11/05/2021
Indéchiffrables hiéroglyphes, chapitre 2. Ou : "dans les carnets intimes du messager des runes"...
"Dans les carnets intimes du messager des runes
l'écriture est en transe et clignote à la une". Hubert-Félix THIÉFAINE
J'ai passé la nuit en des contrées lointaines, à chevaucher des « dragons écarlates » et à mâcher, comme autant d'enivrantes chiques, d'énigmatiques hiéroglyphes superposés. Déjà, en temps normal, les hiéroglyphes, c'est coton. Mais imaginez-les donc en piles, se faisant la courte échelle pour atteindre Dieu sait quelle étoile invisible à l'œil nu. C'est, peut-être, toute la vie de Thiéfaine qui se tient résumée là : des mots, des mots, et encore des mots. Le petit truc indéchiffrable qu'on a découvert hier sur les réseaux sociaux et sur le site officiel, on dirait une ardoise. Ce n'est pas écrit noir sur blanc, mais blanc sur noir. Subtile différence. Avec notre artiste (je dis « notre », mais je ne m'illusionne pas : il ne nous appartient pas), rien n'est jamais, me semble-t-il, le fruit du hasard. Un message codé en contient dix autres, plus sibyllins encore. Blanc sur noir, donc : comme si l'écriture avait toujours été celle qui apportait un peu de clarté dans les ténèbres. J'ai bien dit un peu. Car la clarté qui semble s'afficher ici n'est clarté qu'en surface : partout, cela grouille de lignes illisibles. Palimpseste, oui, mais dont on n'aurait pas pris la peine d'effacer les premières versions. Pas le temps. Parce que parfois, l'écriture, ça urge. Ça te prend comme un galop.
J'en reviens au mystérieux manuscrit : ici ou là, tout de même, se dressent quelques mots plus distincts que les autres. Certains acharnés de la pierre de Rosette ont déjà lu « imaginer nos pleurs » ou encore « imaginer nos rêves ». Moi, hier soir, toute à mon ébullition, je n'ai absolument rien décrypté. Que ma joie d'être en ce mois de mai où, tout à coup, comme dans une chanson de Thiéfaine, j'ai miraculeusement « trouvé la fréquence que je n'attendais pas » !
« Mai, joli mai », vraiment : cela faisait des mois et des mois et encore des mois qu'Hubert était claquemuré dans le silence. C'en était même un peu flippant. Mais, comme je le disais hier, tous autant que nous sommes, nous y avons toujours cru. Impossible qu'il se taise en ces temps troublés. Impossible, surtout, qu'il nous laisse les traverser, ces temps troublés, sans nous indiquer, au moins un minimum, la lecture qu'il en fait. J'y ai toujours cru résolument, en un recoin caché de mon cœur que je n'ouvre à personne, pas même à moi !
On peut dire aussi que les mots qui nous ont été offerts hier se sont adaptés à l'époque : ils sont masqués. Enfin, ça, avec Thiéfaine, ce n'est pas nouveau, et je pense à toutes ces strophes qui me bercent depuis près de trente ans et auxquelles je ne pige toujours rien. D'ailleurs, ce mystère parmi tant d'autres n'est pas fait pour me déplaire. Ce qui s'offre sans jamais réserver aucune surprise n'a d'attrait qu'un certain temps. On s'en lasse. Moi en tout cas.
Alors, ces lignes emmêlées comme d'inextricables lianes, qu'est-ce donc ? La pochette du nouvel album ? Les mots qui ont servi à l'écriture de cet album ? Aucune idée, mais qu'importe puisqu'ils font rêver. En les regardant, je pense : 1) qu'ils sont beaux et que je les aime déjà, 2) que leur élégance à ne dévoiler que le strict minimum s'accorde bien avec une œuvre dont il est impossible d'explorer tous les mystères...
08:57 | Lien permanent | Commentaires (4)
10/05/2021
Indéchiffrables hiéroglyphes...
