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28/02/2016

Thomas Fersen était à Neuves-Maisons hier soir !

La pensée du jour : "Tout chargé encore du pollen de ce que je viens de vivre". Georges HALDAS

 

Oui, Thomas Fersen était à Neuves-Maisons hier soir, et c'était fabuleux ! Ce monsieur règne en seigneur pince-sans-rire sur un univers délicieusement loufoque. On y croise une chauve-souris éprise d'un parapluie, l'employé d'un magasin de chaussures qui, tout en s'occupant des pieds de ses clientes, se prend à rêver ou se voit saisi de haut-le-cœur incontrôlables, un squelette de la foire du trône, un certain Hyacinthe au "rire de fillette" et aux "grosses mains d'étrangleur" ("j'lui confierais pas ma sœur", commente malicieusement Thomas Fersen !). Bref, il y a là toute une faune bigarrée, toujours décrite avec une minutieuse profusion de détails, à tel point qu'on finit par la voir se promener sous nos yeux ! Au fil du temps, j'ai mis un visage sur Hyacinthe, sur l'assassin distingué et froid qu'est monsieur, ou encore sur le balafré. "Le balafré", justement : c'est ma chanson préférée de Fersen, et c'est celle qui a ouvert hier soir un curieux bal où l'on passait d'un sketch à une chanson (l'artiste était seul au piano), puis d'une chanson à un poème. Le tout chanté, récité ou déclamé avec un brin de malice enfantine au fond des yeux. Au beau milieu d'une saillie, le chanteur s'arrête, vérifiant son petit effet sur le public. Cela fait mouche, immanquablement. On rit, on se laisse docilement embarquer, et vogue la galère sur des flots que l'on sent toujours un peu bretons, rarement étales !! La croisière s'amuse sous la houlette d'un Thomas Fersen facétieux. Il me fait penser à un gamin taquin qui, tout en vous disant "t'as une tache, pistache", vous décocherait un uppercut rieur dans les naseaux ! A la fin, tout le monde éclate d'un rire franc et revigorant ! On en redemande, on adore cet univers à nul autre pareil, c'est un plaisir de déambuler en compagnie de ce coquin de vieillard encore vert qui veut "mourir comme Félix Faure", ou bien avec cette dame aux allures de Diane de Poitiers !

Après le concert, Thomas Fersen est venu rencontrer son public, signer des autographes, dédicacer des albums, des affiches (celle de la tournée actuelle est décalée à souhait, elle colle parfaitement au grain de folie du monsieur !!), se faire photographier avec des saintes familles entières, le tout dans une bonne humeur dont il ne s'est à aucun moment départi, quelle belle leçon !

Voilà, chers amis ! C'était un petit billet dans la série "il n'y a pas que Thiéfaine dans la vie" ! Mais, tout de même, on revient toujours à ses anciennes amours, à celles qui sont imprimées de manière indélébile, qu'on le veuille ou non, dans notre chair, et la prochaine note que je mettrai ici sera un compte rendu du concert de Strasbourg. Eh oui, j'y vais, finalement, après m'être débattue dans mille et une tergiversations, après avoir pensé que c'était perdu (jusqu'à lundi, je n'avais personne pour me garder les filles le soir du concert), après m'être dit que ce n'était pas raisonnable de faire tant de route entre deux réunions parents-profs... Puis, la solution est tombée du ciel comme un miracle entre mes mains étonnées et reconnaissantes : une collègue s'occupera de mes filles mercredi soir et même jeudi matin ! Et je me suis dit "au diable la raison", tirant une leçon frôlant l'amer de mon absence à Bercy en 1998 (tout cela pour ne pas être décalquée le lendemain matin en cours !) Toujours m'ont guidée les mots de Chamfort, "les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu", et ce n'est pas une petite quarantaine légèrement ahanante qui va me clouer les pieds dans des charentaises fatiguées !

 

04/02/2016

Toujours debout !

