09/09/2024
Bois d'Amont forever !
"On ne devrait jamais se quitter. Ce silence qui succède à tant de jours vécus ensemble, ne plus rien savoir l'un de l'autre, passer de l'extrême intimité et des caresses les plus abandonnées à cette absence, je vois dans cette séparation acceptée plus qu'une préfiguration, qu'une image de la mort : c'est la mort elle-même, qui commence". José CABANIS
Je ne sais pas vous, mais moi je n'aime pas les entre-deux, les machins pas clairs, ne pas savoir sur quel pied danser. « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée », écrivait Musset, et je me rallie à son avis. L'adjectif « mitigé » m'afflige et je déteste ce qu'il désigne : la météo qui a le ciel entre deux chaises, un coup hyper chaud, un coup hyper froid, les bilans qui hésitent entre le médiocre et le carrément nul. Quelque part, je me sens comme Thiéfaine, qui se disait, je ne sais plus dans quelle interview ni quand, « piments et alcools forts ».
Et donc, samedi, en prenant la route pour Bois d'Amont où avait lieu le dernier concert de la tournée Replugged, j'avais le cœur à rire et à pleurer. Des sentiments mitigés logés dedans. Quelque part entre le deuil et l'éblouissement. J'étais heureuse de revoir Hubert et ses musiciens, heureuse de retrouver quelques amis venus parfois de loin pour le grand soir. Mais impossible de me réjouir pleinement. J'avais déjà un pied dans la nostalgie de l'après Bois d'Amont. Je me disais que chaque heure qui passait m'entraînait irrémédiablement vers la fin d'un magnifique roman commencé en 2022, avant la leucémie. Bien sûr, je me disais aussi qu'Hubert avait bien mérité de se reposer, lui qui s'est tant donné et qui nous a tant donné lors de ces deux tournées qu'il a enchaînées. Oui, mais le fan est égoïste et exigeant. Il en veut trop et toujours plus. L'extinction des feux, il ne connaît pas, il ne veut pas connaître.
Et donc, samedi, en écoutant HFT dans ma voiture (ma façon de me préparer à ses concerts depuis toujours : impossible d'écouter autre chose quand je vais le voir, je me lave de tout le reste et ce reste n'existe plus), j'avais le cœur à la fois, comment dire, tristement léger et joyeusement lourd. Je crois que seuls ceux qui ont vécu Bois d'Amont pourront comprendre ces deux oxymores. N'est-ce pas, Bételgeuse ? D'ailleurs, je pensais à elle dans ma voiture. Je trouvais ça trop dommage qu'elle n'ait pas de billet pour cet ultime concert de Replugged. Et voilà que, m'arrêtant pour faire une pause, je découvre un message d'elle me disant « je serai là ce soir »...
Encore quelques détails de ce long chemin qui m'a semblé ne jamais vouloir finir : une déviation bien sournoise m'attendait dans le Jura. De celles qui font tourner dingues les GPS. Et le mien de vouloir sans arrêt me ramener sur la route que je ne pouvais pas prendre ! Si bien que les 4h35 de trajet annoncées par le même GPS au départ de Metz se sont transformées en presque sept heures ! Sur la route, j'étais à deux doigts de me demander si ce n'était pas une arnaque, cette histoire de concert au bout du monde. Dans un virage particulièrement costaud, m'est revenue une expression allemande : « wo Fuchs und Hase sich gute Nacht sagen », ce qui veut dire « là où le renard et le lièvre se disent bonne nuit ». C'est ainsi que l'on désigne joliment le « Arsch der Welt », qui n'est ni plus ni moins que le trou du cul du monde. Désolée pour les Bois d'Amontais et les Bois d'Amontaises, mais moi, les trous du cul du monde, ça ne me dit rien qui vaille, surtout que je m'y paume systématiquement.
Mais bon. À un moment, quand même, j'ai fini par voir Bois d'Amont sur un panneau. C'était juste après m'être échouée dans un chemin louche où étaient indiquées les Chauvettes. Vous m'en direz tant ! Ces Chauvettes, je ne les ai pas senties. Quelque chose m'a dit à ce moment-là qu'il me fallait lancer un appel au secours sur le groupe Messenger créé par les autres fans que je rejoignais. La chose fut réglée en quelques secondes : demi-tour, reprenons la grande route, abandonnons la minuscule qui mène aux Chauvettes.
Enfin, me voilà à Bois d'Amont. Je retrouve Isabelle (Évadné) et Brigitte. Isa, la dernière fois que je l'ai vue, c'était à Saint-Malo, une dizaine de jours avant de tomber malade. Nous nous serrons fort et nous pleurons. C'est tellement incroyable de se revoir : j'ai survécu, je ne suis pas morte ! Depuis, je savoure ma résurrection et je peux vous dire qu'un concert d'Hubert, c'est encore meilleur quand on a failli crever. Mais n'allez pas tenter l'expérience pour autant. Je ne recommande pas !
Un peu plus tard, nous voilà dans la salle. Nous sommes tout devant. Je suis entre Brigitte et Isa. Et non loin d'Erwan et de Yannig. Doux prénoms qui fleurent bon la Bretagne, d'où ils sont venus (avec Isa). Ah, Hubert, les folies que pour toi l'on commet...
Avant le début du concert, nous sommes déjà mélancoliques, tous autant que nous sommes. Isa tente de nous raisonner : « Allez, on a dit qu'il fallait être heureux dans l'instant » ! Mais Erwan ne fait pas dans le joyeux et assène d'un seul coup d'un seul ces mots qui, évidemment, trouvent un écho favorable en ma personne dont le penchant pour le spleen n'est plus à prouver depuis belle lurette : « Ce soir, chaque note jouée sera la dernière ». Au secours, je vais défaillir. C'est qu'il ne faut pas me dire des choses comme ça à moi qui les pense déjà si facilement. Trop tard, le ton est donné (et je m'en doutais bien avant que commence le concert) : cette soirée ne pourra être qu'empreinte de nostalgie. Cette putain de nostalgie anticipée qui gueule comme l'horloge de Baudelaire : « Souviens-toi ». « Souviens-toi de ce qui n'est pas encore arrivé, dis-toi qu'au moment où ça arrivera, ce sera déjà en train de flétrir ». C'est peut-être pour ça que je n'achète jamais de bouquets de fleurs : ils me sont putréfaction !
Allez, soyons gais, soyons fous, tout va bien, Hubert n'est pas encore là et nous planons dans ce nuage tout sympa qu'on appelle l'attente. Bételgeuse nous a rejoints et c'est chouette. Un groupe local se produit sur scène et c'est chouette aussi. D'habitude, je n'aime pas les premières parties, mais là, ça me fait comme un petit répit avant que le « dieu sinistre, effrayant, impassible », autrement dit l'horloge de Baudelaire, n'entame son œuvre de destruction massive. Le groupe local s'appelle Bizar et est vraiment très sympa. Il envoie du bon rock'n'roll dans les écoutilles.
Et puis, voilà Hubert et ses musiciens. Je suis pile en face de Lucas et il me semble qu'il pleure dès le début du concert. Oh non, il me fend le cœur, ce cœur déjà fragilisé par la nostalgie anticipée... Erwan a raison : chaque note jouée est la dernière et cela se sent dans la manière dont les musiciens caressent ou empoignent les instruments. Tout le monde est à fond. La voix d'Hubert, très digne, très puissante, me colle des frissons pas possibles. Elle déclenche quelque chose de magique en moi, c'est un peu comme quand j'entends de l'allemand. Y'a du poil dressé dans l'air ! Il est peut-être fatigué, notre HFT, mais franchement il assure diablement. Respect, une fois de plus.
Les dingues et les paumés nous mettent, au premier rang, dans un drôle d'état. C'est si bon d'entendre cette chanson dont la version Replugged est magistrale. C'est si bon et c'est si triste. Vous comprenez ?