"Il ne reste que la soif pour inventer des mondes moins affligeants que ce monde". André VELTER
Dites, vous avez vu ce que j'ai vu ? Sur le site officiel et partout où ceux qui côtoient le secret des dieux posent leur griffe, on voit la même image apparaître. Cela fait penser à la pierre de Rosette et, paraît-il, d'après quelqu'un de bien informé de mon entourage, aux œuvres de Roman Opalka. Cela tient aussi, un peu, du palimpseste qu'on aurait vingt fois remis sur le métier, comme un ouvrage qu'il conviendrait de reprendre sans cesse (pour quelle obscure raison, je ne sais). Ami fan de Thiéfaine, va-t'en donc te composer un espoir avec ça, essaie un peu, pour voir, alors que c'est trois fois rien, qu'on n'y comprend rien et qu'on n'en sait rien ! Et pourtant, bien sûr que tous ceux qui, comme moi, attendent dans un silence inquiet un nouvel album, que dis-je : LE nouvel album, bien sûr que nous sommes tous en train d'interroger les cieux : alors, cet opus espéré comme le messie, descendra-t-il bientôt jusqu'à nous, providentielle manne qui serait de taille à, d'un seul coup d'un seul, « recoller du soleil sur nos ailes d'albatros » ? C'est que nous avons soif, c'est que la traversée du désert a été longue. Mais nous n'avons pas manqué de courage, on peut même dire que nous nous sommes montrés sacrément vaillants. Pas d'album depuis 2014 !! C'est la première fois qu'Hubert nous fait poireauter ainsi, nous qui goûtons moyennement le pied-de-grue... Nous n'avons en aucun cas démérité, gardant intacte en nous la foi du charbonnier. Pas un d'entre nous, me semble-t-il, n'a imaginé une seule seconde (c'eût été blasphème) qu'Hubert nous lâcherait comme ça, que plus d'album, que plus rien. On le connaît, notre Bébert : ce qui l'anime, c'est une foi pas si éloignée de la nôtre. Ce qui le tient debout, contre vents et marées, c'est la création artistique.
Bon, moi j'y crois. Je ne suis pas Champollion, mais quelque chose me susurre cependant gentiment à l'oreille que ces hiéroglyphes-là sont porteurs d'une grande nouvelle. Si vous voyez ce que je veux dire. Je me suis déjà amusée à bidouiller lesdits hiéroglyphes dans tous les sens, celui des aiguilles d'une montre, celui contraire à celui des aiguilles d'une montre, celui contraire à toute logique (mon préféré). J'ai passé le tout au mixer de Photo Filtre. Bingo : quelques mots sont apparus. Un même verbe, à plusieurs reprises : imaginer. Imaginer quoi ? Moi je vous le dis déjà : la joie de serrer comme un amour précieux un petit joyau destiné à enchanter les mois, les années, les siècles qui viennent ! Amen, ai-je envie d'ajouter, alors je l'ajoute !!!
20:59 | Lien permanent | Commentaires (2)
18/04/2021
"La vie est folle, libre et volage" : souvenirs d'un monde sans corona et avec Higelin...