La pensée du jour : "Et c'est quand on croit que les ténèbres vont nous ensevelir que le soleil de la lumière ultime se lève". Georges HALDAS

Renaud a, comme il le disait un jour, « du mal avec la vie ». Du mal avec le temps qui passe, fauche des potes, kidnappe l’innocence des jeunes filles. C’est vers la quarantaine qu’une nostalgie sournoise s’est insinuée en lui comme un poison, lui filant de mauvais gnons dans la tripaille. Comment ne pas sombrer quand chaque jour qui passe nous barbote un truc de plus ? Comme je le comprends, mon poteau, et comme je suis heureuse de l’entendre chanter aujourd’hui qu’il est « toujours vivant, toujours debout ». J’entends déjà les commentaires cinglants, j’en ai lu quelques-uns, et ils m’ont fait mal. J’ai vite cessé d’y prêter attention. Je choisis de me faire ma propre opinion, je choisis aussi d’écouter ma petite fille de bientôt huit ans, fan de Renaud depuis un bon moment déjà, et accueillant cette nouvelle chanson comme un miracle. Ce qu’elle est. Bon sang, Renaud a traversé le désert plusieurs fois, certains l’ont dit moribond, et le voilà qui nous revient, titubant peut-être encore un peu sur les passages cloutés de la vie, mais bel et bien là, debout, vivant. Eh bien moi, au risque d’en décevoir plus d’un, je salue la niaque de cet homme ! Durant toute mon adolescence, il a été là, comme un mentor. C’était le loubard gentil dont j’étais secrètement amoureuse. Celui qui conciliait à lui seul les deux pôles qui m’attiraient : le côté mauvais garçon, tatouages en bande dessinée sur la peau, cheveux anars, et la sensibilité qui ose se dire. Des chansons caresses, des chansons coups de poing dans la gueule. Je trouvais là toute la pitance dont j’avais besoin. Ensuite, à l’âge adulte, j’ai toujours gardé un œil sur la « chetron sauvage ». Renaud me revenait par périodes. Et c’était toujours avec le même plaisir que je l’accueillais. Jamais ma tendresse n’a faibli, elle est de celle qui, parce qu’elles sont nées dans l’enfance, ne peuvent nous quitter tout à fait. La mienne est carrément enracinée en moi, inaltérable, et je suis heureuse d’avoir filé (sans chercher à le faire, d’ailleurs !) le flambeau à ma fille.

Alors oui, nous irons voir Renaud en concert ! Alors oui, sans doute, sa voix déraillera comme elle a d’ailleurs presque toujours déraillé, mais nous chanterons avec lui, nous chanterons pour lui s’il le faut, sachant bien, au fond de nous, que l’essentiel est ailleurs. Pour moi, il sera, c’est sûr, dans les yeux pétillants de joie d’une petite fille de huit ans…

16/01/2016

Comme une vieille junkie...

La pensée du jour : "Quelque chose vient à tout instant nous secourir". Christian BOBIN

 

Tout à coup, l’envie folle de vous retrouver, après une absence qui n’aura finalement pas duré si longtemps que ça ! Des projets, oui, j’en ai encore, et l’idée d’écrire ce satané bouquin sur Thiéfaine ne me lâche pas ! Sauf que pour « entrer en écriture », je dois m’imposer le silence. Durant ces quelques semaines loin du blog, j’ai repris le début de ce livre, je l’ai modifié de fond en comble. Vous ne le reconnaîtriez pas ! Cette fois, j’ai décidé de tout garder pour moi, je ne publierai ici ce travail que lorsque j’y aurai mis un point final, satisfait si possible. Autant dire : calendes grecques !! On n’est jamais satisfait de ce qu’on écrit, il y a toujours un hic planqué quelque part, et il vous saute à la gueule comme une grenade quand vous relisez les pages noircies. Soudain, c’est ce minuscule grain de sable qui vous fait condamner l’ensemble. C’est lui qui vous fait piétiner, reculer, voire renoncer. Si l’écriture, bien souvent, me procure des joies, elle est aussi une putain de douleur logée au fond des entrailles, un truc qui ne sort pas, ou ne sort pas sous la forme que j’avais espérée. Ou bien c’est un accouchement au forceps, et il me faut arracher chaque mot à ces mêmes entrailles, l’extirper d’un magma immonde et informe. Bref, assez palabré !

