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28/03/2016

Loin, le nouvel album d'Alex Beaupain

La pensée du jour : "Cette présence soudain incontestable d'une autre vie dans notre vie, une présence si nette qu'elle ressuscite la joie en nous dormante". Christian BOBIN

 

On dirait un peu du Souchon, cette manière de traiter des sujets graves avec l’air de ne pas y toucher, comme si seule la désinvolture permettait de tenir à distance ce qui blesse. Il y a là des accès de nostalgie, une impossibilité à se réconcilier avec le temps qui passe et des chagrins à la pelle. Le tout livré dans une ambiance feutrée. On dirait un peu du Souchon, surtout sur la première chanson, mais c’est avant tout du Beaupain. Cela s’appelle Loin, et c’est de taille à me faire dire, une fois encore, qu’il n’y a pas que Thiéfaine dans la vie (même si parfois, tiens, on se demande…)

Que nous susurre Alex Beaupain en ce début de printemps ? Il nous dit que la quarantaine l’exile déjà bien loin de l’adolescence, des premiers émois amoureux et des questions farfelues et tristement essentielles qui pourrissent cet âge-là (« dans quel sens faut-il tourner dans ta bouche ma langue ? ») A cette période de découvertes et de frissons, il oppose le tableau amer d’une existence trop pépère, trop pantouflarde et « parfaite jusqu’à la terreur ». Que faire quand le quotidien ne nous réserve plus de surprises ? « Couper les virages, ne plus suivre les lignes ». Il nous dit aussi avec effroi le temps qui ravage tout sur son passage, vide les maisons et remplit les cimetières (Les voilà est sans doute la chanson qui me bouleverse le plus sur cet album). Plus loin, il emploie, pour faire comprendre son désamour, une des dernières phrases que prononça Van Gogh : « La tristesse durera toujours ». Que faire quand l’amour est traversé d’ombres et que les étreintes de l’autre ne nous ressuscitent plus ? Tailler la route, une fois encore ! Alex Beaupain nous dit aussi l’absence, celle qui se met en travers du lit pour en faire un tombeau glacé, celle qui oblige à se coucher en diagonale dans des draps désormais trop grands. Il nous dit le parfum qu’a laissé dans l’air l’être aimé avant de disparaître (« Tout a ton odeur / Mais rien n’a de goût »). Il nous chante que lorsque l’on met l’amour en cage, on réduit son chant à la portion congrue, jusqu’à l’étouffer totalement. Extinction de voix, extinction des feux. Face au désastre de cet emprisonnement, il nous dit : mieux vaut être seul que trop accompagné !

Il y a aussi les questions qui taraudent à la fin d’une histoire : « Cela valait-il la peine / L’immense peine que je me traîne / Cela valait-il le coup / Les vilains coups / Les bleus partout ». Selon moi, la réponse, Beaupain la donne lui-même dans la chanson qui précède cette série d’interrogations et qui s’intitule La Montagne. Tant pis si l’on dégringole une fois arrivé au sommet, il nous restera toujours dans les yeux l’image de l’immensité conquise et dans le cœur le souvenir d’une victoire.

Dans Reste (tiens, la musique est de la Grande Sophie !), les jeux de mots s’enchaînent et l’on retrouve un peu le Beaupain d’Après moi le déluge, maniant habilement la langue. La traversée s’achève sur Rue Battant, chanson dans laquelle un fils s’adresse à ses parents. Les « skateboards déboulent » à vive allure, mais leur fracas finira par se taire, ne laissant place qu’au murmure d’une immense nostalgie… Quoi qu’il en soit, on reste toujours l’enfant de qui nous a mis au monde. Et les souvenirs nous foncent droit dessus, pareils à des skateboards fous, en cette quarantaine où l’on s’éreinte à dresser des bilans, à faire des comptes, à regarder ce qui n’est plus et ce qui aurait pu être.

22/03/2016

Pierre noire sur une pierre blanche

La pensée du jour : "Qui saurait dire quand, et de quelle manière, quelqu'un s'inscrit dans le destin d'un autre pour y jouer, en aveugle, le rôle qu'il ignorait ?" Hector BIANCIOTTI

 

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Avant d'interpréter Autoroutes jeudi d'automne, sur la tournée actuelle, Thiéfaine cite les premiers vers d'un poème de César Vallejo, "Pierre noire sur une pierre blanche". Je vous le propose dans son intégralité aujourd'hui et je profite de cette note pour vous poser une question : quel est le poète polonais que Thiéfaine évoque avant de chanter Karaganda ?

