14/10/2018
Supplique pour que demeure la possibilité d'une surprise totale...
"Il y a tout de même des choses qu'il est parfois plus prudent de ne pas savoir". Romain GARY
Je n'étais pas à Nantes vendredi soir pour le coup d'envoi de la tournée anniversaire d'HFT. J'aurais aimé y être, pourtant ! Mais il m'arrive d'avoir des obligations professionnelles et de ne pas m'y soustraire ! Si je n'avais pas été sollicitée exceptionnellement par mon collège jusqu'à 16h30, qui sait, peut-être que je me serais octroyé un aller-retour express entre la cité des ducs de Lorraine et celle des ducs de Bretagne ! Cela aurait été l'équivalent émotionnel d'un voyage aux Galapagos, sans rire. Mais bon, la réalité étant ce qu'elle est, Galapagos, que dalle. Je me suis cependant octroyé un lot de consolation : ma fille Clara adore le duo Brigitte et nous sommes allées voir ensemble les deux demoiselles, qui se produisaient au Zénith de Nancy pendant qu'au même moment, à quelques centaines de kilomètres de là, Galapagos où je n'étais pas...
Brigitte, ce n'est pas le même registre que Thiéfaine, bien sûr, mais là n'est pas la question. On va voir les artistes pour ce qu'ils sont, n'est-ce pas, et non pour leur chercher des noises, c'est-à-dire des ressemblances avec ceux que l'on vénère ! On peut très bien renoncer aux comparaisons, être à cent pour cent dans tout à fait autre chose qu'HFT et que la magie nous transporte loin des territoires habituels. C'est peut-être cela, « flâner entre les intervalles » à la manière d'Higelin. S'offrir la possibilité d'être surpris. Toujours est-il que grâce à la passion tenace de ma fille, j'entends les chansons de Brigitte depuis des mois et des mois. Ces deux femmes ont le mérite d'avoir inventé quelque chose qui, me semble-t-il, n'existait pas encore dans la chanson française. C'est un univers à part entière, où l'on passe du glamour aux ténèbres. Les voix d'Aurélie Saada et de Sylvie Hoarau se mêlent dans de délicieuses acrobaties. À découvrir si ce n'est déjà fait. Sur scène, cela dépote sérieusement ! Les deux jeunes femmes se donnent à fond, des émotions passent, des vents, des marées, des douceurs. Et puis, pour ma part, j'adore découvrir le public des « autres », ceux qui ne sont pas HFT. C'est amusant d'observer le noyau dur, celui qui porte des tee-shirts aux références ou aux messages codés. On regarde tout ce petit monde en être, on comprend l'enthousiasme, on a soi-même ses ardeurs, ailleurs... C'est même un peu comme si l'on s'observait dans ces moments-là. Voilà quel effet on fait à ceux qui viennent voir Thiéfaine occasionnellement : on est un peu comme le « cœur secret de l'horloge »*, celui dont les battements rythment les tournées depuis vingt ans et plus. On a quelque chose de dingue et d'halluciné dans les yeux. On en est, quoi, de toutes les fibres qui nous constituent !
Bref... Il reste très exactement vingt-quatre jours avant la venue d'Hubert aux Arènes de Metz. Je biffe les jours dans mon calendrier mental qui tient scrupuleusement les comptes. Un peu comme le ferait un prisonnier au fond de sa cellule. D'ailleurs, j'aimerais bien passer les vingt-quatre jours à venir dans une grotte où ne m'atteindrait aucune information concernant cette tournée. Quelles chansons Thiéfaine interprète-t-il ? Je ne veux pas le savoir. Par quel morceau commence-t-il ? Lequel vient clore la parenthèse enchantée ? Ne me le dites pas ! Je m'interdis jusqu'au 8 novembre de traîner sur les forums, Facebook et autres terrains minés qui risqueraient de dynamiter la magie. Comme on dit en allemand, je veux me laisser surprendre. Vous comprenez, ce rendez-vous-là, il vaut son pesant d'or, il est à nul autre pareil. C'est celui pour lequel je me prépare depuis le 11 novembre 2017, date à laquelle je suis allée acheter mon sésame à la billetterie d'une grande surface ouverte ce jour-là. Je revois encore les yeux écarquillés de la dame qui me servit : « Dites donc, vous vous y prenez drôlement tôt, c'est dans un an, le concert ! » Eh oui, ma mignonne, quand on aime HFT, il y a toujours un peu de folie dans nos actes ! Ce rendez-vous-là, je peux bien le confesser, c'est aussi celui auquel je redoute, depuis un an, de ne pas assister. Une mauvaise maladie, un accident, on ne sait jamais. C'est qu'on n'a plus vingt ans, tout de même. Et quand bien même on les aurait encore... Enfin bref, ça, ce sont mes petits délires personnels... En tout cas, je profite de ce billet pour vous supplier de ne rien me dévoiler de ce que vous verrez sur scène, à Lille ou ailleurs, dans les semaines qui viennent. Le 8 novembre, je veux arriver vierge de toute attente, de toute projection. Mich überraschen lassen, quoi !
*Le cœur secret de l'horloge : titre d'un très beau livre d'Elias Canetti.
