Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/12/2024

Une lecture : Le Déversoir, d'Arthur Teboul

"Nous déplorons si souvent que la poésie ait déserté le champ du quotidien qu'il nous revient de l'y ramener". Arthur TEBOUL

 

J'ai toujours aimé la poésie. Les mots, je ne sais pas pourquoi, ça me fait des trucs puissants dans tout le corps et l'âme, et ce depuis l'enfance. Ma mère aimait à me répéter que quand j'étais petite, je pleurais à chaque fois qu'elle me récitait « La biche brame au clair de lune », un poème de Maurice Rollinat. C'est que, par le pouvoir des mots, je me fondais totalement dans le chagrin de la biche. Ce chagrin, il devenait le mien. Je devenais la biche elle-même. C'est sûr que ce genre de tempérament ne pouvait pas donner naissance à une mathématicienne ! Je crois que je suis tout sauf cartésienne et ce n'est pas grave, c'est l'intention qui compte. En ce qui me concerne, l'intention n'est pas à son comble, dirons-nous. Je me sens comme cet « homme énigmatique » dont parle Baudelaire dans les Petits poèmes en prose : « « J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas...là-bas...les merveilleux nuages ! ». Et je ne me soucie pas de leurs noms, pourtant diablement poétiques. Je sais qu'ils finissent tous en « us », mais ça ne va guère plus loin.

Et donc, avec ce tempérament, je ne peux qu'adhérer au « plus secret espoir » d'Arthur Teboul, à savoir qu'un jour, peut-être, « entre le sandwich et le café », on pourra, dans un lieu dédié, aller se faire faire un poème, « comme on va se faire faire les ongles ». Arthur Teboul a même donné corps à cet espoir : en mars 2023, il a ouvert, à Paris, un cabinet de poèmes minute, le Déversoir. Pendant une semaine, du matin au soir, il a accueilli des visiteurs désireux de se faire tailler un poème sur mesure. Comme j'aurais adoré être de ces chanceux ! Mais on ne peut pas être partout, et c'est ailleurs que je suis allée ramasser du lyrisme. Parfois, j'ai même tenté de le faire entrer dans mon appareil photo. Je crois tellement à la magie de la poésie que depuis l'adolescence, je dors entourée de livres de poèmes et de portraits de poètes. Cet été, quelle ne fut pas ma joie lorsque, bien avant de déposer mes casseroles et autres ustensiles sans grande importance dans mon nouveau chez-moi, j'installai, près de mon lit, ma bibliothèque de poésie, ornée d'un portrait de Baudelaire. Je dors en somptueuse compagnie, c'est moi qui vous le dis ! La présence de cette bibliothèque tout près de mon sommeil me rassure. Depuis mon oreiller, il me suffit de tendre la main et hop, me voilà augmentée d'un recueil de poèmes. Ça peut être Louis Calaferte, ça peut être Claude Roy. Mais j'aime aussi Philippe Jaccottet, Jean-Claude Pirotte, Guy Goffette, Paul Valet, Charles Juliet, Georges Perros, ou Reverdy, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire (bien sûr, bien sûr), Aragon, Éluard, ou encore Lamartine pour pleurer sur ce fichu temps qui, malgré toutes les supplications du monde, ne suspendra jamais son vol !

C'est un peu comme si, dans ma chambre, je m'étais fabriqué mon petit déversoir rien qu'à moi. Car lire de la poésie me permet de me délester de mes fardeaux. Il m'arrive aussi d'écrire des poèmes, mais ça c'est top secret, je ne les publie jamais nulle part, c'est un dialogue avec moi-même et nul autre.

Hier, étant donné que mon grand week-end venait de commencer et que je m'étais mise à jour dans mes préparations de cours et corrections de copies, je me suis payé un luxe incroyable : après avoir bu mon café, je suis allée me recoucher, avec le livre d'Arthur Teboul, Le Déversoir, justement. Et je m'y suis enfouie comme on plonge dans de délicieux abîmes. Ça ressemble à de l'écriture automatique, avec des passages sibyllins dans lesquels on peut faire entrer ce que l'on veut, de sa propre expérience, de sa propre façon d'accueillir le monde. Et c'est grande liberté qui vous est offerte soudain sur un plateau, et ce n'est pas si fréquent. C'est comme avec certaines chansons de Thiéfaine : personne n'en a vraiment la clé, et ça ouvre sur tous les possibles imaginables, voire inimaginables. J'adore ça !