 

 

PIERRE NOIRE SUR UNE PIERRE BLANCHE

 

Je mourrai à Paris par un jour de pluie,

un jour dont j'ai déjà le souvenir.

Je mourrai à Paris - et c'est bien ainsi -

peut-être un jeudi d'automne tel celui-ci.

 

Ce sera un jeudi, car aujourd'hui jeudi

que je prose ces vers, mes os me font souffrir

et de tout mon chemin, jamais comme aujourd'hui,

je n'avais su voir à quel point je suis seul.

 

César Vallejo est mort, tous l'ont frappé,

tous sans qu'il leur ait rien fait;

frappé à coups de trique et frappé aussi

 

à coups de corde; en sont témoins ici

les jeudis et les os humérus,

la solitude, les chemins et la pluie...

 

 

 

03/03/2016

Thiéfaine au Palais des Congrès de Strasbourg (2 mars 2016)

La pensée du jour : "Tout ira mal - et je serai désespéré - le jour où je ne serai plus poétiquement ému par les plus petites choses". Georges HALDAS

 

Cela commence par un éclat de rire. Deux femmes se retournent vers moi et me disent, une joie enfantine dans les yeux, qu’elles se sont trompées de sièges. Elles devraient être assises à côté de moi, elles se sont installées dans la rangée de devant ! Il va falloir déménager, enjamber des rivières de genoux, balbutier des « pardon » navrés, bousculer des tranquillités ! Deux minutes plus tard, les voilà installées à mes côtés, et nous engageons une discussion qui ressemble à toutes celles que j’ai déjà eues sur le vaste sujet qu’est Thiéfaine (mais je ne me lasse pas de ces mots, parce que toujours ils sont habités, vrais, sensibles !) ! Toujours on en vient à dire que cet artiste-là, sans le savoir, met un baume sur nos plaies les plus secrètes. Toujours on en vient à évoquer la claque que ce fut de découvrir son œuvre il y a dix, quinze, vingt ou trente ans. Des feux d’artifice explosent dans les regards, on se comprend, nos solitudes se tendent la main. L’une de mes voisines a découvert Thiéfaine il y a vingt-cinq ans. L’amie qui l’accompagne, Christine, a eu sa révélation il y a un an. Dans ses yeux, je lis une ferveur qui ressemble à la mienne. Les lumières s’éteignent. Il y a une première partie, ill river. C’est loin d’être désagréable, mais il me faudrait écouter ce groupe dans d’autres circonstances, pas quand monsieur Hubert-Félix Thiéfaine se trouve dans les parages et que je sais qu’il va surgir d’un instant à l’autre comme une tempête. Dans ces moments-là, je ne peux me concentrer sur autre chose que l’indescriptible attente bouillonnante qui palpite en moi. Désolée pour toutes les premières parties que je n’ai pas su honorer d’une écoute attentive, mais Hubert renverse tout sur son passage !