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30/09/2018
Les rescapés, de Miossec
"Je me suis fait tout seul et je me suis raté". Christophe MIOSSEC
Miossec a cinquante-trois ans. C'est un âge qui a vu passer plus d'une fois la charrette de l'Ankou, un âge où l'on ne compte plus les cités d'Ys englouties autour de soi, il y en aurait trop. Tous ces naufrages, ces départs, ces effacements, voilà qui vous donne l'impression d'être un sursitaire. Un rescapé, en somme ; un du bataillon de « ceux qui ne sont pas passés de loin à côté ». D'où ce titre donné à l'album : Les rescapés. Le mot vient du picard, rescaper, et signifie réchapper. Il serait devenu d'usage courant dans la langue française au début du vingtième siècle, après la catastrophe minière de Courrières. À cinquante-trois ans, de quoi a-t-on réchappé ? D'un certain nombre de coups de grisou qui n'ont pas épargné tout le monde. De bien des tempêtes qui ont cogné en aveugle sur leur passage. Le dernier Miossec parle de la grâce d'être encore là. Il dit également combien l'on est minus face à la mécanique broyeuse du temps, il dit qu'on est un peu la somme des désastres auxquels on a eu la chance d'échapper. Il dit aussi que l'homme sera toujours petit face aux éléments déchaînés et aux crocs des vagues démontées (cf. la septième chanson de l'album, La mer, quand elle mord, c'est méchant). La cinquantaine a quelque chose d'impitoyable, dirait-on : c'est l'âge où l'on devient non pas ce que l'on est (ce serait trop beau !), mais ce que l'on redoutait d'être. Constat assez sombre, je vous l'accorde, mais tout cela est soigneusement contrebalancé par des odes à la vie. Miossec est rescapé et conscient de l'être. La chanson Pour célèbre, si j'ai bien compris, la chance qui nous a été donnée de venir tâter du pied la planète Terre, malgré les aspérités, les achoppements et les chutes. Et je suis presque sûre que le mot qui est sous-entendu à la fin, c'est « merci ». En tout cas, moi, je vois dans ce texte quelque chose du Chapeau bas de Barbara. L'aventure fait l'éloge du grand large, des parkings annonciateurs de départs, de « tout ce qui nous attend ; demain, ce soir, ou là, dans un instant ».
Et puis il y a ces mélodies qui vous restent en tête des heures durant, ces envolées de sons, ces arrangements tissés au plus fin, au millimètre près, comme la toile d'une araignée qui se serait faite orfèvre. Il y a aussi ces déchaînements soudains, auxquels on ne s'attend pas, comme ce moment où, dans Nous sommes, le piano s'emballe comme un dément. Ou encore toutes ces fois où, dans La mer, quand elle mord, c'est méchant, on croirait entendre un ressac furibond. Et que dire de La ville blanche, alors ? Les espèces de roulements de tambour de la fin m'évoquent autant de réminiscences enfouies du tonnerre de Brest.
C'est un album marin, en somme, dans lequel on retrouve à la fois le Miossec des débuts et un Miossec infiniment autre, qui a su se réinventer. La mélancolie est restée communiste sous sa plume : elle n'oublie personne, elle a le geste généreux, le don foisonnant, et même, elle s'est encore accentuée. Mais elle n'en a pas pour autant anéanti les forces vives de l'artiste. Et tout ce petit monde, à la fois ombre et lumière, cohabite là sans heurts. On croise même Georges Perros dans un texte (On meurt), et la cohérence nous apparaît alors évidente : chez lui aussi, ombre et lumière, à tour de rôle, ou en même temps...
L'œuvre d'un artiste est-elle forcément toujours ancrée dans le territoire qui l'a vue jaillir ? Je dirais que oui. Celle de Miossec me semble trimbaler avec elle pléthore d'embruns, myriades de ciels changeants, ambiances de veillées ou de festoù-noz. En clair : elle est bretonne et plus encore finistérienne. Le Finistère, c'est la fin de quelque chose certes, puisque la terre ferme s'étiole sous nos pas, mais devant nos yeux, s'ouvre un morceau d'infini. C'est beau, c'est puissant, c'est comme l'univers de Miossec, où la fin n'est pas seulement achèvement, mais aussi et surtout ouverture.
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28/09/2018
Miossec, HFT, Cat Power : tout un programme en ce 28 septembre !
"Nous sommes les survivants
Nous sommes les rescapés
Nous sommes de ceux qui ne sont pas passés de
loin à côté". Christophe MIOSSEC
La quarantaine bien entamée, c'est-à-dire adolescente (il paraît en effet qu'il existe d'étonnantes concordances entre ces deux périodes de la vie)... Le coup de tête imprévisible, c'est-à-dire prémédité... Il est des concomitances bienheureuses : c'est aujourd'hui que sortaient simultanément le dernier Miossec et un best of de Thiéfaine ! L'album de Miossec, Les rescapés, je vous en parlerai peut-être plus tard. Je l'ai écouté deux fois déjà : une pure merveille. Miossec est comme le vin : il se bonifie en vieillissant. J'ai toujours aimé son univers. Bref, fermons la parenthèse. Le best of de Thiéfaine, je peux déjà en dire quelques mots. Je sais, je sais, d'aucuns diront (avec raison sans doute) que c'est encore un coup de commerce, un truc dans le genre. Je sais, je sais, pour mon budget post-rentrée, c'est plutôt un coup de massue qu'il aurait mieux valu éviter. Oui, mais... Mais la passion, le besoin de m'entourer d'objets chaleureux dont la seule présence dispense un peu de lumière, que sais-je encore ? La peur de ne pas acheter tous ces coffrets, vinyles, et machins-trucs et bidules chouettes tant qu'il est encore temps... La peur de le regretter plus tard. Vaut-il mieux avoir des remords ou des regrets ? Terrible question dans laquelle on pourrait facilement tourner en rond comme un lion en cage. Autant ne pas se la poser, cela réglera le problème !
