25/10/2024
On retrouve de ces choses... ("Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" !)
"J'attendais qu'elle arrête d'être morte". Agnès DESARTHE
Oui, c'est vrai, ça : on retrouve de ces choses quand on fouille dans d'anciens journaux intimes, carnets et compagnie ! Cet été, j'ai déménagé une cargaison de trucs de ce genre. Il faut dire que j'écris depuis l'âge de 13 ans, et de façon compulsive ! Pour moi, tout ce qui est vécu doit être écrit, sinon c'est mort, c'est perdu, c'est mal vécu, vécu de traviole, voire pas vécu du tout. C'est une manie qui me vient de loin. Et que je bénis parfois, quand même. Hier, je me suis amusée à trifouiller dans tous les coins et recoins, partout où j'ai entassé, dans mon appartement, de quoi faire de la lecture à mes filles pour les millénaires qui viennent. Un jour, il faudra jeter tout ça, sans autre forme de scrupule. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Et puis, d'ailleurs, ce serait dommage pour le canard. Donc, peut-être que quand je serai toute ratatinée, je prendrai le temps de relire ce qui, au fil du temps, a fini par devenir le récit de ma vie (prévoir plusieurs années de retraite pour ce faire, et ne faire que ça, sans envisager une seconde d'aller ne serait-ce qu'aux toilettes !). Peut-être que j'aurai ensuite la force de tout bazarder. Bref... En attendant, il y a là-dedans des lignes que j'ai envie de sauver. Parce qu'elles parlent de Thiéfaine, et dépeignent ma passion dans ses différentes étapes.
Le 20 décembre 1992, par exemple, dans mon journal, je fais ce que j'appelle mon «désormais traditionnel bilan de fin d'année » (je ne connais pas une seule année où ce bilan n'ait pas été établi, c'est quelque chose que je fais encore maintenant, à mon grand âge : vers la fin de chaque mois de décembre, je me pose pour expliquer quels furent les moments de joie et les moments merdiques de l'année qui est sur le point de mourir). Et, le 20 décembre 1992, je note ceci, brièvement : « J'ai découvert Thiéfaine, c'est hyper important ». Je ne croyais pas si bien dire, ou plutôt écrire ! Si la jeune fille que j'étais en cette fin 1992 avait pu voir son évolution sur les décennies futures, quelle tête aurait-elle bien pu faire en se rendant compte que ce « hyper important » allait se transformer en primordial et ne jamais faiblir ?!
Et puis, il y a ce journal de l'année 1995, celle de mon premier concert de Thiéfaine. Alors là, c'est drôle. Dans mon cahier (mauve), je parle de cet événement comme de la venue du messie, et Dieu seul sait s'il n'y a pas un rapport !
Florilège :
Vendredi 6 octobre 1995 : Depuis ce midi, j'échafaude des tas de plans pour aller voir Thiéfaine en concert : il va effectivement venir à Sarreguemines le 27 octobre. Depuis que je sais ça, je suis DINGUE (écrit comme ça dans le journal !). Il faut à tout prix que je voie ce grand, ce gigantesque bonhomme. Dans le pire des cas, je vais au concert avec ma mère !! Elle va devenir folle, elle n'aime pas spécialement HFT !! Dans le meilleur des cas, j'y vais seule, en voiture. Mais ne rêvons pas. De toute façon, mes rêves ne se réalisent jamais, quoi que je fasse... Si seulement je pouvais assister à ce concert !
(Remarque : Finalement, c'est bien ma mère qui m'emmena à Sarreguemines le 27 octobre 1995. J'ai déjà évoqué la chose ici dans les grandes largeurs. Ce qui me contraria sur le moment devait faire de ce concert l'un des plus beaux moments que je pus partager avec ma mère. Ah, si j'avais su, en 1995, qu'il ne restait que quatorze années de vie à ma Mutti, j'aurais peut-être envisagé différemment sa venue au concert... Si jeunesse savait, n'est-ce pas !)
Poursuivons :
Mardi 10 octobre 1995 :
Waow ! Ce soir, je suis totalement DINGUE (écrit comme ça dans le journal !) ! Tout d'abord parce que j'ai fini les corrections que je devais apporter à mon mémoire de maîtrise. Youpi ! Ensuite, demain, je vais acheter un billet pour le concert de Thiéfaine ! Deuxième youpi et explications : en fait, je vais acheter deux billets. Ma mère vient avec moi, elle aime les ambiances de concert, m'a-t-elle dit. De mon côté, j'ai réfléchi et je me suis dit que je ne pourrais renoncer à aller à ce concert. Moralement, je n'en aurais pas la force ! Je suis trop dingue d'Hubert-Félix ! Alors, tant pis, j'irai donc avec ma mère. C'est mieux que de ne pas y aller du tout. Je veux À TOUT PRIX voir Hubert ! J'espère qu'il y a encore des places. Demain matin, à dix heures, je fonce à la FNAC pour y acheter les billets !
(Un rien pitbull déjà... Un pitbull terriblement romantique : « Je suis trop dingue d'Hubert-Félix ». Si c'est pas mignon pour un pitbull !!!).
Mercredi 11 octobre 1995 :
(…) En définitive, je n'aime que les chiens ! Et HFT et Léo Ferré et Gainsbourg. Je n'en reviens pas, j'ai été déçue des milliers de fois...
(Et encore, ça ne faisait que commencer !!!).
Jeudi 26 octobre 1995 :
Jour J moins un avant le concert de Thiéfaine ! YOUPI ! Je suis déjà toute dingue ! J'espère ne pas être déçue. Cela m'étonnerait quand même, car HFT est GRANDIOSE, cela ne fait aucun doute.
(Un rien fanatique, le pitbull).
Nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre 1995 :
1h25 du matin. Il faut à tout prix que je raconte ma soirée ! Le concert est passé, snif ! C'était tout simplement GRANDIOSE, GÉNIAL, ÉPOUSTOUFLANT, MERVEILLEUX, EXTRA, MAGNIFIQUE, MAGIQUE... La salle des fêtes de Sarreguemines est assez petite, j'étais à environ trente mètres d'Hubert-Félix... Le concert m'a vraiment plu. Il y avait beaucoup d'excités, beaucoup de fumeurs de joints mais, sinon, tout était EXTRA. Hubert-Félix a une présence inouïe sur scène. Il fait le clown entre deux chansons, raconte tout et n'importe quoi... Et quand il chante une chanson triste, il sait faire passer le message, communiquer ses émotions, ses blessures. Je suis plus fan que jamais !
Et ainsi de suite sur plusieurs pages... Si cela vous intéresse, je mettrai cette suite. Il n'y a qu'à demander. Après, ce n'est pas de la haute littérature. « Il sait faire passer le message » : plus plat que ça, tu fais difficilement ! « Il raconte tout et n'importe quoi » : pas gênée, la meuf, d'écrire une chose pareille !
Oui, c'est naïf, c'est bourré de maladresses et de tartignoleries adolescentes, mais qu'est-ce que c'est chouette de retrouver ça et de se dire « Je n'ai pas tellement changé » !!!
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19/10/2024
Époustouflante Clara Ysé : c'était à la BAM, à Metz, hier soir...
"Le sang qui ne coule plus dans les veines des morts, ce sont les vivants alentour qui le perdent". Christian BOBIN
Longue chevelure qui descend, telle une cascade, sur le dos et les épaules. Douce silhouette qui ne peut se mouvoir, semble-t-il, qu'en ondulant des pieds à la tête. « Von Kopf bis Fuß », l'expression me vient en allemand (les éléments y sont mis dans le sens inverse du français), et il ne serait pas faux de la compléter à la manière de Marlene Dietrich : « auf Liebe eingestellt ». « Von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt » : faite pour l'amour, des pieds à la tête. Cette femme, Clara Ysé, est un volcan qui ne s'éteint jamais. Il en jaillit régulièrement la substantifique lave, sous forme de mots. Les mots en toutes circonstances, les mots pour dire, mais pas seulement : les mots pour pouvoir se taire et faire taire. Je me souviens qu'au Livre sur la Place, en septembre, Clara Ysé avait expliqué que parfois l'écriture lui permettait de « s'autoriser à oublier ». J'avais acquiescé en mon for intérieur. Je connais ça : parfois, écrire une chose, c'est se donner la chance de la revivre. Parfois aussi, c'est comme la balancer par-dessus bord : une fois jetée sur un cahier que l'on referme, elle n'existe plus vraiment en vous, elle a pris une autre consistance dans un ailleurs clos. Cela peut être salutaire. Combien de blessures ai-je pu soigner ainsi !