20h50. Les musiciens entrent en scène. Il y a dans l’introduction d’En remontant le fleuve une fièvre qui va crescendo, un rythme qui titille la tripaille, lentement, puis moins lentement, jusqu’à la faire flamber ! Thiéfaine arrive et un tonnerre d’applaudissements retentit, mêlant respect et enthousiasme. Le public est assis ce soir. Au début, nous sommes sages, posés là comme des images dans un livre pour enfants raisonnables. On n’ose pas trop bouger sur ces sièges confortables, dans cette belle salle où tout semble réglé à la baguette. C’est que ce serait presque intimidant ! Mais, çà et là, j’aperçois des gens qui se lèvent. On sent que ça en démange certains, de se dresser et de clamer leur bonheur plutôt que de le taire dans un recueillement timoré !! Une de mes voisines, celle qui écoute Hubert depuis vingt-cinq ans, remue dans tous les sens, je crois aussi qu’elle ressent une immense frustration, l’immobilité ne lui convient pas ! Les premières chansons, plutôt tranquilles, n’invitent pas forcément à se lancer dans des danses endiablées, avec force gesticulations ! Il faudra attendre Lorelei pour que le bateau se mette à tanguer un peu (ah, ces bonnes vieilles légendes germaniques !!) Avec 113ème cigarette sans dormir, il devient carrément ivre ! Presque toute la salle est debout, certains descendent tout près de la scène, improvisant une jolie fosse bordélique à souhait, que c’est un plaisir ! C’est que nous sommes comme la marmaille Thiéfaine, nous ! Disciplinés, mais seulement jusqu’à une certaine limite, au-delà de laquelle nous ne répondons plus de rien, désolés ! Des concerts, nous en avons enchaîné un paquet, debout, mal au dos et aux jambes, après avoir fait la queue dehors pendant des heures, mais qu’à cela ne tienne, le cœur est vaillant, lui, et même en sa soixantaine, alors ce ne sont pas quelques sièges bien ordonnés qui vont nous effrayer. Adieu la retenue du début, nous voilà pris dans un engouement que rien n’arrêtera ! Thiéfaine et ses musiciens nous regardent, étonnés, un brin amusés. Flattés sans doute aussi (et on les comprend) de voir que ce qu’ils nous donnent ce soir amène cela en retour ! C’est une joyeuse démence qui a soudain enflammé la salle. La fille du coupeur de joints viendra porter au plus haut cette espèce d’extase collective ! Pour clore la soirée, Thiéfaine interprète Des adieux, seul à la guitare. On le sent ému. Une fois de plus, son public, fidèle comme une jeune épouse, lui a prouvé toute la majesté de son amour. C’est plus fort que nous : nous sommes là depuis des années, des décennies parfois, nous avons chopé des rides depuis la claque initiale (et initiatique), mais quelque chose, au fond de nous, est resté intact et pur : c’est cet amour qui nous dépasse. Qui brûle et qui veille en nous, petite flamme obstinée et costaude…

Les lumières se rallument. Sur les visages, l’éblouissement est encore bien vivace, peut-être même que nous allons le promener plusieurs jours avec nous, traversant la grisaille avec ce secret lumineux gravé sur nos traits !

Les lumières se rallument, disais-je. Ma voisine, Christine, se tourne vers moi et m’embrasse, et je ne connais rien de plus beau, pour dire la joie et la reconnaissance, que ce baiser inattendu déposé sur ma joue. Elle me dit qu’elle est heureuse d’avoir fait ma connaissance et d’avoir assisté au concert en ma compagnie. La réciproque est vraie, Christine, et si le hasard t’amène un jour à ouvrir les portes de ce Cabaret, sache que je serai heureuse de t’y accueillir. Je n’oublierai pas ton sourire, je n’oublierai pas ce que tu m’as dit et que tu ne comprenais pas toi-même, je cite !

Retour dans la nuit chez mon collègue Renaud, qui m’hébergeait pour la nuit. Dans la voiture, nous échangeons sur nos vies, nous sommes encore un peu ailleurs, délicieusement ailleurs. Au petit matin, il quitte la maison, et je descends voir sa maman. Elle m’offre un café, nous papotons. Nous nous connaissons à peine, mais le courant passe illico (il faut dire qu'Hubert crée des liens !) Elle me dit des choses qui me chamboulent, qui me font entrevoir la délicatesse de son âme. Bon sang, que le public de Thiéfaine est beau, dans sa diversité, sa profondeur et ses blessures !

Merci à Françoise, pour tout, absolument tout. Merci à Corinne pour les encouragements au sujet de ce blog, merci à Bruce et Cindy, pour les mots échangés dans le froid (c’est devenu une habitude !) Amitiés au Doc, que je n’oublie jamais, mais je crois qu’il le sait malgré ses innombrables taquineries !

28/02/2016

Thomas Fersen était à Neuves-Maisons hier soir !

