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02/04/2017

Alex Beaupain en concert à La Passerelle de Florange

"Qu'est-ce que c'est dégueulasse

Dégueulasse comme tout s'encrasse

Tous nos jolis corps perdus

Nos ventres mous

Nos visages qui ne sont plus

Qu'un souvenir de nous". Alex BEAUPAIN (A bout de souffle)

 

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L'univers d'Alex Beaupain n'est pas des plus légers. Voilà un quadragénaire qui dit sans fard les blessures qui le font cauchemarder dans le silence des nuits. Quelqu'un qui ose aimer pour la seule beauté du geste, au risque de se prendre en retour des gestes moins doux en pleine face. La tournée qui s'est achevée vendredi soir à Florange s'ouvre sur la chanson Je suis un souvenir. Après l'avoir interprétée, Alex Beaupain nous demande, à nous qui sommes dans la salle, si nous allons toujours bien. « Parce que, quand même, il faut le reconnaître, cette première chanson n'était pas très gaie. Et ce n'est pas fini. Ce soir, on va parler du temps qui passe, de la mort, des amours... » Là, petit « ah » de soulagement s'élevant du public. « Qui finissent », ajoute Beaupain sur un ton espiègle. Avec élégance, il nous met au parfum. Âmes déglinguées s'abstenir. Ou rester en toute connaissance de cause, pour entendre parler des pertes et des fracas qui nous boxent et nous amoindrissent. Alex Beaupain, en évoquant ses deuils et ses chagrins, nous renvoie aux nôtres. Même pas peur, pour ma part, et tant pis si la chanson Les voilà me met le cœur à feu et à sang. Et peut-être tant mieux, qui sait, car nous avons parfois besoin d'avoir le vin triste pour pouvoir nous vider de l'amer qui nous plombe...

Ce qui est formidable, avec Beaupain, c'est que sur scène la gravité des chansons, presque toutes pluvieuses, est merveilleusement contrebalancée par l'humour du bonhomme. Un humour parfois teinté d'autodérision, parfois cinglant. La preuve : « Vous avez vu ce beau décor ? Les grandes tentures blanches au-dessus des planches, on dirait des lustres. Bon, je reconnais qu'il faudrait une maison avec des plafonds immenses pour ce genre d'accessoires. Je pense que cela irait très bien dans un manoir, à Sablé-sur-Sarthe, par exemple. Ah, mais c'est vrai, le monsieur a dit que les lustres de Beaupain, il les avait rendus ! » Ou encore : « Mon éclairagiste m'a dit que certaines personnes étaient attirées par la lumière. Il paraît que pour moi c'est l'inverse, c'est moi qui attire la lumière, je n'y peux rien. Du coup, j'éclipse un peu les musiciens, à qui il est très difficile de donner figure humaine dans ces conditions ! » Bref, on passe du rire aux larmes, des larmes au rire, de la pure déconnade à la difficulté d'être et de rester debout sous les coups que la vie nous assène... Les musiciens sont excellents. Valentine Duteil arrache des sanglots déchirants à son violoncelle et, de temps en temps, à sa jolie voix mélancolique. Ah, ce violoncelle, ah, cette voix ! Ils me font un effet bœuf, c'était déjà comme ça l'année dernière à Neuves-Maisons (c'est moins poétique qu'à Marienbad, désolée ! Mais la Lorraine a elle aussi bien des charmes, qui ne font pas dans la grandiloquence et l'époustouflant, certes, mais qui n'en sont pas moins dignes d'un petit détour. Même la vallée de la Fensch avait un cachet fou vendredi soir, sous les néons roses du soleil couchant).

Bref, en quelques mots comme en cent : Alex Beaupain et son équipe sur scène, ça décoiffe ! C'est de la poésie à l'état pur, de celle qui vous ferait aimer la sourde mélancolie qui tombe en pluie sur les toits de Paris en novembre.

À la fin du concert, Alex est venu s'imprégner de l'ambiance qui régnait au bar, une binouze à la main. Il avait déjà fait ça l'année dernière à Marienbad, euh, pardon, à Neuves-Maisons, et la simplicité avec laquelle il accueillait le public me l'avait rendu encore plus sympathique. À Florange, même gentillesse, même sourire offert à tous, ceux qui viennent bredouiller quelques mots, demander un autographe ou une photo. À la dame qui était devant moi, Alex a demandé pour quel chanteur elle avait déjà tremblé. « Thomas Fersen », a-t-elle répondu. Lorsque mon tour fut venu de tendre mon billet pour une dédicace, j'ai expliqué à Alex Beaupain que je n'étais pas loin de trembler face à lui. « Tu rigoles ou quoi, on est entre nous, il n'y a aucune raison de trembler », a-t-il rétorqué, et ce n'était pas une pose, on sentait qu'il n'y avait aucun artifice dans ces propos. Alex, c'est un peu le type avec qui on s'imaginerait très bien s'attabler au bar des amis ou quelque chose dans le genre. Il a bien plu à ma fille Clara, qui était de la partie vendredi. Loin de se laisser démonter et de trembler, elle, elle a fait remarquer à Beaupain qu'il avait mal écrit « Pour Clara ». Puis, au moment de la photo, Alex s'étant selon elle un peu trop appuyé sur son épaule, elle lui a dit qu'il lui faisait mal. « Elle est odieuse, » m'a lancé celui-ci, un sourire amusé sur les lèvres.

