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24/11/2024

Grand Corps Malade à la Rockhal hier soir : y être était une splendeur !

"J'ai atteint cet âge où je me dis que la télé c'était mieux avant... que le rap c'était mieux avant... que moi c'était mieux avant". Grand Corps Malade

 

Voilà un automne flamboyant. Moi qui hais novembre, je peux dire que celui-là dépasse toutes mes inespérances. Je n'en attendais rien et il m'offre tant... Un magnifique double CD de la tournée Unplugged, le dernier Cure, des concerts. Sans oublier tout ce que je ne dis pas ici ! 

 

Hier, Grand Corps Malade était à la Rockhal, à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg. Et moi aussi ! En un décor à la Soleil cherche futur : la salle de concert se trouve en effet en face de hauts fourneaux qui rappellent un jamais plus sidérurgique, comme d'autres endroits de l'autre côté de la frontière, en Lorraine. Ce n'est pas beau, et pourtant ça a de l'allure, ça a un je ne sais quoi de troublant et d'envoûtant. J'adore les lieux comme ça, âpres, pas faciles à apprivoiser. C'est mon spectaculaire à moi.

 

La dernière fois que j'ai mis les pieds à la Rockhal, c'était pour les débuts de la tournée Scandale mélancolique, d'HFT. Et je vous saurais gré de ne pas dire « voilà qui ne te rajeunit pas », ce serait pure indélicatesse (indigne de vous de surcroît). Et moi, l'indélicatesse, j'aime tellement pas ça que j'ai envie d'y coller des battes de baseball dans la tronche, non mais ! Vous n'iriez tout de même pas jusqu'à insinuer que je me fais vieille, n'est-ce pas ? D'ailleurs, Grand Corps Malade, lui, a la délicatesse de dire que c'est pas de la vieillesse, mais de la sagesse. Alors prenez-en de la graine, svp. Je trouve que je suis sacrément sage, purée, je m'épate de jour en jour avec cette sagesse qui n'en finit pas de s'étoffer !

 

Le concert est annoncé pour 19h. Or, à 18h58, nous sommes encore en train d'attendre dans le froid, mon amie Stéphanie, moi-même et quelques autres. La dame qui est dans la file derrière nous nous dit qu'elle est frigorifiée (nous le sommes tous) et que si les portes ne s'ouvrent pas à 19h tapantes, elle décédera, sans autre forme de procès, là, sous nos yeux hagards. Elle est comme une Cendrillon en mal de carrosse à l'approche de minuit. Elle me fait peur. Qu'elle décède là, sous nos yeux hagards, serait, comme dirait l'autre, ballot. Ah, ouf, les portes s'ouvrent. Il est 18h59. À 19h, Cendrillon pénètre dans le hall. Elle ne mourra pas ce soir. Je vous dis que ce mois de novembre est drôlement méritant !

 

C'est un certain Nikola qui assure la première partie de Grand Corps Malade. Il arrive sur scène à 20h. Moi qui pensais que la soirée démarrerait à 19h et qu'avant minuit j'aurais enfilé mes charentaises et descendu une petite tisane estampillée nuit calme, je remballe mes rêves de tranquillité quinquagénaire (j'avoue que j'aime de plus en plus les concerts qui commencent à 19h !). Pas grave, il y a mieux à faire que dormir en ce samedi 23 novembre !

 

Nikola a une incroyable présence sur scène. Comme Grand Corps Malade, il manie les mots avec une admirable dextérité. Sa voix est puissante, elle vous résonne dans le corps. Ses textes ne sont pas absolument jouasses, mais de ce point de vue, rien ne saurait effrayer une fan de Thiéfaine, n'est-ce pas ? D'ailleurs, je crois que j'ai un problème avec les chansons trop joyeuses. C'est comme une tisane nuit calme : c'est bien joli, mais ça ne sert pas à grand-chose. Enfin en ce qui me concerne. Chacun fait bien ce qui lui plaît.

 

Mais moi, ce que j'aime, c'est qu'on me parle de défaites plutôt que de fêtes. De flèches qui manquent leur cible. De gens qui se prennent les pieds dans le tapis et se vautrent sur le plancher. Question d'affinités. Ça ressemble plus à mon vécu.

 

Dès les premières secondes, je me demande pourquoi j'ai relégué pendant si longtemps Grand Corps Malade dans de sinistres oubliettes. J'ai parfois de ces malencontreuses infidélités... La dernière fois que j'ai vu cet artiste sur scène, c'était en 2008, et je vous saurais gré de ne pas vous exclamer lamentablement : « Voilà qui ne te rajeunit pas ». L'indélicatesse, vous savez ce que j'en fais !

 

Grand Corps Malade nous dit que nous, public, nous lui ressemblons. Que nos histoires sont un peu les siennes. Et inversement (donc, que ses histoires sont un peu les nôtres, si vous avez suivi). Que nous sommes, en quelque sorte, son reflet. Comme il est le nôtre. Nous allons être face à face comme des miroirs, le temps du concert. Oh, mais trop bien !

 

Au fil de la soirée, je redécouvre une œuvre riche, dense, multiple. Des chansons défilent où il est question du temps qui passe, de la protéiforme et cosmopolite Saint-Denis, de l'enfance. De tout ce qui constitue une vie, avec ses splendeurs et ses misères. Des frissons me parcourent régulièrement le corps. Faut dire que je suis un peu sensible. Et que le vécu de Grand Corps Malade est, en effet, comme un reflet du mien. Les enfants qui grandissent trop vite, je connais. La sagesse qui n'en finit pas de s'étoffer : même constat. L'urgence qui réside dans l'instant présent : idem. « Remettre à aujourd'hui ce qu'on pensait faire demain », chante GCM. Voilà une formule qui me sied comme un gant et que je vais faire mienne, tiens ! En fait, je l'ai déjà intégrée à ma vie depuis un certain temps, mais je n'aurais pas su le dire comme ça, si chouettement. C'est un reflet sacrément doué que j'ai en face de moi ce soir. Comme une meilleure part de moi-même. Je m'en sens grandie, carrément.

 

Là où je ne peux suivre Grand Corps Malade malgré ma bonne volonté, là où mon reflet a ses limites, si vous voulez, c'est quand il nous parle de l'amour totalement dingue qui l'unit à sa femme. 20 ans d'amour, c'est l'amour fol, chantait Brel. Bon, ben moi, déjà cinq jours, je trouve que ce n'est pas si mal. Je ne peux accompagner GCM dans ces merveilleux méandres qu'il nous dépeint, la rencontre comme une évidence, un premier baiser échangé à Deauville et dont le souvenir ricoche dans chaque nouveau baiser, oh yeah. Ouah, respect ! Je ne peux suivre, je ne peux comprendre, mais j'admire. Et, quelque part, je jalouse, je l'avoue. Comme ça doit être top d'être la femme pour qui un homme a écrit Je serai là ou Dimanche soir ! Comme ça doit être top d'être celui qui a pondu ça pour une femme ! Voilà des déclarations qui ont de la gueule ! Rien à voir avec ce triste épisode de mes années collège où mon amoureux de l'époque me remit, ému, un poème. Ça s'appelait Barbara et sortait tout droit d'un recueil de Jacques Prévert. Le mec claironna qu'il avait écrit ça pour moi. Il croyait que je n'y verrais que du feu (en plus, je ne m'appelle même pas Barbara). Je fus furax et le lui dis, après quoi je rompis. Non mais, espèce d'imposteur de mes deux si j'en avais ! Voilà le genre de déclaration que je reçois depuis l'adolescence. Ça décourage... Grand Corps Malade, dans une chanson, nous explique qu'en fait un homme, c'est toujours pris dans un triangle infernal qui cafouille pas mal : la tête, le cœur et les couilles. Ah, ben voilà le fameux mode d'emploi que je cherchais ! Ça explique bien des choses. Et bien des déconvenues !