Je reviens donc aujourd’hui comme une vieille junkie, m’écrouler, assoiffée, au fond de ce Cabaret que je ne peux pas lâcher si facilement ! Une nouvelle année commence, et qui sait, peut-être abrite-t-elle en son cœur de belles surprises ? Déjà, il y a ce concert prévu le 19 novembre à Paris et pour lequel j’ai déjà mon billet (merci à l’amie sans qui je n’aurais pu me procurer le merveilleux sésame : elle se reconnaîtra en lisant ces lignes). Ensuite, avec un peu de chance, je pourrai aller au concert de Strasbourg en mars. Et y retrouver Renaud et ses parents. Parce que je ne vous ai pas dit : un jour, évoquant Thiéfaine en salle des profs, persuadée de lancer dans le désert un cri condamné à rester sans écho, voilà que j’entends une voix s’élever pour me demander : « Quoi, tu es allée voir Thiéfaine au Zénith de Nancy ? » Et là, le collègue m’explique qu’il a découvert HFT au berceau, c’est le Jurassien lui-même qui lui a donné la tétée ! Une vraie tétée revigorante pour une entrée magistrale dans la vie : une tétée faite de chansons balancées dans une langue inventive, qui ne sombrera jamais dans ses charentaises - inventées ! Les parents de Renaud aiment Thiéfaine et ont, comme moi, jugé qu’une telle passion devait se transmettre aux enfants et à tout l’entourage si possible, altruisme oblige ! Depuis cette discussion lumineuse en salle des profs, Renaud et moi échangeons régulièrement des enthousiasmes, des découvertes. Des paroles vraies, pas de ces mots creux qui vous font penser après coup qu’ils étaient mornes, quotidiens, sans âme, et que vous auriez pu vous en passer.

2016 est une année importante pour ce blog puisqu’il fêtera ses dix piges !! Je n’en reviens pas moi-même. Un blog, on ne sait jamais quelle direction il va prendre, quelle direction il va vous faire prendre. Cela dépend des visites, cela dépend des commentaires, cela dépend de ce que madame l’écriture voudra bien consentir à vous accorder… Je me souviens précisément de la nuit d’insomnie durant laquelle m’est venue l’idée de ce blog. En quelques heures à peine, j’avais son nom et des projets de billets, tout cela provenant d’un désir fou de partager cette étrange passion, proche de la démence, avec des lecteurs éventuels. Lecteurs qui sont vite arrivés. Certains se cachant parfois derrière des pseudos incompréhensibles à « toute personne étrangère au service » !! Des amitiés allaient naître, des tendresses, des affections, et je l’ignorais à l’époque. Vieillir a du bon aussi !

Enfin, je voulais vous dire que fin 2015, j’étais allée pour la troisième fois respirer l’air de la ville qui a vu naître Thiéfaine. En découvrant, émerveillée, qu’il y existait une rue d’enfer et, dans la collégiale, un écriteau signalant des messes pour les âmes délaissées du purgatoire, j’ai pensé que Dole était le seul endroit où HFT pouvait voir le jour. Point de tornade ici, peut-être. Mais mieux que cela : un magnifique chaos de ruelles où « les âmes nuageuses nimbées de sortilèges » peuvent espérer une résurrection.

Je vous souhaite une belle année, de majestueuses ivresses, des fièvres qui font monter le mercure au plus haut, des vertiges qui vous hissent au sommet de la joie.

28/11/2015

Was wird denn bleiben ?

"Was wid denn bleiben ?

Ich seufze, leide, suche,

Und meine Wanderschaften

werden niemals enden". Ingeborg BACHMANN

 

Je vais m'absenter quelque temps. Disons pour une durée indéterminée. Je vous le dis afin que vous ne veniez pas inutilement consulter ce blog. Cette page d'accueil, je la veux désespérément vide, comme il m'arrive de l'être moi-même. C'est bien souvent durant cette heure "cruellement noire" qui précède "l'aube du jour suivant", quand les angoisses attaquent à main armée.

Je ne sais pas si je parviendrai à mener à terme le projet que j'ai évoqué ici dernièrement. Je ne le crois pas. Des idées de ce genre, j'en ai environ vingt par jour, quand miraculeusement l'enthousiasme me frôle, et elles finissent par se dessécher dans un quelconque tiroir puant le renfermé. Qu'importe, ce projet aura au moins eu le mérite de me porter un moment, me donnant l'illusion que j'étais enfin passée de la berge des tourments à celle du renouveau.