Quand même, durant ces quelques minutes d'échange, je n'ai pas pu m'empêcher d'évoquer Hubert, expliquant à Alex Beaupain que j'avais déjà beaucoup tremblé devant le Jurassien. « Ah, Thiéfaine, c'est bien, ça », m'a-t-il répondu. Décidément, même quand je fais une petite infidélité à monsieur HFT, il n'est malgré tout jamais très loin, planté fièrement entre docteur Renaud et mister Beaupain !!

 

30/03/2017

"Un Lamartinien à fond la caisse"...

"L'homme est ainsi, il se nourrit de souvenirs et trébuche sur l'amer". Richard BOHRINGER

 

Incroyable, cette trouvaille dans une réserve d'une salle d'arts plastiques. Je crois que l'intérêt du métier de prof vient enfin de m'apparaître, au bout de vingt-et-un ans de vaines recherches !!! La trouvaille en question ? Une interview de Thiéfaine, parue en 2005 dans Forêts Magazine. Franchement, c'est passionnant et inattendu ! Bonne lecture !

 

Hubert-Félix Thiéfaine, écorcé vif

 

La forêt était-elle un terrain de jeux pour vous quand vous étiez enfant ?

Je suis né dans une maison qui a aujourd'hui disparu, dans un quartier de Dole très proche de la forêt de Chaux, dans le Jura. Adolescent, je piquais le vélo Solex de ma mère et j'allais me promener en lisière de forêt en rêvant un jour d'y habiter ; j'ai fini par m'y installer, dans ce village qui est une sorte d'enclave, cernée par les arbres. Ce petit bourg a été créé il y a quelques siècles pour y mettre des gens comme moi, des parias de la société, des anciens prisonniers. C'est pour cela que je m'y trouve bien. Je viens ici uniquement pour la forêt, pour me reposer... je ne sais pas vraiment pourquoi, au fond, mais en tout cas pas pour faire du tapage social, ni essayer de me présenter aux élections sénatoriales. Cette forêt est complètement compatible avec moi, avec mes chansons. Quels sont les derniers endroits sauvages de l'Europe ? Les forêts. Celle-ci est la deuxième forêt de feuillus de France, elle fait quand même 23 000 hectares. C'est comme si j'habitais au bord d'un grand lac. Et là, je ne suis entouré que par du sauvage.

 

Cette partie de la forêt est-elle fréquentée ?

Elle est fréquentée par les gens qui l'exploitent, les travailleurs de la forêt. C'est ce que j'ai découvert en m'installant ici il y a vingt ans : l'exploitation est utile et permet d'entretenir la forêt, de même que la chasse qui aide à contenir les populations de cervidés. D'ailleurs, la forêt n'a jamais été aussi belle qu'aujourd'hui. Il y a trois siècles, sous Louis XIV, elle a failli disparaître, parce que les gens y envoyaient paître leur bétail, parce qu'ils cuisinaient en allant chercher le bois. Un écologiste fou a demandé à ce que l'on commence à régulariser le côté fonctionnel de cette forêt. C'était très impopulaire, ça a donné lieu à des soulèvements. Depuis, des espaces sont protégés et, juste à côté de chez moi, il y a une réserve biologique, où on ne peut pas pénétrer. Seuls quelques chasseurs encadrés par l'Office nationale des forêts viennent tirer quelques cervidés pour empêcher qu'ils prolifèrent et mangent les jeunes pousses.

Vous y baladez-vous souvent ?

Au début, j'allais m'y perdre. Je voyais la nuit tomber et je ne savais pas où j'étais. Beaucoup de gens s'y perdent parce qu'elle est ardue, tout de même ! Pendant longtemps, j'y ai couru. Une fois, je me suis retrouvé sur une route avec un renard ; il était devant moi et n'avait pas d'endroit pour se barrer. De temps en temps, il tournait la tête pour voir, il se disait « il n'a pas de fusil celui-là ! » Aujourd'hui, j'y vais moins pour mon plaisir, mais je suis tellement près que je n'ai plus besoin de sortir. J'y ai emmené mes enfants, et puis ensuite ils se sont débrouillés tout seuls, ils ont joué les aventuriers.

 

Vous n'avez pas fait de cabanes avec eux ?

Ah, je suis un artiste, je ne suis pas le père de famille idéal non plus ! Ils se sont fait des frayeurs, avec ou sans moi.

 

Allez-vous cueillir des fruits, des champignons ?

Tout au départ, je cueillais des mûres, des trompettes de la mort, et puis j'ai arrêté. Je suis ici pour la qualité du silence et parce que je peux y être seul ; j'adore la solitude, que je ne considère pas comme une tare. Mais je ne suis pas le genre de mec à vouloir me casser les reins pour cueillir un champignon. J'aime les champignons, surtout ceux qu'on ne cueille pas. Je suis plutôt un contemplatif, pas un consommateur immédiat.

 

Qu'est-ce qui vous attire dans cette forêt ?