De temps à autre, Yannig me lance des regards qui en disent long sur l'état qui est le sien, le mien et celui de tous ceux qui m'entourent. Les pupilles scintillent dans l'obscurité. C'est qu'on n'en mène pas large quand même. On est tous conscients qu'Erwan avait raison avec sa putain de phrase. Vous savez, « chaque note jouée sera la dernière ». Moi, j'ai carrément l'impression d'avoir bouffé un savon qui me serait resté en travers de la gorge. J'ai du mal à avaler ma salive et mon menton tremble à de nombreuses reprises. Ce que je peux être impressionnable, purée !
Heureusement qu'il y a quelques chansons un peu récréatives, ça nous fait un sas de décompression. Durant Cabaret Sainte-Lilith, Isa imite le pape à côté de moi (avec l'accent, s'il vous plaît) et je me tords de rire. Et, pendant Groupie 89 turbo 6, j'ai tout à coup un couple sado-maso à ma gauche : Erwan regarde Isa et la supplie de lui friter la gueule, ô mon amour. Que ça me fait du bien de rire. Parce que vous voyez, franchement, c'est pas la gaieté qui m'étouffe ce soir. J'ai tellement peur du moment où le silence succèdera à cette orgie de beauté... Sur scène, tout le monde donne le meilleur de lui-même, et de sa personne, et de sa sueur. Je crois que Lucas dégouline encore plus que les autres fois.
Et puis, vient la chanson aux fatales interrogations, la chanson qui nous présente ses condoléances : Combien de jours encore. C'est le moment de se rendre compte que jusqu'ici, finalement et à vrai dire, tout allait bien. Le moment de voir que les émotions ressenties, c'était vraiment de la gnognote en comparaison de celles qui vont nous « tomber sur les reins ». Je crois que je vais m'étouffer dans mes larmes. Le savon dans ma gorge fait de drôles de bonds, il monte et il descend, il monte et il descend. Comme un ascenseur qui se serait gouré de précipice.
Et en parlant de cela, voici la superbe, l'unique, la plus belle à mes yeux, celle que j'ai déjà réclamée pour mon enterrement (puisqu'on en est aux condoléances) : Mathématiques souterraines. Je l'écoute pour la combientième fois : millionième, ça se dit ça ?! Oui, ça se dit, et je suis certaine que je ne suis pas loin de la vérité avec mon mot que j'emploie tellement rarement que j'ai dû vérifier qu'il existait ! Eh bien, même à la millionième fois, Mathématiques souterraines, ça me saisit toujours, ça me fait un machin qu'aucune chanson ne m'a jamais fait et ce mystère n'en finit pas de m'émerveiller.
Qui dit Mathématiques souterraines dit fin toute proche, danger, voyants rouges allumés. Voici que se pointe La fille du coupeur de joints, sournoisement et à vive allure. Quoi ? Déjà ? Mais c'est pas possible. Chaque note jouée est allée trop vite !
Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas d'humeur festive quand retentit le début de ladite chanson. Le savon, oh nom de Dieu, le savon : énormissime ! Je n'ose plus regarder personne, et surtout pas Lucas qui doit avoir lui aussi un problème avec le petit Marseillais. Ah, nous voilà jolis, lui, moi, tous les autres ! J'aurais bien envie de lui dire, à Lucas : « Ne sois pas triste, on se reverra », comme dans la chanson de Lavilliers (Marin), mais je sens que citer Bernard en pareille circonstance ne ferait qu'aggraver les choses...
À la fin de ce concert géantissime (ah oui, là, j'ai envie d'employer des « ssimes » à toutes les sauces, parce que les cimes, vraiment, on y a eu droit plus que jamais), je me tourne vers Bételgeuse. Je sais qu'elle me comprend et qu'elle est dans le même état que moi. Nous avions déjà évoqué par avance la fameuse nostalgie anticipée. Truc de malade, n'est-ce pas, évoquer par avance la nostalgie anticipée ?! La chose qui n'est pas encore arrivée, mais que tu envisages déjà, pour anticiper. Vous en avez d'autres, des pléonasmes aussi cons ? Bételgeuse me prend dans ses bras et nous pleurons. De toute façon, il ne nous reste plus que les yeux pour pleurer. Moi qui n'en avais pas assez de deux ce soir pour emmagasiner de belles images ! Moi qui n'avais pas assez de mon cœur (fendu dans les grandes largeurs) pour y faire entrer tous les sentiments mitigés qui l'assaillaient. Décidément, « mitigé » est un piètre adjectif et je ne l'aimerai jamais.
Alors voilà, c'est fini. « Schluss, Ende, aus », comme dit la chanson de Rio Reiser, ce chanteur allemand qui gagnerait à être connu par chez nous. J'ai un peu l'impression de flotter devant un immense néant. Bien sûr, il n'y a pas que Thiéfaine dans mon existence. Non, il y a aussi Hubert, et puis Hubert-Félix, et puis HFT !!! Bien sûr, j'ai d'autres passions et la vie ne s'arrête pas avec une tournée qui s'achève. Bien sûr, on peut en espérer au moins encore une. Je ne vais pas mourir parce que Bois d'Amont a refermé un livre que j'ai l'impression d'avoir lu trop vite. Oh pis si, quand même un peu, que je vais mourir. Parce qu'on meurt un peu à chaque fois qu'un chapitre se termine, j'en suis sûre. En tout cas, moi je meurs un peu parce que je ne suis pas débrouillarde pour un rond et que tout ou presque m'est motif de tourment. C'est la vie qui est méchante, elle fait jaillir des splendeurs, et puis elle les reprend...
Bon, on ne peut pas dire qu'avec mes digressions j'aie fait dans la concision ce soir. Il y aurait encore tellement à ajouter... Après le concert, il y a eu cet after un peu fou dont je retiendrai à jamais le suc... Le moment le plus beau fut celui où Hubert traversa la foule pour quitter la salle où il venait de signer je ne sais combien d'autographes, faire je ne sais combien de photos, le tout sans montrer la moindre lassitude. Il a tout donné, et tout le meilleur de lui-même, puisant dans d'innombrables ressources, avec un incomparable talent. À l'issue de ces deux tournées qui ont rempli ma vie pendant deux ans et quelques mois, je suis gratitude, éblouissement, admiration. Et je m'en fous d'être une groupie un peu débile. Il y a pire comme tare, je crois !
Avec tout ça, mes braves enfants, il sera bientôt 22h43, l'heure de laisser venir à moi un ascenseur nommé désir... Désir que ça recommence, que ça ne prenne jamais fin, que quand il n'y en aura plus, il y en ait encore.
Dans les jours qui viennent, je vais devoir faire une prise de sang et je me demande si l'hématologue ne va pas m'appeler, affolé, pour me dire : « Écoutez, on ne comprend pas, on a trouvé dans votre sang un composant inconnu de nous, ça dessinait clairement trois lettres : HFT. On ne sait pas ce que c'est ». Et là, je me marrerai doucement, sans rien dire, parce que moi, je saurai !!!!
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01/08/2024
Nena était à la foire aux vins de Colmar hier soir (et moi aussi, quelle chance !)
"Irgendwie fängt irgendwann
Irgendwo die Zukunft an". NENA
Rien ne saurait entamer ma joie en ce 31 juillet. Pas même la flotte qui s'est mise à tomber drue et mélancolique en plein milieu de l'après-midi. Pas même le retard de la navette censée m'emmener de la gare de Colmar à la foire aux vins (de Colmar itou). Ce retard, vous l'aurez peut-être deviné, m'a exposée plus que prévu (et que de raison) à la pluie drue et mélancolique... Qu'à cela ne tienne. Au moment où je m'assois dans la navette enfin arrivée (avec 25 minutes de retard, tout de même), je me sens heureuse et vivante comme jamais. Durant le trajet, je me dis que c'est génial d'aller à un concert de Nena, d'avoir cette chance. D'être là, dans cette navette. Ça, c'est une petite salutation venue tout droit de la chambre stérile. C'est essentiellement de cette façon qu'elle se rappelle à mon souvenir : pour me donner de la joie, par comparaison. Il est vrai que ramener les choses à cette sordide expérience a l'avantage de tout teinter de douceur. Une classe un peu agitée cette année ? Bah, ce n'est rien, me disais-je, c'est tellement mieux que la chambre stérile ! Pas envie d'aller travailler ? Oh, souci ridicule, problème minuscule. Quel luxe de pouvoir se dire « j'ai pas envie d'aller travailler » ! Si, si, je vous assure. Bref, cessons là les divagations et revenons à nos moutons, d'autant plus qu'ils sont allemands, comme j'aime !
