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13/05/2021

Page noire : premières impressions.

"La terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd'hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l'assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l'homme n'aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu'un monde entièrement refait de sa main à son idée - et je doute qu'à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne". Julien GRACQ

 

Alors, vous aussi, vous vous l'êtes pris en pleine face, votre uppercut ? Personnellement, j'ai mal aux yeux en ce début d'après-midi, et je ne sais plus si c'est d'avoir trop fixé les écrans entre hier et aujourd'hui (et vas-y que je t'épluche les commentaires des uns et des autres, et vas-y que je te lance des recherches débridées sur Telemann, Mahler, le mont Sinaï, Rembrandt, et j'en passe), ou si c'est d'avoir trop pleuré devant tant de vérité crue. Cette Page noire, c'est notre époque qui nous saute à la gueule comme le retour d'une flamme qu'on ne pourrait plus maîtriser. T'as voulu jouer avec le feu, mon gars, eh bien danse, maintenant, au milieu de l'incontrôlable brasier ! Un de ces quatre matins, quand tout aura bien cramé, il ne te restera plus qu'à tenter de danser sur les braises moribondes d'un monde englouti.

Que dire, et par où commencer ? Première écoute hier, dans ma voiture, sur un parking. Pas possible d'être à la maison à 18 heures, mais j'avais quand même tout prévu. Être à l'heure dite devant mon téléphone : motif impérieux. Même que s'il avait fallu, je me serais fait une attestation pour ça. Il y a des fois où utiliser les formulaires d'autorisation de délirer de notre sinistre époque est justifié par un besoin vital.

Première écoute, premier coup de poing : ça cogne sévère. La voix d'Hubert dans un registre où on ne l'attendait pas. Le texte : un tsunami qui dévaste tout sur son passage. Un constat sans appel, et ce dès les premiers mots : plus le temps d'imaginer le pire. Peut-être parce que nous avons déjà les deux pieds dedans (ou au bord, je ne sais pas) et que penser pouvoir faire marche arrière serait folle prétention (en même temps, cela nous ressemblerait bien).

Quel regard Hubert pose-t-il sur les temps troublés où il nous faut vivre ? Nous brûlions de le savoir, n'est-ce pas ? Eh bien voilà, c'est là, sous nos yeux. Évidemment que ça ne pouvait pas être joyeux, évidemment que cela n'allait pas ressembler à un feu d'artifice où les belles bleues arrachent des cris de liesse à un public endimanché pour l'occasion.

Le clip ? Âmes sensibles s'abstenir. Ou, au moins, se préparer à quelque chose de violent. Moi, j'avoue que ces larmes de sang noir se répandant sur le sol, ça m'a retournée. Le visage d'Hubert figé dans un impitoyable plâtre, je n'ose même pas vous dire quelles images cela m'évoque. Bref... Au commencement du clip est le chaos. Un big bang désordonné d'où émerge, peu à peu, quelque chose. Et même quelqu'un. Hubert sur un socle de rêve. On sait, grâce à une autre chanson, que cela ne présage rien de bon. Qu'à un moment donné, chute ravageuse il y aura. Et cela arrive bel et bien. La tête tombe de son socle de rêve pour exploser en « millions d'étincelles ». La désagrégation s'amorce dans les sanglots orgiaques du saxo. Peu après, terminé, tout le monde descend. Retour au chaos originel. Fin de partie brutale, comme un couperet. La musique s'arrête sans prévenir, un peu comme la vie parfois. Et toi tu restes là, pantois(e), ne sachant que dire. Gardant en toi ce fracas qui t'a répandu(e), en morceaux, au sol. Oui, je sais, j'y vais un peu fort, peut-être. Mais je ne me suis pas remise de ce que j'ai vu et entendu hier, à 18 heures, sur un parking. Et j'en ai redemandé et repris toute la soirée, jusqu'à épuisement.

Ce nouveau titre est à l'image de bien d'autres : il réalise la prouesse de s'inscrire dans une certaine continuité tout en s'en éloignant. Un petit pas de côté qui n'est pas une rupture. Je vois là quelque chose qui s'apparente à un pied-de-nez, genre « vous pensiez me trouver ici, eh bien c'est ailleurs que je suis, encore plus loin, ailleurs ». C'est comme ça avec Hubert : pas de routine, pas de zone de confort. Toujours il lui faut explorer des territoires inconnus. Se mettre en danger. Marcher en zigzags au bord des falaises tout en scrutant l'horizon parce que même pas peur.

« On n'en finit jamais d'écrire la même chanson » : c'est vite dit !

