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02/02/2022

Grand Rex, deuxième billet !

"Le souvenir du bonheur n'est bénéfique que lorsque celui qui se souvient est encore heureux. Dans le malheur il n'est pas une consolation ou un refuge, mais la brûlure d'un regret sans espoir". Claude ROY

 

Arriver dans ma salle de classe et sentir que les idées fusent dans ma tête pour un deuxième billet consacré au concert du Grand Rex. Purée, c'est tout moi, ça. Et un des petits drames de ma vie : devoir régulièrement refouler mes désirs d'écriture au profit de tout le reste. Bref...

Hier, après avoir publié ici un premier billet sur le concert de samedi soir, j'ai dû partir bosser et me presser un peu ! Juste avant d'accueillir mes élèves, j'ai griffonné sur une feuille les idées qui m'étaient venues dans la voiture, sur le trajet domicile-boulot ! Envie soudaine d'écrire un truc plus enflammé que ce que je venais de déposer sur le Cabaret. Un truc débordant de gratitude, dégoulinant même si besoin ! C'est qu'Hubert et son équipe le valent bien, bon sang !

D'abord, je dois dire que je suis reconnaissante à la chance qui, m'ayant lâchée durant tout le mois de janvier, a fini par me repêcher de justesse quelques jours avant le concert. C'était inespéré. Et nécessaire. Ayant quelques soucis de santé, je reste persuadée que les concerts de Thiéfaine me sont plus que jamais force vitale ! Il a raison, Hubert : face aux vicissitudes de l'existence, face à tous ces machins qui nous malmènent rien que, semble-t-il, pour tester notre capacité de résistance, il faut des rêves solides. Des points d'ancrage, des balises dans l'obscurité. Depuis trente ans, l'une de mes balises (n'ayant jamais connu une seule mutation), c'est justement ma passion pour l'œuvre d'HFT. Jamais je n'aurais imaginé, au moment où elle prit naissance en septembre 1992, qu'elle m'accompagnerait si loin dans ma vie. Je pense même pouvoir dire qu'elle ne partira qu'avec la bonne femme, comme disait ma mère à propos de certains de ses défauts ! Il y a trente ans, un ascenseur soudain apparu dans la fange noirâtre d'un précipice venait littéralement me sauver. J'étais totalement paumée, l'existence me gênait aux entournures. Je la trouvais toujours trop étroite, trop pas comme je l'avais voulue. Et donc, inopinément, cet ascenseur nommé Thiéfaine. Et ces chansons qui me parlaient d'un mal-être existentiel qui avait quelques points communs avec le mien... L'œuvre tout entière (déjà conséquente à l'époque) me prouvait du même coup qu'on pouvait se réparer par l'art. Sublimer sa déréliction en l'emmenant se faire voir ailleurs ! Là encore, je ne peux être que reconnaissante.

Retour sur samedi soir. Tout de même, nous sommes gâtés avec cette setlist qui nous permet une belle navigation dans l'œuvre d'HFT. La queue est sans doute le morceau le plus inattendu sur cette tournée. Évadné a raison : de nombreuses chansons entrent en résonance avec notre drôle d'époque. Merci à Hubert, encore une fois, merci de nous rappeler une chose que la même drôle d'époque (ou plutôt ceux qui la peuplent) a tendance à oublier : nous sommes tous cousus dans la même étoffe. « De race humaine, de nationalité terrienne ». Joie de retrouver une intelligence qui ne reste pas figée au sol, qui voit plus grand que ses « villes natales et frenchitude » !

Joie, également, de voir les musiciens se donner à fond sur scène. Ils passent tous allègrement d'un instrument à un autre, insufflant à chaque fois un peu de leur âme à tout ce qu'ils touchent. À ce niveau-là, c'est plus que de la maîtrise, c'est de la magie ! Et la voix et les mots d'Hubert là-dessus. Le rendez-vous de la parfaite osmose !

Après avoir quitté le Grand Rex, je suis allée rejoindre Seb et deux de ses amis à la terrasse d'un café, le Marie Belle. Plaisir de partager des impressions sur ce que nous venions de vivre, sur le dernier album, sur l'ensemble de la carrière d'HFT. Pour moi, ces moments-là sont tout aussi importants que les concerts. Ils font partie du truc. J'ai dit plus d'une fois combien j'aimais zoner devant les salles de spectacle bien avant qu'elles ne s'animent. Et après aussi. D'ailleurs, il faut absolument que je revienne sur la rencontre que j'ai faite vers une heure de matin : ce couple qui venait de découvrir Thiéfaine et en avait des étoiles plein les yeux et plein la bouche ! J'attends le bon moment pour pondre le billet qui tentera de leur rendre hommage.

Pour en revenir au dernier album, celui qui fâche certains, celui qui ravit les autres, bref celui qui ne laisse personne indifférent : là aussi, nous ne devrions être, à mon avis, que reconnaissance. Thiéfaine nous a offert ici un sacré coup d'audace. Coup de maître à mes yeux. Punaise, réjouissons-nous, bordel : ce n'est pas donné à tous les artistes de se renouveler de fond en comble après plus de quarante ans de carrière ! C'est marrant, ce qui m'est arrivé avec Géographie du vide. C'est un album qui m'a d'abord totalement désarçonnée. Première écoute déstabilisante. Mais ça a fait comme avec la clope quand j'avais onze ans : ayant pris une première Marlboro, j'avais d'abord senti ma tête tourner. C'était un écœurement et pas l'enchantement espéré. Je me suis dit que ce n'était pas possible, une déception pareille. J'ai rallumé une cibiche dans la foulée, et celle-là fut bonne. Voilà comment je me suis créé alors une addiction dont je ne devais me défaire que bien des années plus tard. Pour Géographie du vide, ce fut un peu le même topo : pas d'écœurement, bien sûr, mais un immense étonnement dont je ne savais que penser. Je me suis dit que je ne pouvais pas en rester là. J'ai de nouveau appuyé sur « play ». Et là, une claque. J'adoptai d'emblée tous les morceaux, même La fin du roman que j'avais d'abord jugée insipide. N'importe quoi ! Ça m'apprendra à fermer ma gueule au lieu de l'ouvrir prématurément ! Désormais, Géographie du vide m'est nécessaire, totalement. Je ne peux pas passer une semaine sans l'écouter !

