et les plus récentes. C'est ainsi que Garbo XW Machine, tout en s'inscrivant pleinement dans une œuvre riche et regorgeant de surprises, Garbo XW Machine me semble être le pendant impitoyable de Zone chaude môme. À un réchauffement climatique inattendu succède une période de glaciation ! Tout à coup, la « froideur féminine » vient elle aussi faire des siennes dans le « J'ai cru mourir de froid chez mes contemporains » ! La subtile arrogance du vers « Les dieux sont jaloux de nos corps, nous balayons l'éternité » se voit soudain balayée par celui-ci : « Les dieux s'encanaillent en nous voyant pleurer ». Les quais de gare se suivent et se ressemblent, se faisant le théâtre de déchirants adieux, jusqu'à l'adieu ultime et balafré de définitif.
Qu'après 24 ans d'une écoute attentive et assidue des chansons de Thiéfaine, je demeure encore régulièrement bouche bée devant tant de poésie, qu'un fil conducteur me semble traverser de part en part cette œuvre magistrale, voilà qui ne laisse pas de m'émerveiller !
Et vous, vous arrive-t-il de voir des passerelles entre certaines chansons ? Il y en a sans doute pléthore (« on n'en finit jamais d'écrire la même chanson » !), et chacun décèlera les siennes en fonction de sa sensibilité. Là où je vois se dessiner ce que j'ai appelé précédemment des correspondances, vous ne verrez peut-être que des coïncidences sans incidence. Et c'est pourquoi je persiste et signe depuis plus de dix ans sur ce blog (oui, le Cabaret a eu dix ans en avril, et je n'en reviens pas moi-même !!) : avec l'œuvre de Thiéfaine, nous tenons un puissant fonds, et surtout un puits sans fond...
18:08 | Lien permanent | Commentaires (11)
14/08/2016
Un article paru dans L'Est Républicain le 5 juin 2016
"Que sais-je ? La joie". Jacques LUSSEYRAN
C'était le dimanche 5 juin 2016, au lendemain du JDM. Dans L'Est Républicain, que j'avais acheté ce jour-là uniquement pour voir ce qui se disait de la prestation d'Hubert à Bulligny, je découvrais, à côté de l'article recherché, une photo montrant le visage de Vax, un fan de Thiéfaine que je connais bien. L'article parle beaucoup de lui (quel veinard !), sous son vrai nom (Grégory).
UN AIMANT NOMME THIEFAINE
Grégory et une poignée de fans de Thiéfaine étaient aux premiers rangs du concert d'hier soir au Jardin du Michel.
Il frissonne. A chaque entrée en scène d'Hubert-Félix Thiéfaine, Grégory est dans le même état. Et ça fait vingt ans que ça dure.
Hier soir l'arrivée sur la scène du chanteur jurassien vêtu de sombre - tête d'affiche de ce samedi au Jardin du Michel - n'a pas dérogé à la règle. Bras levé, Grégory, du haut de son 1, 85 m, saute et chante dès les premières notes d'En remontant le fleuve. La magie opère une nouvelle fois. L'habitant de Marainville-sur-Madon de 39 ans fait partie de cette quinzaine de fans qui suit Thiéfaine au fil de ses concerts donnés dans le Grand Est. Et même au-delà.
Si en 1996 il se déplaçait pour voir uniquement son idole, il s'est, depuis, lié à Alice, le guitariste nancéien présent aux côtés du chanteur depuis deux tournées. Aujourd'hui, Grégory va donc voir les deux hommes.
Cette tournée, c'est la sixième qu'il suit. Le concert donné hier soir, il le voit pour la septième fois. Sans se lasser.
Chez Thiéfaine, il aime sa façon de voir la société, la mort, l'amour et puis... "Si on est curieux, il y a toujours moyen de creuser ses textes".
