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05/10/2024

Ô joie, je vais bientôt revoir ma très chère Nena (si tout va bien) !

"A dix-sept ans, on voit clair. On voit ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. On devine que le cœur d'un adulte est mélangé de tout. On voit que le cœur d'un adulte est un chiffon, un peu comme ceux qui servent aux peintres, pour essuyer leurs pinceaux. On voit la vie manquée, on se promet tout le contraire". Christian BOBIN

 

Début des années 1980. Je suis encore une petite fille. J'aime déjà follement la musique. Je regarde régulièrement des clips à la télé. Un jour, je découvre un truc bizarre. Ça chante en allemand, une langue que j'entends souvent à la maison : mon père, qui travaille chez Siemens, regarde presque tous les jours des chaînes allemandes. Il s'entraîne, il s'imprègne. Car il va assez souvent en Allemagne, à Erlangen, où il fait des stages (plus tard, je l'y accompagnerai un certain nombre de fois, chose que j'ignore encore sur le canapé du salon où je suis posée pour m'imprégner, moi, d'autre chose que de la langue allemande : de musique, à m'en étourdir, à en oublier l'heure et les leçons qui m'attendent désespérément dans des cahiers que je n'ouvre qu'en catastrophe le dimanche soir). Et donc, au milieu de tous les clips, il y a ce truc bizarre avec une nana qui parle de « Luftballons ». Je ne comprends que dalle, mais ça me plaît.

Un peu plus tard, j'arrive en sixième et mes parents me forcent à faire allemand première langue. Je suis furax. Moi, je voulais faire de l'anglais. L'allemand, je trouve que c'est ringard et pas beau et trop conventionnel puisque j'en entends beaucoup à la maison. Mes parents demeurent inflexibles et je dois me ranger à leur avis qui me désole. Ce sera donc allemand première langue. Sans enthousiasme, je vous jure. Pire : avec hostilité ! Je me souviens de mon premier mot dans le carnet de correspondance : « Catherine n'apprend pas ses leçons d'allemand ». Véridique. Eh oui, Catherine n'en fait qu'à sa tête, Catherine choisit ses matières bien soigneusement. Catherine rejette l'allemand, au même titre que les maths et la physique. Beurk, tout ça ! Allez, dans le même sac que je balance par-dessus bord.

Et puis, un jour, ma vie bascule : je rencontre une prof d'allemand archi passionnée qui vit sa matière plus qu'elle ne l'enseigne. Je tombe sous le charme. De la prof et de la langue allemande. Virage à je ne sais combien de degrés. Beaucoup de degrés. Me voilà littéralement amoureuse de la langue de Goethe. Depuis l'enfance, je veux être prof. Je sais désormais que je serai prof d'allemand et que j'essaierai d'être aussi convaincante que celle qui m'a fait aimer cette langue.

Je commence à me rendre fréquemment en Allemagne. Après être tombée amoureuse de la langue, je tombe amoureuse du pays. Je déplore qu'on le connaisse si mal en France.

Et puis, je deviens prof. En classe, je me heurte souvent à des préjugés impitoyables, ceux-là mêmes que j'avais quand j'étais au collège : l'allemand, langue moche et ringarde. J'ai l'impression de partir régulièrement en croisade pour tenter de casser les mille et un clichés qui collent à la peau de ma pauvre langue allemande tant aimée. Parfois, je parviens au résultat escompté. Parfois, je tombe à côté. Tant pis, on ne peut pas convaincre tout le monde. Il y a des certitudes indéboulonnables...

Un jour, en Allemagne, je tombe sur un CD de Nena. Quoi, elle existe encore ?! J'achète le CD. Plus tard un autre, et encore un autre. J'écoute ça avec joie, des frissons partout (parce que moi, l'allemand, ça me remue profondément !). Je me mets à connaître par cœur certaines chansons. Et quand j'écris par cœur, c'est par cœur. J'apprends tout ça avec le cœur parce que ça parle à mon cœur. Nena raconte de menues choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, Wenn wenigstens Sommer wär), parfois aussi de grands trucs. Comme son incapacité à vivre un amour serein (Todmüde, Das ist normal, Dann fiel mir auf). Ça parle à mon cœur, vraiment, toute ressemblance avec ma vie n'étant malheureusement pas fortuite sur ce coup-là !!!

Lors de la longue traversée que fut ma putain de leucémie, je devais faire la connaissance (sur Facebook) d'une certaine Sandrine, atteinte de la même maladie que moi. Sandrine qui devait m'apprendre, beaucoup plus tard, quand nous serions sorties triomphantes de nos merdiers respectifs quoique similaires, que ma très chère Nena allait venir, en juillet 2024, à la Foire aux Vins de Colmar. Je ne réfléchis pas trop et me pris un billet.

Quel concert que celui-là ! J'en revins avec mille étincelles dans les yeux et dans la chair. Et avec l'envie folle de revoir ma très chère Nena.

Ce que, si tout va bien (toujours semer un peu partout des « si tout va bien » désormais, parce qu'on ne sait jamais, la vie a parfois de ces idées pourries pour vous la pourrir comme il faut, justement), je ferai dans quelques jours puisque la chanteuse passe à Sarrebruck, pas très loin de chez moi. Je vais y aller avec ma fille aînée, Clara. Si tout va bien. Parce que … vous voyez ce que je veux dire.

 

Ce que je retiens de tout cela ? Mes plus belles histoires d'amour ont souvent pris naissance dans une répulsion dingue : l'allemand, Thiéfaine, et même Gary, dont, à 14 ans, je lus La vie devant soi en m'arrêtant à la moitié, rendant le livre à la documentaliste de mon collège dans un geste que je qualifierais presque de dégoût : qu'est-ce qu'on est con quand on a quatorze ans, et j'en ai la preuve chaque jour sous mes yeux dans une certaine classe où j'enseigne, hihihi !!!.

Bon, c'est quoi, en ce moment, la haine qui me traverse ? Ce ne serait pas inutile de le savoir : elle deviendra ma plus belle histoire d'amour. Dis-moi qui je hais, je te dirai qui je m'apprête à aimer passionnément !!!!

27/09/2024

Agnès Desarthe, une rencontre, et quelle rencontre !

"Vivre - longer une muraille jusqu'à trouver une brèche lumineuse. J'ai découvert de telles fissures dans le jaune assourdissant des pissenlits, ces enfants pauvres du soleil. J'avance très lentement. Je mourrai sans être arrivé au fond du jardin". Christian BOBIN

Un petit billet, comme ça, en passant. Pas beaucoup de liens avec Thiéfaine. Encore que...

Il y a des rencontres magiques, durant lesquelles de petites étincelles chauffent de partout sans qu'on puisse expliquer pourquoi. Ce fut le cas mardi avec Agnès Desarthe, venue parler de son livre Le château des rentiers à la librairie « La cour des grands », à Metz.

J'adore Agnès Desarthe. D'abord parce que c'est une linguiste (elle est agrégée d'anglais et traduit régulièrement des livres d'auteurs anglophones) et que certaines de ses publications m'ont permis de voir que nous avions les mêmes préoccupations en matière de grammaire. La grammaire, allez savoir pourquoi, c'est une des affaires de ma vie. J'y vois de la poésie à tous les étages. Prenez les temps, par exemple. En allemand, on dit du subjonctif II qu'il est le mode de l'irréel. Un peu celui qui permet de dire « j'voudrais bien, mais j'peux point ». Le subjonctif II passé est le mode du regret : « Ah, si j'avais su ! ». Et tutti quanti ! Bref, tout ce qui aurait fait dire à Romain Gary mon amour « ça ne s'est pas trouvé ». Ce sont des trucs qui me font triper, je n'y peux rien, c'est comme ça depuis l'enfance. Quand la maîtresse de CM2 annonçait une leçon de grammaire, je me disais « chouette » alors que mes camarades, pour la plupart, arboraient soudain des mines affligées. Moi je bichais. Parlez-moi du locatif, du directif, du génitif, de tout ce que vous voulez en -tif, et vous me verrez ravie. Je sais, j'ai une drôle de vie, de drôles de kifs, mais il faut de tout pour faire un monde.

Et donc, Agnès Desarthe a le même genre de came, sauf que c'est avec la grammaire anglaise. Soit. Ça revient presque au même, à quelques « tifs » près !