J'ai toujours été attiré par ce côté sombre, sauvage. Le seul endroit où je me sente bien, en dehors des lacs parce que je suis un grand romantique, un Lamartinien à fond la caisse, c'est ici. Je retrouve cet état sauvage, rare, qu'il nous reste dans nos pays civilisés. La nuit, c'est fabuleux ici ! J'adore les jours sombres de l'hiver où, dès qu'il y a un peu de brouillard, à trois heures de l'après-midi, on n'entend pas un bruit. J'ai beaucoup aimé Twin Peaks, parce que c'est l'histoire d'une forêt aussi, et je retrouve entre Twin Peaks, qui se passe dans le Montana ou dans ces coins-là, et le Jura, les mêmes projections fantasmatiques qui sont à la fois individuelles et collectives. Il y a toujours une chouette qui hulule, des traces dans l'herbe ; avant, je retrouvais mon terrain complètement labouré par les sangliers. J'ai dû mettre une frontière artificielle, une barrière en fait, mais c'est surtout pour me protéger contre les fans, pas contre la nature. La forêt est comme une couverture pour moi : toutes les nuits, on ne défait pas la couverture pour voir comment elle est tissée.

Avez-vous découvert d'autres forêts lors de vos voyages ?

Je me souviens avoir traversé une forêt au Yucatan, au Mexique, la nuit. J'étais en train d'écrire Soleil cherche futur. Je ne connaissais pas trop la faune, j'étais en plein milieu de la forêt tropicale, j'avais un peu d'appréhension, mais finalement j'étais enchanté par les chants des oiseaux, des grillons ; c'est dix fois plus puissant qu'ici, plus mélodieux aussi. Un soir, je suis arrivé ici vers six heures, il y avait de l'orage dans l'air, et j'ai entendu bramer, au fond du jardin ; c'était sublime, la forêt m'a offert ce cadeau alors que je n'étais pas venu depuis deux mois.

 

La nature et la forêt apparaissent finalement peu dans vos textes...

Non, il n'y a aucune raison que cela apparaisse. En fait, je viens vivre ici avec mon inconscient ; la forêt, c'est mon inconscient. Mais je ne vois pas ce que je pourrais raconter sur la forêt, je ne suis pas très doué pour ce genre de peinture. La réalité ne m'intéresse pas ; la forêt m'aide à vivre mieux, ou permet de faire éclater des choses en moi, mais de manière inconsciente. Ma peinture est intérieure, tourmentée, romantique, elle n'a aucun rapport avec le paysage, sinon quelque paysage de banlieue, ou de trottoir... C'est la ville qui m'inspire. Si je n'ai pas traîné dans les rues, si je ne suis pas allé me dévergonder dans les villes, si je n'ai pas pris des notes, si je ne ramène pas tout cela, je n'ai rien à dire. Cela fait partie de ma schizophrénie. Ici, c'est l'endroit où j'aime être, et où je rêverais de ne rien faire, mais je n'y arrive pas, je culpabilise très vite.

 



 

 

 

 

17/03/2017

Renaud au Galaxie d'Amnéville : quand un phénix croise un corbeau...

"Plus les jours glissent, plus on découvre, si l'on regarde en arrière, les envoyés de la providence qui tour à tour nous ont montré la route à suivre". Hector BIANCIOTTI

 

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Ma fille Louise (neuf ans aujourd’hui) est fan de Renaud. Elle lui a déjà écrit pour lui dire qu’elle était morgane de lui, ajoutant : « enfin, quand je dis ça, ça veut dire que je suis une de tes plus grandes fans » ! Il ne faudrait pas non plus qu’il aille s’imaginer qu’elle est amoureuse de lui, voyons ! Depuis des mois, nous avions nos billets pour le concert de la chetron sauvage au Galaxie d’Amnéville. Louise m’avait demandé de lui acheter un perfecto pour l’occasion ! Le bandana rouge, elle l’avait déjà depuis longtemps ! Franchement, elle payait, mardi soir, avec sa dégaine à la Séchan : chemise noire et blanche, bandana autour du cou, slim délavé, bottes grises et perfecto jeté négligemment sur ses frêles épaules de velours ! Elle avait quelque chose du Renaud des années 70 ! Dès notre arrivée au Galaxie, elle a récolté quelques regards amusés et attendris. J’adore observer du coin de l’œil la fraîcheur de cette gamine ! A un monsieur qui arpentait le hall en criant : « Demandez le programme ! », elle a expliqué que c’était son premier concert. « Enfin, mon premier concert de Renaud », a-t-elle précisé. « Parce que sinon j’ai déjà vu Thiéfaine, et puis bien sûr des chanteurs pour enfants, comme Philippe Roussel ou Aldebert ». « Hubert-Félix Thiéfaine, tiens donc ! Mademoiselle a du goût, à ce que je vois », a rétorqué le monsieur en question. Comme on le verra dans la suite de ce billet, Hubert fut très présent au cours de cette soirée ! Je ne vous en dis pas plus pour le moment, il faut bien que j’essaie de vous tenir en haleine !

La première partie du concert était assurée par un certain Gauvain Sers, dont Fred 06 m’avait dit le plus grand bien. Et c’est vrai que ses chansons ont un délicieux goût de revenez-y ! On y trempe une fois les lèvres, et on a envie de les siroter longuement comme une petite poire pour la soif ! Il a un côté gavroche, avec sa casquette vissée sur sa silhouette gracile. Il est originaire de la Creuse, et ce n’est pas si courant dans ce milieu ! Cela lui donne un petit côté exotique ! Un jeune type qui parle de Leprest dans une de ses chansons, cela ne court pas les rues non plus ! Bref, je crois que je vais désormais suivre de près ce titi creusois ! Louise a bien aimé ses chansons elle aussi. Mademoiselle a du goût, décidément !

