21/07/2022
Joyeux anniversaire, Hubert !
"L'œuvre, nourrie de la vie, plus grande que la vie". Gaëlle JOSSE
Depuis ce matin, zéro heure, c'est l'avalanche sur les réseaux sociaux : Joyeux anniversaire, Hubert, happy birthday, mister Thiéfaine, ça fleurit un peu partout. Tant il est vrai que 74 ans, ça s'arrose ! Encore plus qu'une 2721ème cuite. Je trouve !
Toujours sur les réseaux sociaux, j'ai lu ceci : « Joyeux anniversaire à notre Hubert national ». L'épithète lui va bien, n'est-ce pas ? Une semaine après la fête de la prise de la Bastille, le voilà qui se pose là, en héros, notre Hubert : plus national encore que la fête du même nom ! Je trouve !
Parallèlement à ces hommages en pagaille, je repense à une question que notre Jurassien tant aimé se pose dans une chanson du dernier album (dont je n'ai pas fini de dire du bien, croyez-moi) : « Est-ce que je ne suis qu'une erreur ? ». J'ai la réponse, et je pense que plusieurs ajouteraient la puissance de leur voix à la mienne s'ils devaient remplir un questionnaire à choix multiple du type :
□ Oui.
□ Non.
□ Sans avis.
Pour coller à l'air du temps (si triste, si bancal à de nombreux points de vue), je dirais que la question est vite répondue ! Désolée pour l'hérésie grammaticale, mais elle a le mérite d'être marrante !
Non, on n'est pas une erreur quand chacune de nos apparitions suscite une joie mêlée de ferveur. Non, on n'est pas une erreur quand on peut regarder sans rougir une carrière sur laquelle tout le monde n'aurait pas parié il y a encore quatre décennies. Depuis, celles-ci (les décennies) se sont enchaînées, entraînant dans leur sillon les fidèles de la première heure, puis leurs amis (voire ennemis), puis leurs conjoints respectifs à tous (voire amants), puis leurs enfants et amis (voire ennemis), parfois même leurs petits-enfants et amis (voire ennemis). HFT ou la preuve vivante que la pérennité peut être de ce monde. Que tout n'est pas que sables mouvants en cet ici-bas déglingué. Mon père, autre héros national de moindre renommée, ne disait-il pas « l'important c'est de durer » ? C'est le défi qui nous est imposé à tous et que tous ne relèvent pas. C'est le défi qu'Hubert a su relever avec un brio qui lui est propre. Déjouant très vite les pronostics aux accents de Cassandre (« T'as pas le droit de chanter », par exemple). S'engouffrant majestueusement, avec son public, dans l'incroyable magie des vases communicants : « Suis-moi, je te suis », voilà ce qu'ils se sont dit d'emblée, se le répétant année après année, album après album. La fidélité de l'un engendrant, telle une nécessité absolue, la fidélité de l'autre. Et vice-versa jusqu'à on ne sait quelle limite. On ne veut pas savoir. Et dire que moi aussi je baigne dans ce vertigineux mouvement, depuis bientôt trente ans. M'étonnant d'avoir été, sur ce coup-là, d'une fidélité exemplaire. Irréprochable, vous dis-je. Participant comme tant d'autres à la folie d'un brasier jamais éteint. Refusant d'oublier qu'à une époque sombre de ma vie, HFT fut le radeau qui me ramena sur la rive, m'évitant le naufrage. Mieux qu'un ascenseur au fond d'un précipice.
Non, en aucun cas on n'est une erreur quand, sans le savoir, on a aidé certains à se tenir debout contre tous les vents mauvais. Quand on est le compagnon inébranlable de tant de vies. Quand, à l'aube de ses 74 ans, au lieu de s'adonner comme d'autres à la facilité des redites, on va chercher encore plus loin, ailleurs, offrant à son public une œuvre (Géographie du vide) pas commode au prime abord. Au prime abord seulement. Je trouve !
Alors oui, pour tout cela et plus encore, merci HFT, et joyeux anniversaire !
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26/06/2022
Sarreguemines, 27 octobre 1995
"Je suis fatigué, mon moral se prend pour l'hiver". André BLANCHARD
27 octobre 1995, voilà une date que je n'oublierai jamais. J'en chéris le souvenir et il me le rend bien puisqu'il m'accompagne, tenace, sans jamais me faire faux bond. Il me suffit d'accomplir un petit effort (pas vraiment contraignant de surcroît) pour que me revienne avec précision la substance de ce jour-là. C'est que ce 27 octobre 1995, je vais voir Hubert-Félix Thiéfaine pour la première fois de ma vie. Je ne sais plus comment j'ai eu vent de ce concert à une époque (pourtant pas si lointaine, somme toute) où les nouvelles ne circulaient pas sur Internet. Sans doute fut-ce à la faveur d'une affiche ou d'un article de journal.
Une chose est sûre : ce concert, je ne peux pas passer à côté ! Il est évident que je dois y aller, c'est carrément une loi. Un devoir. J'en parle à mes parents, chez qui je vis encore. Je leur demande de bien vouloir me prêter leur voiture pour que je puisse me rendre à ce concert qui a lieu à Sarreguemines, c'est-à-dire à environ 70 kilomètres de la maison. Mes parents, d'une seule voix, opposent un non catégorique à ma requête. Qui se transforme en supplications baignées de larmes. La raison de leur refus ? J'ai obtenu mon permis de conduire en 1993, mais je suis partie faire mes études à Leipzig dans la foulée, et je n'ai pas conduit une seule fois depuis. Pour mes parents, l'affaire est réglée : pas question que je me rende à ce concert avec leur voiture. Je deviens mauvaise. Ils ne peuvent pas me faire un coup pareil ! Ce concert, c'est la chance de ma vie ! Je ne me roule pas par terre, mais presque. Disons que je reviens à la charge toutes les deux minutes. Il faut trouver une solution, bon sang ! Soudain, ma mère (attendrie, peut-être, mais plus vraisemblablement agacée au plus haut point) suggère quelque chose : « Je ne vois qu'une solution : je t'emmènerai à ce concert et j'y assisterai avec toi ». Cette perspective ne m'enchante guère. C'est la honte, me dis-je, de se pointer à son premier concert de Thiéfaine flanquée de sa mère. De plus, le répertoire du chanteur n'est pas vraiment de ceux qui ont fréquenté assidûment l'eau bénite ! Ce n'est pas que ma mère s'en asperge régulièrement, d'eau bénite, mais tout de même. Elle, son trip, c'est plutôt Pierre Bachelet, Alain Barrière et Guy Béart. Alors Thiéfaine, mon Dieu, ça va lui faire frôler la syncope, je pense ! À la maison, quand j'écoute HFT dans ma chambre (qui jouxte celle de mes parents), je me tiens toujours prête à bondir pour aller baisser le volume au moindre passage un peu limite. « Retour aux joints et à la bière, désertion du rayon képis » : on coupe ! Ça ne plairait pas à mon père qui s'est engagé à seize ans dans l'armée (un peu forcé par les événements, il faut le dire, mais tout de même). « Tu m'dis reprends ton fric, aujourd'hui c'est gratuit » : on coupe itou ! Ça heurterait ma mère qui flairerait tout de suite une histoire de passes non déclarées, comme il en est ouvertement question dans une autre chanson d'HFT. Ne pas froisser les susceptibilités, surtout. Ne pas faire paniquer les vieux qui pourraient penser que leur fille est en train de mal tourner, alors que non, elle a juste trouvé un chanteur qui a su lui parler. En outre, pour justifier la passion qui m'est soudain tombée dessus à l'écoute de Thiéfaine, je cite (avec, me semble-t-il, une grande force de persuasion) toutes les chansons où pleuvent des références littéraires. Je dis que nous voilà face au seul chanteur capable de caser des noms de poètes allemands dans ses textes. Ce n'est pas rien, tout de même. Et je ne mens pas : ces références existent bel et bien et émaillent toute l'œuvre de Thiéfaine. Mais il y a aussi d'autres choses, notamment du scabreux, du moins avouable à ses parents !
Le concert me turlupine. Peu à peu, je me fais à l'idée de devoir m'y rendre avec ma mère. Mieux vaut ça que rien du tout.
Quelques semaines avant ledit concert, je tente de familiariser ma mère avec l'univers de Thiéfaine. Je fais un tri sélectif dans les chansons. L'Agence des amants de madame Müller, ça pourrait l'amuser. D'autant que dans la commune voisine, il y a une madame Müller aux formes généreuses, mais au visage fermé à double tour. « Aimable comme une porte de prison », dit ma mère. Alors oui, ça la fait marrer d'imaginer notre madame Müller en succube capable de réveiller les sauvages instincts d'un mec qui va acheter innocemment des timbres et des clopes dans un bar-tabac.
