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27/09/2024

Agnès Desarthe, une rencontre, et quelle rencontre !

"Vivre - longer une muraille jusqu'à trouver une brèche lumineuse. J'ai découvert de telles fissures dans le jaune assourdissant des pissenlits, ces enfants pauvres du soleil. J'avance très lentement. Je mourrai sans être arrivé au fond du jardin". Christian BOBIN

Un petit billet, comme ça, en passant. Pas beaucoup de liens avec Thiéfaine. Encore que...

Il y a des rencontres magiques, durant lesquelles de petites étincelles chauffent de partout sans qu'on puisse expliquer pourquoi. Ce fut le cas mardi avec Agnès Desarthe, venue parler de son livre Le château des rentiers à la librairie « La cour des grands », à Metz.

J'adore Agnès Desarthe. D'abord parce que c'est une linguiste (elle est agrégée d'anglais et traduit régulièrement des livres d'auteurs anglophones) et que certaines de ses publications m'ont permis de voir que nous avions les mêmes préoccupations en matière de grammaire. La grammaire, allez savoir pourquoi, c'est une des affaires de ma vie. J'y vois de la poésie à tous les étages. Prenez les temps, par exemple. En allemand, on dit du subjonctif II qu'il est le mode de l'irréel. Un peu celui qui permet de dire « j'voudrais bien, mais j'peux point ». Le subjonctif II passé est le mode du regret : « Ah, si j'avais su ! ». Et tutti quanti ! Bref, tout ce qui aurait fait dire à Romain Gary mon amour « ça ne s'est pas trouvé ». Ce sont des trucs qui me font triper, je n'y peux rien, c'est comme ça depuis l'enfance. Quand la maîtresse de CM2 annonçait une leçon de grammaire, je me disais « chouette » alors que mes camarades, pour la plupart, arboraient soudain des mines affligées. Moi je bichais. Parlez-moi du locatif, du directif, du génitif, de tout ce que vous voulez en -tif, et vous me verrez ravie. Je sais, j'ai une drôle de vie, de drôles de kifs, mais il faut de tout pour faire un monde.

Et donc, Agnès Desarthe a le même genre de came, sauf que c'est avec la grammaire anglaise. Soit. Ça revient presque au même, à quelques « tifs » près !

Hier, elle n'était pas là pour parler de grammaire, mais elle a tout de même réussi à caser quelques petites réflexions linguistiques, et ça j'ai adoré, comme quand j'étais en CM2. Elle a évoqué un linguiste qui disait qu'il serait bon d'avoir une langue incluant le « frustratif », c'est-à-dire un mode qui permettrait de balancer dedans ses frustrations. Et Agnès Desarthe d'ajouter un exemple : « Le mari que j'aurais voulu avoir et qui ne ressemble pas au mari que j'ai dans la réalité ». Frustratif. On peut y aller à l'infini. Le compte en banque que je voudrais avoir. Le ventre plat que je voudrais avoir. Les quelques centimètres de plus, etc.

Elle nous a également livré des anecdotes et des traits de caractère la définissant. Le « vivement que » est ce qui l'anime. En écrivant Le château des rentiers, elle espérait donner naissance à un livre qui lui fasse dire : « Vivement que je sois vieille ». Autre élément caractéristique de sa personne : admirer, encore et toujours (oh, tiens, un autre point commun avec moi). L'admiration comme « moyen de transport », nous a-t-elle dit. Et de préciser : « Par exemple, quand je regarde une danseuse de quatorze ans, je me dis qu'avec un peu d'entraînement, je pourrais peut-être parvenir à un résultat acceptable. Pas forcément danser aussi bien. Mais peut-être juste cueillir une pomme avec la même grâce ». Éclats de rire dans la salle. Comme on dit en allemand, Agnès Desarthe n'est pas une enfant de la tristesse. Et c'est bien agréable de se marrer comme ça avec elle et grâce à elle après une âpre journée de boulot ! Ses admirations, nous a-t-elle expliqué, ne sont pas source de frustration. Elles lui permettent d'avancer. Et d'oublier, par exemple dans le cas de l'histoire de la pomme, qu'elle n'a plus quatorze ans. « Il y a une différence entre l'âge qu'on a à l'intérieur et l'âge qui s'affiche sur nous extérieurement. On connaît tous des gens qui disent je suis resté bloqué à tel âge. On reste bloqué à un âge et on vieillit par-dessus ». Comme j'ai aimé cette formule ! Je ne sais pas bien à quel âge je suis restée bloquée pour ma part. Peut-être bien que j'ai toujours dix ans dans ma tête et que je suis coincée dans la classe de CM2 à m'éclater à faire de la grammaire, allez savoir ! Oh non, dix ans, c'est trop tôt : je n'ai pas encore eu la révélation de l'allemand, la révélation de Gary, la révélation de Thiéfaine. Allons un peu plus loin. Et restons délicieusement bloquée à la trentaine, comme ça il y aura mes filles en plus !