La pensée du jour : "Tout chargé encore du pollen de ce que je viens de vivre". Georges HALDAS

 

Oui, Thomas Fersen était à Neuves-Maisons hier soir, et c'était fabuleux ! Ce monsieur règne en seigneur pince-sans-rire sur un univers délicieusement loufoque. On y croise une chauve-souris éprise d'un parapluie, l'employé d'un magasin de chaussures qui, tout en s'occupant des pieds de ses clientes, se prend à rêver ou se voit saisi de haut-le-cœur incontrôlables, un squelette de la foire du trône, un certain Hyacinthe au "rire de fillette" et aux "grosses mains d'étrangleur" ("j'lui confierais pas ma sœur", commente malicieusement Thomas Fersen !). Bref, il y a là toute une faune bigarrée, toujours décrite avec une minutieuse profusion de détails, à tel point qu'on finit par la voir se promener sous nos yeux ! Au fil du temps, j'ai mis un visage sur Hyacinthe, sur l'assassin distingué et froid qu'est monsieur, ou encore sur le balafré. "Le balafré", justement : c'est ma chanson préférée de Fersen, et c'est celle qui a ouvert hier soir un curieux bal où l'on passait d'un sketch à une chanson (l'artiste était seul au piano), puis d'une chanson à un poème. Le tout chanté, récité ou déclamé avec un brin de malice enfantine au fond des yeux. Au beau milieu d'une saillie, le chanteur s'arrête, vérifiant son petit effet sur le public. Cela fait mouche, immanquablement. On rit, on se laisse docilement embarquer, et vogue la galère sur des flots que l'on sent toujours un peu bretons, rarement étales !! La croisière s'amuse sous la houlette d'un Thomas Fersen facétieux. Il me fait penser à un gamin taquin qui, tout en vous disant "t'as une tache, pistache", vous décocherait un uppercut rieur dans les naseaux ! A la fin, tout le monde éclate d'un rire franc et revigorant ! On en redemande, on adore cet univers à nul autre pareil, c'est un plaisir de déambuler en compagnie de ce coquin de vieillard encore vert qui veut "mourir comme Félix Faure", ou bien avec cette dame aux allures de Diane de Poitiers !

Après le concert, Thomas Fersen est venu rencontrer son public, signer des autographes, dédicacer des albums, des affiches (celle de la tournée actuelle est décalée à souhait, elle colle parfaitement au grain de folie du monsieur !!), se faire photographier avec des saintes familles entières, le tout dans une bonne humeur dont il ne s'est à aucun moment départi, quelle belle leçon !

Voilà, chers amis ! C'était un petit billet dans la série "il n'y a pas que Thiéfaine dans la vie" ! Mais, tout de même, on revient toujours à ses anciennes amours, à celles qui sont imprimées de manière indélébile, qu'on le veuille ou non, dans notre chair, et la prochaine note que je mettrai ici sera un compte rendu du concert de Strasbourg. Eh oui, j'y vais, finalement, après m'être débattue dans mille et une tergiversations, après avoir pensé que c'était perdu (jusqu'à lundi, je n'avais personne pour me garder les filles le soir du concert), après m'être dit que ce n'était pas raisonnable de faire tant de route entre deux réunions parents-profs... Puis, la solution est tombée du ciel comme un miracle entre mes mains étonnées et reconnaissantes : une collègue s'occupera de mes filles mercredi soir et même jeudi matin ! Et je me suis dit "au diable la raison", tirant une leçon frôlant l'amer de mon absence à Bercy en 1998 (tout cela pour ne pas être décalquée le lendemain matin en cours !) Toujours m'ont guidée les mots de Chamfort, "les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu", et ce n'est pas une petite quarantaine légèrement ahanante qui va me clouer les pieds dans des charentaises fatiguées !

 

04/02/2016

Toujours debout !

La pensée du jour : "Et c'est quand on croit que les ténèbres vont nous ensevelir que le soleil de la lumière ultime se lève". Georges HALDAS