 

Bon, ben, voilà encore un billet qui prouve que quand il s'agit d'HFT, je ne suis pas vraiment la reine de l'objectivité !!!

 

 

01/02/2022

Grand Rex, grand rêve !

"Espérons. Nous n'avons pas le choix". Simone DE BEAUVOIR.

 

Sur scène, l'éclat d'un certain nombre d'instruments de musique. Dans la salle, des décors un peu oniriques et un plafond imitant un ciel étoilé. Des sièges moelleux. Sur ces mêmes sièges, des gens masqués. C'est donc dans les yeux qu'il faudra aller cueillir les étincelles. Me voilà plutôt bien placée : orchestre, H23. Huitième rangée, donc. Enfin prête pour un délicieux embarquement dont j'ai bien cru que le guignon de janvier allait me priver. J'ai eu chaud. À un moment donné, quand même, je voyais le Grand Rex s'éloigner de plus en plus, comme un Eldorado vertigineusement inaccessible. Ce n'est que lundi dernier que mon médecin m'a déclarée apte à reprendre le travail. Dans la foulée, je me suis moi-même déclarée apte à me rendre à Paris ! De justesse, vraiment ! Jamais je n'avais eu aussi peur de devoir renoncer à un concert !

Armand Méliès ouvre le bal. Vous m'excuserez si je ne dis pas grand-chose de sa prestation. Il ne faut pas m'en vouloir, mais les premières parties d'HFT ne trouvent en général que très peu de grâce à mes yeux. C'est que j'ai déjà l'esprit tout entier tourné vers le graal, celui que j'attends depuis de longs mois. Je piaffe, je m'impatiente (au fond des starting-blocks), je trépigne. Ça y est, il est presque l'heure, Méliès s'en va. Je lui reconnais du talent, de beaux textes et une jolie voix, mais j'ai prêté une oreille distraite à ses chansons, sorry. Il faudra que je me penche plus sérieusement sur son œuvre, seule chez moi, sans Thiéfaine pour lui faire de l'ombre !

Ça s'agite et s'affaire sur la scène. Les instruments n'attendent plus que les âmes enflammées et les mains habiles qui les ramèneront à la vie. Autour de moi, des voix réclament Hubert, à cor et à cri. Ce qu'on est bien entre gens qui se comprennent ! Et les voilà, nos enchanteurs, arrivant un à un, je ne sais plus dans quel ordre. Lucas Thiéfaine, Frédéric Gastard, Christopher Board, Jean-François Assy. Et lui, last but not least : Hubert, auréolé comme toujours du charisme qui le caractérise. Je souris sous mon masque, je frissonne dans ma carcasse et même, avouons-le, je tremble un peu. Tellement heureuse d'être là, moi qui ai cru, j'insiste, que ce Grand Rex garderait à jamais des allures de grand rêve inatteignable. Une entrée sur La ruelle des morts. C'est assez inattendu. Pour moi, en tout cas. J'avais imaginé Page noire ou encore Du soleil dans ma rue, mais va pour La ruelle des morts, c'est très bien ! Auparavant, HFT nous a mis au parfum : pas de grands discours, nous y aurons droit plus que de raison dans les mois qui viennent (ah oui, c'est vrai, merde, j'avais oublié). Place à la musique, c'est très bien ! Et donc, oui, La ruelle des morts, que j'ai toujours aimée pour la force des images qu'elle véhicule. Les bidons en fer blanc dans l'odeur des soirs de juillet, j'ai bien connu, moi aussi, dans le petit village lorrain où s'ennuyait mon enfance. Le bourdon qui résonne au clocher de la nostalgie, j'en suis une habituée ! Les deuils qui se ramassent à la pelle ? Impression de déjà-vu là aussi. Dès le début du concert, je craque pour les arrangements subtils qui ont été choisis. La ruelle des morts s'étire plus lentement que d'habitude, et c'est beau.