Elle arrive sur scène et c'est une salle entière qui se suspend à sa voix, à ses gestes, à ses poèmes mis en chansons. Car c'est de la poésie à l'état pur que nous livre Clara Ysé. Durant tout le concert, je suis absorbée par son univers. Son corps semble ne pouvoir se déplacer qu'en ondulant, écrivais-je plus haut. Il semblerait qu'il en soit de même pour sa voix, qui balaie toutes les gammes. Tour à tour suave, murmurante, puissante. Caresse, chuchotis, couteau. Au gré des envies, au gré des écorchures. Clara Ysé n'a que trente-et-un ans, mais déjà la maturité de plus tard dans l'existence, bien plus tard. Cela confère une certaine mélancolie à ses chansons. Une grande force aussi. Au fil de la soirée, nous effleurons avec elle tout ce qui la constitue : ses amis, ses amours, ses emmerdes, ses deuils et ses éblouissements. Au moment où elle interprète Lettre à M, déchirante déclaration d'amour à sa mère disparue, je ne peux retenir mes larmes. Je pense à celle que j'appelais Mutti, aux cheveux blancs qu'elle n'a pas eus, aux fous rires auxquels le destin mit un coup d'arrêt fatal. « Mais va-t-il arriver
Ce temps espéré où tu cesseras de me manquer ? », demande Clara Ysé. Je voudrais bien lui répondre que oui, que ça arrivera un jour, mais l'expérience me prouve que non, ça n'arrive jamais. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré, et je n'ai pas trouvé plus pertinent que cette formule terrible, à part peut-être plus tard sous la plume de Thiéfaine : « Le silence des morts est violent quand il m'arrache à mes pensées »... Courage, ma belle Clara, une vie à traverser sans sa mère, c'est long, c'est injuste, c'est plein d'épines...
Et pourtant, « Regarde derrière les nuages
il y a toujours le ciel bleu azur qui, lui,
vient toujours en ami, te rappeler tout bas
que la joie est toujours à deux pas », chante-t-elle aussi. Parce qu'elle n'est pas de celles qui cèdent aux sirènes des « rois du désespoir ». La vie est multiple, elle est tantôt clémente, tantôt ignoble, et ça, du haut de ses trente-et-un ans, Clara Ysé le sait. C'est pourquoi elle ne la réduit pas, cette vie, à une seule formule péremptoire. Non, elle la décline sous toutes ses formes : boue, étincelles, tristesse, émerveillement. On la suit, charmés, dans tous les méandres où elle nous conduit par la main. « Je ne sais, il est vrai, chanter que les naufrages », nous dit-elle. Oh non, pas seulement. Ou alors les naufrages dans ce qu'ils ont de beau !
On sort de là puissamment chaviré, secoué, chamboulé. Moi peut-être encore plus que les autres (sans vouloir faire ma frimeuse). Car, avant le concert, dans le hall de la BAM, j'ai croisé par hasard (mais était-ce un hasard ?) la psychologue qui me suivait à l'hôpital. Nous nous sommes dit, entre deux portes, des mots d'une incroyable profondeur. Je lui ai demandé des nouvelles du service hémato. Après quoi, j'ai dû sortir pour prendre l'air et laisser couler quelques larmes. Elle a raison, la belle Clara : on ne sort pas indemne de certains chapitres de nos vies. Et il en est quelques-uns que l'écriture, aussi magicienne soit-elle, ne permet pas de reléguer dans l'oubli... On couche toujours avec des drames...
Mais, et son concert me l'a prouvé : « il y a toujours le jour qui pose ses lumières
sur un coin de la Terre, te rappelant tout bas que la joie
est toujours à deux pas », (...) « Vers un nouveau rivage ton cœur est emporté et l'ancien territoire t'éclaire de ses phares ». La maladie comme un ancien territoire d'où je suis revenue et qui m'éclaire de ses phares, chaque seconde désormais, pour me dire : « Profite, ne gâche rien, ne laisse rien ni personne gâcher la fête ». Moi aussi, comme Clara Ysé, je suis VIVANTE !
11:31 | Lien permanent | Commentaires (21)
12/10/2024
Nena à la Saarlandhalle : quand les étoiles s'alignent parfaitement dans le ciel !
"Chaque jour peut être le dernier : il n'en est donc aucun d'insignifiant". Christian BOBIN
Ce jeudi 10 octobre est un jour parfait. Ça n'arrive pas si souvent ! Dans ces cas-là, j'imagine des milliers d'étoiles sortant, en plus de leurs petits bras musclés, leurs règles, compas et compagnie pour créer, dans le ciel, un alignement et un éloignement irréprochables. Après cela, elles sont en général crevées et ont besoin de se reposer pendant de longs mois. D'où la rareté du truc. Et la nécessité de le savourer.
Tout est parfait puisque ma fille Clara peut m'accompagner au concert de Nena qui a lieu ce soir à la Saarlandhalle, à Sarrebruck. Nos emplois du temps sont alignés, eux aussi, pour une fois, ce qui fait que nous pouvons passer une partie de l'après-midi dans le centre de la ville sarroise avant d'aller au concert. Retrouvailles avec ma librairie préférée, flânerie dans la grande rue commerçante.
Vers 17h30, je dis à Clara qu'il ne faudra pas tarder à manger. Le concert commence à 20h, d'accord, mais la Saarlandhalle est assez loin du centre-ville. Et Nena, en Allemagne, c'est une star, elle va forcément attirer les foules. Une heure et demie plus tard, j'en ai la preuve : le parking qui se trouve près de la salle est bondé. On cherche une place et je m'énerve, comme je sais si bien le faire. Je repense à la fois où je devais aller voir Mark Knopfler au Luxembourg et où j'avais été prise dans des bouchons infernaux qui m'avaient fait arriver très en retard. Puis, une fois au Luxembourg, impossible de trouver une place où larguer ma voiture. Si bien que je m'en étais retournée chez moi, écœurée. En ce jeudi 10 octobre où tout est pourtant bien parti, me revient ce traumatisme (oh, ça va, il n'était pas si terrible, j'en ai vécu d'autres, des vrais, depuis). Je dis à Clara qu'on ne va jamais y arriver. « Mais si », me répond-elle calmement, habituée à mes coups de flip !
Nous finissons par trouver un endroit où laisser la voiture, sur un petit chemin douteux où je ne m'aventurerais pas seule la nuit (ça tombe bien, nous sommes deux, merci les étoiles). Nous descendons vers la Saarlandhalle. Il pleut, les voitures circulent à grande vitesse sur la route que nous longeons. Je m'exclame : « Même pour Hubert, j'ai jamais fait ça ». Bien sûr que si que je l'ai fait, voyons ! J'ai même fait pire. Souvenir du concert de Vittel, il y a quelques années, où j'avais eu droit à toutes les saisons sur la route. Et croyez-vous que cela m'aurait fait renoncer ? Niemals !!!
Nous voilà au merchandising. Je veux acheter un tee-shirt et le mettre en classe (au printemps, bien sûr, pas lundi prochain où ça va cailler sa mère, et là je pique l'expression à une de mes anciennes élèves tant je l'avais trouvée rigolote : « ça caille sa mère » - vous remarquerez que la mère est toujours responsable de tous les maux). Le mettre en classe, le tee-shirt, en espérant susciter des questions de la part de mes élèves. Questions qui, elles-mêmes, susciteront des réponses promotionnelles. Enfin, si c'est comme avec le tee-shirt de la tournée Scandale mélancolique arboré fièrement en classe il y a une quinzaine d'années, je peux vous dire que mon espoir va vite se retrouver boxé. Ce jour-là, un élève m'avait dit : « Ouah, madame, vous connaissez Hubert-Félix Thiéfaine ? ». Moi, pleine d'attentes en tous genres (la première étant d'avoir un fan d'HFT parmi mes élèves, naturellement) : « Oui, j'aime beaucoup » (je ne dis pas « j'adore » dans ces moments-là, tenue correcte exigée). « Toi aussi ? », avais-je ajouté. Et là, la déconvenue totale : « Non, c'est mon père qui écoute ça ». Moralité : ne jamais rien espérer, la vie est trop cruelle.
