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07/03/2020

Un samedi matin en compagnie d'Hölderlin et d'Hubert !

"Les fantômes ne meurent pas. Il y aura toujours de la lumière à leurs fenêtres". Patrick MODIANO

 

Ce matin, j'ai écouté Stratégie de l'inespoir sur YouTube. Et puis j'ai laissé le truc aller à sa guise et me proposer une liste aléatoire de titres. Ce fut, d'abord, Je t'en remets au vent, version Palais des Sports 2015. Ensuite, Les dingues et les paumés, toujours au Palais des Sports. Soudain, dans ma cuisine, au petit déjeuner, je me suis vue transbahutée des années en arrière, tellement d'années en arrière qu'il vaut mieux ne pas en faire le compte : j'y serais encore demain. Bref... Il aura suffi d'une chanson pour que je revive ce moment de la bascule entre l'avant et l'après. L'avant Thiéfaine et l'après Thiéfaine.

Je suis jeune, en deuxième année de fac d'allemand. Mon prof de littérature, monsieur D., un passionné de tout ce qui va avec la Germanie (histoire, langue, beaux textes), nous parle souvent d'Hölderlin. La vie, plus que l'œuvre de ce dernier, me fascine : voilà un étrange type qui aura passé les 37 dernières années de sa vie enfermé dans une tour, à Tübingen. En 1796, Hölderlin devient le précepteur du fils du banquier Gontard, à Francfort-sur-le-Main. Il s'éprend de la mère de son élève, Susette Gontard. La relation ne durera pas : le mari de la jeune femme en aura vent et y mettra fin. Mais le souvenir de Susette hantera toujours Hölderlin. Elle apparaît sous les traits de Diotima dans le roman Hyperion.

Quelques années plus tard, entre 1801 et 1802, Hölderlin se retrouve précepteur chez le consul d'Allemagne, à Bordeaux. En 1802, il entreprend un voyage à pied pour regagner sa patrie. Le « retour de Bordeaux » est considéré comme le moment fatal, celui durant lequel Hölderlin aurait sombré dans la folie. En 1806, il fut interné dans une clinique, puis un menuisier lui donna l'hospitalité dans une tour située sur le Neckar, dans la très belle ville de Tübingen. C'est là, donc, qu'il devait passer les 37 dernières années de sa vie.

Je crois avoir publié ici un article sur Hölderlin, il y a longtemps. Je suppose qu'on peut le retrouver en tapant le nom du poète dans l'outil de recherche. Personnellement, je n'ai jamais réussi à me plonger dans l'univers d'Hölderlin. Il m'est trop hermétique. Peut-être devrais-je retenter le coup.

En tout cas, je n'oublierai jamais le trouble qui s'empara de moi lorsque, écoutant l'album H.F. Thiéfaine en concert (« objet » par lequel tout a commencé pour moi), je crus percevoir le nom du poète allemand dans Les dingues et les paumés. Étais-je certaine d'avoir bien entendu ? Je me vois encore rembobiner la cassette jusqu'à l'essoufflement : « ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin ». Si, si, c'est sûr, Thiéfaine a bien dit cela. J'en suis comme deux ronds de flan  : un chanteur français qui évoque un poète allemand dans une de ses chansons, ce n'est pas courant, c'est le moins qu'on puisse dire !

Le charme avait déjà opéré, bien avant que je ne tombe sur ce passage. Le coup des ascenseurs au fond des précipices m'avait prise dans ses filets quelques semaines plus tôt : c'était vertigineusement beau et diablement efficace pour celle que j'étais alors (ça l'est toujours). Une sorte de remède à distance. Thiéfaine, je ne savais même pas à quoi il ressemblait. J'avais vu deux ou trois photos de lui. Pas assez pour me faire une image précise de sa physionomie. Cela ajoutait au mystère. Longtemps, il fut pour moi l'homme « au visage de vent », aux contours flous. J'ignorais à peu près tout de lui en ces temps reculés : seuls me parvenaient ses mots, sa voix, sa musique. Il me semblait pouvoir les localiser : tous, ils venaient d'une contrée où, moi aussi, j'avais mes habitudes. Quelque part entre une rue barrée, à Hambourg ou ailleurs, et un caboulot enfumé jusqu'à ras bord, berceau d'une indéracinable mélancolie. À l'époque, je lisais également beaucoup Cioran...