Le chanteur et sa poésie agissent comme un aimant sur lui. Même au fil du show bien rodé qu'il joue en ce moment et où s'enchaînent d'anciens titres comme Alligator 427 - "écrit en 79 au retour d'une manif à Fessenheim", glissera Hubert-Félix à ses spectateurs - et les grands classiques comme Lorelei, 113ème cigarette sans dormir, Sentiments numériques revisités... Résilience zéro ? "C'est l'histoire de sa vie", confie Greg.
L'incontournable Fille du coupeur de joints se joue traditionnellement en morceau de rappel. Hier, c'est la seule qui a fait fuir le fan de la fosse. Il ne l'aime pas. Sûrement parce qu'elle est trop populaire. "C'est la seule que tout le monde connaisse !" Le trentenaire s'en accommode tout de même et l'écoute à quelques mètres de là, en commentant, les yeux rivés sur la star frileuse des médias. "Thiéfaine, c'est Baudelaire, c'est Rimbaud. Un hypersensible qui s'est fait tout seul".
Et à voir l'assemblée réunie hier à Bulligny, il n'est visiblement pas le seul à être ainsi attiré par ce phénomène nommé Hubert-Félix.
Article signé Stéphanie MANSUY
Et vous, c'est quand la ou les prochaine(s) fois que vous allez frissonner ? Pour moi, ce sera à Thionville le 15 octobre, puis à Paris le 19 novembre. "On the road again" !
13:21 | Lien permanent | Commentaires (32)
30/06/2016
"Fulgurante Astrée de mes nuits"...
"Tout pesé, si j'avais à recommencer ma vie, avec le droit d'y faire des ratures, je n'y changerais rien". Ernest RENAN.
L'Astrée est un roman pastoral de l'écrivain Honoré d'Urfé (1557-1625), publié en cinq parties de 1607 à 1627; les deux dernières par les soins de son secrétaire, Balthazar de Baro. L'auteur raconte les amours de deux bergers, Céladon et Astrée. A travers mille péripéties, l'action se déroule aux temps anciens des Gaulois et des Druides, sur les rivages enchanteurs du Lignon, dans une des plus belles régions de la France, le Forez. En vertu d'une fausse nouvelle, Astrée croit que son ami lui est infidèle, c'est pourquoi elle lui ordonne de s'éloigner pour toujours de ses regards. Céladon, désespéré, cherche à se noyer dans la rivière; mais il est sauvé par les nymphes. L'une d'elles, Galatée, lui déclare son amour; lui, cependant, ne pense qu'à Astrée, et la rejoint sans tarder, déguisé en jeune fille. La guerre ayant éclaté, le parfait amant se montre valeureux chevalier. Ainsi, selon la mode de la fin du XVIème siècle et la galanterie de la cour d'Henri IV, d'Urfé nous présente le portrait idéal de l'amant et de l'homme courageux. Mais Astrée n'accorde pas encore son pardon. Céladon doit donner d'autres preuves, comme dans la tradition des héros de chevalerie, jusqu'à ce que "la fontaine magique de la vérité" assure à la jeune fille sa fidélité. Enfin, après un long et prolixe récit (où s'entrecroisent d'autres amours et aventures), Astrée accorde son amour à Céladon. L'œuvre prend modèle sur les grands exemples italiens de l'Aminta du Tasse et du Pastor fido de Guarini et plus directement sur la Diana de l'Espagnol Montemayor. La délicatesse des descriptions de la nature, et la peinture des sentiments humains tels qu'on les trouve dans l'Arcadie de Sannazar s'y unissent à la galanterie et à l'amour tels qu'on les pratiquait dans la société française. L'œuvre, très célèbre pendant tout le XVIIème siècle, nous paraît actuellement loin de notre goût; mais elle intéresse le savant par la peinture précise de l'idéal précieux et mondain qu'elle nous donne; de plus s'y affirme un certain goût pour la recherche psychologique qui, - même à travers la fiction pastorale, - influa sur l'esprit et sur la littérature du grand siècle.