Comme ils sont beaux, tous ces objets qui débarquent en pluie chaque mois depuis mars ! Je pourrais très bien m'en passer, dans l'absolu je veux dire, mais comme nous ne vivons jamais que dans du relatif, je dois me les procurer. Un petit diable (celui-là même qui, dès qu'il s'agit d'Hubert, m'accompagne depuis septembre 1992) me pousse régulièrement vers l'entrée de la Fnac de Metz ou celle de Nancy. Ce matin, à 9h45, j'étais déjà devant celle de Metz, à faire le pied de grue et bénissant le magnifique emploi du temps que j'ai cette année : durant les mois qui viennent, il va me permettre de foncer à Metz ou à Nancy à chaque sortie d'album vertigineuse. Prochain opus de la Grande Sophie ? J'y serai ! Sortie d'un inédit de Jacques Higelin, d'un éventuel Alex Beaupain, d'un Charlélie Couture ? On m'y trouvera itou !
Bref... Me voilà donc dans les rayons de la Fnac, demandant où je peux trouver le double CD best of sorti ce matin. Le vendeur vient de le découvrir dans ses bacs : il me le tend. En me disant que lui aussi va s'acheter cette compilation. Alors que je fouine encore un peu dans les rayons, le même vendeur vient vers moi et me demande : « Vous aimez vraiment beaucoup Thiéfaine ? » Que répondre à cela ? « Oui monsieur, un pacte mystérieux, frisant le diabolique, nous lie depuis plus de vingt-cinq ans et j'ai même parfois l'impression que ses chansons coulent dans mes veines » ? Opter pour la pudeur me semble toujours indiqué dans ces cas-là. Il n'y a guère qu'ici, sur ce Cabaret, que je me livre au sujet de Thiéfaine. C'est mon espace de folie et de liberté. Mais, dans la vraie vie, je fais partie des grands taiseux qui ont depuis toujours horreur de l'oral. Sont carrément nuls à ce truc-là. C'est sans doute la raison pour laquelle j'aime tant Modiano : j'ai rencontré mon double en tergiversations langagières, balbutiements, phrases qui font demi-tour avant d'avoir atteint leur destination. Il n'y a que l'écriture qui me permette d'aller au bout de mes pensées (et encore, pas toujours). Bref, j'en reviens donc à ce monsieur, à qui j'ai fini par répondre que oui, en effet, j'aimais vraiment beaucoup Thiéfaine, depuis très longtemps. Et le voici qui ouvre un tiroir magique : « Tenez, cela me fait plaisir de vous offrir cette affiche qui accompagne la sortie du best of, on ne la mettra pas, elle est pour vous ». C'est regrettable, bien sûr, qu'elle ne soit pas placardée en trois cents exemplaires sur les murs de la Fnac, mais bon, égoïstement, je me dis qu'elle sera mieux chez moi, au chaud, avec quelques copines qui lui ressemblent.
Je suis rentrée, le porte-monnaie rabougri, mais l'âme gonflée de quelques incomparables douceurs (je récapitule : j'ai donc acheté le best of version vinyle et version CD, l'album de Miossec sorti ce jour, et j'ai mis une cerise délicate sur ce gâteau déjà bien crémeux : un CD de Cat Power ; comme si un prof, ça roulait sur l'or, et comme s'il n'y avait pas, d'ici peu, une autre pluie à craindre, ou à espérer plutôt, celle du 5 octobre – trois vinyles d'Hubert d'un coup). Et vous connaissez la meilleure ? Je n'ai pas de platine chez moi ! Parfois, je me fais l'effet d'une vieille dame que j'ai connue, enfant, et qui habitait dans mon village. Tous les jours, peu avant l'heure de la valise RTL, elle se rendait chez elle urgemment, toutes affaires cessantes. On eût dit qu'une envie pressante lui ravageait soudain les entrailles, et elle vous plantait là, au milieu d'une discussion, des fois que Fabrice (l'animateur de ladite valise RTL à l'époque) viendrait à l'appeler précisément ce jour-là. Et vous savez quoi ? Elle n'avait pas le téléphone ! Ben voilà, moi j'ai des vinyles … mais pas la platine qui me permettrait de les écouter !
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27/08/2018
Il n'y a pas qu'HFT dans la vie...
"Mais il ne reste jamais rien de ce qui est vécu
Quelques grains oxydés sur de la paraffine
et des souvenirs idiots mais qui donnent un peu de lumière
les jours de pluie". Charlélie COUTURE
Il n'y a pas qu'HFT dans la vie (quoique, quand on lit ce blog, on se demande !). Bien sûr, à mes yeux, Hubert demeure celui à nul autre pareil, que nul ne saurait égaler. Mais tout de même. J'ai le cœur et les oreilles assez larges, me semble-t-il (j'espère, en tout cas), pour pouvoir y faire entrer d'autres admirations. Là, par exemple, je suis en ébullition parce que la Grande Sophie est en train de nous concocter un nouvel album ! Ébullition aussi à espérer le prochain Miossec, qui sera dans les bacs à partir du 28 septembre. Je n'oublie pas non plus combien, il n'y a pas si longtemps, chaque nouvel Higelin à paraître me faisait frissonner d'avance. Salut à toi, l'ami...