Peut-être aussi que La dèche, le twist et le reste serait de taille à l'émouvoir ? Bon, ça passe. Ma mère n'en raffole pas, mais ne se dit pas non plus totalement hermétique à cette sombre chronique d'un naufrage sentimental.
542 lunes et sept jours environ, éventuellement ? Oui, ça va. Elle aime bien le « et j'suis toujours aussi con » qui clôture le refrain. Ouf. Tout n'est pas complètement perdu.
Allez, je tente aussi L'ascenseur de 22h43 et Maison Borniol. Avec un peu de chance, elle percevra la fine ironie qui traverse ces chansons. L'expérience n'est pas réellement concluante. J'ai beau me lancer dans de fumeuses explications de texte (« tu vois, pour moi, je demanderai ta main pour la couper, ça veut clairement dire que le mariage est une vaste fumisterie et que quand tu prends la main de l'autre, c'est bel et bien pour l'en amputer, sous-entendu pour le priver de toute liberté de mouvement », et patati et patata), mes arguments ne la convainquent pas. Tout ça, c'est un peu trop délirant pour elle.
Bizarrement, elle va se mettre à adorer La fin du Saint-Empire romain germanique. « Passe-moi ma pipe de marie-jeanne, sinon j'me shoote à la banane », allez savoir pourquoi, ça l'éclate ! Elle citera souvent ces mots (totalement décalés dans sa bouche, il faut avoir connu ma mère pour saisir le côté quasi inimaginable de la chose) et ce sera ma petite fierté.
Je fais un autre essai avec Je t'en remets au vent. Ça vaut le coup. C'est une chanson qui devrait lui plaire. Volltreffer, comme on dit en allemand. Bingo, quoi, en plein dans le mille ! Ma mère accroche sévère. Elle fait un truc fou : elle enregistre cette chanson plusieurs fois d'affilée sur une cassette. Ça lui évitera de rembobiner ! Par la suite, je la surprendrai souvent en train d'écouter et même de fredonner cette autre chronique d'un autre naufrage sentimental. Petite victoire pour moi. Tout le reste : très peu pour elle. Les références littéraires ? Elle s'en cogne. Les ascenseurs au fond des précipices qui m'ont fait plonger à corps perdu dans l'œuvre de Thiéfaine ? Ça ne lui parle pas. 113ème cigarette sans dormir, la chanson au titre majestueux et aux paroles d'enfer qui accompagne ma révolte post-adolescente ? Non, vraiment, très peu pour elle. D'abord, elle ne fume pas. Elle est asthmatique, il ne faut pas lui parler de tabac. Rien que le nom la fait tousser. Et que sa grande benête de fille clope comme un sapeur la désespère. Mais bon, nul n'est parfait, et elle s'en accommode.
Donc, elle viendra avec moi au concert de Sarreguemines. Cela veut dire que je ne pourrai vivre mon truc seule, les bras refermés jalousement sur mon trésor. C'est ma mère avec moi ou rien. J'opte pour la première solution. Elle, elle est plutôt contente : ça lui fera une expérience. Elle est comme ça : sous ses airs de femme rangée et tranquille, elle n'est pas contre les expérimentations ; de jour en jour, l'idée la ravit de plus en plus. Et puis ça lui plaît que j'écoute un type qui a le même âge qu'elle. Elle en tire une certaine fierté même si le monsieur en question n'incarne pas tout à fait l'idée qu'elle se fait de la sagesse !
Quelques jours avant le concert, je me lance dans une grande aventure : il faut que je fasse adhérer ma mère à l'œuvre qui me transporte. J'insiste plus que jamais sur les références littéraires dont certaines chansons sont truffées. Je suis convaincue que ma mère ne pourra y rester indifférente. Après tout, c'est elle qui a éveillé mon appétit de beaux mots, elle qui m'a initiée à la poésie dont elle est friande. D'aussi loin que je me souvienne, elle cite à tout bout de champ les auteurs qu'elle aime et les chansons qui bercent son quotidien. À mon tour désormais de lui ouvrir la porte de mon univers. Je lui vends du mieux que je peux ma marchandise dont je sens bien le côté un tantinet frauduleux. J'y vais avec mille et une précautions. C'est que je ne voudrais pas qu'elle sorte horrifiée du concert, priant tous les dieux et peut-être même le diable (en désespoir de cause) de redresser l'âme en perdition de sa fille maudite.
Le jour J arrive. Si ma mémoire ne m'abuse, il fait brumeux et cafardeux. Une fin d'octobre en Lorraine, quoi. Ma mère n'est pas en forme : elle est aphone. Mais elle est fermement décidée à m'emmener au concert. C'est-à-dire que c'est moi qui le suis, fermement décidée. Alors elle est bien obligée de faire contre mauvaise fortune bon cœur et d'envoyer balader les microbes qui la rendent quasi mutique. Elle ne s'exprime que par murmures parcimonieux. Le médecin lui a dit d'économiser sa voix. Ce qu'elle fait.
Nous nous garons et nous allons nous mêler à la foule qui attend devant la salle des fêtes de Sarreguemines. La foule ? Que dis-je ! La faune, oui ! Je découvre (et ma mère aussi, ce qui l'estomaque un peu, d'ailleurs) le public de Thiéfaine. À quoi m'attendais-je ? À du costar-cravate à gogo ? Ce que je peux être naïve ! J'ai moi-même découvert cet artiste en compagnie de gaillards pas franchement abonnés à la sainteté. Des délinquants, dirait mon père, qui est toujours un peu plus sévère qu'il ne convient. Des paumés magnifiques, dirais-je, moi qui mets de la poésie même là où il n'y en a pas nécessairement. Des êtres dangereux, s'exclamerait ma mère qui s'inquiète toujours copieusement pour moi.
Devant la salle des fêtes de Sarreguemines, c'est un peu la débandade. Certains partent déjà en live avant même que le live ait commencé ! Il y en a qui titubent, une bouteille à la main. D'autres qui semblent pas loin de chuter comme ça, en pleine rue et sans autre forme d'élégance. Un jeune homme vient à notre rencontre et nous propose de boire un Coca avec lui. Pour un peu, je me ferais avoir et je dirais « d'accord ». Ma mère, plus clairvoyante, répond du tac au tac (un tac au tac susurré comme elle peut) : « Non merci. Ça m'étonnerait qu'il n'y ait que du Coca là-dedans ». Non mais, qui fréquente les bals du samedi soir ? Je crois rêver, c'est le monde à l'envers. C'est ma mère, la plus aguerrie de nous deux ! Elle regarde le jeune homme qui vient d'essuyer un refus et lui adresse un grand sourire. Qui la rend d'emblée sympathique à notre « dealer » éconduit. Il nous avoue qu'en effet, il a mis aussi du whisky dans la bouteille. Mais rien qu'un peu, pour parfumer. Ouais, c'est ça, va conter ça à d'autres qu'à ma mère !!!
Dans le hall que nous traversons en retenant notre souffle, nous voyons de près les énergumènes avec lesquels nous allons passer la soirée. Ça fume dans tous les coins. Partout s'élèvent des nuages de fumée, alors que simultanément s'écroulent des ombres le long des murs. Chassé-croisé un peu flippant. Ma mère me lance des regards interrogateurs. Et même des regards qui hésitent entre l'étonnement et l'épouvante. « Et donc, toi la fille de bonne famille, tu écoutes le même chanteur que tous ces spécimens ? », semble-t-elle me demander. Pour me dérober à une éventuelle question de ce genre, j'évite le regard de ma mère. Toujours fuir ce qui pourrait m'affaiblir ! Finalement, ce n'est pas un mal qu'elle soit aphone en ce jour de gloire !
Je dois avouer que je suis moi-même interloquée. Mais pas en terre inconnue puisque (et ça, maman ne le sait qu'à moitié) je fréquente, en parallèle de la fac où je me sens dans mon élément, un monde interlope dans lequel je me sens tout autant dans mon élément. Je ne saurais expliquer cette espèce de schizophrénie. J'ai un penchant prononcé pour tout ce qui flirte avec les marges, les gouffres, les falaises poreuses ! À l'école, j'ai toujours préféré la compagnie des cancres à celle des intellectuels ! Je trouve qu'être du côté des cancres, c'est s'assurer de bonnes tranches de rigolade. Je ne suis pas loin de penser que ces mêmes cancres ont plus d'esprit que leurs exacts contraires (et dire que je deviendrai prof un jour, si c'est pas scandaleux). Depuis toujours, j'aime bien m'attirer la faveur de ceux qui s'assoient d'emblée près du radiateur en début d'année. À un moment de ma scolarité (qui ne deviendra studieuse que sur la fin), je suis même sur le point de basculer complètement dans leur monde. Mais des profs charitables, passionnés et passionnants sauront me rattraper de justesse avant que ne me grille le côté obscur de la force ! Alors je deviens une drôle d'intello qui, certes, se plonge avec délices dans Schopenhauer et Proust, mais qui ne renie pas ses attirances pour autre chose.