 

Bref, pour en revenir au concert : j'en suis sortie scotchée, bouleversée, transcendée. En plus, Grand Corps Malade a beaucoup d'humour. Et des musiciens du tonnerre. Qu'il sait honorer régulièrement, comme il honore les techniciens (tout ce petit monde finira sur scène à la fin de la soirée).

 

Dans la foulée, avant de quitter la Rockhal et de rejoindre mes charentaises, j'ai acheté l'album Plus de reflets au merchandising. Parce que moi, des reflets comme ceux-là, il est clair que j'en veux plus !

15/11/2024

Unplugged : ça y est, c'est là !

"Et c'est le soleil qui fait éclore la rose, puis la meurtrit". Hector BIANCIOTTI

 

Prière de ne pas déranger. Et, pour les urgences, tant pis, vous repasserez plus tard. Car, pour l'heure, je ne connais qu'une seule et unique et merveilleuse urgence : écouter Unplugged de Thiéfaine. Le mettre à fond dans le salon et m'enivrer de tous ces sons, de tous ces mots. Tant et si fort que je redoute que mon voisin ne débarque, un flingue à la main. Pas grave, je ne répondrai pas, je vais carrément mettre un écriteau sur ma porte pour que le message soit plus clair encore : Je n'y suis pour personne, est-ce bien compris ? Enfin, si, je n'y suis à vrai dire que pour un seul homme : HFT ! Donc, mon voisin et son possible flingue peuvent aller se rhabiller, coucouche panier, je ne répondrai pas, même sous la menace d'une impressionnante gâchette !

D'ailleurs, mon voisin est un type très bien qui n'a sûrement pas de flingue... Et qui, si j'insistais un peu, se mettrait à adorer Thiéfaine, j'en suis sûre !

 

D'abord, ouvrons l'objet sacré et voyons un peu comment il se présente. Je tourne frénétiquement les pages du livret, puis je me ressaisis : Vas-y mollo, ma grande, y'a pas le feu au lac. Sur la photo du public, je pars à la recherche de visages amis. Et n'en trouve aucun. Et ne trouve que ça. Parce que tous ceux qui aiment Thiéfaine sont mes amis, c'est comme ça.

Soudain, le visage le plus ami de tous, celui d'Hubert, me bouleverse. Quelle puissance dans le regard, quelle aura, quel charme ! Souvenir de mon passage dans les loges de Saint-Dizier et du moment où ce regard-là se planta dans le mien (et là, je crus que j'allais défaillir). Bref... Mais ça c'est une autre histoire et c'était de toute façon pendant la tournée suivante, Replugged.

 

Ensuite, mettons l'objet sacré dans la chaîne. Et laissons infuser. Ouah, comme c'est bon, j'avais presque oublié (non, je déconne, faut pas exagérer quand même). Cette entrée en matière sur La ruelle des morts, comme elle était surprenante, inattendue, évidente !

Dans mon salon et grâce au volume démentiel que j'y ai foutu, les instruments déploient à tour de rôle ou ensemble leur ampleur. J'adore les orgies de saxo sur Demain les kids et Page noire. Et j'avais oublié (vraiment oublié, pour le coup) à quel point j'aimais le violoncelle. Et l'harmonica. Je me délecte de la version des Dingues, toute en délicatesse d'abord, puis glissant tranquillement vers l'agitation à tous les étages.

 

Soudain, retentit la magique Vendôme Gardenal Snack, que j'ai pris soin d'écouter assise en tailleur, en face de la chaîne, pour que la communion soit plus intense. Ah, ça, pour intense, elle est intense ! Je me mets à pleurer, j'ai des frissons partout. C'est une de mes chansons préférées. Les paroles sont renversantes. Rien que le début : « Tu traînes dans mes nuits comme on traîne à la messe quand on n'a plus la foi et qu'on ne le sait pas ». Je me souviendrai toujours de l'effet que me firent ces mots-là il y a trente-deux ans, quand je traînais dans toutes sortes de nuits qui me rejetaient au petit matin... Je souris tout de même au milieu de mon débordement lacrymal : au moment où Hubert chante « je ne fais que passer, je n'aurai pas de rides », je repense à ce beau moment en terrasse, à Reims, avec Bételgeuse. C'était également sur la tournée Replugged. Il n'y a pas si longtemps...

 

Je repense à tous les moments forts de la tournée Unplugged. Le concert au Grand Rex, la discussion qui avait suivi avec ce couple qui n'en finissait pas d'écarquiller les yeux au récit de ma phénoménale passion. Et moi de me répandre impudiquement, mettant sur la table mon addiction de grosse camée, oubliant les convenances, et oubliant l'heure (c'étaient mes filles qui m'avaient rappelée à l'ordre).

Le concert à Thionville avec ma fabuleuse amie Stéphanie, habillée rock'n'roll pour l'occasion. Le retour dans la voiture, elle totalement conquise par ce qu'elle venait de voir et d'entendre, moi me frottant les mains de plaisir à l'idée d'avoir fait une adepte de plus (oui, j'ai un petit côté prosélyte tout à fait assumé !).

Le concert à Neuves-Maisons. Le sandwich avalé à toute allure dans la voiture, la discussion avec Étienne sur le parking, les retrouvailles avec Stéphane, celui qui avait proposé de m'emmener à Bercy en 1998 (et j'avais refusé : la nouille, mais la nouille ! Regrets éternels à poser sur cette omission comme sur le marbre d'une tombe).

Le concert à Sausheim, ajouté, telle une folie, au dernier moment (deux jours après celui de Thionville). Le retour en voiture avec ma fille Clara. Moi m'exclamant : « Merde, j'ai oublié de faire ma leçon d'anglais sur Duolingo, on peut la faire maintenant ? Tu écris à ma place ». Et elle ne comprenant rien à ce que je lui dictais et me faisant perdre mes cinq vies d'un seul coup d'un seul...

 

Six mois plus tard, c'est en vrai que je perdais cinq vies d'un seul coup d'un seul. La tournée Unplugged est celle qui a clairement mis une frontière dans mon existence, y plaçant à jamais un avant et un après. Comme il a raison, Hubert : parfois, la vie nous laisse peu de choses auxquelles nous raccrocher, il faut des rêves solides pour ne pas sombrer.

 

Dans la chambre stérile, moi, j'avais plusieurs rêves solides. Et je les avais tous écrits. Vrai de vrai. Quelque part, sur la liste, il y avait : « revoir Thiéfaine en concert ». C'est chose faite et c'est incroyable. Et c'est même à mettre au pluriel : ce sont choses faites (!), plus d'une fois et plus souvent qu'à mon tour, nananère ! Comme sur l'appli Duolingo qui a la gentillesse de te refiler des vies le lendemain du jour où tu les as perdues, j'ai ressuscité et je n'en finis pas de jouir puissamment de cette résurrection !