Un opéra, Astrée, a été composé en 1691 par Collas Pascal sur un livret de La Fontaine; un autre opéra sur le même sujet, intitulé Astrée apaisée, fut écrit en 1760 par Jean-François Maio.
(Dictionnaire des œuvres de tous les temps et de tous les pays, éditions Robert Laffont).
09:42 | Lien permanent | Commentaires (11)
05/06/2016
In Bulligny we trust !!
Une tradition lorraine (peut-être devrais-je écrire « une déformation lorraine », mais je n'ai pas l'habitude de canarder ma région !!), une tradition lorraine veut que par chez nous, on ajoute un article défini devant chaque prénom. Ainsi, Gérard, ce n'est pas Gérard, mais LE Gérard ! C'est comme ça, on finit par s'y faire. Donc, le JDM, ce n'est pas le jardin de Michel, non (ce serait trop classieux, très peu pour nous), c'est le jardin du Michel. Et on peut dire que le Michel fut très bien inspiré le jour où lui vint l'idée de monter un festival à Bulligny, au fond de son jardin (qui est immense : c'est un champ, en fait, ou peut-être dix champs, je ne sais pas trop !!). Grâce au Michel, depuis quelques années, les Lorrains ont leurs Vieilles charrues, le chouchen et l'air marin en moins. Oui, mais nous, nous avons l'air lorrain ! Une autre tradition régionale veut que les saisons ne sachent pas toujours très bien où elles en sont, et il arrive que l'automne s'invite en plein cœur du mois de juin (un de mes amis appelle cela l'automne indien, c'est une improbable saison qui n'existe, me semble-t-il, que dans l'Est de la France et qui n'aurait inspiré que des aquarelles grises à Marie Laurencin !!!). Donc, le jardin du Michel peut être lui aussi victime de cette bizarrerie locale. Ce qui est arrivé cette année. Hier, j'ai vraiment cru que le concert d'Hubert allait être annulé. D'aucuns ont renoncé d'avance. Peur de se retrouver embourbés, dégoulinants de la colère des cieux. Pour ma part, je voulais y aller, coûte que coûte. Ce concert avec mes filles, j'en rêvais depuis des années. Après tout, sans Tonton Beu (c'est ainsi que mon aînée appelait Hubert quand elle était petite !), elles ne seraient pas de ce monde !! C'était donc hautement symbolique pour moi d'aller écouter Thiéfaine avec elles. Je ne sais pas si un festival est la meilleure formule pour une écoute recueillie et familiale !! Face au nombre de démarches chaloupées s'élançant parfois droit sur elles, face aux regards embrumés, aux haleines avinées, mes filles ont un peu flippé par moments (et moi aussi, pour elles !!). Par chance, j'étais bien placée : à côté d'un couple, accompagné d'un de leurs amis, tous trois venus là pour ne pas perdre une miette du festin. Des êtres adorables, qui ont pris ma fille Louise sous leur protection, l'entourant de soins quasi maternels. J'ai adoré vivre ce concert avec eux ! Juste avant Autoroutes jeudi d'automne, je n'ai pu m'empêcher de dire à ma fille : « Oh, celle-là, je l'adore, c'est une de mes préférées ». Et la jeune femme, à nos côtés, de s'exclamer, s'adressant à Louise : « Maman, elle kiffe » !! C'est amusant : quand j'entends ce mot, je pense systématiquement au sens qu'il a en allemand. « Kiffen » signifie s'adonner à la fumette ! Et on peut dire qu'hier soir, ça kiffait pas mal !!! J'ai eu soudain une pensée attendrie pour ma mère, j'ai repensé à mon premier concert de Thiéfaine, où je l'avais traînée, insistant autant que possible sur les innombrables références littéraires dont regorgeaient les textes du poète que je venais de découvrir ! Je l'entends encore me dire, à la fin de ce spectacle absolument déjanté : « Je n'ai jamais fumé un seul joint de ma vie, mais je crois savoir maintenant quel effet cela peut procurer » !! Et aussi : « C'est bizarre, toutes ces références littéraires dont tu parlais, je ne les ai pas vraiment perçues » !!! Hier, donc, dans la boue de Bulligny, alors que des effluves de chichon me chatouillaient régulièrement les narines, je me suis dit, amusée : « Pour kiffer, ça oui, elle kiffe, maman » !!!