Renaud a, comme il le disait un jour, « du mal avec la vie ». Du mal avec le temps qui passe, fauche des potes, kidnappe l’innocence des jeunes filles. C’est vers la quarantaine qu’une nostalgie sournoise s’est insinuée en lui comme un poison, lui filant de mauvais gnons dans la tripaille. Comment ne pas sombrer quand chaque jour qui passe nous barbote un truc de plus ? Comme je le comprends, mon poteau, et comme je suis heureuse de l’entendre chanter aujourd’hui qu’il est « toujours vivant, toujours debout ». J’entends déjà les commentaires cinglants, j’en ai lu quelques-uns, et ils m’ont fait mal. J’ai vite cessé d’y prêter attention. Je choisis de me faire ma propre opinion, je choisis aussi d’écouter ma petite fille de bientôt huit ans, fan de Renaud depuis un bon moment déjà, et accueillant cette nouvelle chanson comme un miracle. Ce qu’elle est. Bon sang, Renaud a traversé le désert plusieurs fois, certains l’ont dit moribond, et le voilà qui nous revient, titubant peut-être encore un peu sur les passages cloutés de la vie, mais bel et bien là, debout, vivant. Eh bien moi, au risque d’en décevoir plus d’un, je salue la niaque de cet homme ! Durant toute mon adolescence, il a été là, comme un mentor. C’était le loubard gentil dont j’étais secrètement amoureuse. Celui qui conciliait à lui seul les deux pôles qui m’attiraient : le côté mauvais garçon, tatouages en bande dessinée sur la peau, cheveux anars, et la sensibilité qui ose se dire. Des chansons caresses, des chansons coups de poing dans la gueule. Je trouvais là toute la pitance dont j’avais besoin. Ensuite, à l’âge adulte, j’ai toujours gardé un œil sur la « chetron sauvage ». Renaud me revenait par périodes. Et c’était toujours avec le même plaisir que je l’accueillais. Jamais ma tendresse n’a faibli, elle est de celle qui, parce qu’elles sont nées dans l’enfance, ne peuvent nous quitter tout à fait. La mienne est carrément enracinée en moi, inaltérable, et je suis heureuse d’avoir filé (sans chercher à le faire, d’ailleurs !) le flambeau à ma fille.

Alors oui, nous irons voir Renaud en concert ! Alors oui, sans doute, sa voix déraillera comme elle a d’ailleurs presque toujours déraillé, mais nous chanterons avec lui, nous chanterons pour lui s’il le faut, sachant bien, au fond de nous, que l’essentiel est ailleurs. Pour moi, il sera, c’est sûr, dans les yeux pétillants de joie d’une petite fille de huit ans…

16/01/2016

Comme une vieille junkie...

La pensée du jour : "Quelque chose vient à tout instant nous secourir". Christian BOBIN

 

Tout à coup, l’envie folle de vous retrouver, après une absence qui n’aura finalement pas duré si longtemps que ça ! Des projets, oui, j’en ai encore, et l’idée d’écrire ce satané bouquin sur Thiéfaine ne me lâche pas ! Sauf que pour « entrer en écriture », je dois m’imposer le silence. Durant ces quelques semaines loin du blog, j’ai repris le début de ce livre, je l’ai modifié de fond en comble. Vous ne le reconnaîtriez pas ! Cette fois, j’ai décidé de tout garder pour moi, je ne publierai ici ce travail que lorsque j’y aurai mis un point final, satisfait si possible. Autant dire : calendes grecques !! On n’est jamais satisfait de ce qu’on écrit, il y a toujours un hic planqué quelque part, et il vous saute à la gueule comme une grenade quand vous relisez les pages noircies. Soudain, c’est ce minuscule grain de sable qui vous fait condamner l’ensemble. C’est lui qui vous fait piétiner, reculer, voire renoncer. Si l’écriture, bien souvent, me procure des joies, elle est aussi une putain de douleur logée au fond des entrailles, un truc qui ne sort pas, ou ne sort pas sous la forme que j’avais espérée. Ou bien c’est un accouchement au forceps, et il me faut arracher chaque mot à ces mêmes entrailles, l’extirper d’un magma immonde et informe. Bref, assez palabré !

Je reviens donc aujourd’hui comme une vieille junkie, m’écrouler, assoiffée, au fond de ce Cabaret que je ne peux pas lâcher si facilement ! Une nouvelle année commence, et qui sait, peut-être abrite-t-elle en son cœur de belles surprises ? Déjà, il y a ce concert prévu le 19 novembre à Paris et pour lequel j’ai déjà mon billet (merci à l’amie sans qui je n’aurais pu me procurer le merveilleux sésame : elle se reconnaîtra en lisant ces lignes). Ensuite, avec un peu de chance, je pourrai aller au concert de Strasbourg en mars. Et y retrouver Renaud et ses parents. Parce que je ne vous ai pas dit : un jour, évoquant Thiéfaine en salle des profs, persuadée de lancer dans le désert un cri condamné à rester sans écho, voilà que j’entends une voix s’élever pour me demander : « Quoi, tu es allée voir Thiéfaine au Zénith de Nancy ? » Et là, le collègue m’explique qu’il a découvert HFT au berceau, c’est le Jurassien lui-même qui lui a donné la tétée ! Une vraie tétée revigorante pour une entrée magistrale dans la vie : une tétée faite de chansons balancées dans une langue inventive, qui ne sombrera jamais dans ses charentaises - inventées ! Les parents de Renaud aiment Thiéfaine et ont, comme moi, jugé qu’une telle passion devait se transmettre aux enfants et à tout l’entourage si possible, altruisme oblige ! Depuis cette discussion lumineuse en salle des profs, Renaud et moi échangeons régulièrement des enthousiasmes, des découvertes. Des paroles vraies, pas de ces mots creux qui vous font penser après coup qu’ils étaient mornes, quotidiens, sans âme, et que vous auriez pu vous en passer.