Il y a toutes ces fois où le désir nous fait affreusement défaut, où plus rien ne nous embarque réellement. Où l'on hésite "entre un revolver, un speedball ou un whisky sour". Quand on le dit, la voix tremblante, cela fait péteux, couard. Quand Thiéfaine le chante pour nous, cela résonne comme un acte de courage jeté à la face du monde. Alors on se love dans ces mots de réconfort, on a comme l'impression que l'infirmier de minuit est passé par notre chambre pour y balancer quelques étoiles. Au petit matin, il n'en demeure rien, pas même un souvenir, et le combat reste à mener, à mains nues. On y retourne parce qu'on pense qu'on n'a pas le choix. Parfois aussi, comme dirait mon ami le Doc, on a du monde sur le porte-bagages et on a une sorte d'engagement moral vis-à-vis de ce petit monde. Charge d'âme. Comme si notre âme n'était pas déjà assez chargée comme ça !

Allez, trêve de palabres, je remets ce blog pour un temps entre les griffes du vent, qui sait si bien disperser ce que nous sommes... Je vous souhaite bien du plaisir en compagnie des "zumains" de votre rue...

25/11/2015

Dijon : le feu et l'émotion

La pensée du jour : "Travailler, lire, écrire, écrire, sans relâche. De façon à ne pas sombrer dans ce néant qui sépare deux moments d'écriture". Lydie SALVAYRE

Ne laissons pas nos âmes devenir barbares, haineuses, boueuses. Exigeons l’incandescence, répondons à la stupeur et aux tremblements par un surcroît d’amour et de poésie. En ce novembre anthracite, les mots de Thiéfaine sont plus que jamais nécessaires. Ils peuvent nous nourrir et nous guider. J’y crois !

Le concert de Dijon était de toute beauté, de tout feu, de toute émotion. Moi qui me plaignais de n’avoir pas encore vraiment senti l’étincelle sur cette tournée, je reconnais que là, j’en ai pris plein le cœur… Samedi, c’est un Thiéfaine bouleversé qui est apparu sur scène, face à un public tout aussi chamboulé… L’heure, grave, était au recueillement et à la communion. A la révolte aussi, par moments. La voix d’Hubert a déraillé à plusieurs reprises, sans doute sous le coup de l’émotion. Pas question d’évoquer Lavilliers avant Errer humanum est. C’est comme si tout à coup, Thiéfaine avait voulu se laver de tout égocentrisme. Comme s’il avait eu peur de frôler l’indécence en mentionnant avec légèreté une « guéguerre » sans grande importance. Les textes de certaines chansons ont soudain revêtu un sens qu’on ne leur connaissait pas, qu’on ne leur avait jamais vu. Quelque chose d’autre, d’insoupçonné, était caché dedans et nous est apparu samedi. Tout résonnait comme un pavé dans la mare, tout claquait à nos oreilles comme une trique. La première partie du concert, surtout… « C’est l’histoire assassine qui rougit sous nos pas », comment ne pas recevoir ces mots avec encore plus d’effroi qu’à l’accoutumée ? Comment ne pas sentir dans notre chair à quel point le verbe aimer fait cruellement défaut au monde dans lequel nous rampons ?

J’ai beaucoup pensé, durant ce concert, au vendredi meurtrier qui a fait rage sur le calendrier il y a quelques jours. Je revoyais des visages, j’avais en tête des prénoms lus ici ou là sur la toile… J’ai pensé à ma mère aussi. Depuis le début de cette tournée, entendre « Je t’en remets au vent » est, je l’avoue, un véritable supplice pour moi. Pas une seule fois je n’ai pu écouter cette chanson sans vaciller. Ma mère trouvait la musique de Thiéfaine trop rock et ses mots trop durs, trop abscons aussi. Elle préférait les choses qui glissaient simplement. Mais « Je t’en remets au vent », elle adorait ! Elle s’était fait une cassette sur laquelle elle avait enregistré ce morceau et elle l’écoutait souvent. Elle en connaissait les paroles par cœur.

Et puis, samedi, il y a eu Libido moriendi aussi. Là encore, difficile de ne pas penser à ma mère et à toutes les fois où nous nous sommes quittées sur un quai de gare. « On ne pleure pas parce qu’un train s’en va ». Non, on ne pleure pas, on s’écroule dans le vide, on se prend les pieds dans l’absence, on continue le chemin clopin-clopant. Et on trimbale comme ça, jusqu’à la fin, toute une flopée de grands départs dont on ne se remettra pas. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré. Et leur silence est douloureusement violent… Il nous arrache souvent à nos pensées. Parfois aussi, il nous empêche de penser, et nous ne sommes plus que de tristes pantins sans rien dedans.