Durant ma vie d'étudiante, même topo : la semaine, je bûche à fond mes cours. Le week-end, je m'ouvre à un monde peuplé de dingues et de paumés, comme dans la chanson de Thiéfaine. Le week-end, je ne relis pas Hölderlin, je le relègue au fond d'un placard et je me casse vers les bas-fonds. Au grand dam de mes parents qui, s'ils étaient au courant de tout, m'interdiraient carrément de sortir !
C'est d'ailleurs avec des gens loufoques, pas du tout gendres idéaux, que j'ai découvert le chanteur qui m'a fait tourner la tête !
Tout cela pour dire que si le public d'HFT me surprend un peu ce soir-là, je n'entre pas non plus en panique totale ! En même temps, qui chante la marge s'en fait le chantre, quelque part. Et donc attire la marge !
Nous voilà dans la salle. Mêlées de près au joyeux bariolage qui grouille ici. À nos côtés, un type lance à son voisin : « Purée, t'en as, tu te demandes ce qu'ils viennent faire à un concert de Thiéfaine ». Et de nous toiser, ma mère et moi. Je me sens humiliée. Pourtant, j'ai mis mon jean et mes santiags. Mais il faut croire que quelque chose me trahit et me classe d'office dans la catégorie des pas trop dingues et pas trop paumés. Quoi donc ? Qu'est-ce que j'en sais, moi ? C'est peut-être la faute à ma veste en cachemire qui fait guindée là où seul le cuir semble de mise. Ma mère, quant à elle, n'a pas dérogé à ses habitudes : jupe et chemisier, et elle vous emmerde tous !
Tout de même, à la fin du concert, le jeune homme à l'anathème facile me dira : « Ouah, tu connais toutes les chansons par cœur, en fait ! ». En fait, oui, vraiment. Ces chansons ont commencé à composer la bande-son de ma vie il y a trois ans déjà, et ce n'est pas fini ! Alors évidemment que j'ai ma petite légitimité là-dedans ! Non mais !
Ce soir-là, j'expérimente pour la première fois ce que je vérifierai systématiquement par la suite : un concert de Thiéfaine, ça te transporte littéralement. Ça te fait perdre toute notion du temps, ça t'engloutit dans une brèche spatio-temporelle dont tu t'étonneras de devoir émerger quelques heures plus tard. « Comment ça, c'est déjà fini ? Mais ça vient à peine de commencer ! Où est la justice en ce bas monde ? ».
Durant toute la soirée, à Sarreguemines, j'oscille entre euphorie et crispation. Oui, crispation : c'est-à-dire qu'à chaque fois qu'une chanson me semble susceptible de heurter les convenances, je m'affole. Pour un peu, je prierais pour que ma mère, en plus d'être asthmatique et aphone, soit frappée d'une soudaine surdité ! Qu'elle ne recouvre l'audition que quand il sera question d'Hölderlin et de Baudelaire ! Raté : sur le trajet du retour, elle me dira qu'elle a remarqué que de nombreuses chansons étaient un peu olé-olé. Et que toutes les références littéraires lui ont échappé. Oui ben c'est pas ma faute si elle est sourdingue au mauvais moment !!!
Sa conclusion ? Pour une expérience, c'est une expérience ! Qui a de la gueule, s'il vous plaît ! Le genre de truc totalement inattendu quand tu as 47 ans, comme Thiéfaine, et que tu mènes une existence pépère (pas comme Thiéfaine !).
Elle me dit aussi que si elle n'a jamais fumé un seul joint de sa vie, elle croit savoir désormais quel effet ça fait. Ben oui : autour de nous, toute la soirée, ça a clopé à fond, et pas que de sages Marlboro ! Ça n'a pas sucé que de la glace non plus. Régulièrement, des effluves corsés nous ont chatouillé les narines. J'avais l'air d'une petite joueuse avec mes cibiches homologuées !
Quand nous traversons le hall de la salle des fêtes à la toute fin du concert, c'est un spectacle un peu triste qui se déroule sous nos yeux : c'est qu'il y a des comas éthyliques qui se perdent en cette jungle ! J'ai carrément mal au cœur pour ces gens qui, j'en suis sûre, n'ont pas pu profiter pleinement de la soirée. C'est mon côté abbé Pierre selon ma mère. Toujours à pleurnicher devant la misère du monde, même quand celle-ci n'est qu'un juste retour des choses.
Une fois à la maison, elle dit à mon père que j'écoute un drôle de lascar. Ouille. Mais elle prend ça avec beaucoup d'humour. Somme toute, cette soirée était bien marrante, comme sortie du fond des âges, venant frapper, telle une météorite, un quotidien par trop plan-plan. HFT, ça te secoue, c'est tout !
Mes parents demeureront toujours loin de l'univers de Thiéfaine. Pas grave, ce sera mon petit truc rien qu'à moi. Il faut que la jeunesse se construise contre les générations qui l'ont précédée, c'est une loi immuable que je vérifie désormais avec mes propres enfants !
Tout de même, pas de bol pour ma mère : à Sarreguemines, Thiéfaine ne joua pas Je t'en remets au vent. Ni L'Agence des amants de madame Müller, ni La fin du Saint-Empire romain germanique.
D'accord, c'était un peu la honte d'aller à ce concert en compagnie de la mother. Enfin, si on se met dans le contexte de l'époque. Car, maintenant qu'elle n'est plus là depuis longtemps, ma Mutti, et que toute vergogne me semble dérisoire au regard du temps qui broie tout menu menu, ce premier concert est l'un de mes plus beaux souvenirs. Et, à chaque fois que sur scène, Thiéfaine entonne Je t'en remets au vent, je me retrouve catapultée dans un monde où existent encore les cassettes qu'il faut rembobiner et elle, ma mère, cette héroïne qui a traversé la vie sur la pointe des pieds et l'a quittée trop vite...
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29/05/2022
Thiéfaine aux Moissons rock de Juvigny : retour sur le concert d'hier soir
"Dans les entrelacs d'une vie, il y a des rencontres qui rejaillissent de manière surprenante". Simonetta GREGGIO
Samedi 28 mai 2022, moissons rock de Juvigny. À l'entrée du site, un panneau indique où se trouve le parking. Juste à côté, un autre signale « traversée d'animaux sauvages ». Cette juxtaposition (tout à fait thiéfainienne, à bien y réfléchir) me fait sourire. Il n'y aura pas d'animaux sauvages ici ce soir, si l'on excepte les fous furieux qui, comme moi, sont venus uniquement pour les beaux yeux d'Hubert ! Enfin, s'il n'y avait que ses yeux... Bien sûr qu'on vient pour tout le reste. Inutile, me semble-t-il, de préciser en quoi consiste ce « tout le reste » ! Bien sûr qu'on vient également pour les musiciens et cette façon qu'ils ont de remuer en nous les claviers intimes et les cordes sensibles.
Bien sûr que je viens parce que cette première date de festival me titille depuis quelque temps. Je ne suis pas à une folie près, alors celle-là ou pas, qu'est-ce que ça changerait, fondamentalement ? Depuis que ma région s'est fondue dans l'immense masse du Grand Est, je n'ai plus aucun scrupule à élargir le rayon des possibles ! La Marne, c'est le Grand Est, alors je ne vois pas où est le problème !
J'arrive sur le site vers 19 heures. Juste le temps de manger un petit truc. Ensuite, je rejoindrai la foule qui s'est déjà agglutinée près de la barrière de la grande scène. J'envoie un message à Philippe, je sais qu'il est là ce soir. Philippe, je l'ai rencontré il y a quelques années à Paris. J'avais été impressionnée par son « tableau de fan » : plus de 150 concerts au compteur. Il suit HFT depuis 1978. C'te veine d'être né encore plus tôt que moi ! Respect, mon camarade !