2016 est une année importante pour ce blog puisqu’il fêtera ses dix piges !! Je n’en reviens pas moi-même. Un blog, on ne sait jamais quelle direction il va prendre, quelle direction il va vous faire prendre. Cela dépend des visites, cela dépend des commentaires, cela dépend de ce que madame l’écriture voudra bien consentir à vous accorder… Je me souviens précisément de la nuit d’insomnie durant laquelle m’est venue l’idée de ce blog. En quelques heures à peine, j’avais son nom et des projets de billets, tout cela provenant d’un désir fou de partager cette étrange passion, proche de la démence, avec des lecteurs éventuels. Lecteurs qui sont vite arrivés. Certains se cachant parfois derrière des pseudos incompréhensibles à « toute personne étrangère au service » !! Des amitiés allaient naître, des tendresses, des affections, et je l’ignorais à l’époque. Vieillir a du bon aussi !

Enfin, je voulais vous dire que fin 2015, j’étais allée pour la troisième fois respirer l’air de la ville qui a vu naître Thiéfaine. En découvrant, émerveillée, qu’il y existait une rue d’enfer et, dans la collégiale, un écriteau signalant des messes pour les âmes délaissées du purgatoire, j’ai pensé que Dole était le seul endroit où HFT pouvait voir le jour. Point de tornade ici, peut-être. Mais mieux que cela : un magnifique chaos de ruelles où « les âmes nuageuses nimbées de sortilèges » peuvent espérer une résurrection.

Je vous souhaite une belle année, de majestueuses ivresses, des fièvres qui font monter le mercure au plus haut, des vertiges qui vous hissent au sommet de la joie.

28/11/2015

Was wird denn bleiben ?

"Was wid denn bleiben ?

Ich seufze, leide, suche,

Und meine Wanderschaften

werden niemals enden". Ingeborg BACHMANN

 

Je vais m'absenter quelque temps. Disons pour une durée indéterminée. Je vous le dis afin que vous ne veniez pas inutilement consulter ce blog. Cette page d'accueil, je la veux désespérément vide, comme il m'arrive de l'être moi-même. C'est bien souvent durant cette heure "cruellement noire" qui précède "l'aube du jour suivant", quand les angoisses attaquent à main armée.

Je ne sais pas si je parviendrai à mener à terme le projet que j'ai évoqué ici dernièrement. Je ne le crois pas. Des idées de ce genre, j'en ai environ vingt par jour, quand miraculeusement l'enthousiasme me frôle, et elles finissent par se dessécher dans un quelconque tiroir puant le renfermé. Qu'importe, ce projet aura au moins eu le mérite de me porter un moment, me donnant l'illusion que j'étais enfin passée de la berge des tourments à celle du renouveau.

Il y a toutes ces fois où le désir nous fait affreusement défaut, où plus rien ne nous embarque réellement. Où l'on hésite "entre un revolver, un speedball ou un whisky sour". Quand on le dit, la voix tremblante, cela fait péteux, couard. Quand Thiéfaine le chante pour nous, cela résonne comme un acte de courage jeté à la face du monde. Alors on se love dans ces mots de réconfort, on a comme l'impression que l'infirmier de minuit est passé par notre chambre pour y balancer quelques étoiles. Au petit matin, il n'en demeure rien, pas même un souvenir, et le combat reste à mener, à mains nues. On y retourne parce qu'on pense qu'on n'a pas le choix. Parfois aussi, comme dirait mon ami le Doc, on a du monde sur le porte-bagages et on a une sorte d'engagement moral vis-à-vis de ce petit monde. Charge d'âme. Comme si notre âme n'était pas déjà assez chargée comme ça !