Et puis, soudain, Renaud… Ce moment, Louise en rêvait depuis des mois. Accueillir le phénix aux ailes encore fragiles, l’envelopper d’un regard d’amour, ne pas perdre une miette de ce qu’il avait à nous offrir, tout ça, quoi. Mes deux filles et moi (oui, mon aînée était là aussi, mais nettement moins impliquée que Louise, « chacun sa religion, chacun son parachute » !) étions assises assez loin de la scène, en gradins. J’avais peur que Louise soit déçue parce que franchement, il faut bien l’avouer, Renaud, on le devinait plus qu’on ne le voyait. C’est un peu comme sa voix écorchée : on la devinait plus qu’on ne l’entendait ! Mais rien à cirer, honnêtement, le vrai cri est ailleurs ! Dans les mots toujours incisifs du chanteur énervant, dans la tendresse qu’il a déversée sur la salle dès son entrée en scène ! Louise, à qui je demandais de temps en temps si elle ne trouvait pas que nous étions mal placées, m’a répété plusieurs fois ce soir-là : « Oh non, maman, je suis heureuse, et puis d’ici on voit vraiment bien l’écran géant, et j’adore ». Ah oui, l’écran géant ! Il fait partie intégrante du spectacle. On voit défiler là de bien belles images : les venelles de Venise pour accompagner la chanson Héloïse, des rues de Paris, une immense bibliothèque pour Les mots. J’ai une tendresse folle pour cette chanson, elle me colle des frissons partout. Les mots, je leur dois moi aussi une fière chandelle, une chandelle qui trace un sillon lumineux dans ma vie…

Alors, oui, la voix est cabossée, elle a une gueule de bois à cuver dehors avec un billet de logement. Oui, la diction est parfois chevrotante, mais moi je crois comme Louise que ce qui compte, c’est que Renaud soit toujours là. Quelle ferveur il y a autour de lui ! Dans tous les coins du Galaxie fleurissaient des bandanas au cœur tendre. Des briquets allumés dans des petits poings levés. Des visages enfiévrés accueillant avec reconnaissance les chansons connues sur le bout des doigts. Entre deux morceaux, Renaud se raconte. Parfois avec émotion, parfois avec cet humour dont on dit qu’il est la politesse du désespoir… « Lolita m’a fait grand-père », « Dix ans se sont écoulés entre l’album Rouge sang et celui-là, et j’ai entendu dire que vous aviez pas mal pochtronné en mon absence » ! Tout à coup, il cite John Lennon, qui aurait dit un jour : « Le rock français, c’est comme le vin anglais : ça n’existe pas ». Et Renaud de s’insurger, comme il a toujours su si bien le faire ! « Et les Insus, alors, c’est pas du rock ? Et Hubert-Félix Thiéfaine, c’est pas du rock ? » J’avoue qu’en mon for intérieur, j’espérais ces mots. Je les avais d’ailleurs presque anticipés, pressentis. Parler de rock français et faire passer Thiéfaine à la trappe, c’est tout bonnement impossible (certains le font pourtant, honte à eux !!) ! Heureusement que de temps à autre je sais me tenir :  j’étais à deux doigts de faire retentir un tonitruant « Hubeeert !!! » dans toute la salle, mais je me suis ravisée !

Renaud c’est pas mort, c’est pas récupéré. Ou alors de justesse par un public aimant, cuisant d’ardeur, de tendresse et de joie. La tournée actuelle est assurée en grande partie par ce public qui chante à tue-tête les classiques, les monuments comme Mistral gagnant, Manu, Ma gonzesse, Morgane de toi, et tant d’autres. Toutes ces chansons ont bercé mon enfance, puis mon adolescence. Renaud, c’est à lui que je dois mon entrée en écriture, et je ne l’en remercierai jamais assez. Je connais encore toutes ses chansons par cœur, et l’expression prend tout son sens ici…

Une fois le dernier rappel consommé, je n’avais déjà plus qu’un seul désir : retourner le voir en concert ! Il y a une date à Colmar dans quelques mois, pourquoi pas ?!

Alors que j’allais quitter le Galaxie mardi soir, voilà que je croise une jeune femme toute de Thiéfaine vêtue ! Tee-shirt au corbeau, veste en cuir rouge plantée de badges qui rappellent délicieusement une tournée encore fraîche. Comme je ne sais pas toujours me tenir, j’accoste la demoiselle en m’écriant : « Et Hubert-Félix Thiéfaine, c’est pas du rock ? » Nous échangeons quelques mots. Elle s’appelle Mirela, elle est prof d’allemand (ce qui fera dire à 655321, croisé également ce soir-là, que j’ai dû halluciner et sans doute me voir dans un miroir imaginaire !!). Elle ne côtoie la poésie d’Hubert que depuis un an, mais elle en est follement imbibée ! Elle connaît le Cabaret, elle y vient parfois. D’ailleurs, mercredi matin, j’avais un petit commentaire signé Mirela sur ce même blog.