 

Bon, avec tout ça et pour en revenir au double album que j'ai en ma possession depuis quelques heures, je me demande pourquoi nous avons été privés de La queue, Ad orgasmum aeternum et de La fille du coupeur de joints. Pour cette dernière, ma fille Louise a proposé une explication. « C'est vu et revu », m'a-t-elle dit tout à l'heure, à table. Oui, mais même si c'est vu et revu, moi je la voulais quand même. Ça sent la version expurgée, là ! Bon, pas grave, c'est divinement bon malgré ces trois absences.

 

Et puisque j'ai récupéré cinq vies, je réclame cinq tournées à venir, rien que ça ! Pour rattraper le coup de la version expurgée !!!

09/11/2024

Une rencontre ... pour la vie !

"Kanntest du das auch, dass man morgens aufwacht und ein ganz andrer ist als tags zuvor ?... Die andern merken es nicht, aber man selber weiß es ganz genau". Luise RINSER

 

Mes chers amis, me voilà dans une phase hallucinante d'écriture dévorante ! Tous les jours, je noircis des pages et des pages, comme "au temps de ma jeunesse folle". Je retravaille des textes, j'en ponds d'autres, dans le but, cette fois, d'aller jusqu'au bout d'un rêve pas encore réalisé : publier un petit recueil rassemblant ces textes. Il y aura des pages consacrées à HFT, bien sûr, mais pas seulement. Voilà un truc qui me porte à donf ! 

Ce matin, j'ai retrouvé un texte évoquant ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Je l'avais sûrement déjà publié ici, mais sans doute sous une autre forme. Je ne sais plus. En tout cas, je vous le livre ci-dessous. Quant à vous, n'hésitez pas à me dire, dans les commentaires, comment vous avez découvert HFT, et comment cela a bouleversifié votre vie ! 

 

Donc : 

 

Une rencontre … pour la vie !

 

Je découvre Thiéfaine trois ans avant le concert de Sarreguemines (mon premier concert d'HFT). Plus que d'une découverte, il s'agit d'une rencontre. D'un uppercut dans la bobine, oui ! D'un coup, je vais apprendre que plus rien ne sera jamais comme avant. Je me lève un matin, comme ça, l'air de rien, dans ma routine, sans savoir qu'au terme de la journée je ne serai plus la même. Carrément.

 

Mais, avant l'uppercut, il y eut de très nombreux méandres.

 

Petit retour en arrière : nous sommes en 1988 et je suis en troisième. J'ai le même prof de maths depuis la sixième. Il comprend très vite qu'il ne pourra jamais, au grand jamais, en dépit de ses efforts admirables frisant l'héroïsme, me réconcilier avec la matière qu'il enseigne. Je suis depuis toujours fermée à triple tour aux théorèmes de Thagore et de Pythalès. Je ne suis pas plus ouverte aux équations. La géométrie me donne de l'urticaire. Pour sûr, les parallèles ne me rencontreront jamais ! En un mot comme en cent : je ne pige rien à cet univers. Il paraît que c'est une langue. Moi qui en parle plusieurs aujourd'hui, je n'ai jamais réussi à déchiffrer celle-là. À peu près tous mes profs de maths se sont cassé le nez à vouloir m'expliquer des trucs parfois relativement simples (sauf le merveilleux monsieur D.). C'est que je n'avais aucune logique. En tout cas pas celle qu'il faut avoir pour entrer dans l'essence des mathématiques. Enfant, déjà, j'appelais ça les « mathématires », c'est dire ! De « mathématires » à « mathémartyre », il n'y a qu'un pas. Voilà l'affaire promptement résumée : durant toute ma scolarité, les maths furent mon martyre. J'en conçus d'abord un véritable complexe, puis je finis par brandir avec fierté ma nullité. Être une bille en maths, quand j'étais en 1ère littéraire, c'était à mes yeux la preuve qu'on était quelqu'un de bien ! Je sais, c'est réducteur, et je ne vois plus les choses de la même manière. N'empêche que tout individu m'expliquant que les maths furent le cauchemar de sa scolarité m'est d'emblée sympathique, c'est plus fort que moi ! C'est soudain tout un faisceau de traumatismes qui nous unit. Et ça, ça crée des liens très forts. D'ailleurs, au passage, j'en profite pour dire que Thiéfaine lui-même n'a jamais été à l'aise avec les maths. Il paraîtrait même que s'il sème des nombres un peu partout dans ses chansons, et plus encore dans les titres, c'est par pure vengeance. Fermons la parenthèse anachronique. Car, pour l'heure, dans mon récit en tout cas, je suis au collège et 1) nulle en maths (on l'aura compris), 2) totalement ignorante de l'existence d'Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Monsieur B., mon prof de maths, n'abandonne pas tout de suite. Il a la foi du charbonnier. Mais moi je lui oppose quelque chose de plus fort encore que la foi du charbonnier : mon imperméabilité. Pas la peine de t'obstiner, mec, je suis à jamais perdue pour la science. Je flirte trop, depuis l'enfance, avec les poètes qui traversent le monde un brin d'herbe à la bouche. Mon refuge, ce sont les mots. Les problèmes de robinets qui fuient jusqu'à en faire perdre des hectolitres à leurs pauvres propriétaires, je m'en soucie comme d'une guigne (ce n'est pas moi qui banque lorsque la facture arrive). Je pense qu'au lieu d'essorer les neurones de pauvres gamins en leur demandant de calculer quelle va être l'abominable perte que subiront lesdits propriétaires, il aurait fallu d'emblée appeler un plombier, un point c'est tout ! Et pour ce qui est des trains qui se rencontreront à telle heure compte tenu de leurs vitesses respectives, ça me crispe parce que ça ne laisse aucune place à la magie des aléas : et si le train devait s'arrêter brusquement dans sa course pour laisser passer un poète distrait qui traverserait la voie un brin d'herbe à la bouche ? Et si c'était le conducteur lui-même qui était distrait parce qu'amoureux ? Et si, pour cette splendide raison, il oubliait de partir à l'heure ? Vous y avez pensé, à ça, messieurs ou mesdames qui pondez des problèmes ? Des problèmes : rien que le nom ! Des problèmes, dès le collège, je sens qu'il y en aura bien assez comme ça par la suite. De toute façon, ma mère me l'a dit. Je sens aussi que le mieux, face à tout ça, c'est de s'embarquer pour de somptueux voyages en poésie. D'ailleurs, sur un des murs de ma chambre, au-dessus de mon lit, j'ai affiché ces mots de Mallarmé : « Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres d'être parmi l'écume inconnue et les cieux ». Alors les maths, dans tout ça, ben je trouve que c'est loin, et de l'écume inconnue, et des cieux. Monsieur B. finit par comprendre que pour ce qui est de sa matière, plus la peine de s'escrimer, le sujet est clos. Il tente alors de m'amadouer par un autre biais : la chanson française. En cours, nous avons déjà évoqué Renaud et Balavoine. Un jour, il me parle de Lavilliers et de CharlÉlie Couture. Je ne connais que leurs grands succès. « Je t'apporterai des albums d'eux à l'occasion ». Ce qu'il fait (et ce dont je le remercie aujourd'hui encore). Un jour, il m'apporte deux CD d'un chanteur au nom bizarre : Hubert-Félix Thiéfaine. Je ne connais pas du tout. Le soir, après les cours, je me précipite sur la chaîne Hi-Fi du salon : allons donc écouter ça. Ce que mon prof de maths m'a mis entre les oreilles m'a toujours plu jusque là. Si l'on oublie, bien sûr, les équations et autres insolubles cauchemars de ma jeunesse. Je suis impatiente de découvrir l'univers qui se cache derrière ce nom intrigant : Hubert-Félix Thiéfaine. Et merde, je suis déçue. Je crois même que je n'écoute que quelques chansons d'un CD sur les deux, reléguant directement l'autre aux oubliettes. Enfin, pour le moment. Le lendemain, je rends les albums à mon prof, en lui disant que beurk, je n'ai pas du tout aimé. Véridique et honte à moi !