Durant ces vacances d'été, j'ai fait une cure sans Hubert. Oui, cela m'arrive. Il me paraît bon de m'enivrer parfois à d'autres flacons. Pour plusieurs raisons : tâcher, autant que faire se peut, de me tenir ouverte à d'autres choses qui se présentent, et aussi, réellement, me désintoxiquer un bon coup … afin de mieux replonger ensuite ! C'est un peu comme s'il en allait d'HFT comme de la drogue (toutes proportions gardées, bien sûr : HFT, c'est mieux !) ! Bref, en cet été 2018, j'ai réécouté avec grand plaisir Stephan Eicher et Charlélie Couture, entre autres. Couture, c'est un artiste que je suis depuis les années collège, c'est dire si cela remonte ! Voilà quelqu'un qui a lui aussi un univers bien à lui. Pas carré du tout, un tantinet étrange, largement porté par les étoiles, comme j'aime. On croise là des types loufoques, qui racontent du pipeau sur leur passé bancal, un autre qui se dit ancien légionnaire (« alors on l'appelle comme ça, on dit tiens v'là l'légionnaire ») des mannequins mélancoliques, une certaine Angélique qui, quand elle enlève ses bigoudis, ressemble à une brebis. Et tant d'autres êtres encore, des griffés par la vie, des lumineux, des fiers, des doux, des plus sévères. Les chansons de Charlélie Couture peuvent être énigmatiques, elles ne délivrent pas toutes un message, elles sont là parfois uniquement pour la beauté du geste. Et quel geste ! Et quelle beauté !
L'année dernière, Charlélie Couture est venu chanter à Nancy dans le cadre de l'admirable festival NJP (Nancy Jazz Pulsations) qui a lieu chaque automne. C'est un des temps forts de la rentrée. Après le Livre sur la Place, juste le temps de se recoiffer un coup, et hop, on repart pour d'autres émotions qui nous décoifferont tout autant ! J'adore la ville de Nancy, elle est inventive, surprenante, jamais éteinte. On croit qu'on va pouvoir se reposer, et elle nous pond un nouveau truc, un nouveau festival, une nouvelle conférence, une nouvelle expo. On n'en dormirait plus. Bref... Donc, toute cette logorrhée pour avouer ma grande faute : Charlélie au NJP, eh bien je l'ai loupé. Comme Hubert à Bercy, en 1998, que c'est toujours pas digéré, d'ailleurs, soit dit en passant. Et avoir manqué Charlélie, pareil, ça va avoir du mal à passer. Il faut dire aussi que cela tombait mal, en pleine semaine, je crois, boulot le lendemain, 45 minutes de voiture à faire maintenant que j'ai quitté Nancy pour quelque chose de nettement plus endormi... Ayant beaucoup écouté Couture cette semaine, j'ai flâné sur Youtube pour voir un peu ce qu'on pouvait y trouver à son sujet. Eh bien des tas de choses intéressantes, dont l'intégrale du concert au NJP 2017 ! Je viens de regarder cela, et j'en suis encore essoufflée. Il arrive sur scène, démarche tranquille de qui ne ferait que passer. Et là, attention à ceux qui ont cru qu'il n'allait faire que passer : il t'empoigne sa guitare avec une de ces énergies, il est dedans tout de suite. Dans son morceau, dans son concert, dans le don qu'il s'apprête à faire. Le spectacle s'inscrit dans le cadre de la tournée qui a suivi la sortie de l'excellent album Lafayette. Il fait là-dessus une musique à décorner les bœufs, on est en plein bayou, et c'est loin d'être commun. À ma connaissance, jusqu'à présent, il n'y avait qu'Hubert pour nous faire ça, cet effet bœuf qu'on a décorné en plein bayou, je veux dire ! En d'autres termes, et plus simplement : parler du bayou, qui donc l'avait fait avant Hub ?! Couture le fait donc aussi, à sa manière, celle-là qui lui est propre. Je reviens au concert du NJP : on dirait de la désinvolture et en fait, non, Charlélie est à fond dans son truc. Il n'est pas du genre à se payer de mots. Entre deux chansons, il n'en dit pas plus qu'il n'en faut. Tout ce que l'on constate, c'est que dans cette absence de temps morts, cela joue grave, le rythme est soutenu du début jusqu'à la fin. On entend avec plaisir des morceaux du dernier album en date, que l'on avait aimé, absolument, de bout en bout, et d'autres, venus de lointaines brumes, d'une époque où l'on était jeune et peu enclin à la mélancolie, tout simplement parce qu'on ne savait même pas ce que c'était, ni que ça existait. Charlélie nous chante, l'air de ne pas y toucher, Comme un avion sans ailes, chanson à laquelle il fait l'écrin d'une belle introduction. Il nous dit qu'il faut « garder le feu de l'enthousiasme qui donne à y croire, même quand le ciel est couvert », et l'on penserait presque à Higelin, lui qui, si souvent, nous insuffla le courage qui nous manquait. Après avoir chanté ce qui fut son tube, Couture nous dit qu'il n'est pas de ceux qui se laissent envahir par la nostalgie. Il regarde devant. Plus précisément vers aujourd'hui. Et l'on penserait presque à Higelin encore, c'est une manie, mais c'est comme ça : si souvent, il nous a enjoint de cueillir l'instant présent sans le froisser si possible.
Charlélie revient ensuite à des chansons plus récentes, parce qu'hier est déjà trop loin pour qu'on s'y attarde. Mais quand même : pour le rappel, il offre au public deux morceaux très anciens quoique n'ayant pris ni ride, ni bidoche mal assumée : Le loup dans la bergerie et l'inégalable Ballade du mois d'août 1975. Celle-là même qui lui avait filé un fou rire lors d'un enregistrement live, il y a plus de vingt ans (déjà, purée, déjà). Celle-là même qu'il présentait, toujours durant ce live, en parlant d'une région qui lui était familière, où « tout l'été n'est fait que pour préparer l'hiver ». Et je songe à chaque fois qu'il ne peut être question ici que de la Lorraine, d'où je viens, moi aussi, et où en effet juillet et août sont des mois de conserves et d'alambic qui n'ont pas tellement d'autre but que de parer aux grands froids à venir...