Nous voilà en balade dans le répertoire de Thiéfaine. Passant d'une période à une autre, d'une ambiance à une autre. Pas un temps mort, pas un accroc dans la grâce absolue qui préside à l'ensemble. Je suis tout aussi ravie d'entendre les chansons du dernier album que celles qui remontent au siècle dernier. Les merveilleuses surprises du siècle dernier à mes yeux ? 542 lunes et sept jours environ (et je note qu'en ce soir de Grand Rex Hubert prononce parfaitement tous les « e » finaux de « meine kleine Mutter, mehr Licht » !), Ad orgasmum aeternum, Juste une valse noire, La ballade d'Abdallah Geronimo Cohen (avec de superbes orchestrations), Pulque mescal y tequila, La queue (alors celle-là, l'avoir en concert, quel pied !), Animal en quarantaine et Vendôme Gardenal Snack, la majestueuse. Les merveilleuses surprises datant d'une époque moins lointaine ? Petit matin, toujours aussi renversante, un effondrement mis en chanson (et quelle chanson !) et les morceaux tirés du dernier album. Pour lequel je tiens à réitérer mon engouement. Il a suffi de deux écoutes pour que je sois archi conquise ! Géographie du vide (ça ne va peut-être pas plaire à tout le monde, mais je m'en moque), c'est une œuvre que je situe, dans ma cartographie personnelle, à quelques minuscules encablures d'Alambic ou de Soleil cherche futur. Avant d'interpréter La fin du roman, Hubert évoque les Victoires de la musique à venir* et envoie un léger coup de griffe à ceux qui ont dit, de manière un peu lourdingue parfois, qu'ils n'aimaient pas le dernier album. Figurez-vous que j'ai rêvé de ce truc cette nuit, ça a dû me marquer ! Je me retrouvais à papoter avec Hubert (c'est sûr, c'est tout à fait mon genre, cela m'arrive quotidiennement !) et il me disait que cette fois, contrairement à son habitude, il avait épluché tous les réseaux sociaux afin de savoir ce qui s'y disait sur Géographie du vide. Ajoutant qu'il avait retenu point par point chaque commentaire incisif, chaque démontage de ses dernières chansons. Sincèrement, quelle mocheté, ces réseaux sociaux, quand ils servent à répandre de la boue. Qu'on n'aime pas tout dans le répertoire d'un artiste, voilà qui me semble assez normal, mais pourquoi donc aller déverser son fiel sur la toile ? Bref...

Autre petit coup de griffe, me semble-t-il, en direction de Voulzy cette fois. Vous savez, avant de chanter Lorelei, Hubert dit qu'il ne suffit pas de prononcer certains noms pour faire un tube, puis il précise que ce n'est pas dans une cathédrale qu'il a rencontré la femme qu'il va évoquer dans la chanson suivante. Sachant que Voulzy a désormais sa Loreley, lui aussi (avec, cependant, une différence dans la graphie) et qu'il a fait dernièrement une tournée des cathédrales, je me dis qu'il y a sans doute un lien. Dites-moi si je suis à côté de la plaque. À propos de Lorelei, tiens : j'ai trouvé que le saxophone lui conférait encore plus de lascivité. La sensualité poussée à l'extrême : un délice ! C'est dingue comme les instruments de musique peuvent faire passer les chansons d'un « costume » à un autre, pliant les mélodies à ce qu'ils veulent bien en faire. C'est leur volonté qui prime ! La tournée actuelle le montre bien. La musique, un art mineur ? Loin de là ! Plus que tout, j'aime les orgies qu'engendre la communion exacerbée de plusieurs instruments, quand ils s'emballent comme des barges !

Rien à dire de plus, je suis subjuguée. Encore portée par ce que j'ai vécu samedi soir. De quoi je rêve pour les mois à venir ? Eh bien d'une rebelote ! Je veux exactement la même chose en avril et en mai, à Vittel, à Bar-le-Duc, à Thionville et à Neuves-Maisons ! De quoi je rêve pour la tournée Replugged ? D'entendre tous les autres morceaux de Géographie du vide, tous, sans exception ! Et je rêve aussi, soyons fous, d'un petit Maalox Texas Blues s'offrant en cerise sur le gâteau !

 

 

* Géographie du vide est nommé dans la catégorie « album de l'année ».

19/01/2022

"En ma fin gît mon commencement"...

"Rien ne sert à celui qui possède un cœur fougueux que le monde extérieur lui offre paix et bonheur, sans cesse se créent en lui-même de nouveaux périls et de nouveaux malheurs". Stefan ZWEIG, Marie Stuart.

 

Dans une interview assez récente d'Hubert-Félix Thiéfaine, j'ai appris que la chanson Fotheringhay 1587 lui avait été inspirée par sa lecture de la biographie que Stefan Zweig avait consacrée à Marie Stuart. C'était assez pour me donner envie de lire ce livre, d'autant queZweig est un auteur que j'aime particulièrement !

Voici le résumé que l'on trouve sur la quatrième de couverture : Reine d'Écosse à l'âge de six jours, en 1542, puis reine de France à dix-sept ans par son mariage avec François II, Marie Stuart est veuve en 1560. Elle rentre alors en Écosse et épouse lord Darnley avant de devenir la maîtresse du comte Bothwell. Lorsque ce dernier assassine Darnley, Marie doit se réfugier auprès de sa rivale, Élisabeth Ire, reine d'Angleterre. Celle-ci la retiendra vingt ans captive avant de la faire condamner à mort. Son courage devant le supplice impressionnera les témoins, au point de métamorphoser celle que l'on disait une criminelle en une martyre de la foi catholique. Sur cette figure fascinante et controversée de l'histoire britannique, Stefan Zweig, le biographe de Marie-Antoinette, a mené une enquête rigoureuse. Ce récit passionné et critique nous la restitue avec ses ombres et ses lumières, ses faiblesses et sa grandeur.

 

Le livre de Stefan Zweig nous entraîne dans les abîmes des passions humaines et une multitude de complots politiques. De tout cela, ainsi que d'une foule de péripéties inattendues, se tisse le destin de Marie Stuart. Il est franchement impossible de faire un résumé de l'ouvrage de Zweig. Le mieux est encore de le lire !

En tout cas, le chapitre qui précède l'épilogue s'intitule En ma fin est mon commencement. J'en recopie quelques passages ici, ça peut toujours servir à la compréhension de la chanson !