En guise de réponse à mon SMS, Philippe lance un « Catherine ! » fermement décidé à me faire réagir. Je fonce vers lui. Et m'installe, du même coup, parmi les acharnés qui font le pied de grue ici depuis l'ouverture des portes. Qui ont assisté sans grande conviction au concert précédent, rien que pour être sûrs d'être bien placés pour celui d'Hubert. Quand tu aimes cet artiste, il ne faut pas être du genre à en avoir vite ta claque de faire la queue !
Me voilà donc arrivée tout devant sans avoir fait le moindre effort pour parvenir à cette place de choix. Jusqu'où l'injustice ira-t-elle se loger en ce bas monde, je vous le demande !
J'adore les prémices de concert. Ces moments où tout n'est que frémissement et attente. Plus que tout, j'aime m'imprégner de l'ambiance qui règne autour. Prendre la température, l'air de rien. Je viens de faire la connaissance de Caroline, et je me demande comment nous avons fait pour nous louper pendant tant d'années alors que nous suivons Hubert avec la même frénésie ! À ma droite, une jeune fille au visage exempt de rides. Elle doit avoir l'âge que j'avais quand j'ai fait mon premier concert de Thiéfaine. 22 ans, je dirais. Elle est furax contre elle-même car elle est arrivée trop tard et n'a pas pu atteindre son objectif : la barrière pour être au plus près de la fournaise et aussi, pragmatisme oblige, pour avoir un appui tout au long de la soirée. Elle me fait rire. Elle râle parce que ça fume dans tous les coins, et pas que des Royal Menthol. Ah ben oui, ça... Le public d'HFT n'est pas vraiment constitué de communiants proprets. La sainteté, connaissent pas, ne voient pas ce que c'est, ne pratiquent pas non plus. Ce n'est pas dans les cathédrales qu'ils vont racoler leurs amours ! Ce public, je l'ai découvert en 1995 aux côtés de ma mère qui en fut légèrement effarouchée. Il m'a d'emblée séduite parce qu'il a quelque chose que les autres n'ont pas. Et, surtout, la capacité de mélanger des individualités a priori irréconciliables !
20 heures. Que la fête commence ! Nous n'aurons pas La ruelle des morts pour démarrer, mais Animal en quarantaine. Au total quatorze titres. Version écourtée d'une setlist vraiment splendide. Il n'y avait rien à jeter là-dedans, mais il a quand même fallu s'y résoudre pour les festivals. Ce qui reste : Juste une valse noire (après Animal en quarantaine), Lorelei, Je t'en remets au vent, Pulque mezcal y tequila, Elle danse, Demain les kids, Les dingues et les paumés (toujours avec ses orchestrations magistrales), La ballade d'Abdallah Geronimo Cohen, La fin du roman, Petit matin, Page noire, La queue et, évidemment, La fille du coupeur de joints.
Je sais, une heure et quart et quatorze titres, ce n'est pas bézef, mais c'est toujours mieux que rien. Cela permettra de patienter avant la reprise des concerts de deux heures (vous avez vu que des dates s'étaient ajoutées ? La région Grand Est étant ce qu'elle est, je pense pousser jusqu'à Meisenthal en novembre ; d'ailleurs, c'est mon département, c'est juste à l'autre bout, mais pas grave). Et puis viendra la tournée Replugged, le rock chevillé aux entournures pour notre plus grand bonheur.
Fin du concert. Je me retourne vers la foule qui déjà se disloque. Et là, qui vois-je ? Un couple rencontré à Bar-le-Duc, avec qui j'avais sympathisé et qui m'avait fortement encouragée à faire le déplacement jusqu'à Juvigny ! Je suis heureuse de revoir ces deux êtres lumineux. Ils dégagent un truc à part. Peut-être parce qu'ils possèdent cette indéfinissable aura des gens heureux. On les sent bien ensemble. Et ouverts aux autres. Comme à Bar-le-Duc, ils me font parler de ma passion pour HFT (je suis cet animal sauvage qui risque de traverser la chaussée à tout moment sans prévenir !). Je leur explique que par précaution, avant de partir aujourd'hui, j'ai pris de quoi dormir à l'hôtel en cas de grosse fatigue. Elle me répond que c'est beau de faire tout ça pour un artiste. Je ne sais pas si c'est beau ou si c'est plus fou que beau. Toujours est-il que c'est ma vie. « Je n'y peux rien, c'est elle qui m'a choisie », comme dans la chanson d'Adamo (je n'écoute pas qu'HFT !!!). La folie comme seul salut possible ?! J'y crois et, du coup, ne suis pas près d'y renoncer !!!
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14/05/2022
Bernard Lavilliers à Amnéville hier soir : un enchantement !
"Je suis l'autre
Trop sensible". Blaise CENDRARS
« Pas moi qui ai fait les voyages, c'est les voyages qui m'ont fait », chante-t-il. Et ils lui ont taillé, ces voyages, un costume de baroudeur sublime, tissé de multiples influences, parfums et saveurs. Hier soir, au Galaxie d'Amnéville, j'ai découvert qu'assister à un concert de Lavilliers, c'était embarquer pour une sacrée expédition, ponctuée d'escales aussi nombreuses que variées. Le tout bercé par des rythmes venus de ces ailleurs respectifs où il posa son pied marin, illustrant en cela merveilleusement les mots de Cendrars qui lui sont chers : « Quand tu aimes, il faut partir ». Quand j'étais adolescente, je ne comprenais pas. Comment ça, partir alors qu'on a trouvé son port d'attache, son irremplaçable bercail ? Et puis, l'âge venant, je comprends mieux. Partir pour ne pas enfermer son histoire d'amour dans une routine plombante, partir pour la nourrir de ce qui la grandira. Partir pour mieux la retrouver.
Les chansons de Lavilliers ne parlent que de cela, partir, ou presque. Plus que la flânerie, elles évoquent une course folle livrée à tous les vents, jamais captive de quoi que ce soit, si ce n'est de l'air du temps. On flânera plus tard dans les souvenirs, quand il sera question de les coucher sur le papier et de les accompagner d'une musique qui racontera le grand large.
Les chansons de Lavilliers parlent aussi d'un monde prisonnier de ses archaïsmes : en haut les marquis (« jamais élus, toujours choisis ») et les patrons, en bas ceux qui triment. Lui, il a choisi son camp : celui des ouvriers qui suent sang et eau pour trois euros six centimes, ceux sans qui, pourtant, tout le système ne serait que dalle. Passé de boxeur oblige, il envoie des uppercuts bien placés à tous ceux qu'il vomit. Les hommes politiques en prennent pour leur grade que c'est un plaisir ! « Tous des escrocs », lance-t-il, et je ne vois pas qui pourrait démentir cette affirmation. À laquelle la salle entière acquiesce, et ça fait du bien, bon sang, moi je croyais que tout le pays était endormi, victime d'une dangereuse léthargie. Ben non, la preuve. Et Lavilliers de nous féliciter d'avoir encore un cerveau entre les oreilles. On l'espère bien, on fait ce qu'on peut !
On n'a pas qu'un cerveau, on a aussi un cœur. « Lorraine, cœur d'acier », lance-t-il entre deux chansons. Il faut dire que l'acier de Lorraine, il l'a défendu toutes griffes dehors, Bernard. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir mouillé la chemise. « Jamais retourné ma veste », dit-il encore. Force est de constater que c'est vrai.
Les chansons défilent à une cadence soutenue. On passe des années 70 à celles, moins glorieuses, que nous venons de vivre. La salle est unie à Bernard dans un consentement absolu. C'est qu'il a ce truc indicible qui vous fait d'emblée remporter l'adhésion de tous ceux que vous croisez. Il entonne On the road again, doucement, et la foule fait les chœurs. C'est un moment de grâce parmi tant d'autres. Et voilà que le public, jusque là bien sagement assis sur des sièges durs comme rocs, commence à se lever dans tous les coins. Des gens descendent par grappes des gradins et vont grossir la fosse, où tout le monde était assis aussi. Jusque là ! Maintenant, ça y est, ça se lève et danse et acclame de partout ! Je dis à mon voisin de gauche (Sam) : « Purée, ils n'ont même pas attendu La fille du coupeur de joints ! ». C'est magique d'observer tout cela de loin (je resterai dans les gradins presque jusqu'à la fin du concert, ma voisine de droite est trop sympa, je ne peux me décider à la quitter comme ça. Si je le faisais, il faudrait lui dire au revoir, ce serait la moindre des politesses, et je l'arracherais du même coup à son ravissement, ce qui me semblerait le comble de l'impolitesse. Je finirai par me résoudre à partir - c'est de mise ! - entre deux chansons, prenant congé comme il se doit de cette exquise dame).