 

Deuxième tentative ratée : celle d'une copine de lycée. Cette fois, je suis en terminale. Sylvie, la copine en question, est persuadée que Thiéfaine pourrait me plaire. Elle m'a recopié les paroles de Demain les kids sur une feuille et me les donne à lire. Je reconnais que c'est beau, mais j'ajoute que je n'ai pas envie d'aller plus loin. Thiéfaine, je connais désormais un peu mieux. De réputation, en tout cas. Et ça ne me dit rien qui vaille. J'ai trop peur de l'aura sulfureuse qui entoure ce chanteur pour camés. Oui madame ! J'en suis là...

 

Donc, je remets Thiéfaine à plus tard. Sans le savoir. Car je suis alors convaincue que son univers, à l'instar du vaste domaine des mathématiques, ne pourra jamais m'atteindre.

 

Et puis, et puis... Par une nuit déjà bien fraîche de septembre, arrive ce qui sans doute devait arriver pour que je sois totalement moi-même en cette vie. Cette nuit-là, j'ai la déprime chevillée au cœur. Pour des tas de raisons. La première, et elle est de taille, c'est que je viens de me ramasser une fois de plus en amour. Mon désespoir a la noirceur irréductible de tous les désespoirs adolescents : je crois que je vais mourir. D'ailleurs, je pense que ce serait préférable. Je flirte toujours autant avec les poètes et je ne suis pas loin de penser, avec Éluard, que « l'avenir mon seul espoir, c'est mon tombeau ». J'étais si près de ce garçon-là que j'ai froid près des autres. Mais tout de même : en ce jour de septembre, lorsqu'un autre garçon me propose de l'accompagner pour aller voir un de ses amis, j'oublie toute velléité de m'ouvrir les veines et je pars avec lui. En tout bien tout honneur.

Dans la voiture, une vieille R18 bleu marine, il a mis Thiéfaine.

 

C'est d'abord comme un bruit de fond qui accompagnerait notre conversation. Mais plus les chansons défilent et plus elles me plaisent. Tout à coup, dans l'une d'elles, j'entends ceci : « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». Le début de la chanson, déjà, m'avait interpellée : « Pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil, il pleut toujours sur ta valise », etc. Je suis assez narcissique pour me demander si cette gamine malchanceuse n'est pas un peu moi, si je ne suis pas un peu elle. Et ces ascenseurs qu'elle voudrait voir jaillir au fond des précipices, ne les ai-je pas espérés moi-même ? S'il s'en présentait un là, comme ça, ce ne serait pas de refus. Je monterais dedans pour m'élever au-dessus de mon chagrin, le regarder de haut et le piétiner, et mon amour fracassé avec, na-na-na-na-nère. Le jeune homme qui conduit m'apprend que la chanson en question s'appelle Mathématiques souterraines. ça alors ! On peut donc faire autre chose que des maths avec les maths ! J'en suis épatée ! Complètement ébahie !

 

Et voilà que je n'ai plus envie de mourir. Il y a soudain vachement mieux à faire. Il y a une œuvre entière à découvrir. C'est la révélation qui vient de m'être faite en cette nuit de septembre 1992.

Oui, une œuvre entière à découvrir. Et je vais m'y employer dans les jours et les semaines qui viennent. Je me le promets. Et j'oublierai, bien que n'écoutant pas Johnny, mais Hubert, le nom de celui qui m'a fait saigner. Non mais !

Le copain à la R18 me ramène chez moi. Intacte et en même temps complètement démontée. Il vient de se passer un truc étrange qu'il me faudra par la suite appeler un événement fondateur de mon destin. Oui, je sais, je suis toujours un peu dans l'emphase. N'empêche que c'est quand même vrai. Sans Thiéfaine, ma vie n'aurait pas eu la même saveur. Peut-être bien qu'elle se serait arrêtée. Parce que franchement, en ce mois de septembre d'il y a trente-deux ans, j'avais comme une profonde envie de tout bazarder par-dessus bord. Entre la vie et moi, s'était installée au fil des années une inimitié qui faisait peur. Il a suffi d'un ascenseur. Il a suffi d'un type à l'univers déjanté. D'un type au nom loufoque, le genre qui te déploie trois identités en une : Hubert, Félix ou Thiéfaine, c'est selon. Parfois c'est même HFT. Parfois c'est Thiéfaine, comme on dit Verlaine, comme on dit Rimbaud, comme on dit Baudelaire. Il a suffi de cette parenté-là entre Hubert et Paul, entre Hubert et Arthur, entre Hubert et Charles, pour que dans ma tête se rejoignent avec délices l'écume inconnue et les cieux.

 

Donc, en cette nuit de septembre 1992, je rentre chez moi totalement groggy. Je viens de découvrir un truc phénoménal : pas besoin de came, moi je peux planer rien qu'en écoutant Thiéfaine. Avant de sortir de la R18, je demande à mon pote si je peux lui emprunter la cassette qu'on vient d'écouter (c'est En concert). Il ne l'a jamais revue. Honte à moi pour la deuxième fois (on a comme ça de ces péchés sur la conscience !). Je n'ai pas jugé nécessaire de la lui rendre. C'est-à-dire que j'ai surtout jugé indispensable de ne jamais m'en séparer. De même, j'ai jugé indispensable, le lendemain qui a suivi cette nuit-là, de foncer à la FNAC de Metz pour y dévaliser une partie du rayon chanson française, la seule partie qui m'intéressait alors et qui trônait sous la délicieuse étiquette « Hubert-Félix Thiéfaine ». Tout un programme dont j'ignorais ce qu'il allait être, mais dont je pressentais la foisonnante diversité et l'inépuisable richesse. Oui, dans la R18, sous les étoiles, c'est tout cela que j'avais senti. Et qui se vérifia par la suite. Jusqu'à aujourd'hui, purée, si c'est pas miraculeux !