Oui, en ce 31 juillet, je vais voir Nena, disais-je. Nena, celle qui interprétait 99 Luftballons du temps que j'étais à des lieues de me douter qu'un jour j'enseignerais la langue dans laquelle elle chantait ! Nena, dont j'appris, une fois que je m'intéressai à fond à la culture allemande, qu'elle continuait sa carrière outre-Rhin, et comme il faut. Je me mis à la suivre, parfois de près, parfois d'un peu loin, pas toujours convaincue par ses expérimentations musicales, mais lui reconnaissant systématiquement le mérite d'avoir osé les faire. Parfois je la suivis de très près. Ainsi l'album Wenn alles richtig ist, dann stimmt was nich, dont le titre est à lui seul un traité philosophique, fut écouté des millions de fois. En substance, ça dit que quand tout roule comme sur des roulettes, c'est qu'il y a une couille dans le potage (mais Nena a exprimé les choses avec infiniment plus de finesse). Une idée qui m'est familière. Depuis toujours, j'ai en effet tendance à me méfier de ce qui ressemble d'un peu trop près à la sérénité et compagnie. Dès qu'une période de calme m'est octroyée, je me demande quelles foutues tempêtes elle cache et quel poignard viendra me transpercer le dos peu après. Donc, oui, l'idée selon laquelle il y a un truc qui cloche quand tout va bien, ça me connaît ! Cet album est une pure merveille. Il raconte des petites choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, par exemple), l'amitié qui nous tend ses bras quand on va mal (Heul dich bei mir aus), une relation qui s'effiloche (Dann fiel mir auf), la peur que l'on a ensuite à se relancer dans tout ce qui ressemble à une histoire d'amour (Todmüde). Nena, Cath : deux vécus similaires, à des kilomètres de distance. Mais une langue pour nous unir, celle de Goethe, la mal-aimée pourtant majestueuse. Si inventive que c'est à faire perdre la raison à tous les dictionnaires du monde. Cette langue crée des mots à l'infini, et elle les déroule en de longs tiroirs que quand tu en as ouvert un, tu te rends compte qu'il y en a encore un à l'intérieur, et peut-être même deux, si ce n'est plus ! Moi, l'allemand, c'est mon trip, mon shoot, ma came. C'est un peu comme avec Hubert : il m'en faut toujours plus ! J'en écoute absolument tous les jours, de l'allemand. À la télé, à la radio et sur ma chaîne. Nena, entre autres.
Et donc cette Nena, 64 ans déjà je n'en reviens pas, passait hier à Colmar, à la foire aux vins. FAV pour les intimes. J'ai même appris, grâce à plusieurs tee-shirts ayant défilé sous mes yeux, qu'assister à la FAV faisait de vous un ou une faviste. Faviste un jour, faviste toujours, voilà ce qui était écrit sur lesdits tee-shirts. Qu'on se le tienne pour dit ! Moi-même ne suis-je pas un exemple de la véracité du truc ? À la foire aux vins en décembre 2023 (c'était dans le cadre de la cuvée givrée, pour HFT) et de nouveau à la foire aux vins en juillet 2024. Voilà, vous avez devant vous une faviste, alors un peu de respect !
Nena, Nena, Nena : je m'éloigne trop de mes moutons (pourtant allemands, mes préférés, vous l'ai-je déjà expliqué ?!). Avec cette connerie de retard qu'avait la navette, j'ai loupé le début du concert. J'ai couru comme une dératée en arrivant sur le site de la foire. Vite, retrouver mes moutons, surtout qu'ils sont allemands, je ne sais plus si je l'ai mentionné !
À peine suis-je arrivée dans la salle que je succombe à la magie Nena. 64 ans déjà je n'en reviens pas et une silhouette de jeune fille. Un look rock : tee-shirt noir, pantalon en cuir. Le cheveu tombant en cascade en une frange un peu désordonnée. « Ich geh' mit dir wohin du willst, auch bis ans Ende dieser Welt », chante la jolie voix, et je me dis que l'homme à qui Nena a dédié ces mots a bien de la chance. Ça veut dire qu'elle le suivrait au bout du monde, quand même, rien que ça ! Le veinard, purée ! Sait-il seulement qu'il est béni des Dieux entre tous les hommes, l'enflure ?! Il y a comme ça des êtres élus, qui sont toujours du bon côté. Tandis que soi-même on rame pour être aperçu(e) de la Providence. Mais ça c'est une autre histoire.
Voilà donc Nena chantant ceci avec force et enthousiasme. Ça balance pas mal à Colmar en ce 31 juillet. C'est que le feu règne sous le chapiteau. Nena entraîne la foule. Elle bouge sans arrêt. Et que je t'envoie ma jambe dans les airs, et que je te montre combien mes genoux sont encore alertes à leur âge. C'est à me faire pâlir de honte, moi qu'un déménagement vient de mettre sur les rotules. Le dos en compote, l'esprit ne fonctionnant plus qu'au ralenti. Ah, si j'étais Nena, j'aurais une autre allure ! Mais bon, je suis faviste, c'est déjà beaucoup, et on ne peut pas tout être à la fois.
Je reconnais plein de titres aimés, notamment Irgendwie, irgendwo, irgendwann. Chanson qui dit que quelque part commence le futur, d'une manière ou d'une autre. Encore un petit traité philosophique. Et puis, soudain, Nena taquine un énorme ballon blanc sur la scène. On devinera aisément de quelle chanson il va être l'illustration. Les premiers mots retentissent et la foule ne contient pas son extase, à quoi bon ? Des mains se lèvent, des fesses décollent de leur siège. Immense communion franco-allemande. C'est tellement beau que j'en ai les larmes aux yeux. Quelle chance j'ai d'être là ce soir, je me le répète X fois, et encore plus en écoutant 99 Luftballons.
Nena chante un peu plus d'une heure et je reste sur ma faim. J'en aurais voulu encore, et bien plus. Je suis épatée par l'énergie de cette femme, énergie qu'elle sait insuffler à chacun chacune. Impressionnant. Cela relève de l'exploit car la France n'est pas un terrain conquis d'office pour une chanteuse allemande. Ok, ici, c'est l'Alsace, et l'Allemagne n'est qu'à quelques encablures, mais quand même. Il faut le faire pour mettre tout le monde d'accord, surtout des Français et des Allemands ! Chapeau, madame Nena ! Défi relevé avec brio et charme par-dessus le marché !
Je suis tellement scotchée par la prestation de la chanteuse que j'ai du mal à entrer dans le concert suivant, celui de Toto. Je finirai par me laisser emporter aussi, mais peut-être pas comme il se devait. C'est que je suis ingrate, je le reconnais. Quand j'aime un artiste, je rechigne à lui faire succéder qui que ce soit. Je n'aime pas non plus que qui que ce soit le précède (et j'en veux pour preuves les premières parties d'Hubert qui me voient piaffer d'impatience au fond des starting-blocks). C'est mon côté entier. Mon côté faviste, peut-être.