Dans la file d'attente devant le merchandising (oui, nous quittons ma salle de classe de Nancy pour retourner à la Saarlandhalle), je rencontre un couple franco-allemand. C'est elle qui est allemande. Elle est heureuse de trouver des Françaises ici. Elle s'étonne de mon engouement pour la langue allemande (que je lui dépeins dans les grandes largeurs, c'est plus fort que moi). Elle trouve que l'allemand est une langue agressive. Oh, je sais, on me la fait tout le temps, celle-là. Et les Allemands ne sont pas les derniers à critiquer le trésor qu'ils partagent pourtant avec Goethe, Heine, Kleist et tant d'autres...
Voilà, j'ai mon tee-shirt Nena. Il va désormais concurrencer ma panoplie HFT ! Dans un cas comme dans l'autre, vous savez... Y a guère que les vieux qui sauront de quoi il retourne. Ou les enfants de vieux. Voire les petits-enfants de vieux. Hier encore, j'avais vingt ans, mais bon...
Il y a une première partie dont je ne vous dirai rien pour la simple et bonne raison que je n'y ai pas assisté. Ma fille voulait fumer une cibiche. Puis aller aux toilettes. Tout cela nous a tellement occupées que zou, première partie finie en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. J'ai l'impression que la chanteuse n'a interprété que trois morceaux comme ça, vite fait, à l'arrache.
Et puis arrive celle que tout le monde attend : Nena. Avec un grand « N », comme celui qui s'affiche somptueusement sur le décor de la scène. Les lumières ne s'éteignent pas tout de suite. Nena explique qu'elle veut nous voir (« ich will euch sehen », dit-elle, et c'est beau, purée, on dirait du Goethe !). J'ai des frissons partout tant je suis heureuse d'être là : à un concert de Nena que j'écoute depuis si longtemps, dans le pays qui est devenu ma deuxième maison (« mein zweites Zuhause », comme je dis toujours), après une maladie qui a failli me priver de toutes ces splendeurs. Parfois, penser que l'Allemagne continuera son bonhomme de chemin sans moi après ma mort me rend mélancolique et songeuse. Va-t-elle vraiment y arriver ?!
Nena nous voit, donc, et elle s'en réjouit. Elle est tout sourire, comme à Colmar. Son beau visage, sa silhouette filiforme, sa voix cristaline, la merveilleuse langue dans laquelle elle chante : de tout cela émane un charisme dingue.
Les titres s'enchaînent, offrant un aperçu éclectique de la carrière non moins éclectique de la chanteuse : il y a du rock, beaucoup de rock (et Nena d'empoigner plusieurs fois sa guitare électrique), du disco, des balades. Aucun temps mort, sauf ces trente secondes de silence que Nena réclame en faveur de la paix dans le monde. Le silence a d'ailleurs du mal à se faire dans la Saarlandhalle, comme la paix dans le monde... Il finit par arriver quand même, et c'est puissant, je n'avais jamais vécu cela dans une salle de concert.
Clara me dit qu'elle ne regrette pas d'être venue. Elle kiffe. Elle trouve que Nena a une voix magnifique, me dit que l'allemand est une très belle langue. N'est-ce pas que ta mère a raison, ma fille ?! Je sens qu'il va falloir que je planque mon tee-shirt, moi !
Les temps forts de ce concert qui en regorge ? 99 Luftballons, bien sûr. Leuchtturm, forcément. Irgendwie, irgendwo, irgendwann, na klar ! Rette mich, évidemment. In meinem Leben aussi, sorte de longue confession dans laquelle Nena avoue s'être plantée plus d'une fois sur le chemin de la vie et n'avoir pas fait que des choses bien. Qu'elle se rassure : moi non plus, et personne dans la salle. Et personne dans le monde entier ! Que celui qui n'a jamais péché, n'est-ce pas...
Le concert dure deux heures et on ne les voit pas passer. On sait pourtant que Saturne, le « dieu fort inquiétant », reste tout-puissant même et surtout quand les étoiles sont disposées dans une géométrie aussi parfaite qu'étonnante. On voudrait que ça ne passe pas, et ça passe quand même.
Et me voilà ce matin, un rien nostalgique...
09:53 | Lien permanent | Commentaires (5)
06/10/2024
Des idées bizarres (vivre au rythme des guitares des rock'n'roll stars)
"L'amour que je vous porte est sévère. Il a ruiné par avance tout ce qui pourrait m'en guérir". Christian BOBIN
J'ai parfois, je l'avoue, des idées bizarres. Mais qui n'a pas ses idées bizarres, en plus de sa névrose, monsieur le commissaire ?
Beaucoup d'idées bizarres en ce qui me concerne. D'ailleurs, généralement, quand je prononce cette expression dans mon entourage, « des idées bizarres », j'ajoute en chantant : « Vivre au rythme des guitares », c'est dire à quel point je peux être dérangée, et je suppose que vous avez la réf de « vivre au rythme des guitares » ! Bref...
Bien sûr, dans ce fouillis, il y a forcément des idées qui ont trait à Hubert-Félix. Parce qu'il n'y a pas que Michel Berger dans la vie ! Évidemment que le domaine HFT est touché par mes idées saugrenues : n'est-il pas un de ceux qui signent le plus précisément ma personnalité ?!
Petit catalogue :
-Parfois, comme ça, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, je me demande ce que Thiéfaine peut être en train de faire à ce moment précis où je pense à ce qu'il peut être en train de faire.
-Parfois, je rêve de Thiéfaine. C'est même chose récurrente, pour ne pas dire courante. Ce sont toujours de très beaux rêves. Une fois, j'avais rêvé que je le rencontrais dans un magasin au rayon alcools. C'était il y a longtemps, à la fin des années 1990, je m'en souviens parfaitement. Depuis, mes rêves se sont modifiés : Hubert ne boit plus et, par conséquent, je ne le rencontre plus au rayon alcools. D'ailleurs, je ne le rencontre plus au supermarché. Dommage, ce serait drôle de lever les yeux de ma liste de courses et de devoir les écarquiller à fond : mais qui donc aperçois-je entre la farine et le sucre ?!
Une autre nuit, il n'y a pas si longtemps, j'ai rêvé que Thiéfaine donnait un concert au fond de mon jardin, dans une … baraque à frites ! Bon, j'ai déménagé depuis et je n'ai plus de jardin, il en allait de ma santé mentale ! Parce que les concerts dans des baraques à frites, quand même, ça va trop loin !
-Parfois, de même que j'adorerais pouvoir entendre le français avec les oreilles d'un étranger qui ne maîtriserait aucunement cette langue, je voudrais repartir à la source première, quand je ne connaissais pas Hubert. Me reprendre de plein fouet 17 albums dans le cœur. Combien de chansons au total ? Je ne sais pas, mais beaucoup. M'enfoncer dedans avec une abyssale virginité. Découvrir tout cela d'une oreille nouvelle. Et n'en pas croire cette oreille tellement ce serait beau et puissant et renversant. Voir quel effet ça me ferait, cette première fois de folie. Oh, j'ai déjà une vague idée quand même, va. Mais bon. Rien que pour le plaisir. Recommencer. Être comme une gosse qui s'exclamerait joyeusement « prem's !» en voyant qu'elle est la première à marquer de ses pas une neige immaculée.