 

Au rayon chanson française de la FNAC, face au bac orné de la délicieuse étiquette, je fus comme tous ceux qui eurent la chance de découvrir Thiéfaine un peu tardivement : estomaquée de voir que le monsieur avait déjà une belle panoplie d'albums à son actif. C'était un monde qui allait s'offrir à moi. J'avais dix-neuf ans et c'est peut-être le plus bel âge de la vie, je ne sais pas (avant que tout s'effondre un an plus tard, si l'on en croit Paul Nizan). En tout cas, devant la profusion de CD et de cassettes qu'il y avait là, sous la délicieuse étiquette, je fus pour ainsi dire réconciliée avec mon destin. Prête à affronter mon chagrin d'amour comme une grande fille. Cette œuvre déjà gigantesque, cela me donna à la fois le vertige et la confirmation de ce que j'avais pressenti dans la nuit : une vie qui vous offrait la chance d'être percuté(e) par une telle œuvre, il ne fallait pas la lâcher.

 

Ça y est, j'avais donc mon septembre rose à moi. Je revins de la FNAC avec de nombreux CD et cassettes. J'avais fait un mélange des deux pour que la facture, que maman payait (elle m'avait passé sa carte bancaire pour l'occasion), ne soit pas trop salée !

 

Je devins dès lors l'amie des dingues et des paumés. Mieux : je me reconnus dans leur hymne. Je me fis en deux temps trois mouvements la familière de tout un théâtre d'êtres bizarres et bancroches, l'alliée des pantins déglingués, la sœur de la « pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil ». Je crois même qu'à force de nous fréquenter, elle et moi, nous nous sommes soignées mutuellement ! En tout cas, elle m'a soignée. Elle m'a présenté, généreuse, un ascenseur à prendre en cas d'urgence, et je ne m'en suis pas privée durant les trente-deux années qui se sont écoulées entre 1992 et maintenant !

07/11/2024

Clara Ysé encore !

"La mort est à côté de la vie quotidienne comme une bougie à côté d'une meule de paille. Cette proximité terrible fait la vie merveilleuse". Christian BOBIN

 

Vendredi 18 octobre 2024 :

Premier jour des vacances de la Toussaint. Je sors du concert de Clara Ysé, absolument chamboulée par la prestation de la belle dont je pourrais être la mère. C'est un truc affolant qui m'arrive depuis quelques années : je pourrais être la mère de plein de gens que je rencontre. La mère de ma jeune collègue de français, la mère de la CPE avec qui je bosse. La mère de mon voisin. Et même de presque tous mes voisins. Comme on dit dans bien des circonstances, voilà qui ne nous rajeunit pas ! D'ailleurs, quand je me regarde dans le miroir, bien souvent je me fredonne à moi-même la chanson de la Grande Sophie, Tu fais ton âge. Je me console illico en pensant que cet âge-là, après tout, c'est l'âge d'or puisque j'ai failli ne pas l'atteindre. Alors merde, vieillissons, c'est encore ce qu'il y a de mieux à faire !

Donc, toutes ces digressions à la noix pour reparler de Clara Ysé. 18 octobre 2024 : Il pleut à seaux et ça va bien avec l'ambiance des chansons de la jeune femme. C'est comme celles de Thiéfaine : je ne dis pas qu'elles sont incompatibles avec le soleil, mais je crois qu'elles s'accordent mieux avec les brumes, les tempêtes, le froid, « odeurs de mandarine et rafales de cannelle »...

18 octobre 2024 : Je rentre chez moi, après ce concert qui m'a chamboulée, et je dis à ma fille aînée que je suis vraiment très heureuse de l'avoir appelée Clara. J'ai fait ça un peu pour Clara Schuman, un peu pour ma copine de fac qui s'appelait Clara, et que je trouvais que c'était la grande classe d'afficher un prénom comme ça. Un peu aussi parce qu'avec le père de ladite Clara, nous eûmes toutes les peines du monde à tomber d'accord pour un prénom. Clara, oui, il voulait bien, alors j'ai sauté sur l'occasion, sinon nous serions encore en train de nous triturer les méninges à la recherche, désespérément, d'un prénom féminin...

Clara Ysé, donc... C'est ma grande découverte de cette année. D'ailleurs, question : est-ce que dans mon journal, à l'heure du bilan 2024, j'écrirai « J'ai découvert Clara Ysé. C'est hyper important », comme j'écrivis, il y a trente-deux ans, « J'ai découvert Thiéfaine. C'est hyper important » ? Peut-être bien, qui sait ? Soit dit en passant, j'ai une foule de trucs positifs à écrire dans le bilan 2024, ça va prendre des plombes !

Hier soir, j'ai écouté Oceano Nox en boucle dans mon salon. Tellement qu'en allant me coucher, je débordais de chansons de Clara Ysé. J'en ai chanté mentalement dans mon lit. Et j'ai mal dormi. Truc de malade. Qu'est-ce qui me bouleverse tant chez cette femme dont je pourrais être la mère ? Sa voix, absolument prodigieuse, quasiment lyrique par moments. Ses textes, qui ressemblent à ma vie. À toutes les vies, en fait. Ils parlent d'amours fracassées (ne le sont-elles pas toutes ou presque ?), de possibles retrouvailles (On s'aimera), de nuits torrides qui font entrevoir le soleil à minuit (et là je voudrais bien la recette, svp, chère Clara, parce que moi, à minuit, je vois au mieux des étoiles, et encore, pas toujours). Ça parle aussi d'une maison qu'il a fallu quitter et toute ressemblance avec mon vécu est loin d'être exclue. Ça parle également d'une mère trop tôt disparue (Anne Dufourmantelle) et ça m'en rappelle une autre, de mère trop tôt disparue... Bref, ça me raconte plein d'histoires qui se télescopent avec la mienne.

Samedi, je vais voir Zaho de Sagazan. C'est une amie qui m'a offert la place pour mon anniversaire. Nous serons le 9 novembre, date symbolique : il y a deux ans, pile le 9 novembre 2022, dans un cabinet médical, retentissait un sombre diagnostic me concernant. Et puis, j'ai survécu. J'ai revu Thiéfaine en concert (plein de fois, je ne sais même plus combien et ça c'est trop bon, ça veut dire que c'est tout beaucoup), j'ai découvert Clara Ysé, j'ai vu Nena deux fois, j'ai réalisé un de mes rêves (voir Véronique Sanson sur scène), j'ai acheté le dernier CharlÉlie, le dernier Aubert, et pas mal de livres que je maudirai lors du prochain déménagement. Bref, j'ai vécu (sans vouloir imiter l'inimitable Romain Gary)...

Et, dans huit jours, si tout va bien, si la vie reste bien en place comme je l'espère, le live de la tournée Unplugged. La cerise sur le gâteau. Ou plutôt le sucre glace sur le Christstollen puisque nous allons bientôt entrer dans la période de l'Avent ! Moi, j'aime bien quand Hubert adoucit nos automnes !

27/10/2024

On retrouve de ces choses... (suite de la suite !)

"Tu cherches dans le jour qui s'efface

Un allié

La trace de quelque chose de pur

Une lumière qui se donne et ne demande rien

Comme la musique qui sort des mondes éraflés

Celle qui murmure courage à ceux qui cherchent".