 

« En ma fin est mon commencement » : cette parole dont le sens, alors, n'était pas encore très clair, Marie Stuart l'avait jadis brodée sur une étoffe. À présent sa prédiction va se réaliser. Sa mort tragique rachètera aux yeux de la postérité les fautes de sa jeunesse, elle leur donnera un tout autre caractère, elle sera en vérité le début de sa gloire.

(…)

Marie Stuart utilise ses derniers moments avec un sang-froid et une mesure qui autrefois lui étaient, hélas ! étrangers. Grande princesse, elle veut une mort grandiose, et avec son sens parfait du style, qui toujours la distingua, avec son goût artistique et héréditaire et sa dignité innée au moment du danger, elle prépare son trépas comme une grande cérémonie, une fête, un triomphe. Rien ne doit être improvisé, abandonné au hasard, à l'humeur du moment ; tout doit être calculé, d'un effet imposant, d'une royale beauté. Chaque détail a sa place comme une strophe touchante ou puissamment émouvante dans le poème héroïque d'une mort exemplaire. Pour avoir le temps de recueillir ses pensées et d'écrire tranquillement les lettres nécessaires, Marie Stuart a commandé un peu plus tôt que d'habitude son repas, auquel elle donne la solennité d'une cène. Après avoir mangé, elle réunit autour d'elle tous ses serviteurs et se fait passer une coupe de vin. Gravement, mais le visage serein, elle lève le calice au-dessus de ses fidèles, qui tous sont tombés à genoux. Elle boit à leur santé et les exhorte ensuite à rester dévoués à la religion catholique et à vivre en paix entre eux. Elle leur demande pardon à tous, individuellement – on dirait une scène de la Vie des saints – des torts que, consciemment ou inconsciemment, elle a pu avoir envers eux. Alors elle remet à chacun d'eux un souvenir : des bagues, des joyaux, des colliers et des dentelles, toutes ces petites choses précieuses qui ont autrefois orné et égayé sa vie. Ils reçoivent ces présents à genoux, en silence ou sanglotant, et la reine, malgré elle, est remuée jusqu'aux larmes par la déchirante affection de ses fidèles.

15/01/2022

Chenôve, Clermont-Ferrand, Voiron, Besançon !

"Le spectacle du monde d'aujourd'hui, dans son insanité ahurissante, serait également très drôle s'il n'était terrifiant. Imaginez qu'au lieu d'en être un des acteurs involontaires vous soyez seulement spectateur. Assis sur la Lune, vous regardez la terre avec de grosses jumelles comme aux courses. Que voyez-vous ? Une maison de fous". René BARJAVEL

 

 

Il faut bien peu de choses pour perturber une vie humaine, et ce n'est sûrement pas Hubert qui me contredirait. La frontière est ténue qui sépare l'ordre du chaos, la tranquillité de l'emmerdement maximal... Parfois, le corps se met à déraisonner sans avoir crié gare. Un matin, vous vous levez et c'est le grand chambardement dans vos cellules. Toute maîtrise vous échappe. Et puis, et puis, peu à peu, avec quelques coups de pouce savamment administrés à votre faiblesse, ce corps qu'on a été tenté un moment de considérer comme un ennemi se remet à vous obéir. Le voilà même qui va puiser dans les ressources insoupçonnées dont il dispose, et c'est reparti pour un tour !

Quand je pense qu'avant le début de la tournée des quarante ans, j'avais pour seule hantise un mauvais rhume ou un petit dérèglement gastrique ! Cette fois, l'heure est plus grave, et j'ai peur de retomber soudain dans cet état qui a fait de moi, presque une semaine durant, une marionnette impuissante sur un lit d'hôpital. J'ai peur de croiser le coronavirus sur la route qui me sépare du concert au Grand Rex et que ce crétin ait l'extrême indélicatesse de m'attaquer. Purée, ça en fait des obstacles à surmonter avant le jour J ! Que de bombes H à désamorcer ! Cette fois, il me faut invoquer, en plus du Seigneur fou des bacchanales et de Wakan-Tanka, le fox à poil dur, en espérant la clémence de tous les trois. Peut-être faut-il que je leur taxiphone d'un pack de Kro la moindre de mes craintes ? Que je leur envoie un recommandé avec accusé de réception ?

Je sais, je sais, d'aucuns me rétorqueront que j'ai vu Hubert plus souvent qu'à mon tour et que louper une date ou deux sur la tournée qui vient de démarrer ne serait pas plaie mortelle. Oui, mais plus souvent qu'à mon tour, ce n'est pas encore assez. Plus souvent qu'à mon tour, ce n'est, finalement, qu'une moyenne d'une fois par an depuis la naissance. Je crois que c'est ça. J'ai arrêté les comptes pointilleux il y a quelques années, mais, à la louche, il y a comme une histoire de 48 concerts pour 48 années de vie. Et j'aimerais que l'année 2022, hautement symbolique à mes yeux puisqu'elle marquera mes trois décennies de compagnonnage avec Hubert, me permette de prendre quelques foulées d'avance. C'est toujours bien, les foulées d'avance. Il faut être prévoyant en cette vie où l'on ne peut rien prévoir !