-Souvent, quand je converse avec quelqu'un, mon esprit s'en va flotter ailleurs, encore plus loin ailleurs, dans des méandres dont moi seule maîtrise le tracé (et encore, pas toujours) : mon interlocuteur (ou trice, cela va sans dire, ma folie s'abat sans distinction de genre sur tout ce qui passe à sa portée) prononce un mot et là, je vois clairement apparaître sur un écran imaginaire les vers qui, dans l'œuvre d'Hubert, font écho à ce terme, et je connais une certaine Bételgeuse qui, entendant ou disant elle-même « Je ne fais que passer », aurait forcément envie d'ajouter et peut-être ajouterait, et peut-être a même déjà ajouté (!) : « Je n'aurai pas de rides ». Les exemples seraient légion, et pourtant aucun autre ne me vient là, aujourd'hui, mince alors, c'est pas juste sachant que c'est hallucinant comme les scènes de ce genre remplissent ma vie. Et la colorent d'une subtilité folle. Et lui confèrent une magie dont il y a lieu de s'étonner régulièrement. C'est si chouette d'avoir en soi des mots qui vous fredonnent un univers secret ! Univers auquel, durant la maladie, je ne manquai pas de m'accrocher comme un perdu en mer s'accrocherait à un radeau. Partout, aux alentours, la tempête faisait rage, mais moi, au fond de mes précipices, bien sûr j'avais encore mes précipices, mais aussi, magiquement, mes ascenseurs. Je suis sûre qu'en certains moments particulièrement critiques, cela a fait remonter mon taux de plaquettes et effrayé mes blastes, à en faire perdre toute explication rationnelle au personnel médical ! La poésie comme le plus puissant des breuvages, pour moi en tout cas !
-Parfois, quand on me branche sur le sujet Thiéfaine, on me voit passer de la timidité à l'exubérance incontrôlable. De taiseuse, je deviens volubile, et pas que pour le bien de mon interlocuteur (ou trice, cela va sans dire, mes logorrhées s'abattent sans distinction de genre sur tout ce qui passe à leur portée). Et je serais capable, je crois, de raconter ma passion pour HFT à un caniche si un caniche avait le malheur de passer par là au moment où mon interlocuteur (ou trice) humain(e) s'écroule de fatigue. Le pauvre chien, comme dans la chanson d'Hubert, aurait droit à ce qu'il n'attendait pas. C'est la vie, mon petit gars, et elle n'est pas toujours tendre, on rencontre de ces spécimens quand on se promène sans laisse, je ne vous raconte pas...
Voilà. C'était un petit panel de mes idées bizarres. Et vous, vous avez les mêmes ? Vous en avez d'autres ? Et si oui, lesquelles (si elles sont avouables) ?!
14:42 | Lien permanent | Commentaires (8)
05/10/2024
Ô joie, je vais bientôt revoir ma très chère Nena (si tout va bien) !
"A dix-sept ans, on voit clair. On voit ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. On devine que le cœur d'un adulte est mélangé de tout. On voit que le cœur d'un adulte est un chiffon, un peu comme ceux qui servent aux peintres, pour essuyer leurs pinceaux. On voit la vie manquée, on se promet tout le contraire". Christian BOBIN
Début des années 1980. Je suis encore une petite fille. J'aime déjà follement la musique. Je regarde régulièrement des clips à la télé. Un jour, je découvre un truc bizarre. Ça chante en allemand, une langue que j'entends souvent à la maison : mon père, qui travaille chez Siemens, regarde presque tous les jours des chaînes allemandes. Il s'entraîne, il s'imprègne. Car il va assez souvent en Allemagne, à Erlangen, où il fait des stages (plus tard, je l'y accompagnerai un certain nombre de fois, chose que j'ignore encore sur le canapé du salon où je suis posée pour m'imprégner, moi, d'autre chose que de la langue allemande : de musique, à m'en étourdir, à en oublier l'heure et les leçons qui m'attendent désespérément dans des cahiers que je n'ouvre qu'en catastrophe le dimanche soir). Et donc, au milieu de tous les clips, il y a ce truc bizarre avec une nana qui parle de « Luftballons ». Je ne comprends que dalle, mais ça me plaît.
Un peu plus tard, j'arrive en sixième et mes parents me forcent à faire allemand première langue. Je suis furax. Moi, je voulais faire de l'anglais. L'allemand, je trouve que c'est ringard et pas beau et trop conventionnel puisque j'en entends beaucoup à la maison. Mes parents demeurent inflexibles et je dois me ranger à leur avis qui me désole. Ce sera donc allemand première langue. Sans enthousiasme, je vous jure. Pire : avec hostilité ! Je me souviens de mon premier mot dans le carnet de correspondance : « Catherine n'apprend pas ses leçons d'allemand ». Véridique. Eh oui, Catherine n'en fait qu'à sa tête, Catherine choisit ses matières bien soigneusement. Catherine rejette l'allemand, au même titre que les maths et la physique. Beurk, tout ça ! Allez, dans le même sac que je balance par-dessus bord.
Et puis, un jour, ma vie bascule : je rencontre une prof d'allemand archi passionnée qui vit sa matière plus qu'elle ne l'enseigne. Je tombe sous le charme. De la prof et de la langue allemande. Virage à je ne sais combien de degrés. Beaucoup de degrés. Me voilà littéralement amoureuse de la langue de Goethe. Depuis l'enfance, je veux être prof. Je sais désormais que je serai prof d'allemand et que j'essaierai d'être aussi convaincante que celle qui m'a fait aimer cette langue.
Je commence à me rendre fréquemment en Allemagne. Après être tombée amoureuse de la langue, je tombe amoureuse du pays. Je déplore qu'on le connaisse si mal en France.
Et puis, je deviens prof. En classe, je me heurte souvent à des préjugés impitoyables, ceux-là mêmes que j'avais quand j'étais au collège : l'allemand, langue moche et ringarde. J'ai l'impression de partir régulièrement en croisade pour tenter de casser les mille et un clichés qui collent à la peau de ma pauvre langue allemande tant aimée. Parfois, je parviens au résultat escompté. Parfois, je tombe à côté. Tant pis, on ne peut pas convaincre tout le monde. Il y a des certitudes indéboulonnables...
Un jour, en Allemagne, je tombe sur un CD de Nena. Quoi, elle existe encore ?! J'achète le CD. Plus tard un autre, et encore un autre. J'écoute ça avec joie, des frissons partout (parce que moi, l'allemand, ça me remue profondément !). Je me mets à connaître par cœur certaines chansons. Et quand j'écris par cœur, c'est par cœur. J'apprends tout ça avec le cœur parce que ça parle à mon cœur. Nena raconte de menues choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, Wenn wenigstens Sommer wär), parfois aussi de grands trucs. Comme son incapacité à vivre un amour serein (Todmüde, Das ist normal, Dann fiel mir auf). Ça parle à mon cœur, vraiment, toute ressemblance avec ma vie n'étant malheureusement pas fortuite sur ce coup-là !!!
Lors de la longue traversée que fut ma putain de leucémie, je devais faire la connaissance (sur Facebook) d'une certaine Sandrine, atteinte de la même maladie que moi. Sandrine qui devait m'apprendre, beaucoup plus tard, quand nous serions sorties triomphantes de nos merdiers respectifs quoique similaires, que ma très chère Nena allait venir, en juillet 2024, à la Foire aux Vins de Colmar. Je ne réfléchis pas trop et me pris un billet.
Quel concert que celui-là ! J'en revins avec mille étincelles dans les yeux et dans la chair. Et avec l'envie folle de revoir ma très chère Nena.
Ce que, si tout va bien (toujours semer un peu partout des « si tout va bien » désormais, parce qu'on ne sait jamais, la vie a parfois de ces idées pourries pour vous la pourrir comme il faut, justement), je ferai dans quelques jours puisque la chanteuse passe à Sarrebruck, pas très loin de chez moi. Je vais y aller avec ma fille aînée, Clara. Si tout va bien. Parce que … vous voyez ce que je veux dire.
Ce que je retiens de tout cela ? Mes plus belles histoires d'amour ont souvent pris naissance dans une répulsion dingue : l'allemand, Thiéfaine, et même Gary, dont, à 14 ans, je lus La vie devant soi en m'arrêtant à la moitié, rendant le livre à la documentaliste de mon collège dans un geste que je qualifierais presque de dégoût : qu'est-ce qu'on est con quand on a quatorze ans, et j'en ai la preuve chaque jour sous mes yeux dans une certaine classe où j'enseigne, hihihi !!!.
Bon, c'est quoi, en ce moment, la haine qui me traverse ? Ce ne serait pas inutile de le savoir : elle deviendra ma plus belle histoire d'amour. Dis-moi qui je hais, je te dirai qui je m'apprête à aimer passionnément !!!!
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27/09/2024
Agnès Desarthe, une rencontre, et quelle rencontre !