En tout cas, Nena sur scène, ça dépote, et ça te démonte tous les préjugés à la con qui courent sur la langue allemande. J'vous jure que celle-ci, dans la bouche de la chanteuse, est d'un sexy hallucinant. C'est à n'y pas croire. Et d'un rock'n'roll, c'est à ne pas imaginer. Alors toi, le grincheux, la grincheuse qui trouves que l'allemand est une langue crasseuse pas digne de tes oreilles soi-disant délicates, va donc un jour à un concert de Nena, et on en reparlera. J'suis sûre que t'es même pas cap. Dommage. Et en même temps, ce n'est pas si grave : laisse le meilleur de ce monde à qui sait l'apprécier !
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30/06/2024
Un article retrouvé dans le numéro 53 de Chorus (automne 2005)
"J'espère que demain sera torride et vibrant, avec des astres riants, des petites lueurs dans les yeux". Brigitte FONTAINE
Je vais déménager en juillet. Je suis dans les cartons jusqu'au cou et je retrouve régulièrement des trésors oubliés un peu partout dans ma maison. Ce matin, cet article que Jean Théfaine avait consacré, dans l'excellente revue Chorus qui n'existe malheureusement plus, à l'album Scandale mélancolique (2005). Je vous l'ai recopié intégralement pour vous en faire profiter ! Dans les commentaires, n'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cet album. Je vais le réécouter cet après-midi, tiens !
C'est le 17 octobre que sort le quatorzième album studio d'Hubert-Félix Thiéfaine. Patience. Une fois encore, l'imprécateur jurassien n'est pas où on pouvait l'attendre. Défloration 13, en 2001, intrégait des courants musicaux nouveaux. Sous la direction de Philippe Paradis, qui l'a réalisé, Scandale mélancolique revient à un habillage sonore plus classique, mais d'une intelligence et d'une sensibilité exemplaires. Les guitares électriques, de retour au premier plan, sont toujours utilisées à bon escient.
Dans le passé, Hubert-Félix Thiéfaine avait fait appel à certains compositeurs. À Claude Mairet surtout. Ici, c'est une toute autre aventure ! Ils sont huit à s'être coltinés à son univers – tous de la génération des 25-40 ans : Philippe Paradis, par ailleurs guitariste attitré de HFT, le bassiste Roberto Briot, Jipé Nataf, Mickey 3D, Frédéric Lo, Jérémie Kisling, Cali et Elista, un prometteur jeune groupe français. Il y a même un neuvième homme, Thiéfaine lui-même, qui s'est réservé une musique … sur l'unique texte qu'il n'a pas écrit ! Un texte, en anglais pour l'essentiel, by Boris Bergman.
Philippe Gandilhon, son directeur artistique, souhaitait amener un peu de « solaire » au royaume des ombres qu'affectionne Hubert-Félix. Et c'est globalement gagné. Il y a même deux titres authentiquement lumineux : Gynécées, une déclaration d'allégeance aux femmes, interprétée en duo par Thiéfaine et Cali ; Les jardins sauvages, une métaphorique balade au pays des fleurs perdues, autour de laquelle Mickey 3D a tressé un bouquet de notes allègres. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Un galop infernal, même, tant il y a, dans cet album-là, de douleur à nu, sans beaucoup d'humour pour l'atténuer. De Libido Moriendi, sur lequel M a posé une ritournelle de banjo, à Confessions d'un never been, en passant par l'époustouflant Jeu de la folie, devenu « un sport de l'extrême », c'est la même angoisse existentielle qui court.
Il faudrait tout citer de cet album d'exception, qui confirme une fois de plus l'importance et la cohérence de Thiéfaine dans le paysage de la chanson française ; mais trois morceaux méritent une mention particulière : Télégramme 2003, fraternelle adresse à Bertrand Cantat, jamais nommé pour autant (« Ronge tes barreaux avec les dents / Le soleil est là qui t'attend ») ; When Maurice meets Alice, déchirante déclaration d'amour filial d'Hubert, l'inconsolable, à ses chers disparus ; That angry man on the pier, une sorte d'autoportrait, qui éclaire le reste de l'album et bien d'autres choses encore du singulier parcours de HFT.
En clair, Scandale mélancolique est un nouveau sommet dans l'œuvre de l'énigmatique jurassien.
Jean THÉFAINE, Chorus n°53, automne 2005.
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03/06/2024
Thiéfaine était à Besançon samedi et ce fut le feu !
"Instant délicieux, ne t'en va pas, tu es beau parce que tu meurs et que rien dans la suite des temps ne pourra prendre ta place, être absolument comme toi". Julien GREEN
En allemand, « jamais deux sans trois » se dit « aller guten Dinge sind drei », ce qui signifie que toutes les bonnes choses sont au nombre de trois. Guidée par ce dicton et par la désormais proverbiale phrase d'Oscar Wilde selon laquelle « les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais », j'ai ajouté Besançon au calendrier, juste après Paris et Reims. Trois week-ends en Thiéfainie, qui dit mieux ?
De chacun, il faudrait pouvoir extraire la substantifique moelle. La tâche n'est pas aisée. Le premier n'a pas ressemblé au deuxième, qui lui-même n'a pas ressemblé au troisième, lequel n'a pas grand-chose à voir avec le premier ! Vous me suivez ?
Ce samedi marquait notre entrée dans le mois de juin. Difficile à croire au vu de la météo, certes, mais si, vrai, on quittait le joli mois de Marie. Mais n'allons pas pour autant renoncer à nos envies ! Les miennes sont assez simples, en définitive : un peu d'allemand par-ci, un peu d'HFT par-là, et le tour est joué. Bref...
Samedi symbolique à plus d'un égard : entrée dans le mois de l'été, disais-je (si, si, il va venir), mais aussi et surtout : rencontre, en chair et en os, avec Sandrine, une quinqua que j'ai connue sur Facebook pendant la maladie, lorsque je traînais sur les pages consacrées à la leucémie, demandant « y' a quelqu'un ? ». Or, il se trouve qu'un jour, quelqu'une il y eut. Et ce fut Sandrine. Même leucémie que la mienne, même traitement, même combat. Il n'en fallait pas plus pour créer comme une sororité. Durant les longs mois que dura la maladie, Sandrine fut un modèle pour moi. Nous nous étions promis de nous rencontrer. Nous n'en avions encore jamais eu l'occasion. Celle-ci s'est présentée il y a quelques jours. Premier message de ma part, déjà un tantinet wildien : « Sandrine, ça te dirait de m'accompagner au concert que Thiéfaine donne samedi à Besançon, pas loin de chez toi ? ». En quelques clics, l'efficace Sandrine nous dégotait deux billets.
Et voilà que samedi, je débarquais dans son salon. Un peu émue, il faut le dire. C'est qu'on en a traversé des choses ensemble. À distance, certes, mais tout de même !
Je suis à l'aise, immédiatement. Le courant passe. Je parle à Sandrine comme si je la connaissais depuis soixante ans, bien que n'en ayant que cinquante. C'est dire ! Je crois au coup de foudre, en amitié comme en amour !
À 18 heures, nous partons pour Besançon. Nous retrouvons Brigitte. On papote un peu, on fait quelques emplettes à la boutique, et ça y est, il est temps de sonner la fête, on nous attend ! Sandrine et moi avons des places en gradins, mais également la ferme intention de rejoindre la fosse dès que possible ! Surtout que ça a l'air de vouloir bien s'amuser là-dedans : Brigitte nous explique que des cœurs rouges en papier ont été disposés sur tous les fauteuils, avec pour consigne de les agiter sur Narcisse et je ne sais plus quand encore. Bon, d'accord, c'est légèrement kitsch, mais on a tous nos côtés kitsch à un moment ou un autre de notre vie, n'est-ce pas ? Si, si, vous aussi, cherchez bien !
Droïde Song résonne puissamment dans la salle. Je souris discrètement quand Hubert s'emmêle les pinceaux dans ses statues. La première fois, il chante un truc étrange, du style « les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des vavues ». Hubert sans ses pinceaux emmêlés ici ou là, ce ne serait pas Hubert. Cela dit sans aucune cruauté car je nous mets, tous autant que nous sommes, au défi d'interpréter ses chansons en faisant un sans-faute ! Impossible, non ?