Aller à un concert de Renaud et entendre autant parler d’Hubert, voilà qui ne laisse pas de m’émerveiller !! Quand je vous disais que le poète jurassien n’était jamais bien loin… Il suffit de l’espérer très fort, et on le croiserait presque à chaque coin de rue !

Mais pour en revenir à Renaud et à la tournée actuelle : c’est du grand art ! A voir absolument ! Cela vous balade deux heures durant dans le répertoire d’un sacré bonhomme qui n’a rien perdu de sa verve, même si elle s’est, au fil du temps, chargée de rocaille. Et puis je crois que la politesse du désespoir, c’est d’être toujours vivant, toujours debout, et « d’avoir pu traverser sans se faire écraser cette pute de vie, ses malheurs, ses horreurs, ses dangers et ses passages cloutés »…

 

12/03/2017

Thiéfaine, poésie souterraine

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Le voilà, le bel objet qui regroupe toutes les interventions des personnes qui ont animé le colloque "Hubert-Félix Thiéfaine, poète des parkings ... et autres mélancolies suburbaines". C'était le 9 juin 2015 à la Maison de la Poésie à Paris. A mon grand regret, je n'avais pas pu assister à cette journée. Mais voilà de quoi réparer ma frustration ! J'ai commandé ce recueil aujourd'hui, je devrais le recevoir jeudi ou vendredi. 

26/02/2017

Vampire en pyjama

"Si je me sors de tout ça, je deviendrai un autre homme. Je sens déjà la métamorphose opérer. Moi qui ai tant rêvé de chimères, géants, monstres amoureux et autres sirènes, me voici au combat pour un retour à la normalité". Mathias MALZIEU, Journal d'un vampire en pyjama.

Et aussi : "Pendant ce temps, le printemps vient se la péter sous ma fenêtre. Le soleil offre son décolleté de lumière derrière la vitre, je peux presque le caresser. Je veux être ébloui à m'en cramer la rétine".

 

L'écriture : une torche qui fend les ténèbres. La musique : un flambeau qui les fait crépiter nerveusement. Le skateboard : une planche de salut. L'amour : un soleil guilleret qui enflamme l'horizon, même quand ce dernier semble se rétrécir. Le dernier album de Dionysos, c'est tout cela, mais plus encore, j'y reviendrai. Pour qui ne connaît pas la récente histoire du chanteur de ce groupe : en 2013, il est subitement atteint d'une aplasie médullaire. Une sombre pathologie qui le met à plat, presque à terre, et le contraint à de nombreux séjours à l'hôpital, en chambre stérile la plupart du temps. Là, du fond de son lit, il se met à rêver à la vie toute simple. A ce qu'il appelle le "normal extraordinaire", celui qui est constitué de petites choses dont l'habitude nous fait trop souvent oublier la saveur : entrer dans une librairie et y fouiner des heures durant, à la recherche du miracle qui nous explosera à la bobine (le livre fait pour nous, le livre qui changera notre vie, etc.), partager un repas avec des amis ou sa famille. Tout cela, Mathias Malzieu en est privé pendant de longs mois.

Les douze premières chansons de l'album Vampire en pyjama (à écouter, peut-être, après avoir lu Journal d'un vampire en pyjama) racontent l'étrange "odyssée" à laquelle Mathias Malzieu fut contraint suite à l'annonce de sa maladie. On retrouve, dans ces douze titres, les thèmes déroulés dans le livre. On croise à nouveau l'effrayante Dame Oclès, qui vient régulièrement traîner ses guêtres dans les parages où suffoque notre petit vampire. Le tout est raconté subtilement, sans emphase et sans apitoiement. Les belles voix si singulières de Mathias Malzieu et d'Elisabet Maistre s'épousent merveilleusement, s'entrelacent, se renvoient des ascenseurs qui nous font grimper haut dans le ciel. La musique est enjouée, accompagnée bien souvent de sifflements qui lui font comme un écrin délicat. Le premier titre, intitulé Chanson d'été, nous offre d'abord la mélancolie des vers de Chanson d'automne, de Paul Verlaine. Puis, soudain, c'est comme une chevauchée exaltée dans un western : la pluvieuse mélancolie cède la place à une folle envie d'en découdre avec les obstacles. Et voilà que Mathias Malzieu se fait la promesse de revenir à l'été, "dans la peau d'un nouveau-né". Les vers de Paul Verlaine s'en vont dans la brume, il ne reste que l'éclat étincelant d'un été synonyme de renaissance. Ou de résurrection, qui sait ? Le ton est donné : ici, c'est le triomphe de la vie, elle va nous éblouir, et pas qu'un peu ! Compris, Dame Oclès ? Rhabille-toi et va faire voir ailleurs tes sombres guenilles et ta triste tronche d'Ankou qui se serait gouré de trottoir !

Grâce à une greffe de la moelle osseuse, Malzieu a pu renaître de ses sondes. Le voilà, encore un peu pâlichon, "revenant inversé" ayant triomphé de l'obscurité qui menaçait de l'aspirer tout entier, de le sucer jusqu'à la moelle. Il est là, toujours vivant, toujours debout sur un skateboard qui défie les ombres. Et nous ne pouvons que saluer le miracle de l'avoir devant nous.