Hier, elle n'était pas là pour parler de grammaire, mais elle a tout de même réussi à caser quelques petites réflexions linguistiques, et ça j'ai adoré, comme quand j'étais en CM2. Elle a évoqué un linguiste qui disait qu'il serait bon d'avoir une langue incluant le « frustratif », c'est-à-dire un mode qui permettrait de balancer dedans ses frustrations. Et Agnès Desarthe d'ajouter un exemple : « Le mari que j'aurais voulu avoir et qui ne ressemble pas au mari que j'ai dans la réalité ». Frustratif. On peut y aller à l'infini. Le compte en banque que je voudrais avoir. Le ventre plat que je voudrais avoir. Les quelques centimètres de plus, etc.

Elle nous a également livré des anecdotes et des traits de caractère la définissant. Le « vivement que » est ce qui l'anime. En écrivant Le château des rentiers, elle espérait donner naissance à un livre qui lui fasse dire : « Vivement que je sois vieille ». Autre élément caractéristique de sa personne : admirer, encore et toujours (oh, tiens, un autre point commun avec moi). L'admiration comme « moyen de transport », nous a-t-elle dit. Et de préciser : « Par exemple, quand je regarde une danseuse de quatorze ans, je me dis qu'avec un peu d'entraînement, je pourrais peut-être parvenir à un résultat acceptable. Pas forcément danser aussi bien. Mais peut-être juste cueillir une pomme avec la même grâce ». Éclats de rire dans la salle. Comme on dit en allemand, Agnès Desarthe n'est pas une enfant de la tristesse. Et c'est bien agréable de se marrer comme ça avec elle et grâce à elle après une âpre journée de boulot ! Ses admirations, nous a-t-elle expliqué, ne sont pas source de frustration. Elles lui permettent d'avancer. Et d'oublier, par exemple dans le cas de l'histoire de la pomme, qu'elle n'a plus quatorze ans. « Il y a une différence entre l'âge qu'on a à l'intérieur et l'âge qui s'affiche sur nous extérieurement. On connaît tous des gens qui disent je suis resté bloqué à tel âge. On reste bloqué à un âge et on vieillit par-dessus ». Comme j'ai aimé cette formule ! Je ne sais pas bien à quel âge je suis restée bloquée pour ma part. Peut-être bien que j'ai toujours dix ans dans ma tête et que je suis coincée dans la classe de CM2 à m'éclater à faire de la grammaire, allez savoir ! Oh non, dix ans, c'est trop tôt : je n'ai pas encore eu la révélation de l'allemand, la révélation de Gary, la révélation de Thiéfaine. Allons un peu plus loin. Et restons délicieusement bloquée à la trentaine, comme ça il y aura mes filles en plus !

Le temps passe et on ne voit pas qu'il passe tant la compagnie d'Agnès Desarthe est plaisante. Je bois ses paroles, je ris, je pleure. Oui, parce qu'elle dit aussi des choses très émouvantes. Et quand elle lit des passages de son livre, l'authenticité est tellement palpable que j'en ai des frissons partout.

 

La soirée se termine par une séance de dédicaces. Je vais faire la queue, comme quelques autres. À un moment, je m'aperçois qu'il y a deux files et que dans la mienne, évidemment, ça n'avance pas. Je m'en ouvre à mon voisin, celui qui est derrière moi : « Je crois que je n'ai pas choisi la bonne file », lui dis-je. « Moi non plus, je vous ai suivie », me répond-il. Ce à quoi je rétorque qu'il ne faut jamais me suivre, mon malheureux. Je suis la championne des files qui s'enlisent, c'est pareil au supermarché. Et Agnès Desarthe de mettre son grain de sel dans la conversation : « Oui, c'est comme à l'épicerie, quand on fait la queue à côté des pommes alors qu'il aurait fallu la faire à côté des bananes ». Elle a décidément beaucoup d'humour.

Elle a pitié des deux zouaves qui n'ont pas fait la queue là où il fallait (je ne suis jamais là où il faut), en l'occurrence mon voisin et moi. Elle prend le livre que je tiens entre les mains. Le château des rentiers, donc. Que je n'ai pas encore lu mais que je vais commencer au plus vite tellement je suis décoiffée par cette rencontre à la Cour des grands !

Agnès Desarthe ouvre le livre et découvre ceci : sur une des premières pages, j'ai collé un post-it indiquant mon nom et la date à laquelle j'ai reçu le bouquin. Souvent, j'ajoute le lieu d'achat. Ça fait déjà un livre à se taper avant de plonger dans le livre lui-même !!! Agnès Desarthe lit à voix haute : « cadeau de D. » (le prénom figure en entier sur le post-it, mais il ne me paraît pas judicieux de le citer ici). « Je fais la dédicace pour qui, alors ? Pour D. ? » , me demande-t-elle. Je lui explique que non, qu'il faut faire la dédicace à mon nom et j'ajoute, parce qu'elle insiste un peu pour percer le mystère, que le fameux D. est sorti de ma vie. « Pas tout à fait, me lance Agnès (et là j'enlève son nom de famille car nous sommes presque devenues amies en deux minutes trente), il y est resté sous forme de post-it. Je ne sais pas si c'est une position enviable ». Mon voisin renchérit : « Un post-it amovible » ! J'éclate de rire. Finalement, un mec sous forme de post-it, ça me va très bien. Un homme dans ma vie, c'est comme quand il y a du soleil dans la rue de ce brave Hubert : je ne sais pas quoi en faire. Alors un post-it, ça me va très bien. Amovible, s'il vous plaît, de manière à pouvoir le mettre un coup sur un bouquin, un coup sur le frigo, un coup sous ma chaussure et ciao, dodo !

Le temps de me dire qu'Agnès pourrait devenir une amie qui aurait toutes les qualités qui me font littéralement fondre (et linguiste avec ça, le summum !) et ça y est, c'est l'heure d'aller choper mon bus. Dehors, je lis la dédicace : « À vous, très chère Catherine, à la puissance des post-it, à mon indiscrétion et à votre rire irrésistible ». Je souris dans la rue Serpenoise que je traverse sous la pluie. Dans mon cœur, il y a soudain un grand soleil et je sais quoi en faire : du bois pour les jours d'hiver !

 

Et vous, à quel âge êtes-vous resté(e)s bloqué(e)s ?!!

Et comment occupez-vous vos journées sans Thiéfaine ?! Je veux dire sans la perspective d'un concert ici ou là. Moi, je lis, j'écris, je fais des photos, j'écoute Thiéfaine, encore et toujours, et d'autres artistes aussi. Je vais en voir quelques-uns bientôt (Clara Ysé, Nena, Grand Corps Malade et Zaho de Sagazan). Mais il me manque, lui, le grand, l'unique... Bois d'Amont, un traumatisme... 

09/09/2024

Bois d'Amont forever !

"On ne devrait jamais se quitter. Ce silence qui succède à tant de jours vécus ensemble, ne plus rien savoir l'un de l'autre, passer de l'extrême intimité et des caresses les plus abandonnées à cette absence, je vois dans cette séparation acceptée plus qu'une préfiguration, qu'une image de la mort : c'est la mort elle-même, qui commence". José CABANIS

 

Je ne sais pas vous, mais moi je n'aime pas les entre-deux, les machins pas clairs, ne pas savoir sur quel pied danser. « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée », écrivait Musset, et je me rallie à son avis. L'adjectif « mitigé » m'afflige et je déteste ce qu'il désigne : la météo qui a le ciel entre deux chaises, un coup hyper chaud, un coup hyper froid, les bilans qui hésitent entre le médiocre et le carrément nul. Quelque part, je me sens comme Thiéfaine, qui se disait, je ne sais plus dans quelle interview ni quand, « piments et alcools forts ».

Et donc, samedi, en prenant la route pour Bois d'Amont où avait lieu le dernier concert de la tournée Replugged, j'avais le cœur à rire et à pleurer. Des sentiments mitigés logés dedans. Quelque part entre le deuil et l'éblouissement. J'étais heureuse de revoir Hubert et ses musiciens, heureuse de retrouver quelques amis venus parfois de loin pour le grand soir. Mais impossible de me réjouir pleinement. J'avais déjà un pied dans la nostalgie de l'après Bois d'Amont. Je me disais que chaque heure qui passait m'entraînait irrémédiablement vers la fin d'un magnifique roman commencé en 2022, avant la leucémie. Bien sûr, je me disais aussi qu'Hubert avait bien mérité de se reposer, lui qui s'est tant donné et qui nous a tant donné lors de ces deux tournées qu'il a enchaînées. Oui, mais le fan est égoïste et exigeant. Il en veut trop et toujours plus. L'extinction des feux, il ne connaît pas, il ne veut pas connaître.