Charlélie salue le public. Il se tourne vers ses musiciens, puis porte la main à son cœur. On sait alors qu'il est sincère. Le petit air qu'on lui connaît et qu'on aime tant, cet air mi-taquin, mi-désinvolte, disparaît, et je me dis : « Flûte, j'aurais bien aimé y être, à ce concert ». Ras-le-bol des ajournements, ça commence à bien faire tous ces rendez-vous manqués (Higelin en parlait très bien aussi dans son livre Je vis pas ma vie je la rêve). Le prochain, de rendez-vous, je ne le manquerai pas. Et même : j'y sauterai à pieds joints, et vive le bayou !
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25/08/2018
Parallèles (au masculin)
"J'ai toujours aimé rêver debout, la vie redevient de bonne compagnie". André BLANCHARD
Avez-vous déjà remarqué comme, souvent, des liens subtils existent entre les différents univers qui nous happent ? Combien de fois m'arrive-t-il de me rendre compte qu'un chanteur ou un auteur que j'affectionne se réclame des mêmes admirations que moi ! Ou que tel auteur que j'aime finit par aborder les mêmes thèmes que cet autre que j'aime aussi. C'est comme si de mystérieuses passerelles naviguaient d'une rive à l'autre, afin de mieux nous y ancrer. Heureux de nous rendre compte de ces affinités, on voit soudain apparaître des parallèles évidents, du genre « mais oui, mais c'est bien sûr ! ». Au masculin, les parallèles se permettent des collisions et des télescopages, tandis que leur féminin, infiniment triste et monotone, les condamne à ne se rencontrer jamais. Bref, trêve de palabres, venons-en à l'objet de ce billet : deux univers que j'aime se mettent soudain à se refiler l'un l'autre des échos, à s'envoyer des ricochets. Il y a quelques années, un certain Jean-Mi, de ma connaissance, était venu parler, dans les commentaires au bas d'une note, du lien qu'il voyait entre l'écrivain André Blanchard et Hubert-Félix Thiéfaine. Une certaine Kawa, toujours dans les commentaires, avait abondé dans le sens de Jean-Mi. Ignorant à ce moment-là absolument tout de l'écriture de Blanchard, je n'avais pas rebondi comme il se devait. Mais il arrive que des oublis ou des négligences nous offrent une seconde chance de les réparer. Et c'est ainsi qu'il y a quelques jours, j'ai découvert Entre chien et loup et Pèlerinages de Blanchard. Déjà, le titre des Carnets datant de 1987, Entre chien et loup, me ramène à La mélancolie, de Ferré :
« C'est avoir le noir
sans savoir très bien
ce qu'il faudrait voir
entre loup et chien ».
Premier pont d'une longue série...
La mélancolie, parlons-en, tiens ! Elle imbibe l'œuvre de Blanchard, autant que celle de Thiéfaine, comme un carburant qui la ferait avancer. Ce qu'il faudrait voir entre loup et chien ? Des abîmes ! Mais, de même qu'un don, selon le mot de Truman Capote, est toujours accompagné d'un fouet, il me semble que toute ombre a son pendant dans le royaume de la lumière. Peut-être que les mélancoliques ont les yeux plus ouverts que les autres, peut-être qu'ils voient mieux et les poisons et, ce qui n'est pas menu fretin, les splendeurs. Si Blanchard (comme Thiéfaine) sait décrire avec une finesse déchirante les moments où tout poids (celui du monde, celui de la vie que l'on mène, ou plutôt qui nous mène) devient écrasant, il sait aussi (comme Thiéfaine) saisir la poésie d'un paysage ou d'un instant et la condenser en quelques lignes, voire quelques mots. Ici, sous la plume de Blanchard, le silence est tel qu'on le « dirait d'avant le big bang », là « le soleil de septembre sert à l'été l'égal d'un dernier verre ». Et nous, lecteur ébloui, on en redemande tant c'est exactement ce que l'on rêvait de lire depuis des siècles et qui ne venait pas ! C'est comme découvrir l'œuvre de Thiéfaine, on se dit soudain (en tout cas, je me dis soudain, il y a 26 ans de cela) : « Quoi, ceci existait donc et je ne le savais pas ? ». Pour un peu, on se flagellerait d'avoir perdu tant de temps et d'avoir laissé filer, dans une brèche, la grâce ! Mais on se ressaisit, on n'y pouvait rien, on n'avait pas encore fait les bonnes rencontres, celles qui nous feraient aller d'une rive à l'autre pour mieux nous y ancrer. Alors on se regarde avec indulgence et l'on sait dans l'instant que le temps perdu se rattrape. Je me revois, jeunette de même pas vingt ans, me prendre en plein cœur une décharge électrique nommée HFT et m'émerveiller de jour en jour de tout ce qu'il me restait à découvrir alors. Car le monsieur avait déjà une certaine carrière derrière lui, il suffisait d'ouvrir les bras (et le porte-monnaie de ma mère à l'époque !) et de se servir. Bref... On a donc parfois des éblouissements, des ébahissements qui justifient toutes les traversées du désert. On se félicite d'avoir tenu au cœur des tempêtes puisque c'était pour arriver jusqu'à cela, que l'on pourrait appeler le Graal...
Alors, donc, le lien entre Blanchard et Thiéfaine, en plus de cette capacité à saisir le fugace ? Une écriture absolument hors de tout sentier battu, comme on en rencontre si rarement. Avec Hubert, impossible de prévoir la rime qui va suivre. On ne peut même pas, en tant qu'auditeur, prétendre pouvoir attendre tel ou tel adjectif. On n'attend rien, strictement rien, car ce qui nous sera servi au bout du vers sera au-delà de toute attente. Même chose, je crois, avec Blanchard. Inutile d'imaginer que tel mot sera accompagné d'une convenance : ce qui va nous tomber dessus sera au-delà de toute habitude. C'est une écriture qui se repousse elle-même en ses derniers retranchements, comme celle d'HFT, mais vous le savez mieux que moi.