Idées noires vient embraser un public déjà adonné à la transe. Et que je te remplace Nicoletta avec une assurance dingue ! La chanson date de 1983, rappelle Bernard. Punaise, 1983 ! J'avais dix ans et j'adorais ce morceau, je l'avais enregistré sur une BASF que je me repassais en boucle. À l'époque, je n'achetais pas encore mes propres disques, je devais attendre les coups de cœur de ma mère et, si possible, les partager. Mais je passais des heures devant le poste de radio à espérer les chansons qui me faisaient vibrer. Lointains souvenirs d'un monde révolu... Aujourd'hui, la puissance du clic a tout dégommé. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Ce n'est pas moi qui vous le dirai. C'est différent, c'est sûr. Peut-être un peu moins poétique quand même...
Reggae, salsa, bossa nova, tango, tout est bon pour faire bouger les corps. Et là, je dois avouer que Bernard n'a pas son pareil pour ce qui est d'atteindre le mouvement collectif ! Le voilà qui s'y met, lui aussi, abandonnant le tabouret sur lequel il s'est longtemps appuyé. Il monte dans les gradins sur La Salsa, il fend la foule comme un navire fendrait les flots. La communion est parfaite. Ici, l'artiste est en terrain connu et conquis. Ce qu'il a donné à ma région, celle-ci le lui rend avec gratitude. C'est qu'un cœur d'ouvrier, ça n'oublie pas. Et ici, nous sommes tous fils ou frères ou neveux d'ouvriers. La mine, même si nous ne sommes pas descendus en ses entrailles, nous l'avons connue à travers les récits des uns et des autres. Pas de mineurs dans ma famille, mais des premiers élèves (jamais oubliés, Laurie, Stevens, Albano et tous les autres) majoritairement fils et filles de mineurs, qui me racontaient les ravages qu'allait probablement faire chez eux la fermeture des aciéries...
À la toute fin du concert, grandi du don qu'il vient de nous faire, Lavilliers salue la mémoire de son père qui lui a, explique-t-il, donné le goût du travail alors qu'au départ le principe ne l'intéressait pas. Je suis bouleversée, je pense à mon propre père, qui se serait bien entendu avec un homme comme ça, c'est certain !
C'était une sacrée expédition, disais-je. Même pas eu peur de prendre l'avion et le bateau pour me retrouver propulsée à des lieues de là. Avec Bernard pour capitaine, l'équipage peut y aller en toute confiance. Vraiment, si le voyage est indiscutablement son carburant, la scène est, tout aussi indiscutablement, son point d'ancrage. Merci pour le périple et à la revoyure, j'y compte bien !
10:56 | Lien permanent | Commentaires (13)
10/05/2022
Sausheim, pour boucler la boucle...
"Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur". Romain GARY
Sausheim pour boucler la boucle. Parce que deux sans trois ce sera toujours bancal, c'est la sagesse populaire qui le dit. Celle-là même qui vous enseigne en même temps qu'à père avare fils prodigue et que tel père, tel fils. Toujours se méfier des « en même temps »... Mais pas de "jamais deux sans trois" ! Bref...
Sausheim parce que les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais, dixit le grand Oscar Wilde qui s'y connaissait en matière de folies.
Sausheim parce qu'après tout, Grand Est ça veut dire Grand Est ! Dans ces cas-là, l'expression maudite me sied bien ! Sausheim, d'accord, ce n'est plus en Lorraine, mais cela reste dans le Grand Est. Donc jouable.
Sausheim parce que Thionville régal absolu et parce que Neuves-Maisons festin miraculeux. Sans Sausheim, je serais restée sur ma faim. « C'est évident, mais je préfère le dire », comme dans une pub que mes filles adoraient citer il y a quelques années. Comme quoi on peut écouter HFT depuis sa plus tendre enfance et se laisser tout de même influencer par des slogans à la noix.
Retour en arrière : j'ai pris un billet samedi matin pour Sausheim, portée par l'euphorie de la veille. Et déjà engloutie par cette nostalgie qui est tellement ma marque de fabrique qu'elle me visite avant même que les bonnes choses aient pris fin. Une erreur de programmation dans le computer, ai-je écrit dans mon précédent billet. Oui, il y a de ça. Peut-être une farce pas drôle d'un dieu qui s'est dit « on va essayer pour voir », et voilà le résultat. Cela donne une nana qui, à tout bout de champ, se dit, comme la pauvre Jeanne d'Une vie, « c'était fini d'attendre »...
Pour Sausheim, j'avais même deux billets. Un pour ma fille aînée aussi. Une autre façon de boucler la boucle : à Thionville, j'étais avec mon autre fille, Louise. Qui, soit dit en passant, m'a lâché avant de partir ce soir-là : « Oh, là, je vais voir Thiéfaine pour le principe ». Comme quoi on peut écouter HFT depuis sa plus tendre enfance et débiter de temps à autre quelques savoureuses conneries.
Heureusement, tiens, que pour Sausheim j'avais une accompagnatrice et copilote. Trois heures de route à l'aller, rien que ça ! D'accord, j'ai mis au programme un petit crochet par Sainte-Marie-aux-Mines, histoire de rendre hommage à Jacques Higelin (l'album Coup de foudre fut enregistré dans cette commune du Haut-Rhin). D'accord, je me suis arrêtée plusieurs fois pour faire des photos, tant était magique l'écrin de paysages dans lequel nous avancions. Mais bon, via Michelin annonçait 2h26 de route !
Une aubaine que le concert ait commencé à 18h. Sinon je n'aurais pas pu y aller. Debout à 5h55 le lundi matin, quand même...
Nous y voilà donc, après avoir désespéré plus d'une fois du côté interminable du trajet. Nous sommes dans les gradins. Un peu moyen, mais pas le choix quand on acquiert ses billets à la dernière minute. D'emblée, je constate que l'ambiance est plus molle qu'à Thionville et Neuves-Maisons. Ça réclame timidement Hubert ici ou là, mais ce n'est pas la fièvre du samedi soir. Neuves-Maisons, pour ça : imbattable ! Ça braillait de partout, ça suait la folie : un festin, vous dis-je ! Vieillissant, le public d'Hubert ? En apparence seulement. Si les cheveux grisonnent ou en sont carrément au stade où ce processus n'est plus qu'un lointain souvenir, l'ardeur, elle, est toute fraîche en sa jeunesse sans cesse renouvelée ! J'en veux pour preuve la mienne qui, malgré tout ce qui aurait pu finir par la mettre à terre, a traversé fièrement les décennies, telle une indomptable amazone. C'est peut-être le seul truc qui me donnerait envie de me vanter, et tant pis si c'est péché : au fond de moi, la jeune fille de 19 ans éblouie par sa rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine persiste et signe, et ce depuis trente ans. Les désillusions n'ont pas eu raison de son ravissement ! Ouf, il demeure quand même quelques valeurs sûres en ce bas monde qui se délite...
Juste avant le concert, Jean-Marc Poignot vient, comme à l'accoutumée, nous rappeler qu'Hubert déteste les flashes et qu'il faudra en tenir compte. « Pas une date sans flash jusqu'à présent ». Zut, c'est bête, j'aurais adoré me trouver un soir dans une salle irréprochable à qui HFT aurait adressé des félicitations attendries à la fin. Raté partout, visiblement. Et zéro pointé à Neuves-Maisons où j'ai bien cru qu'Hubert allait nous rejouer le coup de Thionville 2004, quand il avait quitté la scène pour quelques minutes qui nous parurent à tous un immense tunnel. La raison ? Encore un flash ! Il faut se le mettre une bonne fois pour toutes dans le crâne, bon sang : Hubert, le flash, ça l'fâche !
Allez, c'est reparti : toujours cette version magistrale de La Ruelle des morts. Avec quelques plantages pour faire plus vrai. Il y en aura d'autres durant la soirée. Je dis ça comme ça, mais franchement je sais bien que l'essentiel est ailleurs. Et je défie quiconque d'interpréter les chansons d'HFT sans se ramasser plusieurs fois. Les textes sont si denses aussi... La voix, elle, reste claire et assurée du début à la fin. Une vraie prouesse en cette longue enfilade de concerts. Mine de rien, en un week-end, j'ai eu un léger aperçu de ce que pouvait être la vie de la troupe durant une tournée : à peine le temps de poser ses valises quelque part que ce quelque part est déjà du passé. C'est épuisant. Il faut être sacrément solide ! Heureusement qu'hier, j'avais le boulot pour me reposer de la grande fatigue accumulée en trois jours, mais Hubert et son équipe, eux : toujours la tête dans le guidon !