"La vie est folle, libre et volage". Jacques HIGELIN
Vous souvenez-vous de Jacques Higelin ? Quand on l'a aimé, on l'aime encore, c'est sûr, et on ne peut l'oublier. Ah, ses concerts, c'était quelque chose ! Quand on a goûté à cela au moins une fois dans sa vie (mais une seule fois c'est dommage), on ne peut, par la suite, que se montrer intransigeant avec la fadeur ! Car Jacques sur scène, c'était tout sauf de la fadeur ! C'était un feu d'artifice, une explosion de folie qui partait dans tous les sens, un peu comme ses cheveux ébouriffés, qui semblaient stupéfaits eux-mêmes de se trouver sur un crâne aussi azimuté ! Jacques, c'était la fantaisie avec un grand F. Entre deux chansons (quand ce n'était pas au cœur même d'une chanson, d'ailleurs), il plongeait souvent dans des tirades kilométriques et délirantes. Je me souviens d'un soir où il avait appelé le public (à qui il disait « tu » comme à un seul homme ou à une seule femme, réunissant tous les opposés par la grâce de ce seul pronom) à défier la banalité quotidienne. « Le matin, on se lève, on shoote dans les croissants » : l'image ne m'a jamais quittée. J'aurais aimé la rendre possible dans ma propre vie, mais ce n'est pas forcément une évidence qui s'offre au premier venu. De temps en temps, quand même, quand mes filles et moi partons dans nos petites divagations, je me dis qu'on n'est pas mal point de vue shootage de croissants à l'aube. Ce midi, par exemple, Louise et moi avions décidé de donner des noms poétiques aux plats qui se succédaient sur notre table. D'abord, ce fut une moisson de riz accompagnée de fagots de poireaux et d'une onctueuse sauce ocre, puis une concassée de pommes de nos vergers saupoudrée d'une dentelle de cannelle. Il y avait un peu d'Higelin dans tout cela, je vous assure. Tout à coup, nous n'étions plus assises à notre banale table de cuisine, non : nous savourions des splendeurs culinaires préparées rien que pour nous par un grand chef. Eh bien, quand tu assistais à un concert d'Higelin, c'était pareil : tu étais soudain d'un autre monde et tu n'en revenais pas toi-même d'y avoir été catapulté(e). Jacques savait, quelques heures durant, te donner des ailes et te faire croire que toi aussi tu pourrais voler un jour. Magie de l'imaginaire. Pouvoir du magicien.
Quelques heures durant, disais-je : oui, et plus encore si affinités. Les concerts d'Higelin, on savait quand ils commençaient, mais on ne pouvait faire aucun pronostic sur leur durée. Quand le bonhomme était en forme et que le public lui donnait le répondant qu'il espérait, c'était parti pour un très long moment. Le plus drôle dans tout ça, c'est que cela ne nous semblait pas long et qu'on en redemandait, encore et encore. Parce qu'une fois la soif étanchée, on découvrait que finalement, elle ne pouvait l'être ! On pensait à telle ou telle chanson oubliée ce soir-là, et qu'on aurait voulu entendre. Alors quelques voix s'élevaient, ici ou là, et se mettaient à en fredonner la mélodie. Si Jacques était bien disposé, il y allait. Moments de bonheur qu'on n'oublie jamais. Et qui manquent maintenant, qui manquent tellement qu'on ne saurait le dire avec les mots qu'il faut.
Il y avait également l'incomparable démarche d'Higelin. On eût dit celle d'un danseur qui funambulait d'un rêve à un autre, nous emportant dans ses palpitations. Cela devait être ça, « flâner entre les intervalles », comme il disait.
Aux moments les plus sombres de mon existence, Jacques a toujours brillé comme un soleil. Il avait ce côté fortement ancré dans l'existence et qui te chope par la manche pour t'inciter à y rester, que n'a pas forcément Hubert-Félix Thiéfaine. J'ai souvent dit que j'avais besoin de ces deux compagnons. Avers et revers d'une même médaille gri-gri que je transbahute avec moi depuis, depuis … ouh la, ça fait longtemps. Tellement d'années que je n'ai plus assez de mes doigts pour les compter. Ou alors il faut faire trois tours, à peu près. D'accord, ça pique. Mais il y a deux chances incomparables que me confère mon grand âge : avoir vu Higelin pas loin de dix fois sur scène. Et avoir vu Hubert 47 fois, je crois. Il faudrait que je recompte pour être sûre. Mais 47, cela m'arrange bien, car c'est pile mon âge. Ce qui nous fait une moyenne d'une fois par an depuis la naissance. J'aime bien l'idée.
En attendant, puisque, aujourd'hui encore, c'est temps gris et vent contraire, comme dans la chanson d'Higelin, sortir ne s'impose pas. Je m'en vais donc m'écouter d'une même oreille reconnaissante d'abord Jacques, ensuite Hubert ! Ou d'abord Hubert, ensuite Jacques, on verra !
14:56 | Lien permanent | Commentaires (15)
13/01/2021
Ombre et lumière...