Alors, oui, je crois que dans ces moments de désespoir, Thiéfaine peut nous rebrancher sur le secteur. Souvent, sans le savoir, il a été la main tendue comme un miracle dans ma vie. Et je reste convaincue et j’affirme que ses mots sont plus que jamais nécessaires.

10/11/2015

Toujours ce drôle de projet (billet n°3)

La pensée du jour : "Dans quelques coins du grenier j'ai trouvé des ombres vivantes qui remuent". Pierre REVERDY

 

Un ascenseur nommé Thiéfaine, donc. Mais aussi : une bombe, un truc qui venait de me sauter à la figure et dont j’ignorais encore quelles retombées il allait avoir sur ma vie future. C’est précisément cela qui est magique avec les révélations : elles nous traversent, nous transpercent, mais au moment où elles sont déjà à l’œuvre en nous, on ne sait pas trop ce qu’il en est, ni surtout ce qu’il en sera dans vingt ou trente ans. Bref, le lendemain de cette nuit de septembre, je fonçai à la FNAC de la ville la plus proche de chez moi … pour découvrir que Thiéfaine avait déjà signé une œuvre foisonnante. J’étais là, devant le rayon « chanson française », la carte bancaire à la main. Celle de ma mère, dont je ne voulais pas abuser, mais quand même, quelle profusion ! Je ne pouvais pas repartir avec deux albums seulement, il me les fallait tous ! Après tout, ma mère comprendrait : déjà au CM2, charmée par une femme qui était venue nous présenter les poèmes de Maurice Carême, j’avais acheté un recueil sans argent !!!! J’avais tout simplement demandé à la maîtresse de me prêter la somme nécessaire, elle pourrait s’arranger ensuite avec mes parents. Ma mère était habituée à mes débordements poétiques. Elle comprendrait. J’avais toujours eu l’enthousiasme dépensier, entêtant. D’entêtant à endettant, il n’y avait qu’un pas, que je franchissais allègrement. « Je te rembourserai plus tard », disais-je à ma mère, qui n’était pas dupe, mais détestait, comme elle aimait à le répéter, les tueurs d’enthousiasme. Jamais elle n’aurait bridé mes coups de folie, tant pis pour le porte-monnaie ! Tout cela pour dire que ce jour de septembre, à la FNAC, je n’hésitai pas longtemps. Je dévalisai tout le rayon, sans me poser de questions ! Pour mieux équilibrer les dépenses, j’achetai aussi des cassettes, moins chères que les CD.

Rentrée chez mes parents, je me claquemurai prestement dans ma chambre. Deuxième bombe. Hubert-Félix Thiéfaine n’était pas seulement le poète maudit dont se réclamaient quelques fumeurs de joints, non, il tricotait une mélancolie vénéneuse à souhait, dont j’allais avoir diablement besoin pour rassurer la mienne. La mélancolie était sa frangine, elle et lui étaient à tu et à toi. Il la connaissait tellement bien qu’il lui avait donné un surnom aux suaves accents : « mélanco ». Tout à coup, je me prenais en pleine face des mots dont je n’allais pas me remettre de sitôt. « Parfois, j’ai la nostalgie de la gadoue », « et moi je reste assis, les poumons dans la sciure, à filer mes temps morts à la mélancolie », « ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin ». Il a bien dit Hölderlin, je n’ai pas rêvé ? Hölderlin, le claudiquant, l’immense fragile devant l’éternel, le poète boiteux dont les ailes de géant l’empêchaient de marcher ? Hölderlin, je n’en revenais pas ! Je venais de découvrir ce poète à la fac, et le prof de littérature avait évoqué sa vie errante et la folie qui l’avait frappé, quelque part entre Bordeaux et Tübingen. J’avais immédiatement ressenti une profonde sympathie pour cet albatros. Il incarnait à lui seul la tragédie de l’âme allemande. Il condensait dans son drame tout ce que cette âme allemande se trimbalait sur le paletot de douloureux, d’inquiétant, de désespéré. Les génies devenus dingues, les suicidés, les malades, les estropiés, Hölderlin était leur capitaine à tous ceux-là qui avaient fini dans un grand naufrage. Et donc, oui, Thiéfaine connaissait Hölderlin. Tellement intimement qu’il l’invitait dans une de ses chansons. J’étais sciée, à genoux, clouée au sol. Et j’allais bientôt découvrir toutes les références qu’il faisait à la littérature allemande, si chère à mon cœur (je sais, c’est un peu pompeux, mais tellement vrai !!). Goethe et son « mehr Licht ! », la Lorelei… Et tout ce qui viendrait plus tard (le cheval de Turin, le Sturm und Drang, und so weiter !!)