Retour à Sausheim après cette digression : le public est un peu mou. Ou recueilli, peut-être. Après tout, on ne sait pas. Discret ne veut pas dire terne, ai-je écrit dans un précédent billet. Discret veut parfois dire bouche bée devant tant de grâce offerte !
Mention spéciale aux interventions qu'Hubert fait entre deux chansons : on lui a souvent réproché de dire la même chose soir après soir, mot pour mot et à la virgule près, ben là, non ! Quelques constantes, mais pas tant que ça.
Juste une valse noire, plus que Vendôme, lui donne du fil à retordre en ce dimanche soir. Il ne démarre pas au bon moment et finalement la musique s'arrête, on va recommencer. Et Hubert de s'exclamer : « Il fait noir au fond de ce trou ». Allez, pas grave : ça arrive, même aux meilleurs.
Une fois de plus, les morceaux s'enchaînent à vive allure. J'essaie sans arrêt d'être dans ce qu'on appelle désormais la pleine conscience (une mode de plus). Je m'interdis de penser à autre chose qu'à ce qui se joue sous mes yeux, et pourtant, et pourtant, ça y est, Page noire vient signer la presque fin de la soirée... C'est pas possible que le temps passe comme ça sans pitié et comme un gros lourdaud qui s'en tape de nos émotions. Retiens la nuit, tu parles, mon coco : tu peux toujours tenter !
À la fin de Page noire, le public se lève, comme un seul homme, ou une seule femme, il faut faire attention à la parité maintenant. Et même attention à ceux qui se disent sans genre, dans un entre-deux flou : alors le public se lève comme un seul entre-deux flou ! Nul ne se remettra assis, malgré les vieux os qui tirent un peu. La jeunesse qu'on croyait perdue revient nous aveugler de ses bouquets de lumière. Vieillissant, le public d'Hubert ? T'as qu'à croire ! Plus vigoureux que jamais, oui ! Quand j'écrivais que discret ne voulait pas dire terne !
Durant La queue, je préviens ma fille : « Dès que tu entends les premières notes de La fille du coupeur de joints, tu te lèves et on va tout près de la scène ». Elle hésite, elle a peur de déranger nos voisins. Oui, ben tant pis. Il est des heures graves où il est impératif de se moquer des bienséances. On n'aura qu'à les bousculer pour passer, et puis c'est tout, ils n'avaient qu'à pas être là !
Après avoir gaillardement fendu la foule, nous y voilà donc, au cœur du volcan. Je veux être cette lave qui crame tout sur son passage, je veux dire ma gratitude à Hubert et à son équipe qui, depuis plusieurs mois déjà, se donnent à fond pour que chaque soir soit un embrasement et que pour qu'ici et là, pleuvent des pâmoisons à foison !
20h17. Ma fille et moi reprenons la route. Pas le temps de traîner. Dommage, j'aurais bien papoté un peu avec Jean-François Assy et Frédéric Gastard. La veille, à Neuves-Maisons, je leur ai dit « à demain » et j'ai trahi ma parole. Impossible de faire autrement, trop de route m'attend !
À Neuves-Maisons encore, en nous quittant, Lucas Thiéfaine nous a dit, à moi et à quelques autres : « On se revoit en 2023 ». J'ai répondu : « Et en 2024, et encore après ». Oui, comme ça jusqu'à la fin des temps, SVP, exigeons dès aujourd'hui cette immortalité qui ne vaudra d'être vécue que si Hubert vient régulièrement l'enchanter !!!
09:46 | Lien permanent | Commentaires (6)
08/05/2022
Des pâmoisons qui tombent en pluie : après Thionville, Neuves-Maisons !
"Par parti pris je ne crois en rien; par expérience en moins que rien". Pierre AUTIN-GRENIER
Alignement des planètes, conjoncture favorable, tarots bienveillants : ça continue, que c'en est même affolant. Dans ces cas-là, je me demande toujours quelle entourloupe la vie me prépare. C'est l'expérience qui parle, sans doute. Mais non, pour une fois, tentons de nous abonner (essai gratuit) à l'optimisme et remâchons bien fort les mots de Romain Gary : « Il paraît qu'il ne faut pas avoir peur du bonheur. C'est seulement un bon moment à passer ». Oui, enfin, c'est le même Romain Gary qui écrivait aussi : « Comme quoi parfois tout finit bien. Je le dis vite en passant, car lorsque les choses s'arrangent, j'en ai de l'angoisse, je me demande toujours ce que l'avenir a en tête ».
Bref... « Couchée, mon âme ! ». Et toi, mon esprit tortueux, lass mich in Ruhe ! Plutôt que de me demander ce que l'avenir a en tête, je voudrais me poser ce matin pour me demander ce que le bel hier avait dans les tripes !
Revivons donc le concert de Neuves-Maisons, et l'avant, et l'après. Parce que tout cela vaut son pesant d'or aussi. Et me voilà confrontée à la question que secrètement, avant ce week-end, j'espérais pouvoir me poser sans être capable d'y répondre : « Alors, le meilleur concert, c'était Thionville ou Neuves-Maisons ? ». Ben voilà, je ne sais pas ! Les deux, mon camarade ! Et attendez, ce n'est pas tout : hier matin, j'avais déjà un pied dans la tombe de la nostalgie, je me disais « ça y est, ce soir, tout sera fini ». J'ai refusé cette fatalité. Et je me suis pris un billet pour Sausheim. Une folie de plus ? Oui, sans doute, mais pas de quoi en faire tout un plat non plus : ce n'est rien qu'à deux heures et demie de route de la maison, et c'est à 18 heures. Je serai rentrée vers 22 heures, comme une fifille bien sage. Une petite pilule pour dormir et au lit ! Interdiction de me demander lequel des trois concerts avait le plus d'allure et pourquoi. On se posera la question demain. En pleine redescente, la larme à l'œil !
Neuves-Maisons, donc. Forte de ce que j'y avais vécu en février pour le concert de Birkin, je me suis dit qu'il fallait arriver bien plus tôt hier. Pour Jane, j'avais trouvé une place de parking in extremis et j'avais dû courir comme une dératée jusqu'à la salle pour ne pas louper le début. Pas question de vivre ça avec Hubert. Jamais je ne suis arrivée en retard à un seul de ses concerts. C'est le genre de truc que je ne peux concevoir. Donc, à 19 heures, je me garais devant la salle. À côté de ma voiture, un autre fan de Thiéfaine, que je connais bien. On peut appeler ça un splendide hasard, comme dans la chanson de Michel Berger. Nous voilà papotant dans la belle lumière de mai. Je mange vite fait mon sandwich et nous nous dirigeons vers la salle. Et là, qui vois-je débarquer ? Un autre fan, que je n'avais pas revu depuis des années. Celui-là même qui, en 1998, m'avait proposé de m'emmener voir Thiéfaine à Bercy avec lui. Et moi, grande gourdasse impardonnable, j'avais dit non. Parce que le concert avait lieu un vendredi soir et que je travaillais le samedi matin ! J'avais peur. Je crois rêver. Je suis plus déraisonnable à 48 ans que quand j'en avais 25, si c'est pas misère (je pique ce « si c'est pas misère » au groupe Machin). Ce rendez-vous manqué, c'est un des drames de ma vie. Carrément ! Quand je pense à tout ce que j'ai pu faire par la suite pour aller voir Hubert, quand je pense aux montagnes que j'ai abattues pour lui, le faisant passer avant tout le monde ou presque ! Même, une fois, avant un amoureux qui m'en tint rigueur de longues semaines durant. Les circonstances ? Je revenais d'un séjour de neuf jours en Allemagne et Hubert chantait à Amnéville le soir de mon retour. Rentrée de Germanie, j'avais posé ma valise en catastrophe dans l'appartement et j'étais repartie illico. Ben ouais, mec, si tu choisis de vivre avec moi, il faut également accepter d'héberger ma passion pour HFT. Sinon tu t'exposes à de régulières déconvenues qui te feront dire « mais merde, on dirait bien que je suis moins aimé qu'Hubert ». Hé hé, qui sait ?!
Avec l'ami retrouvé, nous évoquons le passé. Nous nous donnons des nouvelles mutuelles. Ce faisant, l'heure approche. La tant attendue et la tant redoutée. Tant attendue parce qu'elle signe le début d'une extase. Tant redoutée parce qu'elle s'en va déjà vers la fin de la même extase. Je suis née avec la nostalgie chevillée au corps. Une erreur de programmation dans le computer. Dommage.