Je me dis quand même, du haut de ma place en gradins (j'aime pas tellement ça, mais bon, on a pris ce qu'on pouvait prendre), qu'Hubert et ses musiciens sont vachement petits. C'est que je les vois de loin, de trop loin à mon goût. Dès que retentissent les premières notes de Narcisse, j'invite Sandrine à me suivre dans la fosse. C'est l'appel des petits cœurs rouges, que voulez-vous ! Nous arrivons au milieu d'une foule incandescente, digne de celle de l'Olympia. Tous ces papiers rouges qui se promènent un peu partout, c'est peut-être kitsch, mais ça me fait quelque chose. Genre qu'on dirait à Hubert « vois un peu comme on t'aime ».
Moi, j'ai pas de cœur (enfin, pas de cœur rouge en papier, en tout cas), mais ça ne m'empêche pas d'avoir, comme toujours, la fougue chevillée au corps. Ou le corps chevillé à la fougue, je ne sais même plus dans quel sens il faut mettre cette charrue tant je suis subjuguée par ce qui se donne à voir sur scène. Jamais vu la sueur de Lucas d'aussi près, c'est la réflexion que je me fais dès mon arrivée dans la fosse. Ben ouais, les réflexions qu'on se fait à soi-même ne sont pas toujours de haut vol ! Je me dis aussi, et ça c'est mieux, qu'Hubert et ses musiciens sont vachement grands.
Parmi ceux qui sont restés assis, ça râle un peu car nous sommes toute une masse agglutinée devant la scène, à boucher la vue. J'avoue que je ne suis pas ultra fière d'infliger ça à des gens qui aiment Thiéfaine. Mais bon, qu'ils se lèvent, eux aussi, et le problème sera réglé, non ? Et puis merde, chacun sa merde ! On sait bien, quand on va voir Hubert en configuration assise, que ça va en démanger plus d'un de se lever au bout de trois minutes. Vieux, le public, mais pas grabataire. Peut-être aussi une légère phobie des strapontins, acquise à force de trop écouter une certaine chanson du même Hubert ?! Qui sait ?
En attendant, à Besançon en ce premier samedi de juin, ça tangue tous azimuts devant la scène. Et je suis dans cette immense bouilloire, et je contribue à ce que ça bouille (purée, je suis allée le chercher loin, ce subjonctif !) et je m'enivre des bouillonnements que je perçois autour de moi. Le bateau ivre, nous sommes le bateau ivre, rien que ça ! Il se passe un truc hyper fort. Le mot « orgie » me vient à l'esprit ! Non pas de silence et de propreté, l'orgie, mais tout l'inverse et en mieux. Les musiciens se donnent à fond. Finalement, ils suent tous comme Lucas, à grosses gouttes. La voix d'Hubert est limpide, belle et puissante. Campé devant le micro, il en impose. Quelle prestance et quelle présence !
De temps à autre, je me demande ce que va penser Sandrine, elle qui ne connaît de Thiéfaine que La cancoillotte et La fille du coupeur de joints. C'est que ce n'est pas œuvre à mettre entre toutes les oreilles. « Une p'tite canette, une p'tite fumette, une reniflette, une seringuette, une bonne branlette » (par ordre croissant, la p'tite canette procurant moins d'extase que la p'tite fumette, laquelle ne vaut pas, question trip, la reniflette, etc. Complétez vous-même !!!), comment va-t-elle prendre la chose ? Je lui pose la question. Tout ça l'amuse sans l'horrifier, ouf ! L'honneur est sauf. Tout de même, moi je dis qu'il y a des cours de chasteté qui se perdent par ici !
Groupie 89 Turbo 6 éclate notre novice. Elle trouve Hubert décidément bien guilleret lors de son interprétation. Un sourire coquin sur ses lèvres donne à penser qu'il y a sûrement de l'autobiographique là-dedans, mais cela ne nous regarde pas.
Le temps passe vite, trop vite, c'est vraiment un sale connard. Il engloutit cruellement chaque seconde. Combien de jours encore, bonne question... Cette chanson qui me transperce comme de bien entendu signe la presque fin du concert. Les interrogations qu'elle exprime me glacent. Dans ma tête, je me demande « Combien de concerts encore ? », celui-là étant pour moi le dernier de la tournée actuelle (qui s'étiole, qui s'étiole, sortez les mouchoirs). C'est grande tristesse et grande injustice. Soixante concerts et quelques et aucune trace de lassitude, et aucun soupçon de satiété ! J'en veux, j'en veux encore, comme dans la chanson d'Yves Jamait. Jamais assez d'HFT, jamais assez de cette folie qui m'a fait, en trois décennies, réviser presque tous mes départements. Voir du pays, quoi !
Hubert et ses musiciens reviennent. Au moment où démarre Mathématiques souterraines, je rappelle à Sandrine que c'est cette chanson-là qui m'a servi de boussole dans la chambre stérile. Ah, comme je les ai attendus, les ascenseurs au fond des précipices ! Les chœurs bisontins entonnent « pauvre petite fille sans nourrice » et il en émane une telle féminité, pour ne pas dire félinité, que j'en ai des frissons partout. Et voilà, ça y est, un concert de plus en moins, ou presque. Bientôt La fille du coupeur de joints unira dans son cri les cheveux blonds, les cheveux gris, et Besançon ira s'échouer sur les rives du souvenir. Les cœurs rouges ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et c'était beau. Et si le kitsch n'était qu'une question d'éclairage et se bonifiait du bon usage qu'on en fait ? Brandis simultanément et dans un même élan d'amour, je vous jure que ces cœurs avaient de la gueule !
Je sors de là abasourdie. Voir Besançon et mourir, j'en suis là...
Et si cette tournée était, comme nous sommes nombreux à le redouter, la dernière ? Et si ce soir j'avais vu Hubert pour la der des ders ? Arrière, pensées pourries qui m'obscurcissent l'âme et me la font toute chagrine et merdique !
Le lendemain, dans la voiture, je suis complètement bouleversée, je repense à tout ce que j'ai vécu. Sandrine, Hubert, tout ça. Les images se télescopent, je suis d'humeur grise, et ce n'est pas l'incessante pluie qui va me contredire.
Et soudain, une idée vient me transbahuter dans un monde meilleur : si je crie très fort et très longtemps « j'en veux, j'en veux encore », comme dans la chanson d'Yves Jamait, peut-être qu'une bonne fée m'exaucera, allez savoir. Un peu de clémence, de grâce ! Je veux croire aux contes de notre enfance. « Il était une fois un chanteur incroyablement talentueux qui s'apprêtait à fêter ses cinquante ans de scène »... Ainsi pourrait commencer un nouveau chapitre de l'histoire d'Hubert. Et là je dis : revoir Besançon et renaître !
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27/05/2024
Reims, la ville où Thiéfaine fut sacré roi samedi !
"J'écris. Je n'ai jamais connu d'autre habitation que la phrase à venir". Christian BOBIN
Hier le cœur au soleil, aujourd'hui le même cœur à l'ombre. Ainsi va la vie, n'est-ce pas ? Ce qui est pris est pris, bien sûr, mais le problème, c'est que ce qui est pris n'est plus à prendre. Loi immuable...
Retour au bercail après un week-end de folie. Un de plus, me direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Un de moins à vivre, on peut le voir comme ça aussi. Loi immuable...
Bref... Activons la machine à souvenirs, rembobinons.