Il y a aussi cette enfance que tous deux connurent en Franche-Comté. Il y a cette éducation façonnée par les prêtres. Il y a l'humiliation subie, à quelques années de distance, par deux gamins dont les aspirations étaient trop grandes pour être parquées dans une cour de récré ou une salle d'étude. Il y a les brimades qui préparèrent sans doute un sordide terreau à cette putain de résilience zéro. Je lis Blanchard et il me semble entendre Thiéfaine. Ainsi dans ce passage de Pèlerinages :
« Ce sont des tableaux enfuis, en prime du noir, que je dois réquisitionner si je veux me représenter ce collège où j'ai vécu de la sixième à la seconde, où j'ai éreinté mon allant et, tête de Turc, désappris la confiance, lâché au beau milieu de la bourgeoisie, la grande plutôt que la petite, laquelle ne m'envoya pas dire, sinon en des termes moins trouvés, que nous n'avions pas eu les mêmes matins de Noël, ni les mêmes lieux de vacances. »
Je poursuis ma lecture. Je lis Blanchard et il me semble voir Thiéfaine dans ce reportage qui nous le montre, les traits crispés, l'émotion palpable, revenant dans une institution synonyme d'enfermement misérable :
« Est-il étonnant que, parti de ce collège en 1967, j'aie attendu trente-trois années, et ces sinistres souvenirs enfin crucifiés, pour venir pousser une flânerie jusqu'à ce porche, seule survivance, telle quelle, de l'époque où je le passais, rentrant le dimanche soir, ma vie barbouillée au bord des lèvres. »
Un peu plus loin, Blanchard nous dit qu'alors, courber l'échine « fut son programme ». Ajoutant ceci : « C'est pourquoi j'aurai passé mon âge d'homme à la redresser ; et à ce qu'elle ne plie plus ». Là encore, le parallèle avec Thiéfaine me semble évident. Le parcours du poète jurassien ne suffit-il pas à lui seul à prouver qu'en matière de redressage d'échine, il se pose là, notre Hubert ? Œuvrant parfois dans l'ombre, toujours avec la foi du charbonnier qui ne se laissera pour rien au monde détourner de la voie qu'il s'est tracée, fût-elle semée d'embûches !
André Blanchard avait une idée si pure de la littérature qu'en faire commerce lui eût semblé sinistre farce. Pire encore : une injure, un crachat. Au tralala et aux « trompettes de la renommée », il préféra cette ombre qui lui permit de ne jamais lâcher sa proie. Je vois dans ce choix (enfin, si j'ai bien compris la démarche de cet auteur) une intégrité qui voisine avec l'héroïsme. Notre ami Hubert, lui aussi, se tient quand même (quoi que ce soit un peu moins vrai, peut-être, ces dernières années) assez éloigné de certains projecteurs. Et encore un parallèle !
Je récapitule : deux écritures en marge de tout ordre préétabli, qui bousculent l'imagination et lui ouvrent des horizons qui donnent à voir l'immensité, une souffrance native que l'art conjure avec brio, une enfance au bec bien souvent cloué et à l'échine courbée. Et j'ai oublié les coups de griffe où excellent l'un et l'autre, et l'humour décapant ! Ce qui me frappe plus que tout le reste, j'insiste, c'est le petit grain de folie de l'écriture qui, régulièrement, devient bateau ivre que ne guident plus ni les haleurs, ni aucune règle ! Bref, je résume : écoutez Thiéfaine et lisez Blanchard ! Cela fouettera vos sens comme rien d'autre !
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23/06/2018
Faune onirique...
"Il y a plein de secrets dans une vie, l'écriture tourne autour, on y entre, ou jamais". Annie ERNAUX
Je ne sais pas trop pourquoi Hubert-Félix Thiéfaine revient régulièrement dans mes rêves. Sans doute parce qu'il occupe une place assez importante dans ma vie ! Toujours est-il que mes délires oniriques m'ont souvent amenée à le croiser en des lieux improbables et dans des situations tout aussi insolites : je me souviens de ce rêve étrange dans lequel j'allais acheter un pack de bière (moi qui ne bois jamais une goutte de ce breuvage !) au supermarché du coin et où je tombais nez à nez avec Hubert ! Il y a eu bien d'autres rêves de ce genre, j'ai dû m'amuser à en noter le contenu quelque part, sans jamais chercher à en analyser les tenants et les aboutissants psychologiques. Me disant vaguement quand même, à chaque fois, que tout cela manquait de sérieux, de maturité surtout. Il y a là, peut-être (ce n'est pas prouvé scientifiquement !) la preuve d'un dérèglement effarant. Si c'est le cas, je préfère ne pas en connaître le nom, ni le pourquoi, ni le comment.