Juste avant le concert, je vois encore le Doc et 655321 (c'est le pseudo qu'il utilise quand il intervient sur mon blog, mais il a quand même un vrai prénom et un vrai nom, ne vous en faites pas). Je leur explique que j'ai dégoté un billet pour Sausheim. Et le Doc de me regarder, amusé, et de s'exclamer : « C'est vrai que tu es une furieuse du Bébert ». Oui, je crois qu'on peut le dire, j'avoue ma très grande faute qui dure depuis trente ans.
Allez, on se quitte. Pour ce qui est de la très grande faute qui dure depuis trente ans, on passera au confessionnal plus tard, quand on aura le temps !
L'extase va commencer. Je suis bien installée, au bout d'une rangée, côté marches. Ça me va. Parce que je suis légèrement claustro. Et parce que je déteste ne pas pouvoir bondir vers la scène quand retentissent les premières notes de La fille du coupeur de joints. C'est le seul truc qui m'a embêtée à Thionville : j'étais coincée entre deux personnes !
À Neuves-Maisons, j'ai trois voisines. Elles ne débarqueront qu'en plein milieu de La ruelle des morts. Je suis un peu vénère au moment où il faut que je me lève pour les laisser passer. Mais je leur pardonne vite : ce sont des furieuses, comme moi. Peut-être même plus ! Si, je vous jure ! Il y en a une qui pousse des cris à tout bout de champ. Le monsieur derrière moi finit par dire à son voisin : « C'est de l'amour ». Je crois bien. Un amour qui met dans de ces états, je vous raconte pas. Pour résumer, je dirais « pâmoison ». Ce n'est pas moi qui vais me moquer, je suis victime de la même ivresse, alors camembert ! Je suis simplement moins expansive, mais le cœur y est de la même manière !
La salle est chaude comme la braise. Difficile de dire si l'ambiance est encore plus pharamineuse que la veille. Disons que comme la salle est plus petite, les pâmoisons sont plus concentrées. Donc plus palpables.
Hubert le ressent puisqu'il nous dit que nous sommes super. Je crois même qu'il ajoute (il faudrait que quelqu'un me le confirme) qu'il va rêver de nous. Ma voisine me regarde et me lance : « Oh, il est chou ». Ce n'est pas le premier qualificatif qui me viendrait si on me demandait de définir Hubert, mais soit, pourquoi pas ? Il est chou, mettons ! Comme je ne suis pas certaine d'avoir compris ce qu'il a dit, je demande à cette même voisine : « Il a dit qu'il allait rêver de nous, c'est ça ? ». Elle a plutôt entendu « je suis bien avec vous ». Mais si Hubert a l'intention de rêver d'elle, me dit-elle, elle n'en serait pas mécontente. « On ne sait jamais, sur un malentendu », ajoute-t-elle, malicieuse !
Les morceaux s'enchaînent. Trop vite, trop vite. On arrive à Page noire et je n'ai rien vu passer. Page noire, c'est le moment critique. Hubert va saluer et ce sera presque fini. Mais bon sang, dans quelle brèche spatio-temporelle venons-nous de tomber ? Nous avons tous oublié, je crois, où nous étions, qui nous étions, et à quelle époque ! C'est vrai, ça, elles se mélangent toutes délicieusement : celle de la rue Mouffetard, celle des enregistrements à New York, celle des confinements en série. Et voilà qu'il est déjà l'heure de La queue. Alors là, on a frôlé la catastrophe : dans les premiers rangs du public, quelqu'un a osé dégainer un flash. Là, Hubert se fâche copieusement. « Arrête avec ton truc, je me le prends en pleine gueule », lâche-t-il. Deux secondes plus tard, c'est la chanson qu'il menace de lâcher. Il se contente d'en escamoter quelques strophes. « Faut pas gonfler Félix-Hubert quand il pousse la chansonnette », voilà ce qui me vient en écrivant ce matin. Façon Gérard Lambert sorti de ses gonds. Un peu plus et Hubert se barrait comme ça, sans autre forme de procès. Aïe, aïe, aïe... Vous voyez : un rien peut mettre le bonheur en péril. C'est pour ça que je m'en méfie. On ne sait jamais ce que ce saligaud cache dans sa besace.
Allez, pas grave : Hubert reprend le truc. Un peu en colère. Ça lui passera pendant La fille du coupeur de joints. 655321, qui est assis pas très loin de moi, me chope au passage. Allez, je descends de la montagne, moi aussi, je laisse mes voisines à leur pâmoison collective et je vais vivre la mienne un peu plus loin.
Voilà, c'est fini. Les lumières se rallument, la brèche spatio-temporelle nous recrache. Nous, c'est la réalité qu'on se prend en pleine gueule en cet instant cruel. Il faudra bien négocier la redescente. Ah ben non, c'est vrai, ce n'est pas pour tout de suite : il y a encore Sausheim !
À la fin du concert, je vais traîner du côté du merchandising. Très mauvaise idée qui va encore porter un coup fatal à mes finances. Je prends un tee-shirt (que je ne mettrai que deux fois dans ma vie) et une affiche (que je vais encadrer et accrocher dans mon salon). Je tends ma carte bleue au vendeur et je lui dis en riant : « Avec tout le fric que j'ai dépensé pour Hubert, je pense qu'il a pu se payer une voiture ». Et pas une sans permis, s'il vous plaît ! Mais c'est quoi, ces considérations tordues ? On s'en fout pas mal. La voiture, je m'en cogne. Ce qui compte, c'est quand même qu'Hubert m'ait aidée à traverser l'existence et que ses chansons aient accompagné celle-ci jusque dans ses moindres recoins, lui faisant une bande-son qui ne s'éteindra qu'avec moi. Oh yeah, je deviens lyrique !
Un peu plus tard, les musiciens se pointent. Grâce à Sam (un autre furieux du Bébert), qui n'a peur de rien ni de personne, une discussion s'engage avec Jean-François Assy et Frédéric Gastard. En voilà deux qui, en plus d'être incroyablement talentueux, sont incroyablement gentils. Vraiment choux, pour reprendre le terme de ma voisine. Nous sommes trois (Sam, 655321 et moi) à leur faire des compliments à gogo. Il faut dire qu'ils le méritent. Il faut dire que sur cette tournée, musique et textes s'emboîtent divinement. Là aussi, planètes parfaitement alignées, tarots bienveillants, épousailles rondement menées : c'est avec une grâce infinie que l'alchimie opère dans son petit laboratoire. Ça ne fait que des heureux, c'est vraiment la classe. À chaque fois, c'est la même joie qui s'exprime dans toutes les bouches. D'ailleurs, vendredi, j'ai emmené une de mes amies à son premier concert d'Hubert et on peut dire qu'elle en est ressortie éblouie.
Des pâmoisons qui tombent en pluie, vous dis-je ! Le bonheur servi sur un majestueux plateau d'argent. La facture sera salée, c'est sûr, les dieux n'accordent du répit à l'humanité que pour mieux frapper ensuite, j'en suis convaincue. Mais pour le moment, foin de ces considérations pessimistes : Sausheim, nous voilà !
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07/05/2022
Thiéfaine à Thionville : or, grâce et perfection !
"L'homme, chaque soir en se couchant, peut compter ses pertes : il n'y a que ses ans qui ne le quittent point, bien qu'ils passent". CHATEAUBRIAND
Vous attribuez ça à quoi, vous, ces moments qui épousent la perfection ? À un complet alignement des astres, à un répit accordé par les dieux soudain compatissants (personnellement, j'ai des doutes quant à leur capacité de compassion, mais bon, sait-on jamais) ? Vous savez, ces moments où tout s'emboîte merveilleusement, où pas une ombre ne vient obscurcir le tableau ? C'est la grâce qui nous visite durant quelques heures, puis repart discrètement, nous laissant au cœur la nostalgie de ce don qu'elle nous a accordé, on ne sait trop pour quelle raison. Ce n'est pourtant pas qu'on ait été plus sage qu'à l'accoutumée. Non, la sagesse, on ne connaît pas. Mais voilà : un cadeau nous est fait, ne cherchons pas ni comment ni pourquoi, prenons-le à pleines mains. Ne nous gênons pas, soyons comme Harpagon avec son or. D'ailleurs, dans ces moments-là, c'est de l'or qui s'offre à nous en cascade, et c'est ce qui rend la vie à peu près habitable (j'ai bien dit « à peu près » car, quand même, ce n'est pas pour rien que j'écoute Thiéfaine).