Mais j'arrête de regarder mon petit nombril. Je vais enfin élargir la perspective, comme on m'a appris à le faire à l'école. Le concert d'Hubert était excellent. Notre Jurassien était en forme et souriant. Je dois dire aussi que je l'ai profondément admiré. Voilà un artiste qui assume une playlist audacieuse pour un festival : pas facile de chanter Résilience zéro ou Sentiments numériques revisités face à une foule en délire dont le plus grand nombre est venu là pour festoyer copieusement, ne connaissant parfois, du répertoire d'Hubert, que La fille du coupeur de joints, ou tout bonnement que dalle. Et pourtant, cela a pris. Fans de la première heure ou joyeux allumés vierges de toute écoute préalable, le mélange s'est fait avec un naturel dont je suis encore ébahie. Quelque part, j'ai lu qu'hier soir, Thiéfaine avait mis tout le monde d'accord, et je ne saurais mieux dire ! Et, franchement, La fille du coupeur de joints les pieds dans la gadoue, ça le fait, et merveilleusement !
Il y a dix ans, je crois, suite à un Chien à plumes où je m'étais fait malmener par un public éméché, je m'étais promis d'éviter les festivals. Mais toujours le petit grain de folie qui sommeille en moi quand il s'agit d'Hubert, et qui ne demande qu'un léger coup de pouce pour s'abandonner à la luxuriance, toujours ce petit grain de folie me pousse à braver mes jolis principes, à saccager (avec raison) mes serments éphémères ! Je ne regrette rien, parce que ce JDM 2016 était du meilleur cru ! La boue et la menace anthracite venue d'un ciel plombé ont ajouté un supplément d'âme à un concert qui en envoyait de toutes parts ! C'était torrentiel, diluvien, comme cette satanée pluie qui nous est tombée abondamment sur la bobine durant les jours passés et qui a eu l'élégance de ne pas la ramener une seule seconde durant la prestation d'Hubert. Décidément, oui, il a mis tout le monde d'accord. Et même les éléments déchaînés depuis quelques jours, il te les a tenus en laisse, muselant l'ire des cieux, domptant à la fois les orages et les déluges potentiels. En bouclant ce billet, je repense à une formule, lue hier sur une grande affiche, et qui m'a fait sourire : In Bulligny we trust. Yes ! Je dirais même plus, pour élargir la perspective : In Hubert we trust !!
11:57 | Lien permanent | Commentaires (28)
04/06/2016
Autorisation de délirer ... sous la pluie !
Thiéfaine au JDM, j'en rêve tout bonnement depuis la création de ce festival !! J'ai toujours pensé que l'ambiance du site et l'esprit de cette manifestation s'accorderaient pleinement avec l'univers d'Hubert ! Et voilà que cette année, mon rêve prend corps ! Alors ce soir, on y va, on y va, on y va, comme chante Miossec en ouverture de son dernier (et magnifique) album ! On y va, même si le sol risque d'avoir des allures de Loire-et-Cher ("on dirait qu'ça t'gêne de marcher dans la boue" !!!). Rien n'effraie le peuple thiéfainien, toujours en marche, toujours vivant, toujours debout !! Je me réjouis de revoir des visages familiers, dans les traits desquels je lirai sans doute une attente brûlante, mêlée d'ardeur et de joie, et qui ressemblera à la mienne. Je l'ai déjà dit, j'adore les moments qui précèdent les concerts de Thiéfaine. Je cherche du regard des silhouettes croisées X fois déjà, et mon cœur s'illumine quand je reconnais un tel ou une telle...