"Un matin ce sera quand même le printemps". Louis CALAFERTE
« Ma fille s'est foutue en l'air, et par terre on l'a retrouvée », chante Birkin sur son dernier album (que je ne cesse de recommander à tous). La musique de cette chanson, Cigarettes, est insolemment entêtante, comme un parfum qui s'agripperait à tous les pores de votre peau. Entendue le matin, cette chanson vous accompagne sans répit jusqu'au coucher, en ayant pris soin de vous fracasser. Birkin a expliqué à plusieurs reprises qu'elle avait souhaité un air à la Kurt Weill. Et aussi qu'il y ait un hiatus entre le tragique du propos et l'apparente légèreté de la mélodie. Il fallait que cela choque, il fallait que cela décoche des uppercuts tous azimuts. Comme l'événement qui fut à l'origine de cette chanson : la mort prématurée de Kate Barry, l'une des filles de Jane Birkin. À la violence du drame, répondre par une autre forme de violence. En matière d'absurdité, se placer dans la surenchère. Montrer à la vie qu'on est encore capable d'en découdre avec elle et cette manie qu'elle a de nous mettre en pièces.
La mort de Kate Barry reste auréolée de mystère : accident, suicide ? Nul ne le sait en dehors de l'intéressée elle-même. La chanson n'élude rien (ni le visage blafard de la morte, ni le passage de la famille à l'institut médico-légal). D'ailleurs, l'album entier se veut sans ambages. Parler d'amour, oui, mais évoquer avant tout ce qui, dans ce sentiment, condamne à l'intranquillité. Dresser sans tabou l'inventaire de ses tabous langagiers (dans la chanson FRUIT). Convoquer volontairement une horde de fantômes (« grandpa, grandma, mother, father, daughter, nephew, cats, husbands and friends »). De l'enfance, ne retenir que le côté cruel qui enterre avec la même indifférence « lapins, taupes, poulets, croix ».
L'art serait-il ce qui permet de dompter l'inacceptable et de dire l'imprononçable ? Je le crois volontiers. Peut-être restons-nous, notre vie durant, voués à zéro résilience, comme le chante Thiéfaine ? Oui, mais chanter Résilience zéro est déjà une manière de se réparer. C'est déjà faire un pas du côté de la vie. On peut allier en soi nihilisme et volonté de vivre quand même. Cela ne me paraît pas incompatible. Je ne vois pas là d'incohérence, j'y vois plutôt une manière de se débrouiller comme on peut avec ce qui nous a été donné et qui, il faut bien le dire, est quand même un sacré bordel !
L'œuvre de Thiéfaine n'est pas exempte d'habiles oscillations entre ombre et lumière. Elle est même, je crois, la preuve que l'on peut chanter le désespoir de vivre sur une musique très rock. Elle est également la preuve que l'on peut opposer humour et ironie à toutes les aberrations. De l'art d'enrober le questionnement métaphysique dans de superbes arrangements...
11:52 | Lien permanent | Commentaires (166)
09/01/2021
"Les cinémas sont fermés, c'est la grève des clowns"...
"Embrasser quelqu'un, pas essentiel
Ouvrir un bouquin, pas essentiel
Sourire sincère, pas essentiel
Aller aux concerts, pas essentiel". Grand Corps Malade
« En l'an 2000, plus de musique », chantait Ferré. Ajoutant « et pourtant, c'était beau »... En l'an 2020, et peut-être même en l'an 2021, plus de concerts. Pourtant, c'était beau aussi, n'est-ce pas, toutes ces âmes en fusion jetées dans la même fournaise, ces moments de grâce où l'artiste arrivait sur scène, sa seule ombre entraperçue déclenchant un tonnerre d'applaudissements ? Que c'est loin, tout cela ! On a l'impression de l'avoir vécu dans une autre vie, et presque même sur une autre planète. Souvent, on ferme les yeux et on y pense. La chaleur des salles de concert nous remonte soudain comme un paradis perdu. C'était une telle évidence, il y a un an encore, qu'on ne savait pas quelle était notre sublime chance. Dernier concert pour moi : celui de la Grande Sophie à Montigny-lès-Metz, en février 2020. Et puis les lumières se sont rallumées violemment sur un public qui ignorait encore, et heureusement, que quelques semaines plus tard, il serait confiné, le regard vide, ne comprenant pas ce qui lui tombait sur le coin du nez... Pour sortir de chez soi, remplir d'abord soigneusement une attestation. D'aucuns, devant la paperasse, préfèreraient encore se terrer « plutôt que d'avoir à utiliser leurs formulaires d'autorisation de délirer »...