Clara YSÉ

 

Mercredi 22 novembre 1995 :

(…) Comment pourrais-je ne pas écrire ? Si je pouvais tout dire aux autres et être sûre qu'ils m'écoutent, j'aurais sans doute moins besoin de me confier à mes cahiers. Je ne vais pas bien, Hilfe ! Le seul être qui puisse me comprendre ici-bas reste le bon Hubert-Félix... Lundi soir, il faisait un concert au studio RTL. Évidemment, j'ai écouté et enregistré ce concert. Il y a également eu une discussion. Hubert a été merveilleux ! À la quesion « Quel serait le meilleur des mondes pour vous ? », il a répondu : « Un monde où je serais tout seul ». « Et le pire des mondes ? ». Réponse : « Un monde où je serais tout seul » ! Il est EXTRA ! Je sais, je radote. Pardon !

 

 

Petit bond dans le temps :

 

Samedi 14 décembre 1996 :

17h30. En écoutant Thiéfaine... En regardant la nuit tomber...

 

Thiéfaine

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans la pénombre

Quand les spectres sortent du royaume des ombres

Quand la vie nous laisse là, pantois,

Avec ces questions auxquelles elle ne répond pas

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans une chambre obscure

Quand le sang s'échappe de nos blessures

Quand le silence insupportable meurtrit

Un cœur qui se tord de douleur et d'ennui

 

Thiéfaine, ça se savoure dans la solitude

Et quand j'ai besoin de reprendre ma latitude

C'est toujours Thiéfaine qui sait m'apaiser

Et me créer un monde loin de la réalité

 

Thiéfaine, ça s'écoute plutôt la nuit

Quand les étoiles rient de nos insomnies

Quand le ciel nous nargue de sa sérénité

Et nous laisse parmi des fantômes brisés

 

Thiéfaine, ça s'écoute quand tout dort

Seuls, alors, hurlent ses « vive la mort »

Thiéfaine, ça s'écoute dans les ténèbres

Quand la vie prend des accents funèbres

 

Thiéfaine, alligator de mes nuits solitaires

Borniol apaisant de mes errances en mer

Rimbaud du troisième millénaire

Compagnon d'infortune, mon soleil, mon frère...

 

 

Et, à la suite de ce poème :

 

J'ai réellement découvert Thiéfaine en 1992. Quatre ans, déjà... Et j'éprouve toujours les mêmes émotions lorsque j'écoute ses chansons. Thiéfaine a le don de créer une ambiance particulière, de prendre toute la place... Quand j'écoute Alligators 427 ou Mathématiques souterraines ou encore La dèche, le twist et le reste et tant d'autres, j'ai l'impression de pénétrer dans la sphère intime du bonhomme. Thiéfaine a un charisme gigantesque, un regard troublant, une voix qui vous dit « revenez-y », une sensibilité incroyable. Selon moi, c'est le plus grand chanteur de cette fin de siècle. Un véritable poète à qui je dois, en partie, la vie. Si je n'étais jamais allée le voir en concert, Dieu sait comment aurait évolué mon histoire... Ce concert à Sarreguemines m'a redonné goût à la vie. Quand j'écoute Thiéfaine, je me sens moins seule. Moins honteuse de n'être qu'un être humain...

 

Eh ben ! Évidemment qu'une passion ayant démarré ainsi ne pouvait que perdurer !!! Qu'on me pardonne ces lignes dégoulinantes. J'en ai un peu honte et, en même temps, je les trouve émouvantes. C'est tout un truc qui était en train de se mettre en place pour la vie ! Rien que pour ça, je ne vais pas jeter mes cahiers au feu !

26/10/2024

On retrouve de ces choses... (suite !!!)

"Personne d'autre ne sait mieux que moi aujourd'hui qu'une catastrophe n'arrive pas qu'aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus". Grand Corps Malade

 

Heureusement que le ridicule ne tue pas, c'est moi qui vous le dis... Suite de mes fouilles archéologiques (clin d'œil à Seb !), c'est tellement bon !!!

 

Nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre 1995:

Thiéfaine m'a fait rire. Voici quelques phrases qu'il a dites et que je veux noter, de peur de les oublier :

« Est-ce que vous aimez les animaux ? Je suis sûr que vous avez tous un animal à la maison : un chien, un chat, un pingouin, un fiancé ! Pour ma part, j'aime particulièrement les mouches. Et là, il a chanté Les mouches bleues.

Ensuite, il a sans doute cité quelques phrases d'un livre. Il a dit : « C'est de qui ? De Lamartine ? D'Alfred de Vigny ? Et non, c'est d'Alain Barrière ! »

 

(Et là, cette incapacité à regarder ma mère, qui était une grande fan … d'Alain Barrière !)

 

Autre chose : voici ce qu'il a dit avant d'interpréter Je t'en remets au vent. Je dédie cette chanson à Bernadette Soubiroute (Oui, Soubiroute et non Soubirous !!).

 

Un doute s'empare de moi : a-t-il réellement chanté Je t'en remets au vent ce soir-là ? Il me semblait que justement, il n'avait pas interprété cette chanson, alors qu'ironiquement, c'était la préférée de ma mère. N'est-ce pas plutôt le titre La dèche, le twist et le reste qu'il aurait introduit de la sorte ?

 

Il m'a également, cela va de soi, émue. Ainsi lorsqu'il a chanté La solitude de Léo Ferré. Il a dit : « N'oublions pas Léo ». C'était simple et beau.

 

Ensuite, il a chanté Crépuscule-Transfert, en précisant que cette chanson aurait pu s'appeler Saravejo-Transfert ou Tchétchénie-Transfert. Et il a ajouté : « Ce serait vraiment trop con que ça puisse devenir un jour Sarreguemines-Transfert ».

 

Bref, c'était GRANDIOSE (toujours ces lettres capitales !). Ce type est SUBLIME. Il y avait une très bonne ambiance. J'ai sympathisé avec plusieurs personnes, j'ai chanté... Il y a même un type qui m'a proposé un joint, que j'ai refusé ! Avant le concert, un gars nous a serinées, ma mère et moi. Mais, en même temps, je dois avouer qu'il était amusant.

 

Arrêt sur ce paragraphe : je me souviens très bien de ce « gars ». Il nous avait proposé une mixture douteuse qu'il nous avait présentée comme du Coca et que ma mère, pas naïve, avait immédiatement identifiée comme autre chose, genre whisky-Coca !!!

 

Voilà, la fête est finie, Thiéfaine va quitter la Lorraine pour retrouver les cieux, les lieux qui lui sont familiers. (Je ne devais pas bien maîtriser le concept de tournée à l'époque). Et, dans mon cœur, la tristesse et le vide se sont déjà installés... Viv'ment le prochain concert ! Reviens-nous vite, Hubert-Félix !

 

J'ai intérêt à bosser pour la fac ! Avant le concert, je n'ai presque rien fait, j'étais trop énervée... Et voilà, la fête est finie. Il ne reste plus qu'un souvenir dans ma tête... Le sol est jonché de confettis sales, les lampions sont tombés de désespoir, les lumières se sont éteintes et le grand magicien qui a fait mon bonheur pendant environ 2h15 se repose sans doute à l'heure qu'il est... Salut, Hubert, reviens vite !

 

Lundi 30 octobre 1995 :

Aujourd'hui, je suis restée à la maison. J'ai fait 5h30 de grammaire, j'en avais bien besoin ! Je suis assez fière de moi. Mais j'ai encore tant de choses à apprendre, tant de livres à lire...