Ce soir, ce concert aura une saveur particulière pour moi car ce sera la première fois que je verrai Hubert en compagnie de mes filles. Nous avons décidé de porter les tee-shirts au corbeau !
Coûte que coûte, on y va, on y va, on y va, malgré le temps ddégueulasse, hésitant entre le bas breton et le patois lorrain !! Plus de générateurs diesel à la place du cœur, plus de pompes refoulantes au niveau des idées, rien qu'un cœur à ciel ouvert. Et comme toujours, quand Hubert apparaîtra, nimbé de son aura rimbaldienne, j'oublierai les petits griefs qui, de temps à autre, viennent imbécilement me visiter, je retrouverai l'élan premier, celui qui me précipita, il y a plus de vingt ans, dans la lave d'une poésie survoltée qui allait changer ma vie. "Que serais-je sans toi ?", voilà ce que je pourrais dire à Hubert si je le rencontrais un jour dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles je l'ai déjà croisé, entre deux portes, dans des loges intimidantes et dénuées d'âme. Que serais-je devenue sans cet univers qui vola à mon secours à l'orée de la vingtaine, alors que je me débattais en plein naufrage sentimentalo-métaphysique ?! Alors ce soir, une fois encore, je ne serai que reconnaissance quand paraîtra le monstre sacré...
10:59 Publié dans Sport | Lien permanent | Commentaires (8)
22/05/2016
Yves Jamait en concert à Ludres : c'était vendredi et c'était grandiose !
"La pensée de la mort ne m'a guère quitté tout le long d'une vie déjà longue. Mais la mort n'a jamais pour moi calomnié la vie. Elle en avivait seulement le prix, fondé sur sa fragilité". Claude ROY
Parfois, Yves Jamait me fait penser à René Fallet ! D’un côté, on aurait la veine Beaujolais, celle qui chante les aubes avinées, les amitiés masculines, les comptoirs luisants, gorgés d’ivresse, où les mots se font trébuchants. De l’autre côté, la veine whisky, celle qui pleure les amours à ramasser à la petite cuillère, les injustices, le temps qui saccage tout sur son passage. Sur scène, même quand le sujet qu’il évoque est lourd, Yves Jamait a la délicatesse de rester léger. Tout ce qu’il célèbre (« des printemps insolents qui effacent l’hiver », « la gouache des fleurs sous des nuées d’abeilles », l’accordéon mal aimé, mal compris) ou déplore (l’omniprésence des salauds, les années qui défilent, la mort d’un ami), bref, tout ce qu’il chante se pare d’une grâce désarmante. Avec ses traits burinés et sa silhouette mélancolique, il a l’air d’un marin breton qui serait venu s’échouer en terre dijonnaise. Une petite inadvertance heureuse…
Voilà un artiste qui, avec sa bande de musiciens (trois boute-en-train facétieux et complices ; en allemand, on dirait que ce ne sont pas des enfants de la tristesse !!), est capable d’embraser une salle entière. De la faire tour à tour rire et pleurer. « Quel talent ! Quel culot ! », aurais-je envie de dire, en plagiant monsieur Renaud Séchan !
A chaque fois que je suis allée voir Yves Jamait sur scène, ce fut un enchantement. Vendredi soir, à Ludres, ce fut encore plus. Un éblouissement. Une comète qui passait dans un ciel étonné ! Jamais je n’ai vu un tel don de soi, une présence aussi déchirante, un tel respect du public, une telle connivence avec lui. Yves Jamait ne se prend pas au sérieux, et c’est peut-être là qu’est le secret ! Ses chansons, bien souvent, vous fouettent les tripes, il les interprète avec une conviction dure comme ferraille, sans fard, n'hésitant jamais à mouiller la chemise, de sa sueur ou de ses larmes. Le tout au milieu d'admirables pirouettes humoristiques.
A Ludres, Yves Jamait est venu présenter lui-même la première partie du spectacle. Une première partie d’ailleurs loufoque en diable : Lili Cros et Thierry Chazelle.