En mars 2020, je devais voir, pour la première fois de ma vie, Charlélie Couture. Je m'en faisais à l'avance une fête. Ce n'était pas la peine de sortir comme ça le grand jeu de l'espérance et de la joie. De fête il n'y eut point. Le concert fut d'abord remis au mois de juin, puis aux calendes grecques. Mauvais signe. Celles-là, on sait très bien ce qu'elles valent. Elles disent, avec un petit air goguenard qui donnerait envie de les cogner : que nenni, que dalle, bernique, saint Glinglin. Je ne sais pas si je verrai un jour Charlélie Couture sur scène, mais je continue à l'espérer. Parce que la vie sans espoir, c'est tout simplement la merde, non ? Je continue également à espérer que cette année 2021 fera jaillir un brasier devant nos yeux ébahis. Le brasier étant, je ne vous le cache pas, un nouvel album d'Hubert. Oh, je n'irai pas jusqu'à exiger une tournée dans la foulée, non. Je saurai être patiente. Rien qu'un « petit » album me contenterait. La tournée, je la verrais bien démarrer tranquillement en 2022. Au printemps, tiens, quand le macadam transpire et invite à toutes sortes de beaux dérapages. Il est permis de rêver. Ne plus rêver, c'est trop triste, c'est s'enterrer vivant dans sa névrose, voire sa nécrose.
Mais revenons à notre sujet : ce matin, je fredonnais La vierge au dodge 51. En chantant « les cinémas sont fermés, c'est la grève des clowns, alors je reste à la fenêtre à regarder passer les camions militaires », je suis tombée en arrêt. Une fois encore, Hubert a tapé dans le mille. Cinémas fermés, grève des clowns, camions militaires, cela ne vous rappellerait pas une certaine ambiance ? Je vous entends vous exclamer : « Mais oui ! Mais c'est bien sûr ! ». On peut parfois se demander où Hubert va chercher ses idées (saugrenues à souhait, ce qui me les rend d'autant plus sympathiques). Réponse : pas ailleurs que dans la réalité. Parfois, simplement, il la devance, cette réalité, on ne sait pas trop comment. Sans doute par ce tour de passe-passe offert régulièrement aux artistes, et qui les rend visionnaires là où nous restons simplement aveugles. Cf. : « En l'an 2000, plus de musique. Et pourtant, c'était beau »...
En écrivant tout cela, je mesure une fois encore le rôle que jouent pour moi les artistes. Ne sont-ils pas ceux qui nous rendent la vie plus douce, ceux qui nous donnent des raisons de continuer à la vivre même quand elle nous fâche horriblement ? Ils sont de ceux qui enchantent le quotidien. Pas envie de te lever le matin ? Écoute un peu de musique, cela te réconciliera avec ton sort. Pas de perspective ? Mais si, mais si, pense donc à ce concert qui va venir bientôt... Bientôt ? Si seulement ! Il paraît que pas très loin de chez nous, un concert a eu lieu avec masques et tutti quanti, respect des gestes barrières en veux-tu en voilà, et qu'aucune contamination n'est à déplorer à ce jour. Alors, on en conclut quoi ? Que la culture sous toutes ses formes ou presque doit rester reléguée au rayon des non-essentiels ? Je suis désolée, je vais peut-être vous choquer, mais pour moi la culture, c'est ESSENTIEL. Les artistes sont essentiels dans ma vie, mais pas seulement. Ils le sont dans la société entière. Pour jeter des pavés dans la mare, pour donner des coups de poing aux consciences que le sommeil menace, pour que la médiocratie-médiacrité ne gangrène pas tout le système jusque dans les moindres interstices. Ferré (encore lui) chantait « poètes, vos papiers ! », j'ai envie de dire aujourd'hui : « poètes, à vos papiers, à vos pupitres ! ». Allez Hubert, sors-nous-le, cet album qui aura une ambiance de fin du monde et qui nous rappellera étrangement quelque chose... Mais quoi donc ?