Bon, bref, assez parlé de mon nombril, je crois savoir que les trois premiers concerts de la tournée (Chenôve, Clermont-Ferrand et Voiron) ont allumé des étoiles (à jaillissement durable) dans les yeux de ceux qui ont eu la chance d'y assister. Théoriquement, je devais me tenir éloignée de tout réseau social ou site susceptible de m'éclabousser d'infos malencontreuses. Comme pour la tournée des 40 ans, je voulais arriver au Grand Rex comme on débarquerait, le pied ému (oui !), sur une terre inconnue. Bon, sur mon lit d'hôpital dimanche soir, je n'ai pas pu résister : j'ai pulvérisé la promesse que je m'étais faite à moi-même. La vie est semée d'imprévus qui vous sautent à la gueule, c'est un fait. Et vous voilà jurant qu'il ne faut jamais dire jamais, vous qui trouviez jusqu'alors ce proverbe un tantinet ridicule. Ce qui prouve aussi que jamais il ne faut dire qu'on n'emploiera jamais ce genre de proverbes !!!

Donc, je sais tout, mais je ne trahirai rien. Je sais comment s'ouvre le grand bal de cette tournée Unplugged, je sais qu'elle est magistrale et qu'elle risque de m'arracher quelques frissons et sans doute aussi quelques larmes.

Ce soir, c'est Besançon. Alors que les verres de vin jaune se lèvent dans un merveilleux fracas et qu'en terre franc-comtoise le plus beau des accueils soit réservé à l'enfant du pays !

01/01/2022

Vœux pour 2022

"J'ai deux pieds

L'un patauge dans la boue

Et l'autre

Dans l'abîme". Paul VALET

 

Je sais, c'est rêveur et peut-être même démesurément optimiste d'espérer mieux, plus grand, plus beau, de chaque nouvelle année qui commence. Avec le temps, comme tout s'en va (c'est bien connu), j'ai plutôt appris à appliquer la méthode thiéfainienne qui consiste à « inespérer » (cf. stratégie de l'inespoir) ! Moins de risques de déconvenues, plus de chances d'être agréablement surpris(e). Chaque année apportera avec elle, quelle que soit l'énergie de nos espérances, son lot de tristesses, d'emmerdements et de deuils. C'est un fait indéniable, n'est-ce pas, à quoi bon s'aveugler ?

Pourtant, bien que méfiante par nature devant tout nouveau calendrier encore vierge (c'est moi qui ai inventé l'optimisme), me voilà piégée malgré moi... Dans huit jours, s'ouvrira la nouvelle tournée d'HFT et je ne peux m'empêcher de prier le Seigneur fou des bacchanales et/ou Wakan-Tanka, c'est selon l'humeur du jour. « Faites qu'aucun concert ne soit annulé, ni même reporté », me dis-je à peu près toutes les minutes. Parenthèse : reporté, d'accord, à la rigueur, ce serait moindre mal, mais moi, en mon for intérieur, j'ai déjà commencé à me préparer, à m'habiller le cœur, comme disait Saint-Exupéry. S'il faut remettre à plus tard la séance d'habillage, ça va vraiment me gonfler. Et alors, si, pour je ne sais quelle raison, une date vient à être annulée et pas reportée, là je vais carrément me fâcher avec le Seigneur fou des bacchanales et/ou Wakan-Tanka. Sans doute avec les deux, tant qu'à faire ! Non mais ! La mauvaise plaisanterie covidienne a assez duré. On veut des artistes sur scène, transpirant devant nous comme au bon vieux temps. Pour ce qui est d'HFT, on veut visiter toute la discographie, toute la panoplie d'ambiances, aller de la plus feutrée à la plus rock'n'roll qui déchire sa race. On veut en redemander jusqu'à extinction des feux. Je ne dis pas jusqu'à plus soif, parce qu'en ce qui me concerne, plus soif et HFT = impossible duo !

On veut une année 2022 qui nous fasse décoller de nos foutues charentaises. On les a trop vues, celles-là, ainsi que l'horizon rétréci auquel elles nous condamnent. On veut reprendre la route, le cœur complètement chamboulé à l'idée de retrouvailles attendues comme un rendez-vous d'amour, les inconvénients du rendez-vous d'amour en moins !

On veut une année 2022 qui chante, qui danse, qui bouge.

Allez, un peu de rêve en ce premier janvier où l'on aurait quand même un peu tendance à flipper : je souhaite à Thiéfaine et à ses musiciens de passer les douze mois qui viennent dans un vertige de prises de son, balances, concerts, loges, et tout ce qui va avec. Je souhaite à tous les thiéfainiens, toutes les thiéfainiennes de choper au passage, comme des bienheureux, des gouttes de ce délicieux vertige (je me le souhaite aussi !). Parce qu'il n'y a que ça de vrai ou presque.

04/12/2021

CharlElie Couture et sa fille Yamée étaient à L'Autre Canal (à Nancy) hier !

"Mais il ne reste jamais rien

De ce qui est vécu

Quelques grains oxydés

Sur de la paraffine

Et des souvenirs idiots qui donnent un peu de lumière

Les jours de pluie". CharlElie COUTURE

 

L'art est ce qui donne à la vie cette part de liberté et de sauvagerie qui la rend digne d'être vécue. L'espace de mutinerie dont elle a besoin pour ne pas s'atrophier sur un bout de lorgnette sans horizon. Les artistes sont ces êtres bénis des dieux et dotés d'un supplément d'âme qui rejaillit sur tout ce qu'ils touchent, sur tous ceux qu'ils croisent. Tu passes quelques heures en leur compagnie, et soudain ton fardeau te semble moins lourd, ton existence plus pleine.