Bref, en un mot comme en cent, Thiéfaine célébrait dans son œuvre tout ce qui me faisait vibrer. Nous étions, je l’ai dit, en 1992. J’avais 19 ans et je ne savais pas qu’un jour j’aurais 42 piges, je ne voulais pas les avoir, je voulais une vie courte et joyeuse, comme on en rêve souvent à cet âge-là, et puis… Et puis merde, je me suis laissé embarquer dans le mauvais rêve, j’ai continué à ramer, et me voilà ce soir, avec, déjà, plus d’automnes derrière moi que de printemps à venir… J’ignorais, en 1992, que la folie HFT qui venait de me saisir à la gorge était de celles qui ne font jamais faux bond. Même quand le navire prend la flotte de toutes parts, que l’on se dit, en se tenant la tête entre les mains : « je n’irai pas plus loin ». Eh bien si, on va plus loin, « encore plus loin, ailleurs », parce que toujours, il y a un album à espérer, un autre à redécouvrir, et ici ou là, une référence planquée que l’on n’avait jamais vue et qui attend son heure, tapie dans l’ombre, pour vous éclore à la tronche.

01/11/2015

Un drôle de projet (suite)

La pensée du jour : "La comète de l'amour ne frôle notre cœur qu'une fois par éternité". Christian BOBIN

Je poursuis mon drôle de projet, à savoir remonter à la source de ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. C'est très personnel, il me faudra donc "balancer" cela sans trop m'attarder, sans trop y revenir ensuite !

 

J'aimerais me souvenir précisément de la jeune fille que je fus et qui, il y a vingt-trois ans, devait faire une rencontre décisive pour le restant de sa vie. Une rencontre avec un univers bousculant toutes les normes, une rencontre avec un bateau ivre. C'était parti pour un long tangage et je l'ignorais. J'étais à la fois candide et grave. J'avais, chevillée au corps, et ce n'est guère original, la certitude que de grandes choses m'attendaient, qu'il suffirait d'ouvrir les bras pour qu'elles me déroulent leur tapis rouge, j'étais persuadée aussi que je ferais mieux que mes aînés (pas très originale non plus, cette conviction). J'avais, comme tout le monde, des amis, des amours, des emmerdes. Avec peut-être une nuance : mes amours étaient de préférence impossibles, c'était un goût qui m'était venu aux alentours des treize ans et ne m'avait plus quittée. Tout ce qui, aux yeux des autres, était inaccessible, décalé, inimaginable, me semblait fait pour moi. Du sur mesure pour une âme torturée, "attirée par le vide"... Ce n'était pas une pose, ce n'était pas de la frime, juste un penchant venu d'on ne sait où. Une fascination pour les gouffres. Alors que d'autres jeunes filles, autour de moi, rêvaient déjà à un mariage en bonne et due forme, à une petite vie bien proprette, entre popote et repassage, je me projetais dans un avenir tout autre. Pas d'emprisonnement (et le mariage en était un à mes yeux), pas de trucs réglés à l'avance comme une partition trop prévisible (et donc inintéressante), mais plutôt de l'improviste au jour le jour, et une vie entièrement vouée à l'écriture. Je refusais de m'écrouler, par dépit et triste nécessité d'aller gagner ma pitance, dans un putain de quotidien chronométré, remis entre les griffes dévorantes de la société. Je voulais brûler, m'enivrer de la vie à grandes goulées, et je rejetais loin de moi tout ce qui, fadasse, terne et morne, n'était pas la vie ! Une jeune fille comme les autres, en somme. Avec des amours pesant déjà étrangement sur la carcasse. Un amour surtout. Qui était source d'emmerdes, certes, mais avait le mérite de me procurer ce que je recherchais avidement : de fortes palpitations ! Par chance, et par un instinct de survie qui s'était déclaré juste à temps, je me tins éloignée des drogues. Et fort heureusement ! J'ai toujours pensé qu'avec un tempérament jusqu'au-boutiste comme le mien, la première bouffée de marijuana m'aurait menée tout droit à la piquouze ! Je me tenais donc "à l'écart des odeurs de formol", pour reprendre une expression d'HFT ! Car je n'oublie pas mon sujet, n'allez pas croire ! Je situe dans le contexte !