Tout commence samedi après-midi, sur l'autoroute qui va de Metz à Reims. Je me sens comme le séminariste à moto de la chanson (j'ai bien dit à moto) avant qu'il ne percute de plein fouette un pylône garé en stationnement illicite. Toute guillerette, quoi, comme si je trimbalais le Saint-Esprit sur le siège passager. Dans le trafic autour de moi, des Allemands en veux-tu en voilà. Et moi, des Allemands, j'en veux toujours et toujours plus, ça tombe bien. Je me dis « beaucoup d'Allemands dans les parages, excellent, merveilleux présage », inventant pour l'occasion un proverbe qui ne dépassera malheureusement pas, je crois, ma sphère privée ! Oui, vraiment, tous ces Allemands qui en cachent d'autres, et puis d'autres encore, ça me fait dire que la soirée sera bonne. Que « la nuit promet d'être belle », car il ne faut pas oublier Jacques Higelin.
Je rejoins au centre-ville la joyeuse clique qui va dormir dans le même hôtel que moi. Nous sommes huit en tout, je crois. Il y en a que j'ai déjà vus, d'autres que je ne connais que via les réseaux sociaux. Nous venons d'horizons divers, mais quelque chose nous lie puissamment : une même passion pour l'œuvre de Thiéfaine. J'adore ces moments de retrouvailles, de communion.
On boit un verre, on fait un peu de tourisme dans la ville des sacres, et très vite il est l'heure d'aller à la salle Arena. C'est une étrange cohorte qui se déplace, chacun arborant fièrement un tee-shirt ou un sweat rappelant un certain HFT.
Il n'est pas 19 heures et nous sommes déjà dans la salle. Je discute à droite et à gauche, comme toujours. Je récolte des témoignages, j'écoute des histoires, je me rapproche de certaines sensibilités qui se donnent à voir dans des propos enthousiastes. Et je n'en reviens pas de trouver toujours, invariablement, la même ferveur autour d'Hubert. Entre-temps, Bételgeuse est arrivée et se joint aux conversations. Avec elle et une quinquagénaire dont nous venons de faire la connaissance (Annabelle), nous nous interrogeons : que vont devenir nos vies quand Hubert décidera d'arrêter les tournées ? Oui, je vous le demande : que deviendront les rêveurs que nous sommes quand le rêve sera fini ? Nous sommes trois à tout à coup contempler le vide. Difficile d'imaginer ça... Repoussons la chose et ancrons-nous dans l'instant présent, si riche et si beau. Dans pas longtemps, Hubert sera là, il convient de ne pas se laisser plomber. Jusqu'ici, tout va bien.
Le concert démarre. Il sera lui aussi amputé de Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir, de Whiskeuses images again, de 113ème cigarette sans dormir et de Redescente climatisée. Éternels regrets posés sur ces quatre lourdes absences...
Dès le début, nous sommes plusieurs à constater que le son a des ratés. Ce sera encore plus flagrant vers la fin, sur Soleil cherche futur, où tout nous sera livré en vrac ! Paroles et musique sont là, mais pas dans l'ordre habituel. Pas grave, nul ne se laisse démonter par les incidents techniques qui ponctuent la soirée. L'indulgence est de mise puisque tout est bien quand même, malgré ça. L'ambiance n'est pas mal non plus. Pas incandescente comme à l'Olympia, mais elle se défend convenablement. La semaine dernière, j'étais en plein dans le volcan, là c'est plus modéré, un peu comme si je ne faisais que réviser ma tendresse des volcans. Oh, c'est déjà pas si mal, me direz-vous. On a connu pire ! Tout autour de moi, ça danse, ça chante, ça jubile. De temps à autre, j'échange quelques mots avec mon voisin (fort sympathique au demeurant). Je suis bien placée : troisième ou quatrième rang dans la fosse et pas de grand pour me boucher la vue et me gâcher mon Hubert … que toute la salle sacre roi en ce samedi de mai où rien n'est plus urgent que de faire ce qu'il nous plaît de nos envies.
La sortie du public ressemble un peu à celle de l'Olympia. En moins bouillante tout de même. Mais des « oh oh oh oh oh oh » accompagnent la promenade vers le hall. Je suis avec mon voisin de concert. Nous rejoignons ensuite son groupe d'amis. Bételgeuse se joint à nous. Et nous allons boire un verre dans le centre-ville. Principal sujet de conversation, là encore : Hubert. Hubert et ses 75 ans, bientôt 76, et une énergie qu'on lui envie d'avance, nous qui ne savons pas comment nous serons dans deux décennies (si nous sommes encore !). Hubert et ses chansons qui nous transportent depuis si longtemps, les uns et les autres. Hubert et ce truc qui fait que même quand on l'a vu de nombreuses fois, on en redemande encore, encore, encore !
Je termine aujourd'hui ce récit commencé hier dans la plus grande fatigue ! Je ne suis guère plus en forme en ce lundi ! Ah, ça, pour sûr, je n'ai plus vingt ans, ni même trente, ni même quarante ! Un week-end comme celui-là, ça vous met à plat sa quinqua, il faut bien l'admettre ! Néanmoins, ladite quinqua se demande tout de même s'il ne serait pas souhaitable pour elle d'aller faire un tour du côté de Besançon samedi prochain, on ne sait jamais, des fois que l'océan se trouve au bout... Ma nouvelle devise ? Au nom d'Hubert, au nom du vice, au nom des rades et des mégots !
17:28 | Lien permanent | Commentaires (10)
25/05/2024
Jil Caplan au Long Way à Longwy...
"Quelque chose va venir
Quelque chose vient toujours
Le meilleur comme le pire
La surprise de l'amour". Jil CAPLAN
Ça se passe au Long Way à Longwy. Vous avez la subtilité du jeu de mots ? Pas encore ? Laissez infuser, ça va venir...
Voilà un lieu tout récent et déjà presque mythique. Comment le définir ? Pub rock ? Oui, quelque chose dans le genre. En tout cas pub où sont régulièrement organisés des concerts. Il paraît que le patron apprécie beaucoup Thiéfaine. La preuve : sur un mur, la pochette du vinyle Soleil cherche futur. Un peu plus loin, un espace appelé « le mur des bons », où l'on trouve une belle photo de l'ami Hubert. À côté d'un portrait de Robert Smith, entre autres. Les Cure, toute ma jeunesse ! Je les écoutais beaucoup à une époque où mon frère habitait à Longwy, justement. C'était dans les années 90. Longwy n'était alors qu'une ville éteinte qui se cherchait un futur dans les ruines de ses aciéries désaffectées. Tout le monde la trouvait moche et triste. Moi aussi, un peu, mais j'avais quand même de la tendresse pour elle. Ça m'arrive toujours avec les lieux qui n'ont pas eu de chance, je crois que ça me vient de mon expérience de l'ex-RDA !
Mais hier, en traversant Longwy, je fus plus qu'agréablement surprise : sauvagement surprise, dirais-je. Les anciennes usines ont été démontées et ont fait place à des espaces verts. Les fortifications ont été mises en valeur. Je reviendrai un jour, en touriste, c'est promis.
Mais ce soir, je suis là pour Jil Caplan. Elle et moi, ça commence aussi dans les années 90. Et ça commence avec sa voix, que je trouve belle, enveloppante, swingante. J'achète un album, À peine 21. Dans la chanson du même nom, ça dit « j'ai si vite grandi et je me sens tellement vieille, à peine 21 ça vaut plus le coup que j'essaye ». Ce pessimisme noir c'est noir il n'y a plus d'espoir me plaît, il faut dire que je patauge alors dans les mêmes eaux troubles. Je me nourris d'œuvres littéraires et musicales qui dépeignent le spleen dans de grandes largeurs anthracites. Je comprends qu'elles font plus que le dépeindre : elles le dépassent, elles le subliment, elles aident à moins claudiquer. Je n'ai pas encore croisé la route d'HFT, mais je suis lancée sur la bonne trajectoire, il n'y a plus qu'à patienter...
Mais pour l'heure, Jil Caplan. Démarre alors une longue histoire. Qui m'a menée jusqu'au Long Way hier. Et m'entraînera sans doute encore plus loin, ailleurs, je l'espère...