En fait, je n’ai pas de mots pour raconter ce concert. Je crois qu’Yves Jamait sur scène, c’est tout simplement inénarrable, c’est à vivre et c’est tout !!
Après s’être donné totalement pendant deux heures et demie, il a trouvé la force de venir à la rencontre de son public. Et avec le sourire, s’il vous plaît, et une attention extrême pour chacun ! Il a lui aussi son noyau de fans irréductibles, qui le suivent de verre en vers depuis toujours ! J’ai été bouleversée par une certaine Nadine, qui offre des CD d’Yves Jamait à tous ceux qu’elle aime, si j’ai bien compris, et ils sont légion ! Yves Jamait la connaît bien. Si bien qu’il peut se permettre de plaisanter à son sujet : « Nadine croit que les CD sont à usage unique. Elle les achète, les écoute une fois et les jette » ! Yves Jamait n’aime pas les flashes, lui non plus, et il le dit avec simplicité, sur un ton agréable !! Ce naturel m’a presque fait mal, je n’ai pu m’empêcher de le comparer avec la dureté des propos de Thiéfaine sur la tournée actuelle, quand il s’agit de photos, justement. Je déteste sentir qu’en moi s’insinue le poison des comparaisons. Quand on compare, c’est qu’on aime moins… Ce que l’on aime réellement demeure incomparable à nos yeux ébahis. Ce n’est pas que je n’aime plus Thiéfaine. Disons que je continue à aimer son œuvre (ses mots me transpercent et me transperceront toujours, je crois), mais quelque chose en moi s’est fissuré au fil du temps en voyant l’homme agir parfois presque comme une starlette. Je sais que je jette un pavé dans la mare, que je vais faire des mécontents, j’en prends le risque. Admirer ne veut pas dire tout accepter sans discernement. De temps en temps, les comparaisons font du bien aussi, elles remettent les choses à leur juste place… Mes presque 24 ans de vagabondage avec Thiéfaine m’autorisent à être critique, non ?
10:40 | Lien permanent | Commentaires (28)
16/05/2016
Renaud, mon frangin, mon poteau...
"Roulez toujours, suivez le vent". Renaud, Mulholland Drive.
Sans l’amour inconditionnel que l’une de mes filles voue à Renaud, je crois que j’aurais peut-être écouté de loin, d’une oreille distraite, voire pas écouté du tout, son dernier album. Impossible dans ma chaumière, et c’est tant mieux ! Car je serais passée à côté de quelque chose de puissant. Bien sûr, on pourra toujours m’objecter que Renaud fut plus incisif en son printemps, qu’il a laissé en chemin un peu ou beaucoup de cette verve qui le caractérisait. On ne me convaincra pas. Je dirais pour ma part qu’il a seulement évolué. Que seraient nos enthousiasmes de jeunesse s’ils devaient perdurer absolument intacts une fois la maturité venue comme une marée noire ?
Je vois dans ce dernier album une écriture du tourment, qui se dessinait déjà dans Marchand de cailloux, et même bien avant. La quarantaine fut un âge empoisonné pour Renaud. Comment, lorsque l’on se sent éternellement gavroche dans l’âme, accepter de voir un à un blanchir ses cheveux, mourir des potes, s’amenuiser des illusions ? L’enfance qui s’éloigne chaque jour un peu plus et l’impossibilité de s’en faire une raison, tout cela était écrit noir sur blanc déjà dans Les dimanches à la con et revint en force dans Le sirop de la rue ou Cheveu blanc.