Depuis de nombreuses années, je rêvais de voir CharlElie Couture sur scène. Je l'écoute depuis l'année de la troisième. Comme quoi c'est pas d'hier. Un jour, un prof de maths plus subtil que les autres eut l'idée de me mettre entre les mains une poésie incandescente nommée Poèmes rock. Je n'en décrochai plus jamais. Le même prof de maths me fit découvrir aussi Lavilliers et un type dont le nom à tiroirs m'intriguait : Hubert-Félix Thiéfaine. La magie n'opéra pas. Dès le lendemain, après une écoute sans doute bâclée, je rendis à mon prof les deux CD qu'il m'avait prêtés. Véridique et honte à moi ! Mais je ne perdis pas tout quand même. Les Poèmes rock avaient un goût de revenez me voir dans mon fauteuil en cuir aux accoudoirs pelés. Bien sûr, Comme un avion sans aile. Mais pas seulement. Il y avait aussi cet instrumental un peu délirant, Le chant de la colline, dont j'aimais les petits sautillements sauvageons. La ballade de Serge K et cette triste « envie suicidaire dans un hangar désert ». La lancinante Envie de l'eau qui savait si bien dire la torpeur des jours caniculaires. Et ce fauteuil en cuir où tu te croyais confortablement installé et dont le refrain, sans avoir crié gare, venait te décalquer la tête. Cela racontait admirablement ces moments où il ne se passe rien et où le cœur s'emballe d'impatience et de rage.

Il y avait tout cela et plus encore. Il y avait aussi cette voix un brin nasillarde, désinvolte, presque détachée. Et, en parallèle, un certain regard posé sur les êtres et les choses, comme une tendresse. CharlElie devint, comme bien d'autres, un compagnon de route. Mais, jusqu'à hier soir, je ne l'avais jamais vu sur scène. Comme il est d'origine nancéienne et loin d'avoir renié ses racines, il m'arriva de le croiser à plusieurs reprises dans la ville de Stanislas et des bergamotes. Notamment pour des séances de dédicaces. Ce qui me frappa à chaque fois, c'était l'accessibilité du bonhomme. Si bien que j'osai même, un jour, lui demander de poser sur la même photo que moi. Ce que je n'ai jamais fait avec Hubert ! Peut-être parce que j'ai toujours senti que prendre la pose avec moi ou d'autres n'était pas du goût de notre homme. Bref... Il y a deux ans, je crois, CharlElie était au Livre sur la Place, à Nancy, et je lui dis que ne l'avoir jamais vu sur scène faisait partie de mes plus grands regrets. Ce n'était pas un problème pour lui et, avant que je ne m'en aille, il me dit : « La prochaine fois que je passe dans le coin, tu viens me voir, ok ? ».

Chose faite, hier soir. Et alors, pouah, je n'ai pas de mots assez doués pour dire mon admiration. La soirée s'est ouverte sur une prestation d'une des filles de CharlElie, Yamée. La demoiselle a un charisme et un talent fous. Elle arrive et elle prend toute la place. C'est comme ça, ce n'est pas qu'elle veuille prendre toute la place, c'est que les dieux l'ont dotée de ce fameux supplément d'âme dont je parlais plus haut et qui fait de celui qui l'a une sorte de magicien, de celle qui l'a une sorte de charmeuse de serpents. Cela démarrait fort. Mise en bouche à la fois délicate et puissante.

Et puis, et puis, lui. Lui et ses quatre musiciens. Tous parés d'un sourire qui leur monte jusqu'aux oreilles comme un flambeau. La joie d'être là et de mettre à nos pieds le plateau d'argent d'un univers qui n'a pas d'équivalent dans la chanson française. Au passage, CharlElie raconte comment telle chanson ou telle autre lui est venue. J'apprends que La ballade de Serge K (toujours si malheureusement d'actualité) est née d'un fait divers lu dans L'Est Républicain. C'est l'histoire d'un homme qui se laisse mourir dans un hangar. C'est l'histoire d'une solitude si pesante qu'à la fin elle broie.

Heureuse coïncidence, une large part est faite, durant le concert, aux Poèmes rock, ceux-là même qui, l'année de la troisième, me firent souvent remettre les révisions pour le brevet à d'inatteignables calendes grecques. C'est que j'avais mieux à faire. J'avais dans la tête plus de chansons que de dates historiques et de théorèmes, c'était plus fort que moi. La faute à mon prof de maths, que voulez-vous ! À mes yeux, les Poèmes rock valaient bien tout l'or de tous les Albatros du monde !

Bref, je m'égare. Je reviens à hier. Ça fait du bien de voir un artiste qui, à soixante-cinq ans, n'a rien perdu de sa flamme et de sa hargne. Qui t'égratigne en passant une république en marche vers toujours plus d'absurdité. Qui te dit que le passé, oui d'accord, mais d'abord le présent et l'avenir. Se retourner, oui, mais pour mieux avancer. « Le mouvement, c'est la vie », dit-il à un moment donné. Et cela me chavire l'âme. Ma mère disait exactement la même chose, mais dans le sens inverse : « la vie, c'est le mouvement ». Comme quoi, tant que survivra l'art, ce non-essentiel carrément indispensable, il y aura toujours suffisamment d'espace ici-bas pour que les grands esprits se rencontrent !

 

P.S. : Envie de dédier ce billet au quinquagénaire rencontré hier soir, fan de CharlElie Couture comme je peux l'être d'Hubert, et dont la passion m'a bouleversée ! 

21/11/2021

En un mot comme en cent : inattendu !