Et donc, samedi, en écoutant HFT dans ma voiture (ma façon de me préparer à ses concerts depuis toujours : impossible d'écouter autre chose quand je vais le voir, je me lave de tout le reste et ce reste n'existe plus), j'avais le cœur à la fois, comment dire, tristement léger et joyeusement lourd. Je crois que seuls ceux qui ont vécu Bois d'Amont pourront comprendre ces deux oxymores. N'est-ce pas, Bételgeuse ? D'ailleurs, je pensais à elle dans ma voiture. Je trouvais ça trop dommage qu'elle n'ait pas de billet pour cet ultime concert de Replugged. Et voilà que, m'arrêtant pour faire une pause, je découvre un message d'elle me disant « je serai là ce soir »...

Encore quelques détails de ce long chemin qui m'a semblé ne jamais vouloir finir : une déviation bien sournoise m'attendait dans le Jura. De celles qui font tourner dingues les GPS. Et le mien de vouloir sans arrêt me ramener sur la route que je ne pouvais pas prendre ! Si bien que les 4h35 de trajet annoncées par le même GPS au départ de Metz se sont transformées en presque sept heures ! Sur la route, j'étais à deux doigts de me demander si ce n'était pas une arnaque, cette histoire de concert au bout du monde. Dans un virage particulièrement costaud, m'est revenue une expression allemande : « wo Fuchs und Hase sich gute Nacht sagen », ce qui veut dire « là où le renard et le lièvre se disent bonne nuit ». C'est ainsi que l'on désigne joliment le « Arsch der Welt », qui n'est ni plus ni moins que le trou du cul du monde. Désolée pour les Bois d'Amontais et les Bois d'Amontaises, mais moi, les trous du cul du monde, ça ne me dit rien qui vaille, surtout que je m'y paume systématiquement.

Mais bon. À un moment, quand même, j'ai fini par voir Bois d'Amont sur un panneau. C'était juste après m'être échouée dans un chemin louche où étaient indiquées les Chauvettes. Vous m'en direz tant ! Ces Chauvettes, je ne les ai pas senties. Quelque chose m'a dit à ce moment-là qu'il me fallait lancer un appel au secours sur le groupe Messenger créé par les autres fans que je rejoignais. La chose fut réglée en quelques secondes : demi-tour, reprenons la grande route, abandonnons la minuscule qui mène aux Chauvettes.

Enfin, me voilà à Bois d'Amont. Je retrouve Isabelle (Évadné) et Brigitte. Isa, la dernière fois que je l'ai vue, c'était à Saint-Malo, une dizaine de jours avant de tomber malade. Nous nous serrons fort et nous pleurons. C'est tellement incroyable de se revoir : j'ai survécu, je ne suis pas morte ! Depuis, je savoure ma résurrection et je peux vous dire qu'un concert d'Hubert, c'est encore meilleur quand on a failli crever. Mais n'allez pas tenter l'expérience pour autant. Je ne recommande pas !

Un peu plus tard, nous voilà dans la salle. Nous sommes tout devant. Je suis entre Brigitte et Isa. Et non loin d'Erwan et de Yannig. Doux prénoms qui fleurent bon la Bretagne, d'où ils sont venus (avec Isa). Ah, Hubert, les folies que pour toi l'on commet...

Avant le début du concert, nous sommes déjà mélancoliques, tous autant que nous sommes. Isa tente de nous raisonner : « Allez, on a dit qu'il fallait être heureux dans l'instant » ! Mais Erwan ne fait pas dans le joyeux et assène d'un seul coup d'un seul ces mots qui, évidemment, trouvent un écho favorable en ma personne dont le penchant pour le spleen n'est plus à prouver depuis belle lurette : « Ce soir, chaque note jouée sera la dernière ». Au secours, je vais défaillir. C'est qu'il ne faut pas me dire des choses comme ça à moi qui les pense déjà si facilement. Trop tard, le ton est donné (et je m'en doutais bien avant que commence le concert) : cette soirée ne pourra être qu'empreinte de nostalgie. Cette putain de nostalgie anticipée qui gueule comme l'horloge de Baudelaire : « Souviens-toi ». « Souviens-toi de ce qui n'est pas encore arrivé, dis-toi qu'au moment où ça arrivera, ce sera déjà en train de flétrir ». C'est peut-être pour ça que je n'achète jamais de bouquets de fleurs : ils me sont putréfaction !

Allez, soyons gais, soyons fous, tout va bien, Hubert n'est pas encore là et nous planons dans ce nuage tout sympa qu'on appelle l'attente. Bételgeuse nous a rejoints et c'est chouette. Un groupe local se produit sur scène et c'est chouette aussi. D'habitude, je n'aime pas les premières parties, mais là, ça me fait comme un petit répit avant que le « dieu sinistre, effrayant, impassible », autrement dit l'horloge de Baudelaire, n'entame son œuvre de destruction massive. Le groupe local s'appelle Bizar et est vraiment très sympa. Il envoie du bon rock'n'roll dans les écoutilles.

Et puis, voilà Hubert et ses musiciens. Je suis pile en face de Lucas et il me semble qu'il pleure dès le début du concert. Oh non, il me fend le cœur, ce cœur déjà fragilisé par la nostalgie anticipée... Erwan a raison : chaque note jouée est la dernière et cela se sent dans la manière dont les musiciens caressent ou empoignent les instruments. Tout le monde est à fond. La voix d'Hubert, très digne, très puissante, me colle des frissons pas possibles. Elle déclenche quelque chose de magique en moi, c'est un peu comme quand j'entends de l'allemand. Y'a du poil dressé dans l'air ! Il est peut-être fatigué, notre HFT, mais franchement il assure diablement. Respect, une fois de plus.

Les dingues et les paumés nous mettent, au premier rang, dans un drôle d'état. C'est si bon d'entendre cette chanson dont la version Replugged est magistrale. C'est si bon et c'est si triste. Vous comprenez ?

De temps à autre, Yannig me lance des regards qui en disent long sur l'état qui est le sien, le mien et celui de tous ceux qui m'entourent. Les pupilles scintillent dans l'obscurité. C'est qu'on n'en mène pas large quand même. On est tous conscients qu'Erwan avait raison avec sa putain de phrase. Vous savez, « chaque note jouée sera la dernière ». Moi, j'ai carrément l'impression d'avoir bouffé un savon qui me serait resté en travers de la gorge. J'ai du mal à avaler ma salive et mon menton tremble à de nombreuses reprises. Ce que je peux être impressionnable, purée !

Heureusement qu'il y a quelques chansons un peu récréatives, ça nous fait un sas de décompression. Durant Cabaret Sainte-Lilith, Isa imite le pape à côté de moi (avec l'accent, s'il vous plaît) et je me tords de rire. Et, pendant Groupie 89 turbo 6, j'ai tout à coup un couple sado-maso à ma gauche : Erwan regarde Isa et la supplie de lui friter la gueule, ô mon amour. Que ça me fait du bien de rire. Parce que vous voyez, franchement, c'est pas la gaieté qui m'étouffe ce soir. J'ai tellement peur du moment où le silence succèdera à cette orgie de beauté... Sur scène, tout le monde donne le meilleur de lui-même, et de sa personne, et de sa sueur. Je crois que Lucas dégouline encore plus que les autres fois.

Et puis, vient la chanson aux fatales interrogations, la chanson qui nous présente ses condoléances  : Combien de jours encore. C'est le moment de se rendre compte que jusqu'ici, finalement et à vrai dire, tout allait bien. Le moment de voir que les émotions ressenties, c'était vraiment de la gnognote en comparaison de celles qui vont nous « tomber sur les reins ». Je crois que je vais m'étouffer dans mes larmes. Le savon dans ma gorge fait de drôles de bonds, il monte et il descend, il monte et il descend. Comme un ascenseur qui se serait gouré de précipice.