J’ai écouté, réécouté le dernier album. Certes, la voix est désaccordée, mais ne l’a-t-elle pas toujours été ? Oui, elle est ce que l’on pourrait appeler une voix de rogomme, laminée par le pastaga, passée sous le rouleau compresseur de je ne sais combien de cibiches. Mais cela a au moins l’avantage de l’accorder, justement, avec le « message » délivré ici : la vie est moche et c’est trop court. Le constat est amer, désabusé, mais ô combien juste, malheureusement. De sa voix frêle, Renaud nous chante ses fragilités. Mais pas seulement : il parle de la force que l’on peut puiser dans les mots, et je ne connais pas d’hommage plus déchirant que celui-ci, parce que lancé dans un souffle ténu, parce que presque susurré parfois… Cette chanson me bouleverse. Et puis, une personne de mon entourage m’a dit dernièrement que le texte semblait comme écrit pour moi, et je me la pète grave depuis, et je m’en fous : oui, pour moi aussi, les mots furent et demeurent le radeau de sauvetage. Dylan me secoue les entrailles, elle s’adresse, je crois, à tous ceux qui ont du monde sous le « marbre du chagrin » et se sentent « feuilles mortes au vent » depuis la perte d’un de leurs proches…
Mulholland Drive, j’en ai déjà parlé ici, et j’y reviens, c’est une ode aux escapades sauvages et déjantées, dont on ne sait pas, d’avance, où elles nous mèneront… Je l’aime bien, cette jeune fille qui part aux aurores en refermant la porte sur son passé et sa famille et qui croit dur comme fer que le meilleur est à venir. Elle a la confiance de la jeunesse chevillée au corps, et c’est un bien précieux, que la vie se chargera sans doute de mettre en miettes. Mais, pour l’heure, pas d’amertume : elle laisse le vent la pousser à sa guise, sur la route qu’il choisira, et je ne sais pas de plus beau vertige.
Que dire encore de ces chansons dans lesquelles Renaud s’incline devant sa « descendance » ? On sent à l’écouter (et en cela il rejoint Thiéfaine, je crois) que mettre des enfants en ce bas monde, même si cela ne va pas sans combat intérieur, est peut-être l’une des choses qui nous réconcilient avec la vie. « Il nous restera ça », les cris des enfants qui déboulent dans le salon de nos dimanches vieillards, leur folie, leur main qui s’accroche à la nôtre, confiante, abandonnée… Pendant ce temps-là, des cités peuvent menacer ruine, et même s’effondrer, l’amour qui traverse les générations a quelque chose d’indéracinable.
Je t’aime, frangin Renaud, mon tendre poteau. A cela cent mille raisons : c’est grâce à toi, je n’en démords pas, que je me ruai un jour sur les mots, faisant d’eux, à la faveur d’un stupide chagrin d’amour ado, mes compagnons de toujours, ceux que l’on garde rivés à soi comme une corde à laquelle on ne se pendra pas. Tu fus le prince de mon enfance, celui qui me chamboula en me disant (et je n’y pigeais que dalle à cette leçon) que « la mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans » ! Tu fus l’un de ceux qui m’ouvrirent l’esprit, m’amenant par exemple, en 1996, année où je débutai dans l’enseignement, à m’interroger sur le sens de ma « mission », afin de ne pas filer que des chevaux morts en héritage aux élèves qui certainement s'ennuyaient à cent sous de l'heure dans mes cours pas du tout indispensables !! Tu fus parfois, souvent, une lanterne quand je ne faisais plus confiance au seul vent. Et tu es maintenant comme le flambeau que j’ai refilé sans le savoir, sans forcer, à ma fille Louise, qui t’aime d’un amour tellement pur que j’ai honte de mes incapacités d’adulte... Quand je lui dis que j’aime particulièrement telle ou telle chanson de toi, elle me répond invariablement : « Ben moi je les aime toutes ». J’adore l’écouter chanter des paroles auxquelles elle ne comprend pas toujours tout, mais auxquelles elle accorde une foi totale !
Merci, frangin Renaud, d’être toujours là, sur tes deux guibolles arquées, chancelantes parfois. Ce n’est pas moi qui te jetterai la première bière, je ne sais que trop les pas de traviole, les parcours en zigzags, pas linéaires pour un rond !
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