Pas si à l'écart que ça des odeurs de formol, en fait. Autour de moi, beaucoup de gens s'adonnaient à la fumette et aux beuveries répétées. Je fréquentais cette petite foule sans trop savoir pourquoi. Bien souvent, un monde me séparait de ces êtres. Seule nous unissait, je crois, la fascination pour les gouffres ! Fascination que pour ma part, j'avais la chance d'exorciser grâce à l'écriture. Fascination que ces êtres satisfaisaient, ou croyaient satisfaire, dans les paradis artificiels. Parmi eux, un certain S., l'amour source d'emmerdes évoqué précédemment. S. fumait, buvait, se noyait. Je pensais pouvoir le tirer de l'enfer, prétentieuse que j'étais ! Par la seule force de mon amour, je ramènerais l'épave sur le rivage, et nous contemplerions à jamais l'horizon, épuisés par cette course éperdue, mais heureux et fiers d'avoir esquivé le naufrage. Plus tard, je découvrirais, dans une chanson de Thiéfaine, une expression qui me parlerait beaucoup : la Sainte Vierge des paumés ! Plus l'autre me semblait égaré, plus il m'intéressait. Les êtres lisses, en surface comme en profondeur, m'indifféraient. Du creux sur du vide, du vide sur du creux. Ils n'avaient rien à me dire. Non, moi, ce que je voulais, c'était le rugueux, le tortueux. De la substance à laquelle me cogner ! Les écorchés vifs, les grands brûlés, les fracassés !

Après avoir compris que tout l'amour que je pourrais bien donner à S. ne le ramènerait pas à la lumière, mais m'enfoncerait plutôt dans d'épaisses ténèbres sans retour, je décidai de rompre. Et de m'intéresser de plus près à ce mec bizarre que S. écoutait si souvent. C'était quoi son nom, déjà ? Thiéfaine, ah oui, c'est vrai, Thiéfaine ! Et là, donc, par une nuit déjà bien froide de septembre, la claque de ma vie ! Les abîmes, les gouffres, les profondeurs, il connaissait, le type !! Il avait même une parfaite maîtrise du sujet ! La preuve : dans une chanson au titre farfelu, une jeune fille égarée rêvait d'ascenseurs au fond des précipices ! Cette gamine écorchée qui se trimbalait sous la pluie, sa valise mouillée dans une main, son cœur effiloché dans l'autre, ne soyons pas modeste : c'était moi ! Ni plus, ni moins ! Je revenais de loin, du moins m'en persuadais-je dans mes moments lyriques, et l'aide d'un ascenseur pour assurer ma remontée vers les sommets aurait été la bienvenue ! Je n'étais pas Sisyphe, moi, j'avais besoin d'un coup de pouce ! Je ne savais pas encore qu'il venait de m'être filé, ce coup de pouce, et qu'il s'appelait Thiéfaine !!!

19/10/2015

Thiéfaine au Palais des sports le 17 octobre 2015

La pensée du jour : "Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu". Nicolas de CHAMFORT

 

 

A quoi bon une énième note sur un énième concert ? Peut-être vous poserez-vous la question avant de lire ce billet ? Sais-je moi-même pourquoi il m’est nécessaire, au retour de chaque extase, d’en garder une trace brûlante, le meilleur moyen de le faire étant de mettre des mots dessus, comme des pansements sur une plaie ? Car il s’agit bien aussi, me semble-t-il, de poser un baume sur une blessure. L’extase ne peut laisser indemne. Toutes ces émotions prises en plein cœur en si peu de temps creusent un manque dans les heures qui les suivent. En tout cas, il en va ainsi pour moi. Chaque après-concert me promène sur un grand huit vertigineux, oscillant sans cesse entre sommets et ravins, me trimbalant entre la joie d’avoir vécu quelque chose de puissant et la tristesse de savoir que c’est déjà fini !

 

 A chaque fois, je rentre chez moi avec toute une foule d’images et de visages plantés dans  la mémoire ! Avec les années, j’attache une importance croissante à ce qui précède chaque concert et à ce qui le suit. J’aime sentir cette chaleur humaine autour de moi. Tout à coup, le réchauffement climatique est perceptible !