Et en parlant de cela, voici la superbe, l'unique, la plus belle à mes yeux, celle que j'ai déjà réclamée pour mon enterrement (puisqu'on en est aux condoléances) : Mathématiques souterraines. Je l'écoute pour la combientième fois : millionième, ça se dit ça ?! Oui, ça se dit, et je suis certaine que je ne suis pas loin de la vérité avec mon mot que j'emploie tellement rarement que j'ai dû vérifier qu'il existait ! Eh bien, même à la millionième fois, Mathématiques souterraines, ça me saisit toujours, ça me fait un machin qu'aucune chanson ne m'a jamais fait et ce mystère n'en finit pas de m'émerveiller.

Qui dit Mathématiques souterraines dit fin toute proche, danger, voyants rouges allumés. Voici que se pointe La fille du coupeur de joints, sournoisement et à vive allure. Quoi ? Déjà ? Mais c'est pas possible. Chaque note jouée est allée trop vite !

Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas d'humeur festive quand retentit le début de ladite chanson. Le savon, oh nom de Dieu, le savon : énormissime ! Je n'ose plus regarder personne, et surtout pas Lucas qui doit avoir lui aussi un problème avec le petit Marseillais. Ah, nous voilà jolis, lui, moi, tous les autres ! J'aurais bien envie de lui dire, à Lucas : « Ne sois pas triste, on se reverra », comme dans la chanson de Lavilliers (Marin), mais je sens que citer Bernard en pareille circonstance ne ferait qu'aggraver les choses...

À la fin de ce concert géantissime (ah oui, là, j'ai envie d'employer des « ssimes » à toutes les sauces, parce que les cimes, vraiment, on y a eu droit plus que jamais), je me tourne vers Bételgeuse. Je sais qu'elle me comprend et qu'elle est dans le même état que moi. Nous avions déjà évoqué par avance la fameuse nostalgie anticipée. Truc de malade, n'est-ce pas, évoquer par avance la nostalgie anticipée ?! La chose qui n'est pas encore arrivée, mais que tu envisages déjà, pour anticiper. Vous en avez d'autres, des pléonasmes aussi cons ? Bételgeuse me prend dans ses bras et nous pleurons. De toute façon, il ne nous reste plus que les yeux pour pleurer. Moi qui n'en avais pas assez de deux ce soir pour emmagasiner de belles images ! Moi qui n'avais pas assez de mon cœur (fendu dans les grandes largeurs) pour y faire entrer tous les sentiments mitigés qui l'assaillaient. Décidément, « mitigé » est un piètre adjectif et je ne l'aimerai jamais.

Alors voilà, c'est fini. « Schluss, Ende, aus », comme dit la chanson de Rio Reiser, ce chanteur allemand qui gagnerait à être connu par chez nous. J'ai un peu l'impression de flotter devant un immense néant. Bien sûr, il n'y a pas que Thiéfaine dans mon existence. Non, il y a aussi Hubert, et puis Hubert-Félix, et puis HFT !!! Bien sûr, j'ai d'autres passions et la vie ne s'arrête pas avec une tournée qui s'achève. Bien sûr, on peut en espérer au moins encore une. Je ne vais pas mourir parce que Bois d'Amont a refermé un livre que j'ai l'impression d'avoir lu trop vite. Oh pis si, quand même un peu, que je vais mourir. Parce qu'on meurt un peu à chaque fois qu'un chapitre se termine, j'en suis sûre. En tout cas, moi je meurs un peu parce que je ne suis pas débrouillarde pour un rond et que tout ou presque m'est motif de tourment. C'est la vie qui est méchante, elle fait jaillir des splendeurs, et puis elle les reprend...

Bon, on ne peut pas dire qu'avec mes digressions j'aie fait dans la concision ce soir. Il y aurait encore tellement à ajouter... Après le concert, il y a eu cet after un peu fou dont je retiendrai à jamais le suc... Le moment le plus beau fut celui où Hubert traversa la foule pour quitter la salle où il venait de signer je ne sais combien d'autographes, faire je ne sais combien de photos, le tout sans montrer la moindre lassitude. Il a tout donné, et tout le meilleur de lui-même, puisant dans d'innombrables ressources, avec un incomparable talent. À l'issue de ces deux tournées qui ont rempli ma vie pendant deux ans et quelques mois, je suis gratitude, éblouissement, admiration. Et je m'en fous d'être une groupie un peu débile. Il y a pire comme tare, je crois !

Avec tout ça, mes braves enfants, il sera bientôt 22h43, l'heure de laisser venir à moi un ascenseur nommé désir... Désir que ça recommence, que ça ne prenne jamais fin, que quand il n'y en aura plus, il y en ait encore.

Dans les jours qui viennent, je vais devoir faire une prise de sang et je me demande si l'hématologue ne va pas m'appeler, affolé, pour me dire : « Écoutez, on ne comprend pas, on a trouvé dans votre sang un composant inconnu de nous, ça dessinait clairement trois lettres : HFT. On ne sait pas ce que c'est ». Et là, je me marrerai doucement, sans rien dire, parce que moi, je saurai !!!!

01/08/2024

Nena était à la foire aux vins de Colmar hier soir (et moi aussi, quelle chance !)

"Irgendwie fängt irgendwann

Irgendwo die Zukunft an". NENA

 

Rien ne saurait entamer ma joie en ce 31 juillet. Pas même la flotte qui s'est mise à tomber drue et mélancolique en plein milieu de l'après-midi. Pas même le retard de la navette censée m'emmener de la gare de Colmar à la foire aux vins (de Colmar itou). Ce retard, vous l'aurez peut-être deviné, m'a exposée plus que prévu (et que de raison) à la pluie drue et mélancolique... Qu'à cela ne tienne. Au moment où je m'assois dans la navette enfin arrivée (avec 25 minutes de retard, tout de même), je me sens heureuse et vivante comme jamais. Durant le trajet, je me dis que c'est génial d'aller à un concert de Nena, d'avoir cette chance. D'être là, dans cette navette. Ça, c'est une petite salutation venue tout droit de la chambre stérile. C'est essentiellement de cette façon qu'elle se rappelle à mon souvenir : pour me donner de la joie, par comparaison. Il est vrai que ramener les choses à cette sordide expérience a l'avantage de tout teinter de douceur. Une classe un peu agitée cette année ? Bah, ce n'est rien, me disais-je, c'est tellement mieux que la chambre stérile ! Pas envie d'aller travailler ? Oh, souci ridicule, problème minuscule. Quel luxe de pouvoir se dire « j'ai pas envie d'aller travailler » ! Si, si, je vous assure. Bref, cessons là les divagations et revenons à nos moutons, d'autant plus qu'ils sont allemands, comme j'aime !

Oui, en ce 31 juillet, je vais voir Nena, disais-je. Nena, celle qui interprétait 99 Luftballons du temps que j'étais à des lieues de me douter qu'un jour j'enseignerais la langue dans laquelle elle chantait ! Nena, dont j'appris, une fois que je m'intéressai à fond à la culture allemande, qu'elle continuait sa carrière outre-Rhin, et comme il faut. Je me mis à la suivre, parfois de près, parfois d'un peu loin, pas toujours convaincue par ses expérimentations musicales, mais lui reconnaissant systématiquement le mérite d'avoir osé les faire. Parfois je la suivis de très près. Ainsi l'album Wenn alles richtig ist, dann stimmt was nich, dont le titre est à lui seul un traité philosophique, fut écouté des millions de fois. En substance, ça dit que quand tout roule comme sur des roulettes, c'est qu'il y a une couille dans le potage (mais Nena a exprimé les choses avec infiniment plus de finesse). Une idée qui m'est familière. Depuis toujours, j'ai en effet tendance à me méfier de ce qui ressemble d'un peu trop près à la sérénité et compagnie. Dès qu'une période de calme m'est octroyée, je me demande quelles foutues tempêtes elle cache et quel poignard viendra me transpercer le dos peu après. Donc, oui, l'idée selon laquelle il y a un truc qui cloche quand tout va bien, ça me connaît ! Cet album est une pure merveille. Il raconte des petites choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, par exemple), l'amitié qui nous tend ses bras quand on va mal (Heul dich bei mir aus), une relation qui s'effiloche (Dann fiel mir auf), la peur que l'on a ensuite à se relancer dans tout ce qui ressemble à une histoire d'amour (Todmüde). Nena, Cath : deux vécus similaires, à des kilomètres de distance. Mais une langue pour nous unir, celle de Goethe, la mal-aimée pourtant majestueuse. Si inventive que c'est à faire perdre la raison à tous les dictionnaires du monde. Cette langue crée des mots à l'infini, et elle les déroule en de longs tiroirs que quand tu en as ouvert un, tu te rends compte qu'il y en a encore un à l'intérieur, et peut-être même deux, si ce n'est plus ! Moi, l'allemand, c'est mon trip, mon shoot, ma came. C'est un peu comme avec Hubert : il m'en faut toujours plus ! J'en écoute absolument tous les jours, de l'allemand. À la télé, à la radio et sur ma chaîne. Nena, entre autres.