"Je choisis toujours pour errer sur la terre les lieux où il y a assez de place pour tous ceux qui ne sont plus là". Romain GARY

 

En art, ce qui m'a toujours semblé primordial, c'est l'effet de surprise. Exemple dans le domaine que j'affectionne tout particulièrement : la littérature. Ce que j'aime, ce sont les images qui arrachent le lecteur à sa tranquillité assise, le faisant soudain décoller de son fauteuil. En d'autres termes, thiéfainiens cette fois : trouver la fréquence que je n'attendais pas, voilà quelque chose qui me fait bicher. J'ai rencontré cela chez Gary ou encore Bianciotti. Ces deux-là sont très forts pour mettre côte à côte des mots que l'on croyait définitivement fâchés, impropres à la fusion. J'ai trouvé cela chez Thiéfaine aussi. Notamment sous la forme d'oxymores vertigineux. On peut dire qu'HFT est l'orfèvre de l'oxymore. De « blancs corbeaux » en « noires étendues de neige », en passant par « scandale mélancolique », il y a là tout un théâtre magique où s'associent, tels de majestueux malfaiteurs, des termes que tout semblait devoir renvoyer à jamais dos à dos dans des geôles séparées. Pas de geôles ici, mais plutôt une explosion de liberté ! C'est la magie de l'inattendu. Dans l'œuvre de Thiéfaine, elle occupe une place phénoménale. « Toi qui entres ici, abandonne toute espérance », avertissait Dante. Ramenée à Thiéfaine, cette sentence pourrait être quelque chose comme « Toi qui entres ici, abandonne toute attente ». Il ne sert à rien d'attendre quoi que ce soit ici car, de toute façon, toute attente sera piégée (et n'est-ce pas merveilleux ?), toute zone de confort dézinguée comme il se doit. Façon rock'n'roll. Ainsi en est-il d'un grand nombre de chansons du nouvel album. J'aimerais revenir en particulier sur trois d'entre elles. Ce sont celles qui m'ont le plus déroutée au départ. Au sens premier du terme : « égarer quelqu'un de sa route ». Ça tombe bien : je raffole de ces sorties de route qui font découvrir les bosses du paysage quand la voie toute tracée n'en donnait à voir qu'un plan rectiligne et monotone.

D'abord Nuits blanches. Si l'on s'en tient à la lecture du texte, sans y associer aucune musique (imaginons qu'on ait encore les oreilles vierges de toute écoute), on est en droit d'attendre un ensemble mélancolique. Des accents déchirants, cafardeux. Or, il n'en est rien. Le rythme est enjoué, presque dansant, et la musique tourbillonnante. La première fois qu'on écoute cette chanson, on s'attend à une plongée dans d'obscurs abîmes. On a tout faux. Abandonner toute attente, disais-je. Car le musicien Lucas Thiéfaine joue ici avec l'auditeur comme la lumière, au matin, joue avec les vitraux : tout rythme qui semblerait vouloir s'installer ici est systématiquement démonté. On ne fait que tomber dans autre chose que ce à quoi on aurait pu s'attendre. Et l'adieu que semble véhiculer le texte (« je te laisse en partant mon sourire le plus doux, mes larmes les plus tendres et mes tendres murmures ») est démenti un peu plus loin. Il ne s'agit pas de prendre définitivement congé, il s'agit seulement d'apprendre à redevenir fou. Ouf, on aime mieux ça, d'abord parce que les adieux nous laminent, ensuite parce que la folie nous va si bien.

Prenons maintenant Prière pour Ba'al Azabab. Tiens, on pourrait, pour la qualifier, utiliser un oxymore : prière sacrilège. Ici, on ne frôle pas le blasphème, on y saute à pieds joints, avec cette jouissance qui ne s'offre qu'aux habitués du « rayon des fruits défendus ». Là aussi, musicalement, des ruptures, des claques, des secousses. Des petites strophes relativement pépères (j'ai bien écrit « relativement pépères » !) qui aboutissent en apothéose dans le feu d'artifice d'un refrain déjanté. J'ai écouté ça dernièrement assez fort en voiture, avec une amie, et nous avons fini par éclater de rire, tant était comique notre impression de trimbaler une discothèque où se jouaient de mystérieuses extases !

Enfin, j'en viens à L'idiot qu'on a toujours été dont l'architecture échappant à toute règle un tant soit peu raisonnable me ravit plus encore que les deux chansons précédemment évoquées. Là aussi, je crois que Lucas s'en est donné à cœur joie. Je le soupçonne même d'avoir bien ri à l'avance du petit tour qu'il allait nous jouer en nous livrant ce morceau où l'inattendu côtoie le barge, et sur une longue distance, s'il vous plaît. Cela commence tout doucement, dans une brume tranquille. Et puis voilà que le voyant solitaire du premier vers se met à clignoter sérieusement et même furieusement. Soudain, on ne le contrôle plus ! Le voilà qui imprime un rythme délirant à une musique qui part en roue libre. Là aussi, c'est une discothèque qui se déploie dans une splendeur baroque. Tu crois que, mais en fait non. Abandonne toute attente, toute croyance, je te dis. Ce qui t'est demandé ici est de l'ordre du subtil : il faut que tu viennes là en te dépouillant d'à peu près tout ce que tu connais. Que tu foules innocemment cette terre inconnue en refusant d'avance de la comparer à d'autres sols familiers.

« Après les ovations du dimanche des rameaux » marque une césure dans le morceau. On croirait soudain avoir affaire à un cantique d'église … si ce dernier n'était pas très vite envahi par de folles saccades qui transforment la musique en une orgie d'on ne sait plus trop quelle nature. Ah, que c'est bon ! Divin, même, tiens !