Jil Caplan, je l'avais déjà vue deux fois : chez Paulette en 2006 (je crois) et à Longlaville en 2018, peut-être bien. Chez Paulette, j'avais été estomaquée de la voir, avant le concert, arriver au bar avec son labrador noir. Qui, à un moment, avait même fini sur la scène ! Il paraît que Jil a toujours aimé les animaux en général et les chiens en particulier et que si elle devait créer un parti politique, il s'appellerait LPC, Liberté pour les Chiens. Voilà ce qu'elle nous dit, au Long Way, pour introduire la chanson Animal Animal, extraite du dernier album (que je vous recommande, comme tous les autres). Elle est accompagnée de sa complice Emilie Marsh, qui a composé les musiques de cet opus joliment intitulé Sur les cendres danser. Paru en septembre 2023, à un moment où j'avais, au sortir de la maladie, le sentiment de devoir moi aussi contempler des cendres, avec en tête un seul mot d'ordre : danser dessus.
Bref... Tout au long de la soirée, cet album est mis à l'honneur, et c'est tant mieux pour moi qui l'adore et l'écoute régulièrement en boucle. Je ne le connais pas encore tout à fait par cœur, mais ça va venir, c'est sûr. Que nous raconte Sur les cendres danser ? Qu'un jour les enfants grandissent et font de leurs parents des darons et des daronnes. Jil Caplan a tiré une chanson très émouvante de cette expérience troublante : Daronne. Qu'elle introduit avec humour : « On fait des enfants. Au début, ils sont tout petits et ils nous obéissent. On leur dit va au lit, et ils vont au lit. Ils nous disent je t'aime, maman. Et puis, un jour, on entre dans leur chambre et on les entend dire à quelqu'un, au téléphone : J'peux pas te parler, y'a ma daronne ».
Que raconte encore Sur les cendres danser ? La triste histoire de Virginia Woolf, des voix dans la tête, des pierres dans les poches pour être certaine de bien sombrer dans les flots où elle s'enfonce. Ça raconte aussi qu'être heureux, peut-être que ça n'existe pas. Et bien d'autres choses encore, que je vous invite chaudement à découvrir sans tarder, non mais !
Quelques chansons anciennes viennent ponctuer la soirée. Notamment un mémorable Tout c'qui nous sépare, le tube de Jil (son cylindre, comme elle dit), porté au Long Way par un public qui en connaît les paroles par cœur, ainsi que toutes les modulations. C'est beau à pleurer, ce chœur qui s'est formé spontanément dès les premières notes du morceau. Dans la série des anciens, il y a aussi Les deux bras arrachés (quoi de plus radical pour décrire l'absence ?), Natalie Wood, À la fenêtre, Des toutes petites choses. Je suis au deuxième rang et je ne me lasse pas de regarder Jil. C'est une des plus belles femmes que je connaisse. Elle a ce qu'on appelle du chien, et ce n'est peut-être pas un hasard, n'est-ce pas ?!
Après le concert, elle vient à la rencontre du public. Je prends mon courage à deux mains et j'exagère un peu en lui demandant de signer Le feu aux joues (son livre paru en 2022 aux éditions Robert Laffont) et l'album sur lequel il y a L'âge de raison, L'écrin, Les clés, Blanc, etc. Celui-là, je l'ai écouté des milliers de fois. Sur la première page du livret, ces mots d'Anaïs Nin : « Je marche au-devant de moi-même dans l'attente perpétuelle d'un miracle ». N'est-ce pas ainsi qu'il faudrait toujours marcher ? Parfois, les miracles se produisent. Comme hier au Long Way à Longwy. Être heureux, peut-être que ça existe. De temps en temps, par touches subtiles. Et fugaces, bien sûr, sinon ce serait trop beau et trop facile. Il faut savoir saisir ces touches subtiles et fugaces comme on saisit une balle au bond. Comme Jil Caplan saisit son tambourin et Emilie Marsh sa guitare : avec grâce et toujours au bon moment !
C'était hier au Long Way et je crois que je me suis pas trop mal débrouillée pour choper tout ça et m'en faire des souvenirs exaltants. Sur ce, on the road again, car aujourd'hui il y a Hubert à Reims, du soleil dans ma rue et un feu dans ma tête, comme dans la chanson de Jil Caplan !
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20/05/2024
A armes égales avec la lave et le magma !
"Comme la poussière, le temps tombe en petites miettes fines sur les meubles et sur mon cœur". Brigitte FONTAINE
Ne me cherchez pas en ce mai, joli mai, mois de Marie, car je suis bien décidée à faire ce qu'il me plaît de mes envies ! Est-ce ma faute à moi si celles-ci me ramènent si souvent à Hubert ?! Non, c'est sa faute à lui, d'abord. À peine un concert s'achève-t-il que j'ai besoin de me projeter dans le prochain pour ne pas déprimer. Je parlais justement de ce curieux phénomène à la sortie de l'Olympia, vendredi soir, avec deux jeunes dont la passion m'a émue. Lui, vingt-six ans, initié à Thiéfaine par son père. Elle, vingt-sept ans, tombée je ne sais comment dans le grand feu. Lui voyant HFT pour la vingtième fois, elle pour la cinquième fois. Là, je n'ai pas pu m'empêcher de frimer et d'évoquer ma soixantaine de concerts. Attendez, jeune homme et jeune fille, on ne peut pas avoir et la jeunesse et l'expérience. Il faut bien que vieillir offre quelques avantages, mince alors, c'est déjà assez cruel comme ça de devoir s'accommoder jour après jour des chairs tombantes, des yeux flétris, et autres implacables joyeusetés. La gravité est une sacrée salope, entre nous soit dit. Alors oui, j'ai cinquante ans, mais un palmarès que ces deux jeunes-là n'atteindront jamais, fussent-ils animés de la meilleure volonté du monde ! Non mais ! N'empêche que cinquante, vingt-six ou vingt-sept ans, c'est rien que du pareil au même : à peine tu quittes une salle de concert que tu mets déjà mentalement un pied dans la suivante, pour ne pas sombrer. C'est ce que m'expliquait la jeune fille vendredi. C'est ce que je me tue à répéter moi-même ici, depuis dix-huit ans !
Ça m'a fait quelque chose de voir ces deux-là. Lui, je le regardais régulièrement pendant le concert, car il se trouve qu'il n'était pas loin de moi. À aucun moment je n'aurais pu le prendre en défaut : il connaît toutes les paroles par cœur. Il écoute Thiéfaine depuis l'âge de huit ans. La classe. Et tous deux de s'extasier sur le mélange de générations auquel ils assistent à chaque fois qu'ils vont voir Thiéfaine... C'est peut-être moins flagrant qu'après Suppléments de mensonge, mais quand même. Et dire qu'un jour je fus comme eux, toutes risettes dehors... Émerveillée par le palmarès des plus âgés... Un jour, un de mes collègues m'avait dit : « J'écoutais Thiéfaine, t'étais même pas née ». Maintenant, voici venu mon tour de tenir ce genre de propos. Ma mère aimait citer Corneille : « On m'a vu ce que vous êtres, vous serez ce que je suis ». Ce n'est pas que j'en tire de l'amertume, non, mais une putain de nostalgie. Toutes ces choses qui nous filent entre les doigts, et cette vie qui passe comme une rivière, faut pas trop regarder l'heure (c'est la deuxième fois que je cite Capdevielle en quelques jours, il doit y avoir un truc, mais quoi, je ne sais pas)...