La deuxième partie de l'album, totalement cachée à l'acheteur dans un premier temps (ce n'est qu'en laissant tourner le CD que l'on se rend compte qu'il recèle ces douze autres pépites), m'a séduite tout autant. Le choix de certaines chansons me semble répondre astucieusement à la première partie, lui faisant admirablement écho. Une reprise de Bowie, l'homme aux mille visages, une autre de Nirvana, moins électrique que la version originale, mais tout aussi envoûtante. Nirvana, le groupe éternel que la mort n'a pas réussi à déboulonner du paysage musical international. Une façon de nous dire que l'art rime avec déguisements en tous genres et quasi immortalité ? Ou qu'il arrime solidement à la vie ? Je divague un peu, pardon ! En tout cas, me voilà entrée dans l'univers de Dionysos, et je pense que je n'en ressortirai pas de sitôt ! Il me prend soudain l'envie démentielle, puérile peut-être, de traverser cette œuvre sur un skateboard lâché à toute berzingue ! Moi qui, pourtant, "ne sais pas conduire, pas même un cerf-volant", comme le chante Malzieu !!!

24/02/2017

"Souvenir, souvenir, que me veux-tu ?"

"Je n'aime pas ce que j'écris. Mais j'écris". Georges PERROS

 

Mes excuses, je déserte fortement ce blog en ce moment. Mais ce soir, j'ai envie de revenir pour partager quelque chose avec vous. Oh, pas grand-chose. Il ne s'agit pas d'une trouvaille qui ferait exploser le thiéfainomètre de la toile, juste d'un poème (bien naïf, j'en conviens) que j'écrivis en 1996. Ce soir, alors que je cherchais un tout autre texte dans un de mes vieux cahiers, je suis tombée sur ce poème et, même s'il est sans valeur aucune, il m'a profondément émue. La jeune femme âgée de 23 ans que j'étais alors avait déjà la thiéfainomanie chevillée au corps !

Voici donc ledit poème :

 

Samedi 14 décembre 1996. 17h30. En écoutant Thiéfaine... En regardant la nuit tomber...

 

Thiéfaine

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans la pénombre

Quand les spectres sortent du royaume des ombres

Quand la vie nous laisse là, pantois,

Avec ces questions auxquelles elle ne répond pas

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans une chambre obscure

Quand le sang s'échappe de nos blessures

Quand le silence insupportable meurtrit

Un cœur qui se tord de douleur et d'ennui

 

Thiéfaine, ça se savoure dans la solitude

Et quand j'ai besoin de reprendre ma latitude

C'est toujours Thiéfaine qui sait m'apaiser

Et me créer un monde loin de la réalité

 

Thiéfaine, ça s'écoute plutôt la nuit

Quand les étoiles rient de nos insomnies

Quand le ciel nous nargue de sa sérénité

Et nous laisse seul parmi des fantômes brisés

 

Thiéfaine, ça s'écoute quand tout dort

Seuls, alors, hurlent ses "vive la mort"

Thiéfaine, ça s'écoute dans les ténèbres

Quand la vie prend des accents funèbres

 

Thiéfaine, alligator de mes nuits solitaires

Borniol apaisant de mes errances en mer

Rimbaud du troisième millénaire

Compagnon d'infortune, mon soleil, mon frère...

 

Je sais, je n'ai honte de rien !! A la relecture de ce poème, je ne peux qu'abonder encore plus dans le sens de Georges Perros : "Je n'aime pas ce que j'écris. Mais j'écris" ! Je me rends compte aussi de l'influence de Baudelaire, que je lisais énormément à cette époque, et le vers de la fin me ramène étrangement à son "hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère" !

"Souvenir, souvenir, que me veux-tu ?", c'est la question que pose le titre de ce billet. Je crois que ce souvenir de 1996 veut me dire, simplement, que vingt-trois ans ou quarante-trois sur le paletot, même petite folie plantée dans le cœur !!!

 

26/11/2016

19 novembre, dernière date du VIXI Tour...

"Pourquoi le souvenir des disparus est-il lié à des spectacles anodins comme une branche oscillant dans le vent ou le dessin de l'arête d'une colline ?" Sylvain TESSON

 

Autoroute A4, dimanche d’automne. Je fais en sens inverse le chemin parcouru la veille. Je vois défiler des forêts qui se dépouillent de leurs dernières tremblotantes rousseurs. Une tempête a décoiffé les arbres, les voilà un peu plus nus qu’hier, hirsutes. Comme moi.

Cette dernière date du VIXI Tour avait d’avance quelque chose de mélancolique. Je savais bien, dès l’achat du billet, qu’une fois rayé le 19 novembre sur le calendrier, un déchirement viendrait biffer mon agenda intime… C’est donc fini d’attendre. Me voilà rendue à ma normalité. Je n’irai pas jusqu’à la qualifier de baveuse, car il n’y a pas qu’HFT dans la vie, mais tout de même. Hubert, c’est le compagnon à qui dire adieu semble incongru. De rendez-vous en rendez-vous, je m’en suis fait presque un ami, une douce habitude, pour paraphraser un autre chanteur que j’aime nettement moins !!!