Le temps passe et on ne voit pas qu'il passe tant la compagnie d'Agnès Desarthe est plaisante. Je bois ses paroles, je ris, je pleure. Oui, parce qu'elle dit aussi des choses très émouvantes. Et quand elle lit des passages de son livre, l'authenticité est tellement palpable que j'en ai des frissons partout.

 

La soirée se termine par une séance de dédicaces. Je vais faire la queue, comme quelques autres. À un moment, je m'aperçois qu'il y a deux files et que dans la mienne, évidemment, ça n'avance pas. Je m'en ouvre à mon voisin, celui qui est derrière moi : « Je crois que je n'ai pas choisi la bonne file », lui dis-je. « Moi non plus, je vous ai suivie », me répond-il. Ce à quoi je rétorque qu'il ne faut jamais me suivre, mon malheureux. Je suis la championne des files qui s'enlisent, c'est pareil au supermarché. Et Agnès Desarthe de mettre son grain de sel dans la conversation : « Oui, c'est comme à l'épicerie, quand on fait la queue à côté des pommes alors qu'il aurait fallu la faire à côté des bananes ». Elle a décidément beaucoup d'humour.

Elle a pitié des deux zouaves qui n'ont pas fait la queue là où il fallait (je ne suis jamais là où il faut), en l'occurrence mon voisin et moi. Elle prend le livre que je tiens entre les mains. Le château des rentiers, donc. Que je n'ai pas encore lu mais que je vais commencer au plus vite tellement je suis décoiffée par cette rencontre à la Cour des grands !

Agnès Desarthe ouvre le livre et découvre ceci : sur une des premières pages, j'ai collé un post-it indiquant mon nom et la date à laquelle j'ai reçu le bouquin. Souvent, j'ajoute le lieu d'achat. Ça fait déjà un livre à se taper avant de plonger dans le livre lui-même !!! Agnès Desarthe lit à voix haute : « cadeau de D. » (le prénom figure en entier sur le post-it, mais il ne me paraît pas judicieux de le citer ici). « Je fais la dédicace pour qui, alors ? Pour D. ? » , me demande-t-elle. Je lui explique que non, qu'il faut faire la dédicace à mon nom et j'ajoute, parce qu'elle insiste un peu pour percer le mystère, que le fameux D. est sorti de ma vie. « Pas tout à fait, me lance Agnès (et là j'enlève son nom de famille car nous sommes presque devenues amies en deux minutes trente), il y est resté sous forme de post-it. Je ne sais pas si c'est une position enviable ». Mon voisin renchérit : « Un post-it amovible » ! J'éclate de rire. Finalement, un mec sous forme de post-it, ça me va très bien. Un homme dans ma vie, c'est comme quand il y a du soleil dans la rue de ce brave Hubert : je ne sais pas quoi en faire. Alors un post-it, ça me va très bien. Amovible, s'il vous plaît, de manière à pouvoir le mettre un coup sur un bouquin, un coup sur le frigo, un coup sous ma chaussure et ciao, dodo !

Le temps de me dire qu'Agnès pourrait devenir une amie qui aurait toutes les qualités qui me font littéralement fondre (et linguiste avec ça, le summum !) et ça y est, c'est l'heure d'aller choper mon bus. Dehors, je lis la dédicace : « À vous, très chère Catherine, à la puissance des post-it, à mon indiscrétion et à votre rire irrésistible ». Je souris dans la rue Serpenoise que je traverse sous la pluie. Dans mon cœur, il y a soudain un grand soleil et je sais quoi en faire : du bois pour les jours d'hiver !

 

Et vous, à quel âge êtes-vous resté(e)s bloqué(e)s ?!!

Et comment occupez-vous vos journées sans Thiéfaine ?! Je veux dire sans la perspective d'un concert ici ou là. Moi, je lis, j'écris, je fais des photos, j'écoute Thiéfaine, encore et toujours, et d'autres artistes aussi. Je vais en voir quelques-uns bientôt (Clara Ysé, Nena, Grand Corps Malade et Zaho de Sagazan). Mais il me manque, lui, le grand, l'unique... Bois d'Amont, un traumatisme... 

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