Et donc cette Nena, 64 ans déjà je n'en reviens pas, passait hier à Colmar, à la foire aux vins. FAV pour les intimes. J'ai même appris, grâce à plusieurs tee-shirts ayant défilé sous mes yeux, qu'assister à la FAV faisait de vous un ou une faviste. Faviste un jour, faviste toujours, voilà ce qui était écrit sur lesdits tee-shirts. Qu'on se le tienne pour dit ! Moi-même ne suis-je pas un exemple de la véracité du truc ? À la foire aux vins en décembre 2023 (c'était dans le cadre de la cuvée givrée, pour HFT) et de nouveau à la foire aux vins en juillet 2024. Voilà, vous avez devant vous une faviste, alors un peu de respect !

Nena, Nena, Nena : je m'éloigne trop de mes moutons (pourtant allemands, mes préférés, vous l'ai-je déjà expliqué ?!). Avec cette connerie de retard qu'avait la navette, j'ai loupé le début du concert. J'ai couru comme une dératée en arrivant sur le site de la foire. Vite, retrouver mes moutons, surtout qu'ils sont allemands, je ne sais plus si je l'ai mentionné !

À peine suis-je arrivée dans la salle que je succombe à la magie Nena. 64 ans déjà je n'en reviens pas et une silhouette de jeune fille. Un look rock : tee-shirt noir, pantalon en cuir. Le cheveu tombant en cascade en une frange un peu désordonnée. « Ich geh' mit dir wohin du willst, auch bis ans Ende dieser Welt », chante la jolie voix, et je me dis que l'homme à qui Nena a dédié ces mots a bien de la chance. Ça veut dire qu'elle le suivrait au bout du monde, quand même, rien que ça ! Le veinard, purée ! Sait-il seulement qu'il est béni des Dieux entre tous les hommes, l'enflure ?! Il y a comme ça des êtres élus, qui sont toujours du bon côté. Tandis que soi-même on rame pour être aperçu(e) de la Providence. Mais ça c'est une autre histoire.

Voilà donc Nena chantant ceci avec force et enthousiasme. Ça balance pas mal à Colmar en ce 31 juillet. C'est que le feu règne sous le chapiteau. Nena entraîne la foule. Elle bouge sans arrêt. Et que je t'envoie ma jambe dans les airs, et que je te montre combien mes genoux sont encore alertes à leur âge. C'est à me faire pâlir de honte, moi qu'un déménagement vient de mettre sur les rotules. Le dos en compote, l'esprit ne fonctionnant plus qu'au ralenti. Ah, si j'étais Nena, j'aurais une autre allure ! Mais bon, je suis faviste, c'est déjà beaucoup, et on ne peut pas tout être à la fois.

Je reconnais plein de titres aimés, notamment Irgendwie, irgendwo, irgendwann. Chanson qui dit que quelque part commence le futur, d'une manière ou d'une autre. Encore un petit traité philosophique. Et puis, soudain, Nena taquine un énorme ballon blanc sur la scène. On devinera aisément de quelle chanson il va être l'illustration. Les premiers mots retentissent et la foule ne contient pas son extase, à quoi bon ? Des mains se lèvent, des fesses décollent de leur siège. Immense communion franco-allemande. C'est tellement beau que j'en ai les larmes aux yeux. Quelle chance j'ai d'être là ce soir, je me le répète X fois, et encore plus en écoutant 99 Luftballons.

Nena chante un peu plus d'une heure et je reste sur ma faim. J'en aurais voulu encore, et bien plus. Je suis épatée par l'énergie de cette femme, énergie qu'elle sait insuffler à chacun chacune. Impressionnant. Cela relève de l'exploit car la France n'est pas un terrain conquis d'office pour une chanteuse allemande. Ok, ici, c'est l'Alsace, et l'Allemagne n'est qu'à quelques encablures, mais quand même. Il faut le faire pour mettre tout le monde d'accord, surtout des Français et des Allemands ! Chapeau, madame Nena ! Défi relevé avec brio et charme par-dessus le marché !

Je suis tellement scotchée par la prestation de la chanteuse que j'ai du mal à entrer dans le concert suivant, celui de Toto. Je finirai par me laisser emporter aussi, mais peut-être pas comme il se devait. C'est que je suis ingrate, je le reconnais. Quand j'aime un artiste, je rechigne à lui faire succéder qui que ce soit. Je n'aime pas non plus que qui que ce soit le précède (et j'en veux pour preuves les premières parties d'Hubert qui me voient piaffer d'impatience au fond des starting-blocks). C'est mon côté entier. Mon côté faviste, peut-être.

En tout cas, Nena sur scène, ça dépote, et ça te démonte tous les préjugés à la con qui courent sur la langue allemande. J'vous jure que celle-ci, dans la bouche de la chanteuse, est d'un sexy hallucinant. C'est à n'y pas croire. Et d'un rock'n'roll, c'est à ne pas imaginer. Alors toi, le grincheux, la grincheuse qui trouves que l'allemand est une langue crasseuse pas digne de tes oreilles soi-disant délicates, va donc un jour à un concert de Nena, et on en reparlera. J'suis sûre que t'es même pas cap. Dommage. Et en même temps, ce n'est pas si grave : laisse le meilleur de ce monde à qui sait l'apprécier !

30/06/2024

Un article retrouvé dans le numéro 53 de Chorus (automne 2005)

"J'espère que demain sera torride et vibrant, avec des astres riants, des petites lueurs dans les yeux". Brigitte FONTAINE

 

Je vais déménager en juillet. Je suis dans les cartons jusqu'au cou et je retrouve régulièrement des trésors oubliés un peu partout dans ma maison. Ce matin, cet article que Jean Théfaine avait consacré, dans l'excellente revue Chorus qui n'existe malheureusement plus, à l'album Scandale mélancolique (2005). Je vous l'ai recopié intégralement pour vous en faire profiter ! Dans les commentaires, n'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cet album. Je vais le réécouter cet après-midi, tiens ! 

 

C'est le 17 octobre que sort le quatorzième album studio d'Hubert-Félix Thiéfaine. Patience. Une fois encore, l'imprécateur jurassien n'est pas où on pouvait l'attendre. Défloration 13, en 2001, intrégait des courants musicaux nouveaux. Sous la direction de Philippe Paradis, qui l'a réalisé, Scandale mélancolique revient à un habillage sonore plus classique, mais d'une intelligence et d'une sensibilité exemplaires. Les guitares électriques, de retour au premier plan, sont toujours utilisées à bon escient.

Dans le passé, Hubert-Félix Thiéfaine avait fait appel à certains compositeurs. À Claude Mairet surtout. Ici, c'est une toute autre aventure ! Ils sont huit à s'être coltinés à son univers – tous de la génération des 25-40 ans : Philippe Paradis, par ailleurs guitariste attitré de HFT, le bassiste Roberto Briot, Jipé Nataf, Mickey 3D, Frédéric Lo, Jérémie Kisling, Cali et Elista, un prometteur jeune groupe français. Il y a même un neuvième homme, Thiéfaine lui-même, qui s'est réservé une musique … sur l'unique texte qu'il n'a pas écrit ! Un texte, en anglais pour l'essentiel, by Boris Bergman.

Philippe Gandilhon, son directeur artistique, souhaitait amener un peu de « solaire » au royaume des ombres qu'affectionne Hubert-Félix. Et c'est globalement gagné. Il y a même deux titres authentiquement lumineux : Gynécées, une déclaration d'allégeance aux femmes, interprétée en duo par Thiéfaine et Cali ; Les jardins sauvages, une métaphorique balade au pays des fleurs perdues, autour de laquelle Mickey 3D a tressé un bouquet de notes allègres. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Un galop infernal, même, tant il y a, dans cet album-là, de douleur à nu, sans beaucoup d'humour pour l'atténuer. De Libido Moriendi, sur lequel M a posé une ritournelle de banjo, à Confessions d'un never been, en passant par l'époustouflant Jeu de la folie, devenu « un sport de l'extrême », c'est la même angoisse existentielle qui court.