 

Que dire du concert du 17 octobre ? Je l’ai trouvé moins chargé d’émotions que celui de Nancy. Peut-être était-ce dû à la présence des caméras ? Les gestes de Thiéfaine semblaient moins naturels. En revanche, le public, lui, était tout en spontanéité. J’ai vu des êtres transportés par ce qu’ils étaient en train de vivre, tels des brasiers étincelants, palpitant çà et là dans l’obscurité. J’ai vu des visages qui racontaient des déchirures et des tourments et qui, pour un temps, s’animaient d’un émoi qui effaçait tout. Sur scène, il y a eu un moment très émouvant : celui où Thiéfaine est reparti en coulisse, à regret, semble-t-il, et comme bouleversé par tout l’amour reçu. Tout à coup, l’homme de scène redevenait homme, tout simplement, avec ses fragilités et ses drames. Je l’ai senti très seul, le regard tendu vers un ailleurs déchirant. Il y avait, sur ce beau visage buriné par les orages de toute une vie, à la fois une ombre et un arc-en-ciel. Voilà, selon moi, le moment le plus marquant du concert, avec l’interprétation de la chanson Des adieux. J’ai bien peur que ce titre ne soit censé délivrer un message sans équivoque. « Le fou a chanté dix-sept fois »… Ne me dites pas qu’après cela, le fou va se taire irrémédiablement ? Je le crains vraiment.

 

Heureusement, après le concert, j’ai été happée comme tant d’autres par un tourbillon de retrouvailles, de rencontres et de nouvelles émotions ! Très vite, un petit groupe s’est formé et nous avons décidé d’aller boire un verre ensemble. Besoin, comme à chaque fois, de prolonger la magie, de ne pas retourner trop vite dans le froid !

 

Le peuple thiéfainien est constitué d’allumés, et je les aime, tous ces êtres dingues, paumés, fragiles, meurtris, le cœur ouvert à tous les vents ravageurs ! Certains se sont postés dès dix heures du matin devant le Palais des Sports. Ils ont attendu toute la journée dans l’automne glacial, emmitouflés dans leur seule passion ! « Mais que se passe-t-il avec ce public ? », s’est exclamé, paraît-il, un des médecins préposés aux malaises de la salle (et Dieu sait s’il y en a eu !!) Il se passe, docteur, que nous avons tous soif d’une même perfusion, il se passe que Thiéfaine nous accompagne depuis des années sur nos chemins, aussi divers soient-ils, entrant par la grande porte dans tout ce que nous vivons, joies, douleurs, rencontres ou adieux. Il se passe que chacun de ses mots résonne en nous, secouant nos profondeurs intimes ! On quitte quelqu’un sur un quai de gare et l’on se chante à soi-même, pour se donner du courage, « on n’pleure pas parce qu’un train s’en va ». On est désespéré par notre condition de bipèdes à station verticale, et l’on se prend à rêver de gadoue. On est chamboulé par un amour qui réveille des volcans dans notre vie jusque là dangereusement éteinte, et l’on voudrait murmurer à l’être aimé « je n’ai plus de mots assez durs pour te dire que je t’aime ». On est marqué à jamais par la perte d’un proche, et l’on prend de plein fouet ces mots terribles où il est question du violent silence des morts. Bref, Thiéfaine est toujours là, comme une sentinelle postée dans nos vies. « Guetteur mélancolique », frangin de tristesse, de déglingue et de doute, consolateur dans les ténèbres ! Comment, on n’apprend pas ça en fac de médecine ?! Thiéfaine, en allant parfois très loin dans la noirceur, annule la noirceur ! En nous disant qu’il se sent naufragé, il nous permet de ne pas sombrer, c’est une lanterne dans la nuit. Toujours il nous mène vers la fréquence qu’on n’attendait pas, toujours il nous donne du courage, et nous voilà prêts à ramer pour d’autres guernicas…

 

Je dédie cette note à tous les allumés des parkings, ceux qui n’ont pas peur de rester à papoter longuement entre deux voitures après un concert, je dédie cette note à ceux que Thiéfaine a parfois ramenés vers le rivage alors que tout les portait au naufrage, je dédie cette note à tous ceux qui s’en balancent pas mal d’être fauchés, ils trouveront bien une solution pour aller au prochain concert, tant pis si le banquier s’arrache les cheveux sur leur inconséquence (c’est son problème après tout) ! Je dédie cette note à la lumière bondissante que je vois dans leurs yeux à chaque fois qu’ils évoquent Hubert !