Commentaires

Bonsoir Katell et bonsoir frangin aficionados,frangines aficionadas,
Des mois que je m'exercais à cette vertu supreme trop souvent négligée, la patience.
Et puis au hasard de mes pérégrinations sur la toile, une electrocution de plaisir me saisit à l'emballement d'une actualité que je n'espérais plus ...et pourtant elle s'incarnait là entre facebook et le site officiel, la réponse à ma révérence à l'artiste
Car oui la patience est la révérence de l'homme à ce qui peut lui etre donnée, comme l'écrit si joliment Sylvain Tesson, ou offert, là c'est moi qui rajoute.
HFT de retour en cette periode de désert culturel , voilà qui ne peut que nous réjouir. Car qui plus légitime que lui pour personnifier ce statut de l'Artiste avec un A majuscule, renouvelant sans cesse une inspiration inexplicablement, incroyablement riche et féconde.Oui tu as raison Katell " ...il réalise la prouesse de s'inscrire dans une certaine continuité tout en s'éloignant." Je ressens ça aussi et je suspecte meme notre ami d'en éprouver une certaine jubilation , à brouiller les pistes et déstabiliser son auditoire. Raffiner dans le soporifique n'est pas son ambition.
Alors que des gens font pousser des légumes, des fruits, voire des fleurs à la surface de la terre , Hubert, lui, fait pousser des émotions à la surface de nos coeurs et c'est pour moi là que se situe l'élément fédérateur de toute sa discographie, particulierement depuis "Scandale mélancolique".
Et puis ce retour et donc la continuité de son oeuvre, n'est elle pas aussi l'occasion pour Hubert de répondre à un challenge ; celui de ne pas lacher prise"memento Mori" n'oublie pas la mort au moment où "il entre dans sa derniere ligne droite" (Amitiés au Doc). Je le perçois bien ainsi mais je me trompe peut-etre...
Cette évocation de la mort , sans etre citée, m'apparait bien omniprésente dans cette "page noire".
Mais il me faudra sans doute encore plusieurs écoutes pour y traquer un maximum d'interprétation , enrichissant une pensée propice aux plus beaux voyages intérieurs.
...et maintenant une date pour l'album !
Infinie gratitude à HFT et à ce cabaret bien tenu,
Amities
Fabrice

Écrit par : Fabrice Dadet | 13/05/2021

bonsoir Katell et merci encore pour tes écrits.

Tout ce pour quoi nous écoutons Thiéfaine, depuis si longtemps, est là dans ses paroles , ce clip et cette musique.
La voix est douce comme apaisée.
La musique envoutante.
Le buste du génie si fragile.
Le texte comme un testament:
"Nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
D’imaginer l’amour au temps des sentiments
Nous n’avons plus le temps pour les larmes et les rires
La nuit grande se lève du côté de l’Orient
Les visions incolores des peuples asservis
Demain joueront peut être avec un jour nouveau
Quand les enfants cosmos en visite à Paris
Caresseront les chevreuils aux sorties du métro".

Quel poète, artiste ou chanteur pourrait écrire cela aujourd'hui?
Et le saxo final.
Cela me fait irrémédiablement penser au Black Star posthume de Bowie,
la page noire .d'une ultime tournée.

Écrit par : rené force4 | 13/05/2021

@ Fabrice Dadet :

Un plaisir de te lire ! ( en espérant te revoir de visu : j'arrive difficilement à mes 72 piges au compteur .. )

https://thiefaine.com/livre-dor/

Amitiés.

Écrit par : le Doc. dit Jean-Pierre Zéni | 13/05/2021

Salut à tous !

Ahah, Katell, pour paraphraser LE conseiller maritime (salutations…), je te cite "j'ai besoin de laisser décanter": et bien, le clavier te démangeait, ça n'a pas trainé :-)

Et toi et Fabrice mettez en lumière ce que nous avons ressenti, et ce pour quoi nous aimons HFT : il va où on ne l'attends pas.

Moi aussi, cette Page NOIRE m'a fait penser au BLACK Star. Bien sûr, le saxo mais surtout l'impression d'une nouvelle voie (d'une piste ?)...

Le reste de l'album sera-t-il au diapason ?
N'engageons pas les pronostics, nous connaissons (ou, croyons les connaitre) notre loustic...
Parfois, je nous vois comme des alchimistes cherchant la formule Thiéfaine…

Salutations numériques !

PS : cette nuit, un refrain en tête. Je connais cette chanson. Ah oui, ok...C'est gravé…

Écrit par : Seb | 14/05/2021

Contente de retrouver certains "anciens" ici !
Eh oui, Seb, finalement, des idées ont germé très vite suite aux écoutes successives que j'ai faites de ce morceau.
Je pense comme vous : dans sa chanson, Thiéfaine évoque l'état du monde, mais pas seulement. Et si, cette fois, c'était le "nous" qui était un autre "je" ?