Donc, en ce lundi de mai, joli mai, mois de Marie, la nostalgie, camarade, anime ma plume comme souvent, plus souvent qu'à mon tour. L'Olympia, c'est fini. Ça ne reviendra plus. Et c'est fort dommage car ce fut un truc de malade. Sur cette tournée, jamais je n'avais vu une telle ambiance. D'habitude, il fallait attendre une bonne demi-heure avant que le dégel n'arrive au sein de la foule, mais là, mais là... Dès les premières notes de Droïde song, comme l'impression de flotter sur un volcan. Non pas sur, mais dedans. Pour tout bagage, l'incandescence. À armes égales avec la lave et le magma ! Très vite, je sens le sol onduler sous mes pieds. Pas besoin de danser, il le fait pour moi, mû par d'autres ardents. C'est une communion immense. Même mon voisin de derrière, pourtant roi de l'indélicatesse, est soudain mon semblable, mon frère, en ces circonstances exceptionnelles. À plusieurs reprises, il me donne des coups. L'un d'eux me fait plus mal que les autres. Je me retourne et je gueule : « Purée, ça fait mal ». Le gars ne me calcule même pas. En proie à une extase que je finis par trouver belle et touchante (ah ça oui, très touchante, encore plus au propre qu'au figuré). Pas grave, l'ami, reste accroché à ta transe, la mienne n'est pas mal non plus dans son genre. Simplement plus discrète et moins rentre-dedans !
Je crois que la folie qui agite le public galvanise et Hubert et ses musiciens. Partout, des bras levés, des mains qui tapent, des corps qui bougent (mesdames, quelques séances de rééducation périnéale ne nuiront pas, je pense !), des cordes vocales qui s'enflamment. Vers la fin, un type, devant moi, lance tout de go : « Hubert, nous on est Bretons et les Bretons aiment les Jurassiens » ! Ah, ben voilà un début d'explication pour mon cas clinique : c'est du côté des origines qu'il faut chercher...
La setlist est un peu rabotée. Dommage. On aurait aimé réentendre Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir (j'adore cette chanson et cette déclaration d'amour à rebours, je trouve que c'est assez génial d'aller dire ça à quelqu'un), Redescente climatisée, 113ème cigarette sans dormir et Whiskeuses images again.
Toujours des musiciens au top du top. Un Fred Gastard volontiers taquin. Il m'éclate. Il est non seulement virtuose, mais en plus incroyablement marrant, ce qui fait de lui un être éminemment sympathique. Oui, désolée, c'est mon chouchou.
Au début de Sweet Amanite Phalloïde Queen, Thiéfaine s'emmêle les pinceaux. Le pilote aux yeux de gélatine se crashe, le public rit et applaudit. Le pilote se ressaisit presque aussitôt, avec brio. De temps en temps, sur une ou deux chansons, un peu de yaourt, par-ci, par-là, mais rien de grave, docteur !
On arrive soudain à La fille du coupeur de joints sans avoir rien vu passer. C'est dingue quand même, ce que provoque cette ritournelle, en tout cas en moi : joie et tristesse mélangées.
La sortie du public est à l'image de cette soirée : délirante et volcanique. Des voix s'élèvent dans le hall et entonnent le refrain de La fille. Des bras promènent un drapeau franc-comtois. Même pas un drapeau breton pour rivaliser. Ben mince alors. La fierté bretonne ne serait-elle plus ce qu'elle était ?! Mais si, voyons : ne pas oublier qu'en plein concert, le type devant moi a exhibé ses origines à voix haute. Même que sa femme a eu un peu honte, elle me l'a avoué entre deux chansons. Je lui ai dit que je comprenais son mari, étant moi-même à moitié de son pays. Les origines qui vous remontent tout soudain, je connais, ça vous prend toujours au moment où on s'y attend le moins !
Donc, dans le hall, ça chante, ça danse. Un vigile se marre, il nous dit qu'il faut partir quand même, comme dans la chanson*. Il est presque gêné de nous demander ça, il voit bien qu'ici on aime faire durer, comme dans une autre chanson (pas de Françoise Hardy, celle-là). La joyeuse petite bande fredonnante ne se démonte pas et poursuit son récital sur le trottoir, secouant l'âme de Bruno Coquatrix qui, à mon avis, n'en est toujours pas revenue.
Mes filles me rejoignent alors (elles ne m'ont pas accompagnée au concert). Louise, voyant l'ambiance qui se prolonge délicieusement dans la rue, me dit : « Je regrette tellement de ne pas être venue ». Et ça, c'est peut-être le plus cadeau de cette soirée qui n'en fut pourtant pas avare...
*Partir quand même, Françoise Hardy.
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04/05/2024
Relire Hölderlin...
"Ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin". Hubert-Félix THIÉFAINE
Hier encore, j'étais à Tübingen, en Allemagne (il paraît qu'on dit Tubingue en français, mais ce n'est pas terrible). C'est une ville où j'étais déjà passée en coup de vent il y a quelques années. J'avais voulu y visiter la tour Hölderlin, mais elle était fermée, je ne sais plus pour quelle raison. Je m'étais promis de retourner là-bas. C'est chose faite.
Pendant cinq jours (c'est si peu), j'ai eu le plaisir de me promener dans une ville où la littérature tient une large place. De nombreux écrivains sont venus ici. Hermann Hesse y a été apprenti libraire. Goethe y a séjourné. Mais celui qui a le plus profondément marqué Tübingen n'est autre qu'Hölderlin, celui-là même que Thiéfaine évoque dans Les dingues et les paumés. Un « catalogue » où ce poète est plus que légitime. Il fut déclaré fou en 1806. On l'interna à la clinique du docteur Authenrieth à Tübingen, puis le menuisier Zimmer lui offrit l'hospitalité, dans une tour située sur le fleuve Neckar (toujours à Tübingen). C'est cette tour que je vous présente en photos dans le nouvel album qui orne ce blog. Elle a été reconstituée, elle fut détruite par un incendie cinq ans après le passage d'Hölderlin en ses murs. Celui-ci y vécut les 36 dernières années de sa vie. Il transforma très vite la pièce qu'il occupait en laboratoire d'écriture. Il l'arpenta de long en large durant de longues années, scandant régulièrement ses vers, pour voir un peu si une mélodie acceptable en sortait (cela rappelle le gueuloir de Flaubert). Ses poèmes, parlons-en : ils firent mon désespoir durant mes années d'études. Je n'y pigeais tout simplement que dalle (ni en allemand, ni en français). Je me souviens d'y avoir écorché mes neurones sans aucun succès. Galère. En revanche, l'homme me fut d'emblée sympathique. Sa vie nous fut présentée avec beaucoup d'empathie par un professeur que la littérature allemande faisait vibrer par tous les pores, ça se voyait. Plus tard, une autre prof nous dirait, à nous ses étudiants, que nombreux étaient les génies germanophones qui avaient fini par se suicider ou par sombrer dans la folie. Une sorte de marque de fabrique, en quelque sorte. Je venais de pénétrer sur un territoire de sables mouvants, peuplé des fantômes de Kleist, de Zweig et d'autres désespérés... Ce ne fut pas pour me déplaire. Le tout porté par une langue majestueuse. Si, si, je persiste et je signe : l'allemand est une très belle langue. Ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de ses accents toniques (un peu fiévreux, il est vrai, mais tellement « aussagekräftig », justement) me désolent. Disons qu'exprimer ce genre d'opinion devant moi n'est pas faire preuve de diplomatie... Bref...
Dans les jours qui viennent, je rassemblerai les informations que j'ai récoltées à Tübingen au sujet de ce pauvre Hölderlin à l'esprit embrumé, et je les mettrai ici. Avec quelques poèmes, en version bilingue. Vous me direz si vous y comprenez quelque chose ! Pour moi, c'est rien que du flou, mais je me laisse porter par la beauté des mots. Un peu comme si je me baladais en « Stocherkahn » sur le Neckar.... Doux souvenir de ces embarcations, à mi-chemin entre la pirogue et la gondole ! J'ai fait une jolie promenade sur l'une d'elles mardi dernier. Ah, que le temps file vite, mes amis ! « La vie passe comme une rivière, faut pas trop regarder l'heure », c'est le cas de le dire avec ce brave Capdevielle que je ne cite pas souvent ici !!!
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