"Vivre - longer une muraille jusqu'à trouver une brèche lumineuse. J'ai découvert de telles fissures dans le jaune assourdissant des pissenlits, ces enfants pauvres du soleil. J'avance très lentement. Je mourrai sans être arrivé au fond du jardin". Christian BOBIN
Un petit billet, comme ça, en passant. Pas beaucoup de liens avec Thiéfaine. Encore que...
Il y a des rencontres magiques, durant lesquelles de petites étincelles chauffent de partout sans qu'on puisse expliquer pourquoi. Ce fut le cas mardi avec Agnès Desarthe, venue parler de son livre Le château des rentiers à la librairie « La cour des grands », à Metz.
J'adore Agnès Desarthe. D'abord parce que c'est une linguiste (elle est agrégée d'anglais et traduit régulièrement des livres d'auteurs anglophones) et que certaines de ses publications m'ont permis de voir que nous avions les mêmes préoccupations en matière de grammaire. La grammaire, allez savoir pourquoi, c'est une des affaires de ma vie. J'y vois de la poésie à tous les étages. Prenez les temps, par exemple. En allemand, on dit du subjonctif II qu'il est le mode de l'irréel. Un peu celui qui permet de dire « j'voudrais bien, mais j'peux point ». Le subjonctif II passé est le mode du regret : « Ah, si j'avais su ! ». Et tutti quanti ! Bref, tout ce qui aurait fait dire à Romain Gary mon amour « ça ne s'est pas trouvé ». Ce sont des trucs qui me font triper, je n'y peux rien, c'est comme ça depuis l'enfance. Quand la maîtresse de CM2 annonçait une leçon de grammaire, je me disais « chouette » alors que mes camarades, pour la plupart, arboraient soudain des mines affligées. Moi je bichais. Parlez-moi du locatif, du directif, du génitif, de tout ce que vous voulez en -tif, et vous me verrez ravie. Je sais, j'ai une drôle de vie, de drôles de kifs, mais il faut de tout pour faire un monde.
Et donc, Agnès Desarthe a le même genre de came, sauf que c'est avec la grammaire anglaise. Soit. Ça revient presque au même, à quelques « tifs » près !
Hier, elle n'était pas là pour parler de grammaire, mais elle a tout de même réussi à caser quelques petites réflexions linguistiques, et ça j'ai adoré, comme quand j'étais en CM2. Elle a évoqué un linguiste qui disait qu'il serait bon d'avoir une langue incluant le « frustratif », c'est-à-dire un mode qui permettrait de balancer dedans ses frustrations. Et Agnès Desarthe d'ajouter un exemple : « Le mari que j'aurais voulu avoir et qui ne ressemble pas au mari que j'ai dans la réalité ». Frustratif. On peut y aller à l'infini. Le compte en banque que je voudrais avoir. Le ventre plat que je voudrais avoir. Les quelques centimètres de plus, etc.
Elle nous a également livré des anecdotes et des traits de caractère la définissant. Le « vivement que » est ce qui l'anime. En écrivant Le château des rentiers, elle espérait donner naissance à un livre qui lui fasse dire : « Vivement que je sois vieille ». Autre élément caractéristique de sa personne : admirer, encore et toujours (oh, tiens, un autre point commun avec moi). L'admiration comme « moyen de transport », nous a-t-elle dit. Et de préciser : « Par exemple, quand je regarde une danseuse de quatorze ans, je me dis qu'avec un peu d'entraînement, je pourrais peut-être parvenir à un résultat acceptable. Pas forcément danser aussi bien. Mais peut-être juste cueillir une pomme avec la même grâce ». Éclats de rire dans la salle. Comme on dit en allemand, Agnès Desarthe n'est pas une enfant de la tristesse. Et c'est bien agréable de se marrer comme ça avec elle et grâce à elle après une âpre journée de boulot ! Ses admirations, nous a-t-elle expliqué, ne sont pas source de frustration. Elles lui permettent d'avancer. Et d'oublier, par exemple dans le cas de l'histoire de la pomme, qu'elle n'a plus quatorze ans. « Il y a une différence entre l'âge qu'on a à l'intérieur et l'âge qui s'affiche sur nous extérieurement. On connaît tous des gens qui disent je suis resté bloqué à tel âge. On reste bloqué à un âge et on vieillit par-dessus ». Comme j'ai aimé cette formule ! Je ne sais pas bien à quel âge je suis restée bloquée pour ma part. Peut-être bien que j'ai toujours dix ans dans ma tête et que je suis coincée dans la classe de CM2 à m'éclater à faire de la grammaire, allez savoir ! Oh non, dix ans, c'est trop tôt : je n'ai pas encore eu la révélation de l'allemand, la révélation de Gary, la révélation de Thiéfaine. Allons un peu plus loin. Et restons délicieusement bloquée à la trentaine, comme ça il y aura mes filles en plus !
Le temps passe et on ne voit pas qu'il passe tant la compagnie d'Agnès Desarthe est plaisante. Je bois ses paroles, je ris, je pleure. Oui, parce qu'elle dit aussi des choses très émouvantes. Et quand elle lit des passages de son livre, l'authenticité est tellement palpable que j'en ai des frissons partout.
La soirée se termine par une séance de dédicaces. Je vais faire la queue, comme quelques autres. À un moment, je m'aperçois qu'il y a deux files et que dans la mienne, évidemment, ça n'avance pas. Je m'en ouvre à mon voisin, celui qui est derrière moi : « Je crois que je n'ai pas choisi la bonne file », lui dis-je. « Moi non plus, je vous ai suivie », me répond-il. Ce à quoi je rétorque qu'il ne faut jamais me suivre, mon malheureux. Je suis la championne des files qui s'enlisent, c'est pareil au supermarché. Et Agnès Desarthe de mettre son grain de sel dans la conversation : « Oui, c'est comme à l'épicerie, quand on fait la queue à côté des pommes alors qu'il aurait fallu la faire à côté des bananes ». Elle a décidément beaucoup d'humour.
Elle a pitié des deux zouaves qui n'ont pas fait la queue là où il fallait (je ne suis jamais là où il faut), en l'occurrence mon voisin et moi. Elle prend le livre que je tiens entre les mains. Le château des rentiers, donc. Que je n'ai pas encore lu mais que je vais commencer au plus vite tellement je suis décoiffée par cette rencontre à la Cour des grands !
Agnès Desarthe ouvre le livre et découvre ceci : sur une des premières pages, j'ai collé un post-it indiquant mon nom et la date à laquelle j'ai reçu le bouquin. Souvent, j'ajoute le lieu d'achat. Ça fait déjà un livre à se taper avant de plonger dans le livre lui-même !!! Agnès Desarthe lit à voix haute : « cadeau de D. » (le prénom figure en entier sur le post-it, mais il ne me paraît pas judicieux de le citer ici). « Je fais la dédicace pour qui, alors ? Pour D. ? » , me demande-t-elle. Je lui explique que non, qu'il faut faire la dédicace à mon nom et j'ajoute, parce qu'elle insiste un peu pour percer le mystère, que le fameux D. est sorti de ma vie. « Pas tout à fait, me lance Agnès (et là j'enlève son nom de famille car nous sommes presque devenues amies en deux minutes trente), il y est resté sous forme de post-it. Je ne sais pas si c'est une position enviable ». Mon voisin renchérit : « Un post-it amovible » ! J'éclate de rire. Finalement, un mec sous forme de post-it, ça me va très bien. Un homme dans ma vie, c'est comme quand il y a du soleil dans la rue de ce brave Hubert : je ne sais pas quoi en faire. Alors un post-it, ça me va très bien. Amovible, s'il vous plaît, de manière à pouvoir le mettre un coup sur un bouquin, un coup sur le frigo, un coup sous ma chaussure et ciao, dodo !
Le temps de me dire qu'Agnès pourrait devenir une amie qui aurait toutes les qualités qui me font littéralement fondre (et linguiste avec ça, le summum !) et ça y est, c'est l'heure d'aller choper mon bus. Dehors, je lis la dédicace : « À vous, très chère Catherine, à la puissance des post-it, à mon indiscrétion et à votre rire irrésistible ». Je souris dans la rue Serpenoise que je traverse sous la pluie. Dans mon cœur, il y a soudain un grand soleil et je sais quoi en faire : du bois pour les jours d'hiver !