Allez, trêve de palabres, je remets ce blog pour un temps entre les griffes du vent, qui sait si bien disperser ce que nous sommes... Je vous souhaite bien du plaisir en compagnie des "zumains" de votre rue...

25/11/2015

Dijon : le feu et l'émotion

La pensée du jour : "Travailler, lire, écrire, écrire, sans relâche. De façon à ne pas sombrer dans ce néant qui sépare deux moments d'écriture". Lydie SALVAYRE

Ne laissons pas nos âmes devenir barbares, haineuses, boueuses. Exigeons l’incandescence, répondons à la stupeur et aux tremblements par un surcroît d’amour et de poésie. En ce novembre anthracite, les mots de Thiéfaine sont plus que jamais nécessaires. Ils peuvent nous nourrir et nous guider. J’y crois !

Le concert de Dijon était de toute beauté, de tout feu, de toute émotion. Moi qui me plaignais de n’avoir pas encore vraiment senti l’étincelle sur cette tournée, je reconnais que là, j’en ai pris plein le cœur… Samedi, c’est un Thiéfaine bouleversé qui est apparu sur scène, face à un public tout aussi chamboulé… L’heure, grave, était au recueillement et à la communion. A la révolte aussi, par moments. La voix d’Hubert a déraillé à plusieurs reprises, sans doute sous le coup de l’émotion. Pas question d’évoquer Lavilliers avant Errer humanum est. C’est comme si tout à coup, Thiéfaine avait voulu se laver de tout égocentrisme. Comme s’il avait eu peur de frôler l’indécence en mentionnant avec légèreté une « guéguerre » sans grande importance. Les textes de certaines chansons ont soudain revêtu un sens qu’on ne leur connaissait pas, qu’on ne leur avait jamais vu. Quelque chose d’autre, d’insoupçonné, était caché dedans et nous est apparu samedi. Tout résonnait comme un pavé dans la mare, tout claquait à nos oreilles comme une trique. La première partie du concert, surtout… « C’est l’histoire assassine qui rougit sous nos pas », comment ne pas recevoir ces mots avec encore plus d’effroi qu’à l’accoutumée ? Comment ne pas sentir dans notre chair à quel point le verbe aimer fait cruellement défaut au monde dans lequel nous rampons ?

J’ai beaucoup pensé, durant ce concert, au vendredi meurtrier qui a fait rage sur le calendrier il y a quelques jours. Je revoyais des visages, j’avais en tête des prénoms lus ici ou là sur la toile… J’ai pensé à ma mère aussi. Depuis le début de cette tournée, entendre « Je t’en remets au vent » est, je l’avoue, un véritable supplice pour moi. Pas une seule fois je n’ai pu écouter cette chanson sans vaciller. Ma mère trouvait la musique de Thiéfaine trop rock et ses mots trop durs, trop abscons aussi. Elle préférait les choses qui glissaient simplement. Mais « Je t’en remets au vent », elle adorait ! Elle s’était fait une cassette sur laquelle elle avait enregistré ce morceau et elle l’écoutait souvent. Elle en connaissait les paroles par cœur.

Et puis, samedi, il y a eu Libido moriendi aussi. Là encore, difficile de ne pas penser à ma mère et à toutes les fois où nous nous sommes quittées sur un quai de gare. « On ne pleure pas parce qu’un train s’en va ». Non, on ne pleure pas, on s’écroule dans le vide, on se prend les pieds dans l’absence, on continue le chemin clopin-clopant. Et on trimbale comme ça, jusqu’à la fin, toute une flopée de grands départs dont on ne se remettra pas. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré. Et leur silence est douloureusement violent… Il nous arrache souvent à nos pensées. Parfois aussi, il nous empêche de penser, et nous ne sommes plus que de tristes pantins sans rien dedans.

Alors, oui, je crois que dans ces moments de désespoir, Thiéfaine peut nous rebrancher sur le secteur. Souvent, sans le savoir, il a été la main tendue comme un miracle dans ma vie. Et je reste convaincue et j’affirme que ses mots sont plus que jamais nécessaires.