Il faudrait tout citer de cet album d'exception, qui confirme une fois de plus l'importance et la cohérence de Thiéfaine dans le paysage de la chanson française ; mais trois morceaux méritent une mention particulière : Télégramme 2003, fraternelle adresse à Bertrand Cantat, jamais nommé pour autant (« Ronge tes barreaux avec les dents / Le soleil est là qui t'attend ») ; When Maurice meets Alice, déchirante déclaration d'amour filial d'Hubert, l'inconsolable, à ses chers disparus ; That angry man on the pier, une sorte d'autoportrait, qui éclaire le reste de l'album et bien d'autres choses encore du singulier parcours de HFT.
En clair, Scandale mélancolique est un nouveau sommet dans l'œuvre de l'énigmatique jurassien.

 

Jean THÉFAINE, Chorus n°53, automne 2005.

 

03/06/2024

Thiéfaine était à Besançon samedi et ce fut le feu !

"Instant délicieux, ne t'en va pas, tu es beau parce que tu meurs et que rien dans la suite des temps ne pourra prendre ta place, être absolument comme toi". Julien GREEN

 

En allemand, « jamais deux sans trois » se dit « aller guten Dinge sind drei », ce qui signifie que toutes les bonnes choses sont au nombre de trois. Guidée par ce dicton et par la désormais proverbiale phrase d'Oscar Wilde selon laquelle « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais », j'ai ajouté Besançon au calendrier, juste après Paris et Reims. Trois week-ends en Thiéfainie, qui dit mieux ?

De chacun, il faudrait pouvoir extraire la substantifique moelle. La tâche n'est pas aisée. Le premier n'a pas ressemblé au deuxième, qui lui-même n'a pas ressemblé au troisième, lequel n'a pas grand-chose à voir avec le premier ! Vous me suivez ?

Ce samedi marquait notre entrée dans le mois de juin. Difficile à croire au vu de la météo, certes, mais si, vrai, on quittait le joli mois de Marie. Mais n'allons pas pour autant renoncer à nos envies ! Les miennes sont assez simples, en définitive : un peu d'allemand par-ci, un peu d'HFT par-là, et le tour est joué. Bref...

Samedi symbolique à plus d'un égard : entrée dans le mois de l'été, disais-je (si, si, il va venir), mais aussi et surtout : rencontre, en chair et en os, avec Sandrine, une quinqua que j'ai connue sur Facebook pendant la maladie, lorsque je traînais sur les pages consacrées à la leucémie, demandant « y' a quelqu'un ? ». Or, il se trouve qu'un jour, quelqu'une il y eut. Et ce fut Sandrine. Même leucémie que la mienne, même traitement, même combat. Il n'en fallait pas plus pour créer comme une sororité. Durant les longs mois que dura la maladie, Sandrine fut un modèle pour moi. Nous nous étions promis de nous rencontrer. Nous n'en avions encore jamais eu l'occasion. Celle-ci s'est présentée il y a quelques jours. Premier message de ma part, déjà un tantinet wildien : « Sandrine, ça te dirait de m'accompagner au concert que Thiéfaine donne samedi à Besançon, pas loin de chez toi ? ». En quelques clics, l'efficace Sandrine nous dégotait deux billets.

Et voilà que samedi, je débarquais dans son salon. Un peu émue, il faut le dire. C'est qu'on en a traversé des choses ensemble. À distance, certes, mais tout de même !

Je suis à l'aise, immédiatement. Le courant passe. Je parle à Sandrine comme si je la connaissais depuis soixante ans, bien que n'en ayant que cinquante. C'est dire ! Je crois au coup de foudre, en amitié comme en amour !

À 18 heures, nous partons pour Besançon. Nous retrouvons Brigitte. On papote un peu, on fait quelques emplettes à la boutique, et ça y est, il est temps de sonner la fête, on nous attend ! Sandrine et moi avons des places en gradins, mais également la ferme intention de rejoindre la fosse dès que possible ! Surtout que ça a l'air de vouloir bien s'amuser là-dedans : Brigitte nous explique que des cœurs rouges en papier ont été disposés sur tous les fauteuils, avec pour consigne de les agiter sur Narcisse et je ne sais plus quand encore. Bon, d'accord, c'est légèrement kitsch, mais on a tous nos côtés kitsch à un moment ou un autre de notre vie, n'est-ce pas ? Si, si, vous aussi, cherchez bien !

Droïde Song résonne puissamment dans la salle. Je souris discrètement quand Hubert s'emmêle les pinceaux dans ses statues. La première fois, il chante un truc étrange, du style « les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des vavues ». Hubert sans ses pinceaux emmêlés ici ou là, ce ne serait pas Hubert. Cela dit sans aucune cruauté car je nous mets, tous autant que nous sommes, au défi d'interpréter ses chansons en faisant un sans-faute ! Impossible, non ?

Je me dis quand même, du haut de ma place en gradins (j'aime pas tellement ça, mais bon, on a pris ce qu'on pouvait prendre), qu'Hubert et ses musiciens sont vachement petits. C'est que je les vois de loin, de trop loin à mon goût. Dès que retentissent les premières notes de Narcisse, j'invite Sandrine à me suivre dans la fosse. C'est l'appel des petits cœurs rouges, que voulez-vous ! Nous arrivons au milieu d'une foule incandescente, digne de celle de l'Olympia. Tous ces papiers rouges qui se promènent un peu partout, c'est peut-être kitsch, mais ça me fait quelque chose. Genre qu'on dirait à Hubert « vois un peu comme on t'aime ».

Moi, j'ai pas de cœur (enfin, pas de cœur rouge en papier, en tout cas), mais ça ne m'empêche pas d'avoir, comme toujours, la fougue chevillée au corps. Ou le corps chevillé à la fougue, je ne sais même plus dans quel sens il faut mettre cette charrue tant je suis subjuguée par ce qui se donne à voir sur scène. Jamais vu la sueur de Lucas d'aussi près, c'est la réflexion que je me fais dès mon arrivée dans la fosse. Ben ouais, les réflexions qu'on se fait à soi-même ne sont pas toujours de haut vol ! Je me dis aussi, et ça c'est mieux, qu'Hubert et ses musiciens sont vachement grands.

Parmi ceux qui sont restés assis, ça râle un peu car nous sommes toute une masse agglutinée devant la scène, à boucher la vue. J'avoue que je ne suis pas ultra fière d'infliger ça à des gens qui aiment Thiéfaine. Mais bon, qu'ils se lèvent, eux aussi, et le problème sera réglé, non ? Et puis merde, chacun sa merde ! On sait bien, quand on va voir Hubert en configuration assise, que ça va en démanger plus d'un de se lever au bout de trois minutes. Vieux, le public, mais pas grabataire. Peut-être aussi une légère phobie des strapontins, acquise à force de trop écouter une certaine chanson du même Hubert ?! Qui sait ?

En attendant, à Besançon en ce premier samedi de juin, ça tangue tous azimuts devant la scène. Et je suis dans cette immense bouilloire, et je contribue à ce que ça bouille (purée, je suis allée le chercher loin, ce subjonctif !) et je m'enivre des bouillonnements que je perçois autour de moi. Le bateau ivre, nous sommes le bateau ivre, rien que ça ! Il se passe un truc hyper fort. Le mot « orgie » me vient à l'esprit ! Non pas de silence et de propreté, l'orgie, mais tout l'inverse et en mieux. Les musiciens se donnent à fond. Finalement, ils suent tous comme Lucas, à grosses gouttes. La voix d'Hubert est limpide, belle et puissante. Campé devant le micro, il en impose. Quelle prestance et quelle présence !