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12/12/2020
Bande-son d'un week-end pluvieux...
"J'aime les gens qui doutent". Anne SYLVESTRE
Certes, la musique n'endort pas nos chagrins, mais elle a tout de même le pouvoir de les adoucir un peu. Qu'un autre que nous vienne à passer et formule exactement ce que nous ressentons, et la reconnaissance (dans tous les sens du terme) est immédiate. Voilà ce qui m'arrive avec le dernier album d'Asaf Avidan et avec celui de Jane Birkin. Tout ce que j'ai toujours voulu dire sur la vie sans jamais parvenir à le faire se trouve exprimé là, dans ces deux voix singulières. Birkin, dans ce monde où tout passe, c'est comme un radeau solide auquel s'accrocher. Il semblerait que le temps n'ait aucune prise sur elle. Ses traits restent juvéniles malgré la gouache des années. Son accent ne s'est que très vaguement estompé (je sais, je sais, elle l'entretient savamment). La voix s'est chargée d'un peu plus de maturité, mais à peine. Oh ! Pardon tu dormais... est arrivé ce matin au milieu du courrier mouillé. Telle une barque ayant traversé courageusement tous les déluges. Un peu à l'image de celle qui signe les textes de ce nouvel opus. Ces déluges qui ont bousculé sa vie, Jane en a fait des chansons qui se présentent à nous comme des offrandes. L'artiste nous ouvre toute grande la porte de son univers et nous n'en revenons pas d'être là, parmi les fantômes qui lui sont familiers. Nous voilà initiés aux peurs et aux tourments qui sont les siens et nous renvoient fortement aux nôtres. Les morts se sont donné rendez-vous sur cet album. Il y est question de plusieurs disparus. Avec bravoure et sur une musique faussement légère, Birkin évoque la mort de sa fille Kate. Dans un très beau texte en anglais (Ghosts), elle demande à ses morts s'ils se souviennent d'elle. Et c'est bien la question que nous nous posons tous, n'est-ce pas, quand nous nous trouvons face aux « murs épais » qui nous séparent de ceux qui ne sont plus.
Il est également question d'amours bancales qui tiennent plus de la lutte que du corps-à-corps amoureux. L'un pèse sur l'autre, l'autre se tord d'ennui, et l'on sourit amèrement devant le sombre tableau : cela nous rappelle des souvenirs ! Nombreuses sont les mélodies enjouées, voire sautillantes. Mais qu'on ne s'y trompe pas : ici, c'est la cruauté qui triomphe. Même l'enfance n'est plus nimbée de ce voile d'innocence dont on aime la parer parfois, se donnant l'illusion d'un paradis perdu alors que franchement, le paradis, vous l'avez déjà vu, vous, même en enfance ? Il suffit d'écouter Les jeux interdits pour savoir à quoi s'en tenir.
De temps à autre, on croit voir revenir Gainsbourg en filigrane. Ce n'est rien qu'un fantôme de plus. L'empreinte de Daho est forte aussi (forcément). Par moments, les deux pattes se rejoignent, celle de Gainsbourg, celle de Daho, et l'on est heureux d'assister à ce subtil mariage, nous qui aimons et l'un et l'autre...
Cet album, c'est un peu de fausse douceur dans ce monde de brutes. De la dentelle, oui, mais noire comme suie, et coupante. De l'amour, oui, mais de conte défait... Ce n'est pas tellement joyeux, mais Birkin est une grande repriseuse : tout en appuyant là où ça fait mal, elle répare, inlassablement. Cette femme, je l'adore, elle est le lien magique qui m'unit encore à ma mère...
Quant à Asaf Avidan, c'est l'autre claque du moment. Je mets le CD jeudi soir. Et là, je tombe presque à genoux devant cette voix qui n'est qu'écorchure. Je sens l'album traversé de fantômes aussi, à l'instar de celui de Birkin, mais ma connaissance de l'anglais étant ce qu'elle est, je ne peux, pour l'instant, que pressentir, et pas affirmer. Il va falloir que je bûche un peu, dictionnaire à l'appui, comme quand j'étais ado et que je suais sang et eau pour tenter de comprendre les textes de Supertramp et compagnie ! En tout cas, cette voix qui revient tout essoufflée des profondeurs, elle s'adresse directement à l'âme et la fait chavirer.