Comment comprendre certaines fidélités dont on est destiné à ne plus démordre ? Lorsque je me pris l'uppercut HFT en pleine face, franchement, je ne savais pas qu'il allait durer des décennies. Je crois même pouvoir affirmer aujourd'hui, sans frime et sans crainte, qu'il « ne s'en ira qu'avec la bonne femme », comme disait ma mère à propos de certaines de ses petites manies ! Je ne sais pas comment ni pourquoi cette passion a traversé le temps, et de la plus belle des façons : en ne prenant pas une ride. Cette fidélité que j'ai dans le cœur, elle a été favorisée, il me semble, par bien des choses. Entre autres la propre fidélité d'Hubert, notamment à ses convictions. Je ne dis pas que sa carrière est faite de lignes droites ; elle a même, parfois, embrassé des virages déroutants. Mais n'est-ce pas là que réside la force de l'œuvre que nous admirons : dans sa capacité à enjamber les années, se renouvelant régulièrement tout en ne s'éloignant pas trop de son point d'ancrage originel ?

Commentaires

Désolée si je radote un peu. J'ai déjà écrit tout cela, d'une autre manière peut-être, mais quand même, je l'ai déjà écrit...
Pour moi, donc, tout a commencé avec H.F. Thiéfaine en concert, et plus particulièrement avec Mathématiques souterraines. Et pour vous ? Allez, repartez quelques années en arrière, que je ne sois pas la seule à avoir droit à mon coup de vieux aujourd'hui !!!

Écrit par : Katell | 07/03/2020

Merci beaucoup Katell pour ce joli billet. Pour ma part mes souvenirs me remuent et m'interrogent ! j'essaie de les mettre en mots et de revenir les poser ici.

Écrit par : Nadja | 07/03/2020

, je viens d'entrevoir Hubert à la télé.

… Il dit que la nuit il ment !...

, je ' m'interroge ' :-)

, …

Écrit par : le Doc. | 07/03/2020

Nadja : d'accord, nous patienterons !
Doc, je n'ai vraiment pas de chance : j'ai attendu la prestation d'Hubert toute la soirée et quand il a commencé à chanter, la connexion de mon téléphone a lâché ! Véridique ! Je n'étais pas chez moi, je n'ai rien pu faire. Je n'ai regardé cette soirée que pour lui (désolée, je n'accroche toujours que moyennement à Bashung : quelques titres ici ou là, mais rien de très solide). Je suis écœurée pour le capotage de ce soir ! "Au bout de ma vie", comme disent les jeunes (non, quand même, je n'irais pas jusque là !!).
Peut-être que notre Hubert ne ment pas que la nuit, va savoir !

Écrit par : Katell | 08/03/2020

@ Cath :

, je connais très la structure d'Hubert et ce qu'elle sous-tend.

… Je suis tombé sur la rediffusion télé par hasard en résistant à la mort, j'ai vu en premier Yann ' grande émotion ' et puis il est arrivé et il ne mentait pas Catherine.

… La vie est un mensonge que j'ai continué à faire vivre en donnant la vie alors je résiste pour mon Abeille !... Elle n'est plus sur mon porte bagage, toutefois je résiste - pour elle surtout bien sûr - , mais pas que .. [ :-) ] !...

, …

Écrit par : le Doc. | 08/03/2020

Hello

Tout comme toi, le (electro)choc s'est passé sur la K7 "En Concert Vol.1". Directement "Les dingues et les paumés" en pleine face. KO direct. Jamais remis...

C'est marrant, moi aussi, je n'ai découvert son visage que bien des années après (!!!) : Pourquoi ? Pas d'internet...Ni eu la curiosité de fouiller les bacs de disquaires (ça, c'était le côté, je me laisse porter...).

J'ai oublié de regarder la retransmission du concert. Et même si j'y avais pensé, je ne sais pas si j'aurais patienté jusqu'au passage d'HFT.

Mais, et c'est déjà inscrit : ce vendredi 13, à 5h (ou, plutôt, 17h, hein...), je fais péter la chanson !!