De temps à autre, je me demande ce que va penser Sandrine, elle qui ne connaît de Thiéfaine que La cancoillotte et La fille du coupeur de joints. C'est que ce n'est pas œuvre à mettre entre toutes les oreilles. « Une p'tite canette, une p'tite fumette, une reniflette, une seringuette, une bonne branlette » (par ordre croissant, la p'tite canette procurant moins d'extase que la p'tite fumette, laquelle ne vaut pas, question trip, la reniflette, etc. Complétez vous-même !!!), comment va-t-elle prendre la chose ? Je lui pose la question. Tout ça l'amuse sans l'horrifier, ouf ! L'honneur est sauf. Tout de même, moi je dis qu'il y a des cours de chasteté qui se perdent par ici !

Groupie 89 Turbo 6 éclate notre novice. Elle trouve Hubert décidément bien guilleret lors de son interprétation. Un sourire coquin sur ses lèvres donne à penser qu'il y a sûrement de l'autobiographique là-dedans, mais cela ne nous regarde pas.

Le temps passe vite, trop vite, c'est vraiment un sale connard. Il engloutit cruellement chaque seconde. Combien de jours encore, bonne question... Cette chanson qui me transperce comme de bien entendu signe la presque fin du concert. Les interrogations qu'elle exprime me glacent. Dans ma tête, je me demande « Combien de concerts encore ? », celui-là étant pour moi le dernier de la tournée actuelle (qui s'étiole, qui s'étiole, sortez les mouchoirs). C'est grande tristesse et grande injustice. Soixante concerts et quelques et aucune trace de lassitude, et aucun soupçon de satiété ! J'en veux, j'en veux encore, comme dans la chanson d'Yves Jamait. Jamais assez d'HFT, jamais assez de cette folie qui m'a fait, en trois décennies, réviser presque tous mes départements. Voir du pays, quoi !

Hubert et ses musiciens reviennent. Au moment où démarre Mathématiques souterraines, je rappelle à Sandrine que c'est cette chanson-là qui m'a servi de boussole dans la chambre stérile. Ah, comme je les ai attendus, les ascenseurs au fond des précipices ! Les chœurs bisontins entonnent « pauvre petite fille sans nourrice » et il en émane une telle féminité, pour ne pas dire félinité, que j'en ai des frissons partout. Et voilà, ça y est, un concert de plus en moins, ou presque. Bientôt La fille du coupeur de joints unira dans son cri les cheveux blonds, les cheveux gris, et Besançon ira s'échouer sur les rives du souvenir. Les cœurs rouges ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et c'était beau. Et si le kitsch n'était qu'une question d'éclairage et se bonifiait du bon usage qu'on en fait ? Brandis simultanément et dans un même élan d'amour, je vous jure que ces cœurs avaient de la gueule !

Je sors de là abasourdie. Voir Besançon et mourir, j'en suis là...

Et si cette tournée était, comme nous sommes nombreux à le redouter, la dernière ? Et si ce soir j'avais vu Hubert pour la der des ders ? Arrière, pensées pourries qui m'obscurcissent l'âme et me la font toute chagrine et merdique !

Le lendemain, dans la voiture, je suis complètement bouleversée, je repense à tout ce que j'ai vécu. Sandrine, Hubert, tout ça. Les images se télescopent, je suis d'humeur grise, et ce n'est pas l'incessante pluie qui va me contredire.

Et soudain, une idée vient me transbahuter dans un monde meilleur : si je crie très fort et très longtemps « j'en veux, j'en veux encore », comme dans la chanson d'Yves Jamait, peut-être qu'une bonne fée m'exaucera, allez savoir. Un peu de clémence, de grâce ! Je veux croire aux contes de notre enfance. « Il était une fois un chanteur incroyablement talentueux qui s'apprêtait à fêter ses cinquante ans de scène »... Ainsi pourrait commencer un nouveau chapitre de l'histoire d'Hubert. Et là je dis : revoir Besançon et renaître !

27/05/2024

Reims, la ville où Thiéfaine fut sacré roi samedi !

"J'écris. Je n'ai jamais connu d'autre habitation que la phrase à venir". Christian BOBIN

 

Hier le cœur au soleil, aujourd'hui le même cœur à l'ombre. Ainsi va la vie, n'est-ce pas ? Ce qui est pris est pris, bien sûr, mais le problème, c'est que ce qui est pris n'est plus à prendre. Loi immuable...

Retour au bercail après un week-end de folie. Un de plus, me direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Un de moins à vivre, on peut le voir comme ça aussi. Loi immuable...

Bref... Activons la machine à souvenirs, rembobinons.

Tout commence samedi après-midi, sur l'autoroute qui va de Metz à Reims. Je me sens comme le séminariste à moto de la chanson (j'ai bien dit à moto) avant qu'il ne percute de plein fouette un pylône garé en stationnement illicite. Toute guillerette, quoi, comme si je trimbalais le Saint-Esprit sur le siège passager. Dans le trafic autour de moi, des Allemands en veux-tu en voilà. Et moi, des Allemands, j'en veux toujours et toujours plus, ça tombe bien. Je me dis « beaucoup d'Allemands dans les parages, excellent, merveilleux présage », inventant pour l'occasion un proverbe qui ne dépassera malheureusement pas, je crois, ma sphère privée ! Oui, vraiment, tous ces Allemands qui en cachent d'autres, et puis d'autres encore, ça me fait dire que la soirée sera bonne. Que « la nuit promet d'être belle », car il ne faut pas oublier Jacques Higelin.

Je rejoins au centre-ville la joyeuse clique qui va dormir dans le même hôtel que moi. Nous sommes huit en tout, je crois. Il y en a que j'ai déjà vus, d'autres que je ne connais que via les réseaux sociaux. Nous venons d'horizons divers, mais quelque chose nous lie puissamment : une même passion pour l'œuvre de Thiéfaine. J'adore ces moments de retrouvailles, de communion.

On boit un verre, on fait un peu de tourisme dans la ville des sacres, et très vite il est l'heure d'aller à la salle Arena. C'est une étrange cohorte qui se déplace, chacun arborant fièrement un tee-shirt ou un sweat rappelant un certain HFT.

Il n'est pas 19 heures et nous sommes déjà dans la salle. Je discute à droite et à gauche, comme toujours. Je récolte des témoignages, j'écoute des histoires, je me rapproche de certaines sensibilités qui se donnent à voir dans des propos enthousiastes. Et je n'en reviens pas de trouver toujours, invariablement, la même ferveur autour d'Hubert. Entre-temps, Bételgeuse est arrivée et se joint aux conversations. Avec elle et une quinquagénaire dont nous venons de faire la connaissance (Annabelle), nous nous interrogeons : que vont devenir nos vies quand Hubert décidera d'arrêter les tournées ? Oui, je vous le demande : que deviendront les rêveurs que nous sommes quand le rêve sera fini ? Nous sommes trois à tout à coup contempler le vide. Difficile d'imaginer ça... Repoussons la chose et ancrons-nous dans l'instant présent, si riche et si beau. Dans pas longtemps, Hubert sera là, il convient de ne pas se laisser plomber. Jusqu'ici, tout va bien.

Le concert démarre. Il sera lui aussi amputé de Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir, de Whiskeuses images again, de 113ème cigarette sans dormir et de Redescente climatisée. Éternels regrets posés sur ces quatre lourdes absences...

Dès le début, nous sommes plusieurs à constater que le son a des ratés. Ce sera encore plus flagrant vers la fin, sur Soleil cherche futur, où tout nous sera livré en vrac ! Paroles et musique sont là, mais pas dans l'ordre habituel. Pas grave, nul ne se laisse démonter par les incidents techniques qui ponctuent la soirée. L'indulgence est de mise puisque tout est bien quand même, malgré ça. L'ambiance n'est pas mal non plus. Pas incandescente comme à l'Olympia, mais elle se défend convenablement. La semaine dernière, j'étais en plein dans le volcan, là c'est plus modéré, un peu comme si je ne faisais que réviser ma tendresse des volcans. Oh, c'est déjà pas si mal, me direz-vous. On a connu pire ! Tout autour de moi, ça danse, ça chante, ça jubile. De temps à autre, j'échange quelques mots avec mon voisin (fort sympathique au demeurant). Je suis bien placée : troisième ou quatrième rang dans la fosse et pas de grand pour me boucher la vue et me gâcher mon Hubert … que toute la salle sacre roi en ce samedi de mai où rien n'est plus urgent que de faire ce qu'il nous plaît de nos envies.