Dernièrement, deux rêves étranges ont encore hanté mes nuits : dans le premier, Hubert donnait un concert dans le garage de ma maison. Au début, je me disais qu'il n'y aurait jamais assez de place là-dedans pour accueillir et le public, et toute l'équipe (parce que tout le monde était de la partie : les musiciens de la dernière tournée, ainsi que tous ceux qui œuvrent dans l'ombre et n'apparaissent pas sur scène !), puis les choses finissaient par se faire plutôt naturellement. Personne (à part moi) ne trouvait l'endroit incongru. Un concert dans un garage, cela ne choquait personne, et je finissais par ne plus me poser aucune question, m'abandonnant seulement, par la suite, au plaisir d'écouter les chansons d'Hubert. Cette semaine, dans la nuit de jeudi à vendredi, ma « faune onirique » a de nouveau fait des siennes, prouvant, si c'était encore nécessaire, que cela yoyotait sérieusement là-haut ! J'ai rêvé que Thiéfaine se produisait dans un snack, je ne sais pas trop dans quelle localité ! La scène, c'était la baraque à frites, et le public était dehors. Hubert était seul dans son truc, une espèce de roulotte installée sur une grande place. Le public, j'en faisais partie, cela va sans dire. Pourquoi irais-je rêver d'un concert d'Hubert auquel je n'assisterais pas ? Je ne suis pas maso, tout de même ! Bref... HFT faisait un peu « animal en quarantaine », relégué dans une cage, mais cela prenait malgré tout : on en redemandait, on bichait, comme dans un concert réel, quoi !
Ce que je retiens de ces rêves ? C'est que le lien avec l'Allemagne, bien que flou, apparaît à deux reprises : la bière, le snack (ou Imbiss, dans la langue de Goethe !). Pour le garage, je ne sais pas. Quoique, quoique : à Sarrebruck, il existe une salle de concert qui s'appelle « die Garage ». Je laisse aux spécialistes de la psychanalyse du singe le soin de démêler les enchevêtrements tortueux de ces paysages oniriques un peu barges. Peut-être existe-t-il réellement un fil conducteur là-dedans ? Peut-être que mon cerveau turbine un peu trop ? Ou peut-être qu'à force de côtoyer de très près l'écriture parfois surréaliste de l'ami Hubert, j'ai envoyé mon subconscient, ou je ne sais trop qui là-dedans, peut-être la folle du logis elle-même, dans des eaux troubles où cela tangue particulièrement fort ? Je me le demande...
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16/06/2018
Foule sentimentale et plus encore
"La vie n'est qu'une allusion à ce qu'elle aurait pu être". Jean-Claude PIROTTE
Le vendredi 8 juin, Thiéfaine était l'un des invités de Didier Varrod dans l'émission Foule sentimentale. À réécouter sans modération sur le site de France Inter ! À un moment donné, Didier Varrod s'est lancé dans une jolie présentation d'HFT, parlant pour lui, à la première personne du singulier (même si l'on sait bien qu'Hubert est pluriel et plusieurs !!!). Cela donne cela :
Je m'appelle Hubert-Félix Thiéfaine. Je suis né à quatre heures du matin, sous les vibrations d'une étoile désintégrée, en Franche-Comté. Hitler était mort, Vercingétorix aussi. J'ai un point commun avec le chanteur Renaud : je fus génial à l'école jusqu'au jour où je m'aperçus qu'un instituteur avait remplacé l'institutrice. Je commençai donc mon apprentissage de l'ennui. Et me revenaient soudain, parfois, les souvenirs musicaux de mon enfance, forcément liés à ma maman qui me berçait en rythme sur des chansons tristes et réalistes.
Ici, on entend Les roses blanches.
Puis, Didier Varrod reprend :
Je m'appelle Hubert-Félix Thiéfaine. Je sais depuis toujours le poids du conditionnement. En effet, ces roses blanches ont aussi, peut-être, fleuri inconsciemment dans ma chanson Critique du chapitre 3, un titre inspiré par l'Ecclésiaste. Elle commence par : « Et les roses de l'été sont souvent aussi noires que les charmes exhalés dans nos trous de mémoire ». À propos d'Ecclésiaste, enfant, figurez-vous que je fus, par la force des choses, contraint de penser que Dieu existait. J'ai même fait sa connaissance dans un collège aux chatoyantes soutanes où les oiseaux déchiffraient le latin en chantant des cantiques. C'est eux qui m'ont donné l'envie de faire des chansons.
Et cela continue ainsi durant quelques minutes, pour aboutir à cela, que j'ai trouvé tellement beau qu'il m'a semblé que cela devait impérativement atterrir sur ce blog :
Non, je ne suis pas Hubert-Félix Thiéfaine. Vous, vous êtes Hubert-Félix Thiéfaine. Comment vous dire que je, nous, vous, ils vous aiment ? Pour votre humilité, évidemment, votre poésie mathématique et vénéneuse, pour vos frères maudits, Céline, Miller, Bukowski, Rimbaud. Moi je vous aime parce que vous citez Jim Morrison : « Nous avons été métamorphosés d'un corps fou dansant sur les collines en une paire d'yeux fixant le noir ». Je vous aime aussi parce que vous avez parfois décrit les catastrophes avant qu'on les évite. Je vous admire surtout parce que vos derniers albums sont toujours les meilleurs, ce qui est très, très, très, très rare. Je vous aime enfin parce que pour vous, écrire une chanson, c'est une longue phase érotique de préparation. Chaque nouvelle chanson est ainsi pour vous une balise que vous plantez dans votre vie. Vous en avez planté aussi dans la nôtre, pas mal de balises. Aujourd'hui, donc, vous avez quarante ans. Vous transmettez votre expérience. Vous êtes à la fois la môme kaléidoscope, Lorelei Sebasto Cha, la fille du coupeur de joints, et on reste bouleversé. Vous êtes surtout un homme dont les lubies sentimentales nous protègent de l'amour désaffecté. Et vous êtes un transmetteur qui appliquez ce proverbe chinois à la lettre : « Mieux vaut transmettre un art à son fils que de lui léguer mille pièces d'or ».
Voilà donc une émission que l'on écoutera avec profit ! Il y a également ce petit entretien, sympa comme tout, sur Causeur.fr, et tout cela permettra de fleurir le week-end :
https://www.causeur.fr/thiefaine-mai-68-nihiliste-gauchis...