Thionville, hier soir, c'était donc ça : or, grâce et perfection. J'ai tout de suite senti que ça allait s'envoler vers les cimes. Difficile de dire pourquoi, mais vraiment, je l'ai senti. À 20h10, le concert n'ayant pas encore commencé, ça grondait « Hubert ! » un peu partout dans la salle. L'impatience faite braise. On avait affaire à des vrais, à des purs, à des durs. Jamais, je crois, je n'avais vu autant de tee-shirts à l'effigie d'HFT. Et moi qui n'avais même pas mis le mien (enfin, un des miens). Ben non, je n'y arrive pas trop, je ne saurais expliquer pourquoi. Toujours, quand j'en porte un, je me trouve légèrement ridicule avec ma passion déballée sans pudeur. Alors les tee-shirts s'entassent dans l'armoire, ne quittant leur odeur de renfermé que quand je daigne les sortir au grand air. Une fois par an, peut-être. De toute façon, j'ai trop peur de les abîmer, alors ils sont bien là où ils sont !
Bref...
Oui, donc, or, grâce et perfection. Une osmose de toute beauté entre le public et ceux qui se donnaient à fond sur scène. Frédéric Gastard égal à lui-même, mouillant la chemise comme un forcené, insufflant à tous les instruments qu'il touchait un supplément d'âme comme on en fait peu. Lucas toujours fougueux, entièrement abandonné à son extase et nous la communiquant. Jean-François Assy nous offrant, dans l'intro des Dingues, un solo de la plus pure des espèces. Discret ne veut en aucun cas dire terne, qu'on se le tienne pour dit, non mais ! Christopher Board un peu effacé lui aussi, mais efficace, comme à son habitude. Cela fait un certain nombre d'années que ça dure, pour notre plus grande joie.
Et Hubert dans tout ça ? Au sommet de son art, vraiment. Je sais, je ne suis pas un modèle d'objectivité quand il s'agit de parler de lui, mais tout de même. Il faut reconnaître que les années semblent à peine l'effleurer. Bien décidées à être avec lui ce qu'elles ne sont pas avec tout le monde : clémentes. Lui octroyant le traitement qu'elles réservent aux grands crus.
Allez, d'accord, oui, un petit accroc dans les paroles de La ruelle des morts. Allez, d'accord, oui, quelques égratignures sur Vendôme. Mais quoi, Hubert nous a prévenus : cette chanson lui donne du fil à retordre, alors un peu d'indulgence ! De toute façon, claudicante ou pas, elle me fait toujours vibrer jusqu'à la moelle ! Et puis, tout le monde sait bien que l'essentiel est ailleurs.
L'essentiel, il est dans les yeux inondés d'étincelles de ce jeune couple qui restera debout durant tout le concert et chantera à tue-tête du début à la fin. Aujourd'hui, ce sont deux voix cassées qui évoqueront avec nostalgie la soirée d'hier. À moins que ledit couple ne soit aussi allumé que moi (ce que je suis en droit de soupçonner au vu de l'ardeur qu'ils affichaient tous deux hier) : dans ce cas, ce soir, ce sera Neuves-Maisons, et la nostalgie sera priée de repasser dimanche ! D'ailleurs, le dimanche, c'est fait pour ça. C'est fait pour les lendemains de fête la tronche de travers, c'est fait pour les gueules de bois aussi mornes que les lundis...
L'essentiel, il est dans les interactions qui se jouent sans arrêt entre Hubert et le public, entre Hubert et les musiciens, entre le public et les musiciens et entre les musiciens eux-mêmes. C'est comme un boomerang qui n'en finirait pas de voltiger dans les airs, et qu'on se renverrait volontiers comme ça jusqu'au bout de la nuit.
Mais non, voilà que déjà retentissent les premières notes de La fille du coupeur de joints. Il va être l'heure de se quitter. Après la vague de démence qui aura secoué son petit monde dans la salle, il faudra s'arracher (comme la vie est cruelle) à la cascade d'or qui dégringolait sur nous il y a quelques minutes encore. Au revoir Hubert, au revoir Thionville, au revoir mes compagnons de fièvre bien sympathiques.
J'appuie sur le starter, je regarde droit devant parce que ce soir il y a encore Neuves-Maisons. Après, d'accord, on éteindra les lumières et on pourra pleurer un peu si le cœur est en berne. Il aura bien le droit de l'être, merde alors. Ça y est, j'ai fait plus de dates que je n'en ferai sur cette tournée. Attendez, c'est quoi, ce désastre ? Il n'y aurait pas moyen d'aller cueillir ici ou là une splendide perspective ? Un petit festival d'été, par exemple, pour lequel je prendrais un billet comme ça, sur un coup de tête, histoire de dire que la fête n'est pas finie ?!
11:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
05/05/2022
Ce week-end sera thiéfainien ou ne sera pas !
"Les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais". Oscar WILDE (je l'ai déjà citée ici, celle-là, mais je me répète sans scrupules parce qu'elle est d'actualité et tellement vraie !).
Le week-end qui arrive sera diablement thiéfainien ou ne sera pas ! Enfin, je reprends une activité normale : un concert demain à Thionville, un autre samedi soir à Neuves-Maisons. Franchement, je me félicite d'avoir choisi de vivre dans le Grand Est. Euh, pourquoi j'utilise cette expression, moi, alors que je la trouve indigeste ? J'habite en Lorraine, point !!! Bref ! En tout cas, dans l'Est de la France, il y a toujours moyen de voir Hubert plusieurs fois sur la même tournée. Je me suis déjà fait des semaines HFT !!! Enfin, j'exagère un peu, mais pas exagérément : il y a quelques années, j'ai effectivement pu assister à un concert par soir pendant quatre jours ! L'extase, quoi ! La semaine que je devrais pouvoir revivre en boucle jusqu'à la fin des temps !
Bon, là, ce sera un peu plus « modeste », deux soirs seulement. Mais quand même ! Je ne vais pas bouder mon plaisir, ce n'est pas mon genre quand il s'agit de choses aussi sérieuses.
Allez, pour changer de registre, je vais faire mon Gauvain Sers :
Pourvu qu'aucun obstacle ne se mette en travers de ma route, ni demain, ni samedi. On ne sait jamais, une grippe foudroyante, etc. J'ai déjà tout envisagé et je sais que la vie, cette tordue, a encore plus d'imagination que mon esprit déjà pas mal tordu dans son genre, alors je reste sur mes gardes : tant que je ne serai pas dans la place, comme on dit, une légère appréhension flottera encore dans l'air que je respirerai – du bout du nez et des lèvres pour ne pas me faire contaminer par les microbes ambiants, qui sont légion, méfiez-vous !
Pourvu qu'Hubert ait la même pêche qu'à Bar-le-Duc. Là, vraiment, il m'a épatée. Celui qui s'est déjà défini lui-même comme un caillou catatonique a fait preuve d'une belle loquacité lors du concert meusien. Avant de se lancer à l'assaut de Vendôme, il nous a expliqué combien jouer cette chanson lui coûtait d'efforts. Et de nous raconter que des gens ont le culot de dire que la guitare, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. « Mais il y a des vélos vicieux, hein », a-t-il ajouté d'un air malicieux ! Puis, il nous a dit que pour ce morceau, il avait vraiment tout essayé : avec un tabouret, assis sur ledit tabouret, puis debout, toujours sur le même tabouret ! Tout cela pour, si j'ai bien compris, pincer les bonnes cordes au bon moment ! C'était vraiment drôle. Point de vue ambiance dans la salle, Bar-le-Duc, ça n'avait rien d'exceptionnel. J'ai préféré Vittel. Bar-le-Duc, c'était tranquille pépère. Je ne saurais dire pourquoi, mais il y avait un truc un peu ronronnant là-bas. Moins d'entrain que dans les Vosges. La fille du coupeur de joints a tout de même réussi à mettre tout le monde dans un mood festif (voilà que je me mets à parler comme les ados que je côtoie à longueur de temps, désolée). Bon, ça rattrapait le reste.
Pourvu aussi qu'Hubert ne soit pas malade. Je rappelle qu'il a quand même dû annuler un concert sur cette tournée, puis écourter celui du lendemain. Inenvisageable demain ou samedi. Il faut que ça pulse et que grâce à l'effet magique d'HFT, on retrouve (même nous, les vieux) la lumière de nos vingt ans, celle qui éclairait de son faisceau aveuglant la longue route qu'on devinait devant nous, de loin...
Pourvu que chaque musicien soit lui-même, qui avec sa réserve, qui avec son grain de folie, et que tous ces tempéraments mêlés nous offrent la splendide harmonie qui préside à chacun des concerts de cette tournée.
Pourvu qu'au bout du compte, en faisant le bilan du week-end, on ne sache pas dire quel concert était le meilleur, le plus intense, le plus beau, le plus fou !
20:58 | Lien permanent | Commentaires (3)