Et vous, à quel âge êtes-vous resté(e)s bloqué(e)s ?!!
Et comment occupez-vous vos journées sans Thiéfaine ?! Je veux dire sans la perspective d'un concert ici ou là. Moi, je lis, j'écris, je fais des photos, j'écoute Thiéfaine, encore et toujours, et d'autres artistes aussi. Je vais en voir quelques-uns bientôt (Clara Ysé, Nena, Grand Corps Malade et Zaho de Sagazan). Mais il me manque, lui, le grand, l'unique... Bois d'Amont, un traumatisme...
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09/09/2024
Bois d'Amont forever !
"On ne devrait jamais se quitter. Ce silence qui succède à tant de jours vécus ensemble, ne plus rien savoir l'un de l'autre, passer de l'extrême intimité et des caresses les plus abandonnées à cette absence, je vois dans cette séparation acceptée plus qu'une préfiguration, qu'une image de la mort : c'est la mort elle-même, qui commence". José CABANIS
Je ne sais pas vous, mais moi je n'aime pas les entre-deux, les machins pas clairs, ne pas savoir sur quel pied danser. « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée », écrivait Musset, et je me rallie à son avis. L'adjectif « mitigé » m'afflige et je déteste ce qu'il désigne : la météo qui a le ciel entre deux chaises, un coup hyper chaud, un coup hyper froid, les bilans qui hésitent entre le médiocre et le carrément nul. Quelque part, je me sens comme Thiéfaine, qui se disait, je ne sais plus dans quelle interview ni quand, « piments et alcools forts ».
Et donc, samedi, en prenant la route pour Bois d'Amont où avait lieu le dernier concert de la tournée Replugged, j'avais le cœur à rire et à pleurer. Des sentiments mitigés logés dedans. Quelque part entre le deuil et l'éblouissement. J'étais heureuse de revoir Hubert et ses musiciens, heureuse de retrouver quelques amis venus parfois de loin pour le grand soir. Mais impossible de me réjouir pleinement. J'avais déjà un pied dans la nostalgie de l'après Bois d'Amont. Je me disais que chaque heure qui passait m'entraînait irrémédiablement vers la fin d'un magnifique roman commencé en 2022, avant la leucémie. Bien sûr, je me disais aussi qu'Hubert avait bien mérité de se reposer, lui qui s'est tant donné et qui nous a tant donné lors de ces deux tournées qu'il a enchaînées. Oui, mais le fan est égoïste et exigeant. Il en veut trop et toujours plus. L'extinction des feux, il ne connaît pas, il ne veut pas connaître.
Et donc, samedi, en écoutant HFT dans ma voiture (ma façon de me préparer à ses concerts depuis toujours : impossible d'écouter autre chose quand je vais le voir, je me lave de tout le reste et ce reste n'existe plus), j'avais le cœur à la fois, comment dire, tristement léger et joyeusement lourd. Je crois que seuls ceux qui ont vécu Bois d'Amont pourront comprendre ces deux oxymores. N'est-ce pas, Bételgeuse ? D'ailleurs, je pensais à elle dans ma voiture. Je trouvais ça trop dommage qu'elle n'ait pas de billet pour cet ultime concert de Replugged. Et voilà que, m'arrêtant pour faire une pause, je découvre un message d'elle me disant « je serai là ce soir »...
Encore quelques détails de ce long chemin qui m'a semblé ne jamais vouloir finir : une déviation bien sournoise m'attendait dans le Jura. De celles qui font tourner dingues les GPS. Et le mien de vouloir sans arrêt me ramener sur la route que je ne pouvais pas prendre ! Si bien que les 4h35 de trajet annoncées par le même GPS au départ de Metz se sont transformées en presque sept heures ! Sur la route, j'étais à deux doigts de me demander si ce n'était pas une arnaque, cette histoire de concert au bout du monde. Dans un virage particulièrement costaud, m'est revenue une expression allemande : « wo Fuchs und Hase sich gute Nacht sagen », ce qui veut dire « là où le renard et le lièvre se disent bonne nuit ». C'est ainsi que l'on désigne joliment le « Arsch der Welt », qui n'est ni plus ni moins que le trou du cul du monde. Désolée pour les Bois d'Amontais et les Bois d'Amontaises, mais moi, les trous du cul du monde, ça ne me dit rien qui vaille, surtout que je m'y paume systématiquement.
Mais bon. À un moment, quand même, j'ai fini par voir Bois d'Amont sur un panneau. C'était juste après m'être échouée dans un chemin louche où étaient indiquées les Chauvettes. Vous m'en direz tant ! Ces Chauvettes, je ne les ai pas senties. Quelque chose m'a dit à ce moment-là qu'il me fallait lancer un appel au secours sur le groupe Messenger créé par les autres fans que je rejoignais. La chose fut réglée en quelques secondes : demi-tour, reprenons la grande route, abandonnons la minuscule qui mène aux Chauvettes.
Enfin, me voilà à Bois d'Amont. Je retrouve Isabelle (Évadné) et Brigitte. Isa, la dernière fois que je l'ai vue, c'était à Saint-Malo, une dizaine de jours avant de tomber malade. Nous nous serrons fort et nous pleurons. C'est tellement incroyable de se revoir : j'ai survécu, je ne suis pas morte ! Depuis, je savoure ma résurrection et je peux vous dire qu'un concert d'Hubert, c'est encore meilleur quand on a failli crever. Mais n'allez pas tenter l'expérience pour autant. Je ne recommande pas !
Un peu plus tard, nous voilà dans la salle. Nous sommes tout devant. Je suis entre Brigitte et Isa. Et non loin d'Erwan et de Yannig. Doux prénoms qui fleurent bon la Bretagne, d'où ils sont venus (avec Isa). Ah, Hubert, les folies que pour toi l'on commet...
Avant le début du concert, nous sommes déjà mélancoliques, tous autant que nous sommes. Isa tente de nous raisonner : « Allez, on a dit qu'il fallait être heureux dans l'instant » ! Mais Erwan ne fait pas dans le joyeux et assène d'un seul coup d'un seul ces mots qui, évidemment, trouvent un écho favorable en ma personne dont le penchant pour le spleen n'est plus à prouver depuis belle lurette : « Ce soir, chaque note jouée sera la dernière ». Au secours, je vais défaillir. C'est qu'il ne faut pas me dire des choses comme ça à moi qui les pense déjà si facilement. Trop tard, le ton est donné (et je m'en doutais bien avant que commence le concert) : cette soirée ne pourra être qu'empreinte de nostalgie. Cette putain de nostalgie anticipée qui gueule comme l'horloge de Baudelaire : « Souviens-toi ». « Souviens-toi de ce qui n'est pas encore arrivé, dis-toi qu'au moment où ça arrivera, ce sera déjà en train de flétrir ». C'est peut-être pour ça que je n'achète jamais de bouquets de fleurs : ils me sont putréfaction !
Allez, soyons gais, soyons fous, tout va bien, Hubert n'est pas encore là et nous planons dans ce nuage tout sympa qu'on appelle l'attente. Bételgeuse nous a rejoints et c'est chouette. Un groupe local se produit sur scène et c'est chouette aussi. D'habitude, je n'aime pas les premières parties, mais là, ça me fait comme un petit répit avant que le « dieu sinistre, effrayant, impassible », autrement dit l'horloge de Baudelaire, n'entame son œuvre de destruction massive. Le groupe local s'appelle Bizar et est vraiment très sympa. Il envoie du bon rock'n'roll dans les écoutilles.
Et puis, voilà Hubert et ses musiciens. Je suis pile en face de Lucas et il me semble qu'il pleure dès le début du concert. Oh non, il me fend le cœur, ce cœur déjà fragilisé par la nostalgie anticipée... Erwan a raison : chaque note jouée est la dernière et cela se sent dans la manière dont les musiciens caressent ou empoignent les instruments. Tout le monde est à fond. La voix d'Hubert, très digne, très puissante, me colle des frissons pas possibles. Elle déclenche quelque chose de magique en moi, c'est un peu comme quand j'entends de l'allemand. Y'a du poil dressé dans l'air ! Il est peut-être fatigué, notre HFT, mais franchement il assure diablement. Respect, une fois de plus.