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18/04/2018
Merci l'ami...
"Vivez heureux aujourd'hui. Demain il sera trop tard". Jacques HIGELIN
Il nous était tombé du ciel, comme une douce manne. Chassé du paradis originel par des anges à qui l'on peut rendre grâce jusqu'à la fin des temps pour ce geste qu'ils eurent : d'un doigt nous envoyer Jacques, le parachuter hors des nuages. Qu'il ait posé ses yeux rêveurs sur notre monde, qu'il ait foulé de ses pieds dansants notre sol, celui-là même où nos pas se traînent si lourds, parfois, ce fut providence, ce fut enchantement. Son métier, c'était d'ailleurs enchanteur. Plus qu'une profession, une profession de foi. Car il avait foi en la vie, Jacquot, il remerciait chaque jour à sa manière le merveilleux big bang qui lui avait permis d'atterrir ici. Il se déclarait volontiers grain de poussière et la mort revenait régulièrement hanter sa plume, tel un char d'assaut. On la sent particulièrement dans le dernier album, qui sonne désormais comme un adieu. En 2016, déjà, avec ce Higelin 75, Jacques nous disait qu'il se retirait du monde. Le temps de faire quelques bagages et d'y enfermer précautionneusement ses amours, de les plier soigneusement pour le grand voyage. Une dédicace à ses enfants, à sa femme, à ses amis, au public, et hop, au revoir Jacquot, « poussière d'étoile » livrée aux imbécillités de la grande faucheuse. Mais cette mort qu'il chantait déjà dans les années 70 n'était pour ainsi dire qu'un détail en comparaison de ce qu'il aimait à célébrer avec grandiloquence, euphorie, tambour battant : la vie. Être là, être en vie, voilà ce qui lui tenait à cœur, ce cœur qu'il avait si grand qu'il en distribuait des morceaux ici ou là, inlassablement. Assister à un concert d'Higelin, c'était comme se pointer à un rendez-vous d'amour : on s'y rendait fébrile, tout tremblant. On ne savait pas ce qui allait nous arriver. La plupart du temps, quand le sieur était bien luné, c'était un éblouissement qui nous tombait dessus. Parfois, cela pouvait être autre chose, de grimaçant et de moins drôle, je l'ai dit ici et je n'y reviendrai pas. Un concert d'Higelin, c'était un truc auquel on ne pouvait pas mettre d'emblée une frontière bien claire : on savait quand ça commençait, on ne savait jamais quand ça allait finir. Ni comment. Je me souviens d'une soirée privée dans une salle de Pont-à-Mousson, perdue au fond d'une arrière-cour, qui avait duré jusque tard dans la nuit ! C'était gratuit, champagne pour les uns, caviar pour les autres, et magie pour tout le monde. Ce soir-là, il nous avait donné bien plus qu'un concert : un bout d'éternité, un de ces instants qui restent à jamais gravés dans la chair, tels des tatouages sublimes. Il nous avait parlé de Trenet, nous avait encouragés à passer au-dessus des barrières intérieures qui peut-être ralentissaient encore notre marche vers son œuvre. C'est grâce à Higelin que je pus me réconcilier un peu avec celui qui jusque là m'avait semblé surtout très niais. Je découvris alors une poésie moins lisse qu'il n'y paraissait de prime abord. Je bousculai mes réticences. « Shooter dans les croissants » au petit matin, c'est ça qu'il faut faire pour que les aubes prennent du relief et ne restent pas de mornes plaines, voilà ce qu'il nous avait dit un soir, en substance, Jacquot. J'ai retenu la leçon. Shooter dans les croissants, c'était peut-être aussi, à ses yeux, donner un coup de pied à ses habitudes, les fouler à la base pour ne pas rester parmi ceux que Rimbaud appelait les assis. C'est en tout cas comme ça que j'ai compris les choses. Et tant pis si c'est de travers, ou tant mieux, je ne sais pas. Jacques aimait à répéter qu'il ignorait ce qu'était l'envers, ce qu'était l'endroit, il vivait dans une complexité où explosaient toutes les coutures. « La vie, quoi, le bordel ». Infatigable flâneur, increvable funambule, il se plaisait à « flâner entre les intervalles ». Ce n'était pas une posture, c'était une façon d'être. Sa façon d'être au monde. Il savait que tout est éphémère ici-bas, la beauté de la vie tout autant que la détresse. Une traînée de poudre dans un ciel toujours changeant. C'est pourquoi il nous enjoignait de vivre heureux aujourd'hui parce que demain il serait trop tard. Ce n'est pas pour rien que dans Château de sable, la dernière chanson de Beau repaire, il est question de « sabler le champagne à la gloire de l'éphémère ». Le fugace, il en faisait son affaire. Plutôt que de le déplorer, il lui bâtissait des temples. Il était de ceux qui s'agenouillent « au pied d'une fleur des champs ». De ceux qui nous rendent « l'âme du printemps » encore plus légère, encore plus ondoyante.
Je suis bien triste, encore, de savoir que plus jamais je ne m'endimancherai le cœur à l'idée d'aller rejoindre Jacques dans un de ses beaux repaires fantastiquement mal famés, je suis triste de me dire que la machine s'est comme enrayée et que tout a désormais le goût des printemps qui ne reviendront plus. Mais que je suis heureuse d'avoir croisé son œuvre et de l'avoir laissée entrer dans ma vie pour l'enflammer ! Jacques a semé sur ma route des petites pierres d'or qui font à chaque aurore des scintillements bienfaisants. Un seul mot me vient aux lèvres : merci.
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