12/05/2021
Page noire
"Nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire". Hubert-Félix THIÉFAINE
Nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire
d'imaginer la peur à l'heure du temps zéro
nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires
plus le temps de flirter avec les chaînes infos
notre besoin de paix, d'amour et d'illusion
s'est perdu dans le feu de notre hypocrisie
quand nous cherchions en vain, là-bas, dans les bas-fonds
sous le marbre des morts l'entrée d'un paradis
nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire
d'imaginer nos yeux de chiens hallucinés
nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires
plus le temps d'éviter à nos corps de sombrer
les rats inoculés ont quitté l'arrière-cour
et les mouches tombent avant de goûter au festin
quand de joyeux banquiers cherchent un nouveau tambour
pour battre le retour du veau d'or clandestin
nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire
d'imaginer nos lois tombant d'un Sinaï
nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires
plus le temps d'oublier ceux qui nous ont trahis
le décalogue se brise en milliards de versions
mais les nouveaux Moïse n'intéressent plus Rembrandt
et dans les ruines obscures des salles de rédaction
les rotatives annulent le Sacre du printemps
nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire
d'imaginer nos pleurs d'esclaves à Babylone
nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires
plus le temps de prier les vierges et les madones
j'entends les harmonies d'un chant de rémission
d'un cantique atonal aussi vieux que nos races
et puis j'entends les cloches de la résurrection
quand j'arrache le suaire qui nous colle à la face
nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire
d'imaginer nos rêves au rythme du chaos
nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires
plus le temps d'affronter la beauté de nos mots (maux ?)
j'ai rangé nos désirs au fond de l'univers
entre deux météores et une comète en feu
et j'ai mis de côté Telemann et Mahler
pour ne pas oublier la B.O. de nos jeux
nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire
d'imaginer l'amour au temps des sentiments
nous n'avons plus le temps pour les larmes et les rires
la nuit gronde et se lève du côté de l'Orient
les visions incolores des peuples asservis
demain joueront peut-être avec un jour nouveau
quand les enfants cosmos en visite à Paris
caresseront les chevreuils aux sorties du métro
Paroles : Hubert-Félix Thiéfaine
Musique : Arman Méliès
21:28 | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
Voilà...
Suggestions et corrections bienvenues !
Écrit par : Katell | 12/05/2021
Merci pour cette réactivité Katell et cette passion qui nous anime... pourtant, tristement , pour ma part je suis déçu à cette 1ère écoute. Hubert semble être l’ombre de lui-même, s’auto-caricaturant dans les paroles, moraliste comme il ne se l’était jamais permis auparavant ( et oui avant Hubert posait des questions qui faisaient réfléchir aujourd’hui il affirme des paroles simplettes...) ce n’est qu’une chanson, le reste de l’album en sera tout autre j’espère. Le poète s’assagit avec le temps, fiston fait tout, c’est bien gentil, mais c’est pas très excitant vu de l’extérieur... je m’en vais réécouter « routes 88 » pour panser les plaies du jour... la nostalgie est-elle une maladie honteuse?...
Écrit par : Ignatius | 12/05/2021
Merci Katell pour la retranscription des paroles.
J’ai écouté le morceau plusieurs fois hier mais j’ai besoin de le laisser un peu décanter et d’y revenir plus tard. En revanche je trouve la musique très belle. Cette basse au début, bien distincte presque pesante et le saxo sur la fin, comme une envolée.
Quant au clip, je le trouve magnifique. Il y a beaucoup de douceur dans le choix des couleurs et en même temps de la noirceur dans ces larmes qui coulent jusqu’à l’inondation (larmes d’encre ?). Un visuel très épuré au début, très doux qui se transforme brutalement en chaos. J’en ai eu des frissons. Et ce visage de pierre, d’Hubert, qui explose en mille morceaux... (les poètes se vendent en pièces détachées...), comme un cataclysme filmé au ralenti. Un clip tout en contraste et en opposition, comme bien souvent dans l’œuvre d’Hubert.
Écrit par : Bételgeuse | 13/05/2021
Oui, ta rapidité est impressionnante ! Merci !
Je constate d'ailleurs que j'avais compris autre chose que "Telemann (que je ne connais pas) et Malher"…
Ignatius, j'entends ce que tu dis concernant l'aspect moraliste.
Mais, n'est-ce pas l'essence de cette Page Noire ? Le constat que tout a été écrit (du moins c'est mon ressenti à ce jour).
C'est vrai que l'homme (74 ans ?) n'est plus le même qu'en 88. Mais, s'il était resté figé, en le lui reprocherait certainement. Que préfère-t-on ? Un artiste (par exemple, Bowie,…) qui nous étonne, voire nous déstabilise à chaque nouvel opus ? Ou au contraire, un vieux routard (AC/DC…) dont on sait à l'avance ce que l'on trouvera sur le CD, toujours sous blister. En écrivant ça, je me dis d'ailleurs que j'aime les deux !! :-)
Pour ma part, dès la première écoute, j'ai accroché les mélancolies conjointes du texte (iconoclaste à souhait) et de la musique (j'adore l'ambiance cinématographique*), la tessiture et la hauteur de la voix d'Hubert (même si mon oreille a frisée parfois en le sentant sur le fil, bien que cette sensation ait disparu au fil des écoutes…). Mais oui, comme tu dis, Bételgeuse, laissons décanter le cantique...
Puis, j'ai ouvert les yeux et admiré le scopitone… Très belle esthétique.
7 ans de réflexion… C'est peut-être ce qui confère au buste, cette aura digne d'un marbre, non, plâtre antique ?
Bon, c'est pas tout, hein, mais j'espère quand même qu'il ne va pas (encore !) nous sortir un nouvel album… J'ai plus d'place dans le coffret…Chier…
Salutations numériques !
*Au fait, Delphine, l'album de Méliès ? Bien ou bien ?
Écrit par : Seb | 13/05/2021
Nous n'avons plus le temps d'imaginer le pire" *
, alors construisons un meilleur !
, ...
Écrit par : le Doc. dit Jean-Pierre Zéni | 13/05/2021
En ce jeudi je dis :
https://thiefaine.com/livre-dor/comment-page-27/#comment-174557
, ...
Écrit par : le Doc. dit Jean-Pierre Zéni | 13/05/2021
Pour le moment, pareil, je laisse décanter. Je veux passer du temps seule avec cette nouvelle chanson et attendre...
En revanche, je peux déjà dire que je suis toujours sidérée par la complexité et la richesse de l'écriture de Thiéfaine : comme il cite, entre autres, Telemann dans "Page noire", j'ai passé la matinée à chercher des renseignements sur ce musicien né à Magdebourg. Est de l'Allemagne, donc, coin qui m'est particulièrement cher puisque j'y ai vécu et étudié il y a ... fort longtemps ! Bref, je fouine, je fouille, et voilà que je tombe sur une vidéo dans laquelle il est question de l'autobiographie de Telemann : on y apprend que ce dernier avait pour habitude de retravailler régulièrement ses écrits. Une écriture faite de strates, où les ratures laissent quand même deviner les versions antérieures... Palimpseste encore...
Écrit par : Katell | 13/05/2021
« On en finit jamais d’écrire la même chanson »...
Écrit par : Bételgeuse | 13/05/2021
@ Bételgeuse [ mes hommages :-) ]:
Effectivement, ou la chanson de la vie !
, de plus renforcée par SA structure ..
, ...
Écrit par : le Doc. dit Jean-Pierre Zéni | 13/05/2021
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