Je me suis tout de même octroyé quelques moments de détente : j'ai écrit à Gaïa, à Myriam, à Luc et même à Hubert-Félix ! Je veux, tout simplement, le féliciter pour vendredi soir et le remercier pour les merveilleux moments qu'il m'a fait vivre. Je sais, j'ai l'air d'une vraie gamine, mais je m'en moque !! J'ai bien le droit d'avoir une idole. Je me sens si proche de Thiéfaine... Cela fait environ trois ans et demi que c'est comme ça. Un jour, en 1994, je m'en souviens bien, Gabrielle m'avait demandé à qui je m'identifiais. J'avais immédiatement répondu : « À Thiéfaine ». Je sens que lui et moi, nous nous ressemblons beaucoup, que nous ressentons les choses de la même façon. Bref, Thiéfaine est l'homme de ma vie, je suis la femme de sa vie, mais il l'ignore encore, tandis que moi je le sais !! Je plaisante ! Mais, tout de même, dans cette admiration démesurée que je lui voue, il s'est glissé, je crois, un brin d'amour... Amour étrange, désespéré... Je suis vraiment dingue ! Mais je m'aime dingue ! Que veux-tu, je suis si seule, je me raccroche à ceux qui peuplent ma solitude. Et qui la peuple en premier lieu ? Je te le donne en mille : Thiéfaine !!!

La fortune a été si souriante ces derniers temps. Trois semaines agréables avec, parfois, des moments MERVEILLEUX (comme le jour de mon anniversaire, comme le jour du concert), c'est trop beau. Plus dure sera la chute ! La chute, je l'attends, je sens qu'elle va bientôt se pointer avec son sale visage haineux, sa bouche sans dents, ses yeux vitreux, ses joues couperosées, ses cheveux gras, sa bidoche pendouillante. Forcément, je vais me prendre une tuile sur la tronche. Et elle fera mal, elle tombera de haut. Et moi aussi.

25/10/2024

On retrouve de ces choses... ("Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" !)

"J'attendais qu'elle arrête d'être morte". Agnès DESARTHE

 

Oui, c'est vrai, ça : on retrouve de ces choses quand on fouille dans d'anciens journaux intimes, carnets et compagnie ! Cet été, j'ai déménagé une cargaison de trucs de ce genre. Il faut dire que j'écris depuis l'âge de 13 ans, et de façon compulsive ! Pour moi, tout ce qui est vécu doit être écrit, sinon c'est mort, c'est perdu, c'est mal vécu, vécu de traviole, voire pas vécu du tout. C'est une manie qui me vient de loin. Et que je bénis parfois, quand même. Hier, je me suis amusée à trifouiller dans tous les coins et recoins, partout où j'ai entassé, dans mon appartement, de quoi faire de la lecture à mes filles pour les millénaires qui viennent. Un jour, il faudra jeter tout ça, sans autre forme de scrupule. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Et puis, d'ailleurs, ce serait dommage pour le canard. Donc, peut-être que quand je serai toute ratatinée, je prendrai le temps de relire ce qui, au fil du temps, a fini par devenir le récit de ma vie (prévoir plusieurs années de retraite pour ce faire, et ne faire que ça, sans envisager une seconde d'aller ne serait-ce qu'aux toilettes !). Peut-être que j'aurai ensuite la force de tout bazarder. Bref... En attendant, il y a là-dedans des lignes que j'ai envie de sauver. Parce qu'elles parlent de Thiéfaine, et dépeignent ma passion dans ses différentes étapes.

Le 20 décembre 1992, par exemple, dans mon journal, je fais ce que j'appelle mon «désormais traditionnel bilan de fin d'année » (je ne connais pas une seule année où ce bilan n'ait pas été établi, c'est quelque chose que je fais encore maintenant, à mon grand âge : vers la fin de chaque mois de décembre, je me pose pour expliquer quels furent les moments de joie et les moments merdiques de l'année qui est sur le point de mourir). Et, le 20 décembre 1992, je note ceci, brièvement : « J'ai découvert Thiéfaine, c'est hyper important ». Je ne croyais pas si bien dire, ou plutôt écrire ! Si la jeune fille que j'étais en cette fin 1992 avait pu voir son évolution sur les décennies futures, quelle tête aurait-elle bien pu faire en se rendant compte que ce « hyper important » allait se transformer en primordial et ne jamais faiblir ?!

 

Et puis, il y a ce journal de l'année 1995, celle de mon premier concert de Thiéfaine. Alors là, c'est drôle. Dans mon cahier (mauve), je parle de cet événement comme de la venue du messie, et Dieu seul sait s'il n'y a pas un rapport !

Florilège :

Vendredi 6 octobre 1995 : Depuis ce midi, j'échafaude des tas de plans pour aller voir Thiéfaine en concert : il va effectivement venir à Sarreguemines le 27 octobre. Depuis que je sais ça, je suis DINGUE (écrit comme ça dans le journal !). Il faut à tout prix que je voie ce grand, ce gigantesque bonhomme. Dans le pire des cas, je vais au concert avec ma mère !! Elle va devenir folle, elle n'aime pas spécialement HFT !! Dans le meilleur des cas, j'y vais seule, en voiture. Mais ne rêvons pas. De toute façon, mes rêves ne se réalisent jamais, quoi que je fasse... Si seulement je pouvais assister à ce concert !

(Remarque : Finalement, c'est bien ma mère qui m'emmena à Sarreguemines le 27 octobre 1995. J'ai déjà évoqué la chose ici dans les grandes largeurs. Ce qui me contraria sur le moment devait faire de ce concert l'un des plus beaux moments que je pus partager avec ma mère. Ah, si j'avais su, en 1995, qu'il ne restait que quatorze années de vie à ma Mutti, j'aurais peut-être envisagé différemment sa venue au concert... Si jeunesse savait, n'est-ce pas !)

 

Poursuivons :

Mardi 10 octobre 1995 :

Waow ! Ce soir, je suis totalement DINGUE (écrit comme ça dans le journal !) ! Tout d'abord parce que j'ai fini les corrections que je devais apporter à mon mémoire de maîtrise. Youpi ! Ensuite, demain, je vais acheter un billet pour le concert de Thiéfaine ! Deuxième youpi et explications : en fait, je vais acheter deux billets. Ma mère vient avec moi, elle aime les ambiances de concert, m'a-t-elle dit. De mon côté, j'ai réfléchi et je me suis dit que je ne pourrais renoncer à aller à ce concert. Moralement, je n'en aurais pas la force ! Je suis trop dingue d'Hubert-Félix ! Alors, tant pis, j'irai donc avec ma mère. C'est mieux que de ne pas y aller du tout. Je veux À TOUT PRIX voir Hubert ! J'espère qu'il y a encore des places. Demain matin, à dix heures, je fonce à la FNAC pour y acheter les billets !

 

(Un rien pitbull déjà... Un pitbull terriblement romantique : « Je suis trop dingue d'Hubert-Félix ». Si c'est pas mignon pour un pitbull !!!).

 

Mercredi 11 octobre 1995 :

(…) En définitive, je n'aime que les chiens ! Et HFT et Léo Ferré et Gainsbourg. Je n'en reviens pas, j'ai été déçue des milliers de fois...

 

(Et encore, ça ne faisait que commencer !!!).