Les dingues et les paumés nous mettent, au premier rang, dans un drôle d'état. C'est si bon d'entendre cette chanson dont la version Replugged est magistrale. C'est si bon et c'est si triste. Vous comprenez ?
De temps à autre, Yannig me lance des regards qui en disent long sur l'état qui est le sien, le mien et celui de tous ceux qui m'entourent. Les pupilles scintillent dans l'obscurité. C'est qu'on n'en mène pas large quand même. On est tous conscients qu'Erwan avait raison avec sa putain de phrase. Vous savez, « chaque note jouée sera la dernière ». Moi, j'ai carrément l'impression d'avoir bouffé un savon qui me serait resté en travers de la gorge. J'ai du mal à avaler ma salive et mon menton tremble à de nombreuses reprises. Ce que je peux être impressionnable, purée !
Heureusement qu'il y a quelques chansons un peu récréatives, ça nous fait un sas de décompression. Durant Cabaret Sainte-Lilith, Isa imite le pape à côté de moi (avec l'accent, s'il vous plaît) et je me tords de rire. Et, pendant Groupie 89 turbo 6, j'ai tout à coup un couple sado-maso à ma gauche : Erwan regarde Isa et la supplie de lui friter la gueule, ô mon amour. Que ça me fait du bien de rire. Parce que vous voyez, franchement, c'est pas la gaieté qui m'étouffe ce soir. J'ai tellement peur du moment où le silence succèdera à cette orgie de beauté... Sur scène, tout le monde donne le meilleur de lui-même, et de sa personne, et de sa sueur. Je crois que Lucas dégouline encore plus que les autres fois.
Et puis, vient la chanson aux fatales interrogations, la chanson qui nous présente ses condoléances : Combien de jours encore. C'est le moment de se rendre compte que jusqu'ici, finalement et à vrai dire, tout allait bien. Le moment de voir que les émotions ressenties, c'était vraiment de la gnognote en comparaison de celles qui vont nous « tomber sur les reins ». Je crois que je vais m'étouffer dans mes larmes. Le savon dans ma gorge fait de drôles de bonds, il monte et il descend, il monte et il descend. Comme un ascenseur qui se serait gouré de précipice.
Et en parlant de cela, voici la superbe, l'unique, la plus belle à mes yeux, celle que j'ai déjà réclamée pour mon enterrement (puisqu'on en est aux condoléances) : Mathématiques souterraines. Je l'écoute pour la combientième fois : millionième, ça se dit ça ?! Oui, ça se dit, et je suis certaine que je ne suis pas loin de la vérité avec mon mot que j'emploie tellement rarement que j'ai dû vérifier qu'il existait ! Eh bien, même à la millionième fois, Mathématiques souterraines, ça me saisit toujours, ça me fait un machin qu'aucune chanson ne m'a jamais fait et ce mystère n'en finit pas de m'émerveiller.
Qui dit Mathématiques souterraines dit fin toute proche, danger, voyants rouges allumés. Voici que se pointe La fille du coupeur de joints, sournoisement et à vive allure. Quoi ? Déjà ? Mais c'est pas possible. Chaque note jouée est allée trop vite !
Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas d'humeur festive quand retentit le début de ladite chanson. Le savon, oh nom de Dieu, le savon : énormissime ! Je n'ose plus regarder personne, et surtout pas Lucas qui doit avoir lui aussi un problème avec le petit Marseillais. Ah, nous voilà jolis, lui, moi, tous les autres ! J'aurais bien envie de lui dire, à Lucas : « Ne sois pas triste, on se reverra », comme dans la chanson de Lavilliers (Marin), mais je sens que citer Bernard en pareille circonstance ne ferait qu'aggraver les choses...
À la fin de ce concert géantissime (ah oui, là, j'ai envie d'employer des « ssimes » à toutes les sauces, parce que les cimes, vraiment, on y a eu droit plus que jamais), je me tourne vers Bételgeuse. Je sais qu'elle me comprend et qu'elle est dans le même état que moi. Nous avions déjà évoqué par avance la fameuse nostalgie anticipée. Truc de malade, n'est-ce pas, évoquer par avance la nostalgie anticipée ?! La chose qui n'est pas encore arrivée, mais que tu envisages déjà, pour anticiper. Vous en avez d'autres, des pléonasmes aussi cons ? Bételgeuse me prend dans ses bras et nous pleurons. De toute façon, il ne nous reste plus que les yeux pour pleurer. Moi qui n'en avais pas assez de deux ce soir pour emmagasiner de belles images ! Moi qui n'avais pas assez de mon cœur (fendu dans les grandes largeurs) pour y faire entrer tous les sentiments mitigés qui l'assaillaient. Décidément, « mitigé » est un piètre adjectif et je ne l'aimerai jamais.
Alors voilà, c'est fini. « Schluss, Ende, aus », comme dit la chanson de Rio Reiser, ce chanteur allemand qui gagnerait à être connu par chez nous. J'ai un peu l'impression de flotter devant un immense néant. Bien sûr, il n'y a pas que Thiéfaine dans mon existence. Non, il y a aussi Hubert, et puis Hubert-Félix, et puis HFT !!! Bien sûr, j'ai d'autres passions et la vie ne s'arrête pas avec une tournée qui s'achève. Bien sûr, on peut en espérer au moins encore une. Je ne vais pas mourir parce que Bois d'Amont a refermé un livre que j'ai l'impression d'avoir lu trop vite. Oh pis si, quand même un peu, que je vais mourir. Parce qu'on meurt un peu à chaque fois qu'un chapitre se termine, j'en suis sûre. En tout cas, moi je meurs un peu parce que je ne suis pas débrouillarde pour un rond et que tout ou presque m'est motif de tourment. C'est la vie qui est méchante, elle fait jaillir des splendeurs, et puis elle les reprend...
Bon, on ne peut pas dire qu'avec mes digressions j'aie fait dans la concision ce soir. Il y aurait encore tellement à ajouter... Après le concert, il y a eu cet after un peu fou dont je retiendrai à jamais le suc... Le moment le plus beau fut celui où Hubert traversa la foule pour quitter la salle où il venait de signer je ne sais combien d'autographes, faire je ne sais combien de photos, le tout sans montrer la moindre lassitude. Il a tout donné, et tout le meilleur de lui-même, puisant dans d'innombrables ressources, avec un incomparable talent. À l'issue de ces deux tournées qui ont rempli ma vie pendant deux ans et quelques mois, je suis gratitude, éblouissement, admiration. Et je m'en fous d'être une groupie un peu débile. Il y a pire comme tare, je crois !
Avec tout ça, mes braves enfants, il sera bientôt 22h43, l'heure de laisser venir à moi un ascenseur nommé désir... Désir que ça recommence, que ça ne prenne jamais fin, que quand il n'y en aura plus, il y en ait encore.
Dans les jours qui viennent, je vais devoir faire une prise de sang et je me demande si l'hématologue ne va pas m'appeler, affolé, pour me dire : « Écoutez, on ne comprend pas, on a trouvé dans votre sang un composant inconnu de nous, ça dessinait clairement trois lettres : HFT. On ne sait pas ce que c'est ». Et là, je me marrerai doucement, sans rien dire, parce que moi, je saurai !!!!
22:29 | Lien permanent | Commentaires (19)
01/08/2024
Nena était à la foire aux vins de Colmar hier soir (et moi aussi, quelle chance !)
"Irgendwie fängt irgendwann
Irgendwo die Zukunft an". NENA
Rien ne saurait entamer ma joie en ce 31 juillet. Pas même la flotte qui s'est mise à tomber drue et mélancolique en plein milieu de l'après-midi. Pas même le retard de la navette censée m'emmener de la gare de Colmar à la foire aux vins (de Colmar itou). Ce retard, vous l'aurez peut-être deviné, m'a exposée plus que prévu (et que de raison) à la pluie drue et mélancolique... Qu'à cela ne tienne. Au moment où je m'assois dans la navette enfin arrivée (avec 25 minutes de retard, tout de même), je me sens heureuse et vivante comme jamais. Durant le trajet, je me dis que c'est génial d'aller à un concert de Nena, d'avoir cette chance. D'être là, dans cette navette. Ça, c'est une petite salutation venue tout droit de la chambre stérile. C'est essentiellement de cette façon qu'elle se rappelle à mon souvenir : pour me donner de la joie, par comparaison. Il est vrai que ramener les choses à cette sordide expérience a l'avantage de tout teinter de douceur. Une classe un peu agitée cette année ? Bah, ce n'est rien, me disais-je, c'est tellement mieux que la chambre stérile ! Pas envie d'aller travailler ? Oh, souci ridicule, problème minuscule. Quel luxe de pouvoir se dire « j'ai pas envie d'aller travailler » ! Si, si, je vous assure. Bref, cessons là les divagations et revenons à nos moutons, d'autant plus qu'ils sont allemands, comme j'aime !