« Mais que devient le rêveur quand le rêve est fini ? » Oui, que devient le rêveur quand il regagne ses pénates, quand mille et un sons entendus, mille et une images engrangées vont aller s’échouer en un coffre de lui seul connu ?

Voilà ce que j’ai écrit dimanche dernier, en rentrant de Paris, toute tourneboulée par le mot « fin ». Je reprends la rédaction de ce billet en cet après-midi brouillardeux.

Bien sûr, cette tournée avait quelque chose de légèrement mécanique, de malencontreusement aseptisé. Oui, Hubert nous a souvent servi les mêmes discours aux mêmes connotations. Et pourtant, à chaque fois que je me suis mise en route pour un nouveau concert, une même vibration me secouait. C’est que malgré les années et quelques petits accrocs dans une passion qui, du reste, n’en a pas vraiment souffert, je m’en retourne toujours à mes banlieues thiéfainiennes (ma source, mon pays natal) avec la même fraîcheur, le cœur neuf et débarbouillé de tout passé, désencombré de tout ce qui pourrait lui nuire dans ces moments-là. Aussi m’est-il très facile d’oublier les légers accrocs évoqués ci-dessus.

Mais donc, ce concert de samedi ! Il m’a un peu laissée sur ma faim, pour une raison toute simple : j’étais dans la fosse, tout devant, à côté des enceintes, et je crois que c’est ce qui m’a empêchée d’apprécier comme il se devait la présence de l’orchestre symphonique qui accompagnait Hubert et son équipe. Il aurait fallu pouvoir vivre cette soirée en deux temps : une première fois dans la fosse, une deuxième fois dans les gradins. La fosse, c’est là que crépite la vraie vie, palpitante comme un cœur amoureux. C’est ici que l’on croise les exaltés, ceux qui, dans un abandon romantique, ont comme moi remis un pan de leur histoire entre les mains de Thiéfaine. Je crois que c’est en gradins que l’orchestre symphonique donnait sa pleine mesure. J’ai opté pour l’effervescence de la fosse et ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Je me suis éloignée des enceintes sur quelques chansons : Résilience zéro, qui m’a remuée plus que jamais, Femme de Loth, morceau auquel l’orchestre confère un incroyable velouté (c’est le seul mot qui me vienne, désolée, je ne suis pas versée dans les grandes analyses musicales et ne peux exprimer, fort maladroitement parfois, que mon ressenti). Trop souvent, selon moi, les instruments de l’orchestre ont été écrasés la semaine dernière par ceux qui étaient devant, les habituels dont on ne se lasse pas cependant (guitares, batterie, basse, claviers). C’est en tout cas ce qui m’a frappée, mais je suis prête à entendre tout autre avis sur la question.

Sinon, Hubert m’a semblé en forme (mais il a tout de même bien flingué Petit matin, n’est-ce pas ?). Il a remercié le public, et c’était assez chouette de se sentir un peu mis en avant pour ces décennies de fidélité. Car cette fidélité n’est pas de tout repos, elle coûte souvent cher en nuits d’hôtel, péages et compagnie, elle coûte souvent cher en énergie parce que qui dit décennies, dit forcément cabosses sur la carcasse, fatigue, vieillerie (ainsi, malgré toute la fraîcheur dont je me targuais un peu plus haut, j’ai mis plusieurs jours à me remettre d’équerre après le concert !!)

Sans doute Hubert était-il, samedi dernier, en proie à une mélancolie diffuse malgré la joie affichée. Pour lui aussi, un rêve s’achevait. « Que devient le rêveur quand le rêve est fini ? ». Il remonte son col et va, je crois, vers un autre rêve, beau de n'avoir pas encore commencé…

Je dédie cette note à tous les amis enlacés ici ou là, avant ou après un concert. Ceux avec qui j’ai souvent amorcé une redescente rarement climatisée sur des parkings ourlés de brouillard. Ceux que je n’aurais jamais rencontrés si l’aubaine HFT ne les avait pas mis sur mon chemin. Je pense tout particulièrement à ceux avec qui, samedi dernier, j’ai bouclé la boucle, c’est-à-dire ceux qui étaient à mes côtés pour le premier concert de la tournée, à Reims, et qui étaient à nouveau là pour le dernier à Paris. Je pense aussi très fort à ceux qui, pour une raison X ou Y, ont jugé superflu de se déplacer pour cette ultime date du VIXI Tour. J’espère qu’il y aura une autre tournée dans quelques années et qu’elle sera de taille à leur insuffler le désir de réintégrer la « deadline » des dingues et des paumés !

12/11/2016

Dans une semaine, les aminches...

"N'existe pour moi que ce qui me passionne; cette phrase trace exactement mes limites". Julien GREEN

 

Oui, dans une semaine, les aminches, nous y serons. L'impatience grandit et, en même temps, je voudrais la garder  au cœur durant une éternité, pour ne pas avoir à "redescendre". L'attente a toujours un côté magique, que vient saper la réalisation du désir. Tant qu'il y a quelque chose à attendre, chaque fibre de notre être se sent vivante, et violemment !

Dans une semaine, il se peut bien que les dieux soient jaloux de nos corps et que le vent fou qui soufflera sur le Zénith balaie l'éternité !