Écrit par : Katell | 14/05/2021

Ce visage en plâtre d’Hubert me fait beaucoup penser au portrait de Rimbaud... surtout dans la coiffure ainsi qu’au niveau de la bouche.

Écrit par : Bételgeuse | 15/05/2021

@ Bételgeuse :

Moi le Doc je te fais une consultation gratuite ' ton interprétation relève des tests dit projectifs, exemple le test de Rorschach. '

, ne me remercie pas car j'ai précisé 'gratuit ' ;-)

, ...

Écrit par : le Doc dit Jean-Pierre Zéni | 15/05/2021

Je te remercie quand même Sieur Doc !

Écrit par : Bételgeuse | 15/05/2021

- TU es une autre JE - * et c'est tout Bételgeuse !

* ni plus mais ni moins ..

Pensées.

, ...

Jean-Pierre

Écrit par : le Doc dit Jean-Pierre Zéni | 15/05/2021

Suite à vos commentaires, je viens de revisionner le clip de "Black Star". Il suscite un certain malaise en moi, un peu comme celui de "Page noire". Là aussi, sentiment de quelque chose d'irrémédiable... Allez, comme l'écrit Seb, nouvelle voie !
Bételgeuse, le parallèle que tu fais entre le portrait de Rimbaud et le buste que l'on voit dans le clip me va ! C'est mieux que celui que je faisais (je voyais le buste de Dante Alighieri - "je revisite l'Enfer de Dante et de Virgile").
Avec tout ça, c'est l'ébullition chez moi : j'ai mis à profit ce long week-end pour écouter Telemann et un bout du Sacre du printemps. J'ai commencé une biographie (en allemand) de Mahler. Je suis à fond ! Et, en lien avec les larmes noires du clip, je pense (comme d'autres, j'ai vu ça sur Facebook) au Sang noir de Louis Guilloux. Ramifications multiples, comme toujours, dans cette œuvre qui n'a pas fini de nous émerveiller !
Dès que j'en saurai plus sur Mahler, Telemann et les autres, je posterai ici le fruit de mes recherches ! Il y a de quoi faire !

Écrit par : Katell | 16/05/2021

De Telemann, quelqu'un m'a conseillé la "Hamburger Admiralitätsmusik" : je suis en train d'écouter et j'adore !

Écrit par : Katell | 16/05/2021

Une citation de la post-face d'Aveux et Anathèmes par Cioran lui-même : "Aveux et Anathèmes étant une suite de perplexités, on y trouvera des interrogations mais aucune réponse. Du reste, quelle réponse ? S'il y en avait une, on la connaitrait, au grand dam du fervent de la stupeur." Cioran.

"Du reste, quelle réponse ? S'il y en avait une, on la connaîtrait, au grand dam du fervent de la stupeur." Ces mots vont si bien à l'oeuvre de Thiéfaine...

Écrit par : Sandrine | 17/05/2021

Une citation de la post-face d'Aveux et Anathèmes par Cioran lui-même : "Aveux et Anathèmes étant une suite de perplexités, on y trouvera des interrogations mais aucune réponse. Du reste, quelle réponse ? S'il y en avait une, on la connaitrait, au grand dam du fervent de la stupeur." Cioran.

"Du reste, quelle réponse ? S'il y en avait une, on la connaîtrait, au grand dam du fervent de la stupeur." Ces mots vont si bien à l'oeuvre de Thiéfaine...

Écrit par : Sandrine | 17/05/2021

Sandrine : entièrement d'accord pour Cioran. J'ai toujours observé une certaine parenté entre l'âme tourmentée du philosophe et celle d'Hubert...

Écrit par : Katell | 26/05/2021

@ A Vous et pour Vous MESDAMES :

https://boojum.fr/le-consentement-vanessa-springora

N'hésitez pas à lire ce qui est en lien ci-dessus, cela VOUS concerne et VOUS y trouverez Cioran !

, ...

Écrit par : le Doc. dit Jean-Pierre Zéni | 27/05/2021

@ Delphine :

, moi j'dis ça .. moi j'dis rien !

, ...

Écrit par : le Doc. dit Jean-Pierre Zéni | 27/05/2021

Après la découverte de ce titre par pur hasard sur spotify la semaine dernière, j'ai vu aujourd'hui l'annonce sur son site de sa tournée unplugged pour 2022 !! Ni une, ni 2, même si les places sont nettement plus chères que pour la tournée des 40 ans (il faudra m'expliquer pourquoi ?), ma place pour la date du 27 janvier à la salle Pleyel est dans la poche ! Il y a des journées pires :-) A bientôt

Écrit par : Michel | 28/05/2021

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