Voilà, c'est la bande-son de mon week-end, et je ne me plains pas. Là-dessus, annoncez-moi la sortie imminente d'un album de Thiéfaine, et la mélancolie deviendra presque joyeuse ! J'ai bien dit « presque »...
14:42 | Lien permanent | Commentaires (38)
02/12/2020
Au revoir, Anne Sylvestre...
"On arpente sa vie au pas de promenade
Et puis on s'aperçoit qu'il faudra se presser". Anne SYLVESTRE
Elle avait parfois un petit air grincheux qui lui allait comme un gant. Gant de soie ? Non, très peu pour elle ! Plutôt un gant de boxe prêt à envoyer des uppercuts. Elle ne logeait pas dans une tour d'ivoire, loin des préoccupations du commun des mortels. Elle vivait ancrée dans le monde, tout en ne dédaignant pas ces regards vers les étoiles qui permettent de prendre de la hauteur. Tous les sujets l'interpellaient : l'avortement, les violences faites aux femmes, la précarité, et j'en passe.
Je la découvris alors que je n'avais pas six ans. Grâce à ma mère institutrice qui avait le don de dégoter les petites raretés qui finissent par se transformer en sucreries durables. Les fabulettes accompagnèrent toute mon enfance. Je ne sais pas pourquoi, une chanson en particulier m'avait tapé dans l'oreille : Berceuse pour rêver. Si la chanteuse avait raison, c'était grâce aux rêves que les enfants grandissaient. Je me mis donc à rêver tout mon soûl, jusqu'à ne plus bien savoir, d'ailleurs, où se situait la frontière si ténue entre rêve et réalité. Les marges se brouillaient dans les cahiers et dans la vie...
Plus tard, bien plus tard, j'appris que la chanteuse de mon enfance avait aussi un répertoire pour adultes. Je découvris des trésors dont il serait impossible de faire une liste exhaustive. Mais tentons un petit tour d'horizon (totalement subjectif) : T'en souviens-tu la Seine, Non, tu n'as pas de nom, Lazare et Cécile, Flou, Roméo et Judith, Écrire pour ne pas mourir, Belle parenthèse, Les gens qui doutent, Carcasse. Je retrouvais une part de moi dans de nombreuses chansons d'Anne Sylvestre. Entre ma vingtième et ma trentième année, j'eus la chance de la voir plusieurs fois en concert. J'adorais ces soirées où l'on passait du rire aux larmes. Après s'être donnée à fond sur scène, elle venait à la rencontre de son public. Un jour, elle me reconnut et me lança de ce ton espiègle qui était un peu sa marque de fabrique : « C'est pas possible, vous me poursuivez ». Durant ces séances de dédicaces, elle se montrait toujours disposée à écouter son interlocuteur. Elle se penchait vers lui, comme pour créer une bulle entre eux. On sortait de là en ayant l'impression d'avoir vécu un instant magique qui n'appartiendrait jamais qu'à elle et à nous.
Elle n'aimait pas qu'on la réduise aux fabulettes. Elle ne souhaitait pas davantage n'être associée qu'aux Gens qui doutent. Elle était exigeante, elle demandait à chacun de creuser un peu, de rectifier sa lorgnette pour agrandir son champ de vision.
La dernière fois que je la vis, c'était en 2016, à Vandœuvre-lès-Nancy. Elle était fatiguée, mais toujours animée du même élan de vie, oscillant entre rage et tendresse. Sa mémoire flanchait un peu, mais elle s'en amusait. Il paraît qu'elle refusait tout prompteur. Ce soir-là, dans le cocon d'une salle intimiste, elle nous avait offert un grand spectacle. Comme à son habitude. Je me souviens plus particulièrement de la chanson Violette, qui avait peut-être quelque chose d'autobiographique, allez savoir, et qui évoquait ce ton que d'aucuns réservent aux personnes âgées, leur donnant du « ma petite dame » et autres expressions qui froissent. Petite dame, Anne Sylvestre ? Vous n'y pensez pas ! Une grande dame, oui. Qui pouvait être hargneuse si l'on « marchait sur les pieds de son âme » (*), mais qui se révélait si tendre quand on y regardait de plus près...