Oui, en ce 31 juillet, je vais voir Nena, disais-je. Nena, celle qui interprétait 99 Luftballons du temps que j'étais à des lieues de me douter qu'un jour j'enseignerais la langue dans laquelle elle chantait ! Nena, dont j'appris, une fois que je m'intéressai à fond à la culture allemande, qu'elle continuait sa carrière outre-Rhin, et comme il faut. Je me mis à la suivre, parfois de près, parfois d'un peu loin, pas toujours convaincue par ses expérimentations musicales, mais lui reconnaissant systématiquement le mérite d'avoir osé les faire. Parfois je la suivis de très près. Ainsi l'album Wenn alles richtig ist, dann stimmt was nich, dont le titre est à lui seul un traité philosophique, fut écouté des millions de fois. En substance, ça dit que quand tout roule comme sur des roulettes, c'est qu'il y a une couille dans le potage (mais Nena a exprimé les choses avec infiniment plus de finesse). Une idée qui m'est familière. Depuis toujours, j'ai en effet tendance à me méfier de ce qui ressemble d'un peu trop près à la sérénité et compagnie. Dès qu'une période de calme m'est octroyée, je me demande quelles foutues tempêtes elle cache et quel poignard viendra me transpercer le dos peu après. Donc, oui, l'idée selon laquelle il y a un truc qui cloche quand tout va bien, ça me connaît ! Cet album est une pure merveille. Il raconte des petites choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, par exemple), l'amitié qui nous tend ses bras quand on va mal (Heul dich bei mir aus), une relation qui s'effiloche (Dann fiel mir auf), la peur que l'on a ensuite à se relancer dans tout ce qui ressemble à une histoire d'amour (Todmüde). Nena, Cath : deux vécus similaires, à des kilomètres de distance. Mais une langue pour nous unir, celle de Goethe, la mal-aimée pourtant majestueuse. Si inventive que c'est à faire perdre la raison à tous les dictionnaires du monde. Cette langue crée des mots à l'infini, et elle les déroule en de longs tiroirs que quand tu en as ouvert un, tu te rends compte qu'il y en a encore un à l'intérieur, et peut-être même deux, si ce n'est plus ! Moi, l'allemand, c'est mon trip, mon shoot, ma came. C'est un peu comme avec Hubert : il m'en faut toujours plus ! J'en écoute absolument tous les jours, de l'allemand. À la télé, à la radio et sur ma chaîne. Nena, entre autres.
Et donc cette Nena, 64 ans déjà je n'en reviens pas, passait hier à Colmar, à la foire aux vins. FAV pour les intimes. J'ai même appris, grâce à plusieurs tee-shirts ayant défilé sous mes yeux, qu'assister à la FAV faisait de vous un ou une faviste. Faviste un jour, faviste toujours, voilà ce qui était écrit sur lesdits tee-shirts. Qu'on se le tienne pour dit ! Moi-même ne suis-je pas un exemple de la véracité du truc ? À la foire aux vins en décembre 2023 (c'était dans le cadre de la cuvée givrée, pour HFT) et de nouveau à la foire aux vins en juillet 2024. Voilà, vous avez devant vous une faviste, alors un peu de respect !
Nena, Nena, Nena : je m'éloigne trop de mes moutons (pourtant allemands, mes préférés, vous l'ai-je déjà expliqué ?!). Avec cette connerie de retard qu'avait la navette, j'ai loupé le début du concert. J'ai couru comme une dératée en arrivant sur le site de la foire. Vite, retrouver mes moutons, surtout qu'ils sont allemands, je ne sais plus si je l'ai mentionné !
À peine suis-je arrivée dans la salle que je succombe à la magie Nena. 64 ans déjà je n'en reviens pas et une silhouette de jeune fille. Un look rock : tee-shirt noir, pantalon en cuir. Le cheveu tombant en cascade en une frange un peu désordonnée. « Ich geh' mit dir wohin du willst, auch bis ans Ende dieser Welt », chante la jolie voix, et je me dis que l'homme à qui Nena a dédié ces mots a bien de la chance. Ça veut dire qu'elle le suivrait au bout du monde, quand même, rien que ça ! Le veinard, purée ! Sait-il seulement qu'il est béni des Dieux entre tous les hommes, l'enflure ?! Il y a comme ça des êtres élus, qui sont toujours du bon côté. Tandis que soi-même on rame pour être aperçu(e) de la Providence. Mais ça c'est une autre histoire.
Voilà donc Nena chantant ceci avec force et enthousiasme. Ça balance pas mal à Colmar en ce 31 juillet. C'est que le feu règne sous le chapiteau. Nena entraîne la foule. Elle bouge sans arrêt. Et que je t'envoie ma jambe dans les airs, et que je te montre combien mes genoux sont encore alertes à leur âge. C'est à me faire pâlir de honte, moi qu'un déménagement vient de mettre sur les rotules. Le dos en compote, l'esprit ne fonctionnant plus qu'au ralenti. Ah, si j'étais Nena, j'aurais une autre allure ! Mais bon, je suis faviste, c'est déjà beaucoup, et on ne peut pas tout être à la fois.
Je reconnais plein de titres aimés, notamment Irgendwie, irgendwo, irgendwann. Chanson qui dit que quelque part commence le futur, d'une manière ou d'une autre. Encore un petit traité philosophique. Et puis, soudain, Nena taquine un énorme ballon blanc sur la scène. On devinera aisément de quelle chanson il va être l'illustration. Les premiers mots retentissent et la foule ne contient pas son extase, à quoi bon ? Des mains se lèvent, des fesses décollent de leur siège. Immense communion franco-allemande. C'est tellement beau que j'en ai les larmes aux yeux. Quelle chance j'ai d'être là ce soir, je me le répète X fois, et encore plus en écoutant 99 Luftballons.
Nena chante un peu plus d'une heure et je reste sur ma faim. J'en aurais voulu encore, et bien plus. Je suis épatée par l'énergie de cette femme, énergie qu'elle sait insuffler à chacun chacune. Impressionnant. Cela relève de l'exploit car la France n'est pas un terrain conquis d'office pour une chanteuse allemande. Ok, ici, c'est l'Alsace, et l'Allemagne n'est qu'à quelques encablures, mais quand même. Il faut le faire pour mettre tout le monde d'accord, surtout des Français et des Allemands ! Chapeau, madame Nena ! Défi relevé avec brio et charme par-dessus le marché !
Je suis tellement scotchée par la prestation de la chanteuse que j'ai du mal à entrer dans le concert suivant, celui de Toto. Je finirai par me laisser emporter aussi, mais peut-être pas comme il se devait. C'est que je suis ingrate, je le reconnais. Quand j'aime un artiste, je rechigne à lui faire succéder qui que ce soit. Je n'aime pas non plus que qui que ce soit le précède (et j'en veux pour preuves les premières parties d'Hubert qui me voient piaffer d'impatience au fond des starting-blocks). C'est mon côté entier. Mon côté faviste, peut-être.
En tout cas, Nena sur scène, ça dépote, et ça te démonte tous les préjugés à la con qui courent sur la langue allemande. J'vous jure que celle-ci, dans la bouche de la chanteuse, est d'un sexy hallucinant. C'est à n'y pas croire. Et d'un rock'n'roll, c'est à ne pas imaginer. Alors toi, le grincheux, la grincheuse qui trouves que l'allemand est une langue crasseuse pas digne de tes oreilles soi-disant délicates, va donc un jour à un concert de Nena, et on en reparlera. J'suis sûre que t'es même pas cap. Dommage. Et en même temps, ce n'est pas si grave : laisse le meilleur de ce monde à qui sait l'apprécier !
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