La sortie du public ressemble un peu à celle de l'Olympia. En moins bouillante tout de même. Mais des « oh oh oh oh oh oh » accompagnent la promenade vers le hall. Je suis avec mon voisin de concert. Nous rejoignons ensuite son groupe d'amis. Bételgeuse se joint à nous. Et nous allons boire un verre dans le centre-ville. Principal sujet de conversation, là encore : Hubert. Hubert et ses 75 ans, bientôt 76, et une énergie qu'on lui envie d'avance, nous qui ne savons pas comment nous serons dans deux décennies (si nous sommes encore !). Hubert et ses chansons qui nous transportent depuis si longtemps, les uns et les autres. Hubert et ce truc qui fait que même quand on l'a vu de nombreuses fois, on en redemande encore, encore, encore !

Je termine aujourd'hui ce récit commencé hier dans la plus grande fatigue ! Je ne suis guère plus en forme en ce lundi ! Ah, ça, pour sûr, je n'ai plus vingt ans, ni même trente, ni même quarante ! Un week-end comme celui-là, ça vous met à plat sa quinqua, il faut bien l'admettre ! Néanmoins, ladite quinqua se demande tout de même s'il ne serait pas souhaitable pour elle d'aller faire un tour du côté de Besançon samedi prochain, on ne sait jamais, des fois que l'océan se trouve au bout... Ma nouvelle devise ? Au nom d'Hubert, au nom du vice, au nom des rades et des mégots !

25/05/2024

Jil Caplan au Long Way à Longwy...

"Quelque chose va venir

Quelque chose vient toujours 

Le meilleur comme le pire

La surprise de l'amour". Jil CAPLAN

 

Ça se passe au Long Way à Longwy. Vous avez la subtilité du jeu de mots ? Pas encore ? Laissez infuser, ça va venir...

Voilà un lieu tout récent et déjà presque mythique. Comment le définir ? Pub rock ? Oui, quelque chose dans le genre. En tout cas pub où sont régulièrement organisés des concerts. Il paraît que le patron apprécie beaucoup Thiéfaine. La preuve : sur un mur, la pochette du vinyle Soleil cherche futur. Un peu plus loin, un espace appelé « le mur des bons », où l'on trouve une belle photo de l'ami Hubert. À côté d'un portrait de Robert Smith, entre autres. Les Cure, toute ma jeunesse ! Je les écoutais beaucoup à une époque où mon frère habitait à Longwy, justement. C'était dans les années 90. Longwy n'était alors qu'une ville éteinte qui se cherchait un futur dans les ruines de ses aciéries désaffectées. Tout le monde la trouvait moche et triste. Moi aussi, un peu, mais j'avais quand même de la tendresse pour elle. Ça m'arrive toujours avec les lieux qui n'ont pas eu de chance, je crois que ça me vient de mon expérience de l'ex-RDA !

Mais hier, en traversant Longwy, je fus plus qu'agréablement surprise : sauvagement surprise, dirais-je. Les anciennes usines ont été démontées et ont fait place à des espaces verts. Les fortifications ont été mises en valeur. Je reviendrai un jour, en touriste, c'est promis.
Mais ce soir, je suis là pour Jil Caplan. Elle et moi, ça commence aussi dans les années 90. Et ça commence avec sa voix, que je trouve belle, enveloppante, swingante. J'achète un album, À peine 21. Dans la chanson du même nom, ça dit « j'ai si vite grandi et je me sens tellement vieille, à peine 21 ça vaut plus le coup que j'essaye ». Ce pessimisme noir c'est noir il n'y a plus d'espoir me plaît, il faut dire que je patauge alors dans les mêmes eaux troubles. Je me nourris d'œuvres littéraires et musicales qui dépeignent le spleen dans de grandes largeurs anthracites. Je comprends qu'elles font plus que le dépeindre : elles le dépassent, elles le subliment, elles aident à moins claudiquer. Je n'ai pas encore croisé la route d'HFT, mais je suis lancée sur la bonne trajectoire, il n'y a plus qu'à patienter...

Mais pour l'heure, Jil Caplan. Démarre alors une longue histoire. Qui m'a menée jusqu'au Long Way hier. Et m'entraînera sans doute encore plus loin, ailleurs, je l'espère...

Jil Caplan, je l'avais déjà vue deux fois : chez Paulette en 2006 (je crois) et à Longlaville en 2018, peut-être bien. Chez Paulette, j'avais été estomaquée de la voir, avant le concert, arriver au bar avec son labrador noir. Qui, à un moment, avait même fini sur la scène ! Il paraît que Jil a toujours aimé les animaux en général et les chiens en particulier et que si elle devait créer un parti politique, il s'appellerait LPC, Liberté pour les Chiens. Voilà ce qu'elle nous dit, au Long Way, pour introduire la chanson Animal Animal, extraite du dernier album (que je vous recommande, comme tous les autres). Elle est accompagnée de sa complice Emilie Marsh, qui a composé les musiques de cet opus joliment intitulé Sur les cendres danser. Paru en septembre 2023, à un moment où j'avais, au sortir de la maladie, le sentiment de devoir moi aussi contempler des cendres, avec en tête un seul mot d'ordre : danser dessus.

Bref... Tout au long de la soirée, cet album est mis à l'honneur, et c'est tant mieux pour moi qui l'adore et l'écoute régulièrement en boucle. Je ne le connais pas encore tout à fait par cœur, mais ça va venir, c'est sûr. Que nous raconte Sur les cendres danser ? Qu'un jour les enfants grandissent et font de leurs parents des darons et des daronnes. Jil Caplan a tiré une chanson très émouvante de cette expérience troublante : Daronne. Qu'elle introduit avec humour : « On fait des enfants. Au début, ils sont tout petits et ils nous obéissent. On leur dit va au lit, et ils vont au lit. Ils nous disent je t'aime, maman. Et puis, un jour, on entre dans leur chambre et on les entend dire à quelqu'un, au téléphone : J'peux pas te parler, y'a ma daronne ».

Que raconte encore Sur les cendres danser ? La triste histoire de Virginia Woolf, des voix dans la tête, des pierres dans les poches pour être certaine de bien sombrer dans les flots où elle s'enfonce. Ça raconte aussi qu'être heureux, peut-être que ça n'existe pas. Et bien d'autres choses encore, que je vous invite chaudement à découvrir sans tarder, non mais !

Quelques chansons anciennes viennent ponctuer la soirée. Notamment un mémorable Tout c'qui nous sépare, le tube de Jil (son cylindre, comme elle dit), porté au Long Way par un public qui en connaît les paroles par cœur, ainsi que toutes les modulations. C'est beau à pleurer, ce chœur qui s'est formé spontanément dès les premières notes du morceau. Dans la série des anciens, il y a aussi Les deux bras arrachés (quoi de plus radical pour décrire l'absence ?), Natalie Wood, À la fenêtre, Des toutes petites choses. Je suis au deuxième rang et je ne me lasse pas de regarder Jil. C'est une des plus belles femmes que je connaisse. Elle a ce qu'on appelle du chien, et ce n'est peut-être pas un hasard, n'est-ce pas ?!

Après le concert, elle vient à la rencontre du public. Je prends mon courage à deux mains et j'exagère un peu en lui demandant de signer Le feu aux joues (son livre paru en 2022 aux éditions Robert Laffont) et l'album sur lequel il y a L'âge de raison, L'écrin, Les clés, Blanc, etc. Celui-là, je l'ai écouté des milliers de fois. Sur la première page du livret, ces mots d'Anaïs Nin : « Je marche au-devant de moi-même dans l'attente perpétuelle d'un miracle ». N'est-ce pas ainsi qu'il faudrait toujours marcher ? Parfois, les miracles se produisent. Comme hier au Long Way à Longwy. Être heureux, peut-être que ça existe. De temps en temps, par touches subtiles. Et fugaces, bien sûr, sinon ce serait trop beau et trop facile. Il faut savoir saisir ces touches subtiles et fugaces comme on saisit une balle au bond. Comme Jil Caplan saisit son tambourin et Emilie Marsh sa guitare : avec grâce et toujours au bon moment !

C'était hier au Long Way et je crois que je me suis pas trop mal débrouillée pour choper tout ça et m'en faire des souvenirs exaltants. Sur ce, on the road again, car aujourd'hui il y a Hubert à Reims, du soleil dans ma rue et un feu dans ma tête, comme dans la chanson de Jil Caplan !