Je viens de réécouter Berceuse pour rêver. C'est une chanson moins enfantine qu'il n'y paraît. Le texte joue sur une parité parfaite. Pierre-Yvon pourra devenir maçon, et Maguelonne maçonne. Sébastien sera marin, et Séraphine marine. Il semblerait que tout le combat d'Anne Sylvestre soit venu, l'air de rien, se glisser dans cette fabulette aux accents pas si anodins que ça.
Une voix s'est tue. Une de plus en cette année 2020 qui, décidément, ne sait plus quoi inventer pour se faire remarquer...
* Il me semble avoir lu ces mots sous la plume de Jules Renard, dans le Journal. De mémoire : « Ah, madame, vous venez de marcher sur les pieds de mon âme ! », mais je ne retrouve pas le passage en question. Désolée si j'abîme un peu l'expression !
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01/11/2020
De la poésie jusqu'au bout des doigts, ou plutôt des ailes !
De la poésie jusqu'au bout des doigts, ou plutôt des ailes : un texte d'Isabelle.
Au début je n'aimais pas trop, mais Thiéfaine faisait rire aux éclats un de mes amis poitevin. L'histoire du séminariste à motocyclette, il adorait ! Nous participions alors à un chantier de jeunes, du côté de Besançon, et sous le soleil de juillet, nous transpirions à grosses gouttes (Joëlle et Christian, si vous passez par là … on ne sait jamais). Hubert commençait à faire parler de lui dans la région. Je découvrais que ça sonnait vraiment juste. Il y avait des défis à relever et pas des moindres ! J'écoutais Ad orgasmum aeternum en pleurant. C'est sûr, j'avais raté mon orientation, j'aurais dû être barmaid plutôt qu'assistante sociale !
Les années passées, j'arrêtais de fumer, mais de mon vol plané, je décidais de ne jamais atterrir. Depuis Tout corps vivant branché sur le secteur, il ne manque pas un seul laser à ma discothèque, de quoi apporter ma contribution à la retraite du chanteur. Déniché par un dimanche chanceux, un magnifique coffret répondant au doux nom de Séquelles est venu enrichir ma caverne d'Ali Baba. L'agence des amants de madame Müller dans sa version live en 14 minutes... C'est vrai ça, monsieur le commissaire, qui n'a pas sa névrose ?
Sous l'effigie bienveillante du corbeau, la tournée Homo Plebis Ultimae Tour est passée par La Commanderie. Le 5 mai 2012, la salle s'est remplie d'adolescents de tous les âges. Dans une lumière bleutée évoquant les mystères de la nuit ou le fond de l'océan, l'enfant de la cité a fait une entrée magistrale, saluée par les applaudissements, les sifflements du vent à 11500 mètres, les déchaînements et les cris de joie. Je me suis sentie gonflée à bloc ! Annihilation résonnait de façon très particulière. Dans cette salle, quelques années auparavant, Hubert fut l'invité surprise de son ami Yves Jamait. Le 5 mai, le public s'appelait « Jura Nord ». Dans un programme de deux heures, c'est la carrière et les albums du chanteur qui ont défilé, en même temps que quelques tranches de ma vie et de ses variations. Il y a de l'intemporalité ou de l'uchronie dans les chansons de Thiéfaine, il n'y a pas d'âge pour les écouter et d'ailleurs je n'ai pas d'âge. J'aurais bien aimé me hisser sur de solides épaules et m'élever au-dessus de toutes les têtes folles qui se balançaient devant moi. Alors j'ai détourné le regard, l'ombre des mains de l'homme-corbeau dansait sur le mur. De la poésie, jusqu'au bout des doigts !
Depuis ce jour, je ne regarde plus de la même façon les corneilles se poser sur ma route. J'éprouve même de l'affection pour elles. À quoi ça tient !
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