 

Jeudi 26 octobre 1995 :

Jour J moins un avant le concert de Thiéfaine ! YOUPI ! Je suis déjà toute dingue ! J'espère ne pas être déçue. Cela m'étonnerait quand même, car HFT est GRANDIOSE, cela ne fait aucun doute.

 

(Un rien fanatique, le pitbull).

 

Nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre 1995 :

1h25 du matin. Il faut à tout prix que je raconte ma soirée ! Le concert est passé, snif ! C'était tout simplement GRANDIOSE, GÉNIAL, ÉPOUSTOUFLANT, MERVEILLEUX, EXTRA, MAGNIFIQUE, MAGIQUE... La salle des fêtes de Sarreguemines est assez petite, j'étais à environ trente mètres d'Hubert-Félix... Le concert m'a vraiment plu. Il y avait beaucoup d'excités, beaucoup de fumeurs de joints mais, sinon, tout était EXTRA. Hubert-Félix a une présence inouïe sur scène. Il fait le clown entre deux chansons, raconte tout et n'importe quoi... Et quand il chante une chanson triste, il sait faire passer le message, communiquer ses émotions, ses blessures. Je suis plus fan que jamais !

 

Et ainsi de suite sur plusieurs pages... Si cela vous intéresse, je mettrai cette suite. Il n'y a qu'à demander. Après, ce n'est pas de la haute littérature. « Il sait faire passer le message » : plus plat que ça, tu fais difficilement ! « Il raconte tout et n'importe quoi » : pas gênée, la meuf, d'écrire une chose pareille !

Oui, c'est naïf, c'est bourré de maladresses et de tartignoleries adolescentes, mais qu'est-ce que c'est chouette de retrouver ça et de se dire « Je n'ai pas tellement changé » !!!

19/10/2024

Époustouflante Clara Ysé : c'était à la BAM, à Metz, hier soir...

"Le sang qui ne coule plus dans les veines des morts, ce sont les vivants alentour qui le perdent". Christian BOBIN

 

Longue chevelure qui descend, telle une cascade, sur le dos et les épaules. Douce silhouette qui ne peut se mouvoir, semble-t-il, qu'en ondulant des pieds à la tête. « Von Kopf bis Fuß », l'expression me vient en allemand (les éléments y sont mis dans le sens inverse du français), et il ne serait pas faux de la compléter à la manière de Marlene Dietrich : « auf Liebe eingestellt ». « Von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt » : faite pour l'amour, des pieds à la tête. Cette femme, Clara Ysé, est un volcan qui ne s'éteint jamais. Il en jaillit régulièrement la substantifique lave, sous forme de mots. Les mots en toutes circonstances, les mots pour dire, mais pas seulement : les mots pour pouvoir se taire et faire taire. Je me souviens qu'au Livre sur la Place, en septembre, Clara Ysé avait expliqué que parfois l'écriture lui permettait de « s'autoriser à oublier ». J'avais acquiescé en mon for intérieur. Je connais ça : parfois, écrire une chose, c'est se donner la chance de la revivre. Parfois aussi, c'est comme la balancer par-dessus bord : une fois jetée sur un cahier que l'on referme, elle n'existe plus vraiment en vous, elle a pris une autre consistance dans un ailleurs clos. Cela peut être salutaire. Combien de blessures ai-je pu soigner ainsi !

Elle arrive sur scène et c'est une salle entière qui se suspend à sa voix, à ses gestes, à ses poèmes mis en chansons. Car c'est de la poésie à l'état pur que nous livre Clara Ysé. Durant tout le concert, je suis absorbée par son univers. Son corps semble ne pouvoir se déplacer qu'en ondulant, écrivais-je plus haut. Il semblerait qu'il en soit de même pour sa voix, qui balaie toutes les gammes. Tour à tour suave, murmurante, puissante. Caresse, chuchotis, couteau. Au gré des envies, au gré des écorchures. Clara Ysé n'a que trente-et-un ans, mais déjà la maturité de plus tard dans l'existence, bien plus tard. Cela confère une certaine mélancolie à ses chansons. Une grande force aussi. Au fil de la soirée, nous effleurons avec elle tout ce qui la constitue : ses amis, ses amours, ses emmerdes, ses deuils et ses éblouissements. Au moment où elle interprète Lettre à M, déchirante déclaration d'amour à sa mère disparue, je ne peux retenir mes larmes. Je pense à celle que j'appelais Mutti, aux cheveux blancs qu'elle n'a pas eus, aux fous rires auxquels le destin mit un coup d'arrêt fatal. « Mais va-t-il arriver

Ce temps espéré où tu cesseras de me manquer ? », demande Clara Ysé. Je voudrais bien lui répondre que oui, que ça arrivera un jour, mais l'expérience me prouve que non, ça n'arrive jamais. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré, et je n'ai pas trouvé plus pertinent que cette formule terrible, à part peut-être plus tard sous la plume de Thiéfaine : « Le silence des morts est violent quand il m'arrache à mes pensées »... Courage, ma belle Clara, une vie à traverser sans sa mère, c'est long, c'est injuste, c'est plein d'épines...

Et pourtant, « Regarde derrière les nuages

il y a toujours le ciel bleu azur qui, lui,

vient toujours en ami, te rappeler tout bas

que la joie est toujours à deux pas », chante-t-elle aussi. Parce qu'elle n'est pas de celles qui cèdent aux sirènes des « rois du désespoir ». La vie est multiple, elle est tantôt clémente, tantôt ignoble, et ça, du haut de ses trente-et-un ans, Clara Ysé le sait. C'est pourquoi elle ne la réduit pas, cette vie, à une seule formule péremptoire. Non, elle la décline sous toutes ses formes : boue, étincelles, tristesse, émerveillement. On la suit, charmés, dans tous les méandres où elle nous conduit par la main. « Je ne sais, il est vrai, chanter que les naufrages », nous dit-elle. Oh non, pas seulement. Ou alors les naufrages dans ce qu'ils ont de beau !

On sort de là puissamment chaviré, secoué, chamboulé. Moi peut-être encore plus que les autres (sans vouloir faire ma frimeuse). Car, avant le concert, dans le hall de la BAM, j'ai croisé par hasard (mais était-ce un hasard ?) la psychologue qui me suivait à l'hôpital. Nous nous sommes dit, entre deux portes, des mots d'une incroyable profondeur. Je lui ai demandé des nouvelles du service hémato. Après quoi, j'ai dû sortir pour prendre l'air et laisser couler quelques larmes. Elle a raison, la belle Clara : on ne sort pas indemne de certains chapitres de nos vies. Et il en est quelques-uns que l'écriture, aussi magicienne soit-elle, ne permet pas de reléguer dans l'oubli... On couche toujours avec des drames...

Mais, et son concert me l'a prouvé : « il y a toujours le jour qui pose ses lumières

sur un coin de la Terre, te rappelant tout bas que la joie

est toujours à deux pas », (...) « Vers un nouveau rivage ton cœur est emporté et l'ancien territoire t'éclaire de ses phares ». La maladie comme un ancien territoire d'où je suis revenue et qui m'éclaire de ses phares, chaque seconde désormais, pour me dire : « Profite, ne gâche rien, ne laisse rien ni personne gâcher la fête ». Moi aussi, comme Clara Ysé, je suis VIVANTE !