Et le plus surprenant a été gardé pour la fin : Thiéfaine se mue ici en sublime orateur revenu de toutes les transes (ou fonçant droit dessus, là non plus on ne sait plus trop). Ça monte, ça monte, ça monte encore, et paf, ça redescend brutalement. Puisqu'ici le silence a (et est) le dernier mot, le voilà qui impose sa loi : que plus rien ne bouge, et place à un autre monument de l'album : Combien de jours encore.

Impossible de le cacher : depuis le 8 octobre, je suis sous le charme de Géographie de vide. Je ne m'attendais pas à de telles étincelles. De bout en bout, on sent que l'équipe qui a travaillé sur ce joyau s'est éclatée. C'est audacieux, c'est espiègle, c'est désobéissant. Et moi je retrouve l'émotion de mes 19 ans, celle qui, lorsque je découvris Thiéfaine, me transbahuta fort loin, dans un autre monde. Ce n'est tout de même pas mal de pouvoir s'offrir ainsi, inopinément, une cure de jouvence !

26/10/2021

Figures libres

"Dans la zone onirique où je gare ma planète

un vieux cadran fossile mesure le temps perdu". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Le lundi qui a suivi la sortie de Géographie du vide, un de mes collègues, croisé devant le portail du collège où je bosse (et où, parfois, j'ai plutôt l'impression de perdre ma vie à la gagner), m'a abordée de la sorte : « Une question me brûle les lèvres : comment est le dernier Thiéfaine ? ». Ce à quoi j'ai répondu : « Écoute, personnellement, j'adore, mais je ne suis peut-être pas la mieux placée pour en parler. Disons que je ne suis pas forcément objective ». Au fil des jours et des semaines, lisant ici et là les différents commentaires suscités par ce que certains qualifieraient volontiers d'objet du délit, quand moi je parlerais plutôt d'objet du délice, je me suis forgé une petite idée parmi bien d'autres : nul n'est objectif quand il parle de Thiéfaine, en tout cas parmi les gens qui le suivent depuis des décennies. J'ai rarement vu cela ailleurs. Il y a comme une frénésie, frôlant parfois l'absurde. C'est un fait : Hubert déchaîne les passions. Sans doute est-ce le propre des grands de ce monde, de ceux qui semblent miraculeusement pouvoir échapper à l'appellation « communs des mortels ».

À propos de cet album, j'ai lu, comme vous, je pense, tout et son contraire. Suivis, le tout et le contraire, de commentaires disant eux aussi tout et son contraire. Et ainsi de suite jusqu'à épuisement des arguments. Parfois jusqu'à empoignade virtuelle.

Alors, ce dernier album, c'est du Thiéfaine ou c'est pas du Thiéfaine ? C'est Thiéfaine reniant Thiéfaine, c'est Thiéfaine caricaturant Thiéfaine ? Oui, j'ai lu cela aussi, quelque part. Et cela m'a passablement contrariée. Qu'on n'aime pas une œuvre me semble tout à fait envisageable, mais qu'on aille la salir, la dézinguer, la bousiller sur cette place publique que sont désormais les réseaux sociaux : non ! Dans le village où j'ai passé mon enfance, les anciens disaient toujours : « Si tu n'aimes pas la soupe, c'est ton droit, mais n'en dégoûte pas les autres ». Sagesse populaire, certes, mais sagesse élémentaire.

Bon, il se trouve que pour ma part, j'ai été chanceuse et que je n'ai eu besoin que de quelques écoutes pour entrer dans ce nouvel album. Aujourd'hui, j'en aime toutes les chansons, toutes les couleurs, toutes les ambiances. C'est un véritable patchwork. C'est sûr, il peut requérir un peu de temps et de patience. Ce n'est pas l'album qui s'offre facilement, comme ça, en un tour de main. Et dire que certains peuvent avoir vu là-dedans un coup de commerce ! Il faudra m'expliquer ! Je répète ce que j'ai déjà écrit plusieurs fois ici (et même ailleurs) : je ne vois dans Géographie du vide que l'expression d'une audace folle. Je parlerais volontiers de témérité. Thiéfaine aurait pu se caricaturer, il aurait sans doute fait cela très bien, avec un peu d'entraînement, mais je crois que ce n'est pas le genre de la maison. « On n'en finit jamais d'écrire la même chanson » : même pas sûr !

Je vous livre ces lignes après avoir, ce soir encore, écouté l'album. Et après en avoir savouré toutes les infinies nuances. J'ai pleuré quand j'ai entendu Reykjavik. Cette chanson me bouleverse parce que oui, le cœur a ses raisons que soi-même on ignore. J'ai encore pleuré en entendant Combien de jours encore. Les paroles de cette chanson sont d'une complexité virtuose : elles disent tour à tour l'espèce de nostalgie qui peut vous étreindre quand on imagine la fin et le soulagement qu'on est en droit d'attendre de cette même fin. On peut ne pas follement aimer la vie, mais lui reconnaître tout de même quelques petits avantages.

Alors, ce dernier album, c'est du Thiéfaine ou c'en est pas ?! Je n'ai pas vraiment répondu à la question, mais pour moi il est évident que c'est trois fois oui. Géographie du vide, c'est Thiéfaine refusant d'aller dans le sens du courant, comme toujours. Il n'a jamais été, je crois, l'artiste des figures imposées. Toujours celui des figures libres, lui-même en étant une, et pas des moindres, non mais !