Salutations numériques

Écrit par : Seb | 08/03/2020

Bonjour à tous : finalement, j'ai pu retrouver très vite, sur Facebook, l'interprétation de "La nuit je mens" par Hubert. Franchement très bien. Voilà une chanson de Bashung qui me plaît. Il y en a peu, j'en suis toujours aussi désolée qu'hier, mais c'est comme ça : certaines rencontres sont destinées à avorter encore et toujours. J'ai quand même vu Bashung deux fois en concert, cela mérite d'être signalé. Cela n'a pas pris...
Doc : dans une interview, Thiéfaine disait qu'il était incapable de mentir et je le crois volontiers !
C'est marrant, ce nuage fantomatique dans lequel était enfermé Hubert lorsque j'ai découvert son œuvre. Comme tu dis, Seb : pas d'internet à l'époque. Ce n'est que quelques années après que j'ai pu voir réellement à quoi il ressemblait. On ne pourra pas m'accuser de l'avoir élu entre tous pour son physique !!!!

Écrit par : Katell | 08/03/2020

https://www.france.tv/spectacles-et-culture/pop-rock-electro/1287033-immortel-bashung.html
disponible jusqu'au 14/03/2020

Écrit par : isabelle | 08/03/2020

Merci beaucoup, Isabelle ! Je vais pouvoir regarder la prestation de Jane Birkin, cela m'intéresse aussi. J'ai bien aimé Brigitte Fontaine sur "Samuel Hall". Une chanson qui lui va comme un gant !

Écrit par : Katell | 08/03/2020

Pour l'interprétation d'Hubert, aller jusqu'à 01:04 et des poussières !

Écrit par : Katell | 08/03/2020

C’est drôle cette histoire de flou autour du visage d’Hubert parce que j’ai eu aussi cette impression au début. Il faut dire que pendant longtemps les photos de ses albums ne nous ont pas vraiment aidés à y voir clair !
Pour ma part j’avais 15 ans quand j’ai rencontré HFT par l’entremise d’une copine qui me mis Dernières balises avant mutation dans les mains en me garantissant que j’allais aimer. Cette première rencontre fut comme si un ovni avait atterri dans mon jardin ! Étrange, inquiétant, le bonhomme parlant un langage quasi incompréhensible mais... ça me parlait pourtant. Et il alluma en moi une étincelle dans mon vide sidéral d’adolescente mal en point. Et l’étincelle est toujours là, 35 ans après, elle ne s’est jamais éteinte, elle est même plus vivace que jamais !
L’hiver dernier, je suis allée voir la rétrospective Steve Mc Curry et, devant tous ces sublimes visages, il y en a un devant lequel je suis resté bien 10 minutes, bouleversée. Le visage d’un enfant, d’environ 5 ans, en pleurs, la morve au nez, la bave aux lèvres, pointant un pistolet sur sa tempe. Outre l’émotion qui me submergea, cette photo me fit penser, dans un second temps, à la photo de couverture de Soleil cherche futur...
Et merci à toi Isabelle pour le lien ! J’ai « sauté » directement à La nuit je mens... imposant !

Écrit par : Bételgeuse | 11/03/2020

Bételgeuse, je pourrais reprendre tes mots à mon compte, sans en changer un seul. J'ai vécu la même chose avec l'OVNI Thiéfaine, il y a 28 ans...
J'ai cherché sur Internet la photo que tu mentionnes, mais je ne l'ai pas trouvée. Quel en est le titre, s'il te plaît ?

Écrit par : Katell | 22/03/2020

Katell, je n’en connais pas le titre... mais si tu tapes sur Google « McCurry enfant pistolet » il va te la proposer en premier.
Au plaisir de vous lire tous... par ces temps bien étranges vos billets seront les bienvenus.

Écrit par : Bételgeuse | 22/03/2020

Bételgeuse : j'ai vu la photo, ça y est. Oui, il y a quelque chose de thiéfainien là-dedans, je suis entièrement d'accord !

Écrit par : Katell | 23/03/2020

, toujours vivant !...

Écrit par : le Doc. | 31/03/2020

Un lundi matin en compagnie d' Alphonse de Lamartine et d' Hubert-Félix Thiéfaine. Je n'étais pas à Mâcon le 04/10/2002, moi non plus. Katell, vous évoquiez ce concert dans une note de 2006, les commentaires sont bien évidemment fermés, mais les archives toujours très utiles! On peut y retrouver les paroles du poème Pensée des morts (mis en musique par Georges Brassens)
https://youtu.be/lh1_ytHjRx0

Écrit par : isabelle | 03/08/2020

' La carte n’est pas le territoire ' , toutefois :

pensée du Doc a thos & por thos :-)


, …

Écrit par : le Doc'n'Roll | 05/08/2020

Les commentaires sont fermés.