Depuis quelques semaines, je planche à nouveau sérieusement sur le petit bouquin que je voudrais consacrer à Thiéfaine. C'est assez laborieux, et le découragement me visite régulièrement. Qu'à cela ne tienne, je vais continuer. En voici le début, qui n'a, je crois, plus grand-chose à voir avec la première mouture. Il est d'ailleurs fort possible que je passe le restant de mes jours à réécrire ces pages du début, et que tout cela tourne en boucle à jamais. Tant pis, j'aurai essayé ! Ce qui va suivre (je mettrai tout ici dans les jours qui viennent) a été écrit d'une traite, le 29 octobre...

La voix rocailleuse de Leonard Cohen déverse une douce mélancolie sur ce beau dimanche de fin octobre où j’entreprends d’écrire un livre que je crois porter en moi depuis des années… Commencé à maintes reprises, laissé en plan autant de fois, il sommeille dans les profondeurs. Parfois, il me semble qu’il me fait des appels du pied. La nuit surtout, quand l’insomnie donne corps à mes regrets.

Je me lance donc pour la énième fois, et j’espère mener à bien mon projet. Tant pis si le résultat est cagneux ! Les livres que l’on n’écrit pas demeurent autant de défaites cuisantes. Ils finissent par devenir des fantasmes et leur inexistence même nous persuade de la puissance qu’ils pourraient receler si… Cette fois, je ne recule plus, il n’y aura plus de si pour mettre Paris en bouteille ! Action !

L’automne est pour moi la haute saison des mélancolies désarmantes. Les arbres qui se dénudent de jour en jour me ramènent invariablement à mon propre dépouillement. Nue je fus propulsée en cette vie, nue j’en repartirai, n’ayant guère appris que la fragilité de toutes choses et la brûlante urgence de s’émerveiller et d’aimer. Est-ce un hasard si c’est par une nuit d’automne, ô combien reculée à présent, que me tomba dessus un étonnement dont je ne devais jamais tout à fait me remettre ? Tout à coup me fut offerte la certitude que la poésie n’avait pas pris fin avec Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire. Elle vivait encore, délicieusement vénéneuse, et elle palpitait sous la plume d’un certain Hubert-Félix Thiéfaine, orfèvre de son état, ciselant les phrases comme d’autres le font de métaux précieux. J’avais alors dix-neuf ans. Des révélations, je croyais en avoir eu plus souvent qu’à mon tour, entre la littérature et la chanson ! Mais celle-ci surpassa toutes les autres et, pour un temps, les balaya. J’oubliai qu’un jour je m’étais enflammée pour Renaud, Brel, Barbara ou Gainsbourg ! Plus que toutes les autres, la voix de Thiéfaine m’allait droit à l’âme. Je ne sais précisément ce qu’elle fit naître de remous et d’échos en moi, je sais seulement qu’un matin de septembre, après l’avoir entendue dans une R18 déglinguée (on ne peut rêver décor plus thiéfainien !), je m’éveillai à la fois inchangée et modifiée de fond en comble. Toute la nuit, j’avais imaginé des ascenseurs permettant de remonter des précipices vers les hauteurs ! La révélation m’était en effet venue d’une seule phrase, jetée dans le ciel étoilé comme un pavé dans la mare : « Tu voudrais qu’il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». La chanson parlait d’une « pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil », abonnée aux meurtrissures et aux errances. Il pleuvait toujours sur sa valise. Je la voyais zoner d’hôtels borgnes en bars interlopes, s’écorchant ce qu’il lui restait d’âme dans les escaliers de service. Par une de ces identifications romantiques en diable dont l’adolescence a le secret, je m’étais sentie la frangine de cette jeune fille paumée. Ou plutôt : j’étais devenue cette jeune fille. Peut-être même que je l’avais toujours été et l’avais ignoré jusque là. Quelqu’un venait de prêter une voix aux cris étouffés en moi. A l’époque, j’avais en ma triste possession toute la panoplie d’une égarée. Surtout, je venais d’achever un amour impossible de peur qu’il ne m’achevât. Je l’avais dégommé à la chevrotine, le cœur en miettes et m’interdisant de me retourner (combien résonneraient en moi, plus tard, d’autres mots de Thiéfaine : « Ne te retourne pas, lady, prends tes distances » !). J’avais liquidé toutes mes cartouches. Je me sentais exsangue, comme vidée de ma substance. Pas encore tout à fait revenue du pays où l’on n’arrive jamais. Un ultime instinct de survie m’avait ordonné le demi-tour complet, j’avais obéi à la voix de la raison, m’étais rangée à toutes ses bonnes raisons, je savais que j’avais fait le bon choix, mais cela ne m’empêchait pas d’être déguenillée… J’étais et j’avais mal dans ma peau. La fin d’une histoire d’amour vous décape au vitriol. Soudain, il ne reste rien de vos souriantes certitudes. Le moindre miroir vous renvoie votre laideur. Elle vous a poussé comme une verrue sur le front.

Dans ces cas-là, il est bon de rencontrer une œuvre réconfortante et de s’en enivrer jusqu’à la moelle. C’est même ce qu’il y a de mieux à faire. Au milieu des eaux agitées où je me débattais comme fétu de paille, j’avais trouvé le vaisseau qui allait me ramener vers le rivage. Il portait un nom étrange : Hubert-Félix Thiéfaine.