Et puis, parfois, dans Le Déversoir, de magnifiques fulgurances. Comme celle-ci, qui m'a accompagnée toute la journée, hier : « Ce qu'on s'autorise à espérer

Prend racine quelque part ».

Et aussi : -« J'aimerais bien revenir en arrière, là où prolifère la rosée du matin »,

-« Retourne à tes affaires sensibles car demain tu ne sais pas s'il faudra vivre ou mourir »,

-« Lumière et sourire sont de la même étoffe pour qui sait toucher ».

Ou encore, à propos d'un poème que l'auteur a égaré : « Je l'aimais beaucoup. Évidemment je l'aime encore plus depuis que je l'ai perdu » (et cela vaut pour tout, même pour les êtres, n'est-ce pas, avez-vous remarqué ?).

 

Moi aussi, mon cher Arthur (est-ce hasard si vous portez le même prénom que Rimbaud ? Ça m'étonnerait !), je crois à la magie de la poésie et je suis certaine qu'un monde rempli de déversoirs où l'on pourrait venir se faire faire un poème à toute heure du jour (et même de la nuit, tiens) serait un monde plus joyeusement habitable.

En attendant qu'il advienne, ce monde (je crois que ce n'est pas demain la veille, mais bon, comme l'écrivait Aragon, « il est permis de rêver. Il est recommandé de rêver »), je vais aller me recoucher, un recueil de poèmes à la main !

01/12/2024

Par un dimanche de grisaille...

"J'ai eu des périodes d'interrogation avant l'âge de dix ans. Je passais de longues heures à me demander à quoi servait la vie et ce que je foutais là. Je n'aimais ni l'école, ni l'existence. Donc très tôt, j'ai commencé à être désespéré". Hubert-Félix THIÉFAINE (Voilà qui me rappelle étrangement quelqu'un, ou plutôt quelqu'une !!!). 

 

J'ai passé une partie de la semaine qui vient de s'écouler à regretter amèrement de ne pas être allée dire à Nikola tout le bien que j'avais pensé de sa prestation avant Grand Corps Malade, puis aux côtés de celui-ci. Je me doute que cela n'aurait pas changé la face du monde, ni la vie de Nikola. Bien sûr que non, je ne suis pas prétentieuse à ce point-là. Mais tout de même. J'aurais dû, j'aurais pu. Pourquoi ne suis-je pas allée voir Nikola après le concert ? Parce que je ne voulais pas embêter mon amie Stéphanie qui m'accompagnait ce soir-là. Elle voulait rentrer assez vite et je me suis dit « tant pis ». Alors que je devrais savoir que les « tant pis », chez moi, tournent souvent au vinaigre de l'obsession. Bon, pas grave, passons... Je vais surveiller le brave Niko et je me promets d'aller le revoir en concert. Et d'aller lui dire quelques mots juste après. Je l'ai fait écouter à mes filles et elles ont bien aimé. Voilà donc une idée de sortie commune, et il faut savoir en apprécier la perspective, le suc non encore advenu. N'ai-je pas déjà écrit mille fois ici à quel point attendre me ravissait, et peut-être plus que l'attente comblée ? Je pourrais écrire des pages et des pages sur le sujet. Attente comblée veut dire plus d'attente. Un pan de la magie s'écroule dès lors que le désir embrasse son contentement ! Il arrive aussi, je suppose, que le contentement embrase le désir, mais, comme aurait dit Gary, je ne suis pas cinéphile à ce point-là ! Ce genre de truc, ça n'arrive que dans les films où l'eau de rose coule à flots comme une conne.

Me voilà philosophe ou quoi en ce dimanche de grisaille comme la Lorraine sait si bien en pondre à la pelle dès qu'arrive l'automne ? Bon, mais la grisaille ne me cueille pas toujours fâchée au réveil. Parfois, elle m'incite juste à rester chez moi, à lire, à écrire, à écouter de la musique.

Ce qui fait que j'ai passé une autre partie de la semaine à m'imprégner du double CD Unplugged, sorti le 15 novembre. Depuis le 22 du même mois, tous les vendredis j'y pense et je me dis : « Il a déjà une semaine, il a déjà quinze jours ». Oui, je suis comme ça, j'ai comme qui dirait un calendrier à la place du cœur !

Il y a quelques heures, en écoutant Je t'en remets au vent, j'ai eu une sorte de révélation : cette chanson, comme un cordon ombilical... Explications : ma mère aimait beaucoup Je t'en remets au vent. J'ai déjà raconté ici le coup de la cassette qu'elle s'était faite, avec je ne sais combien de fois ce morceau sur la face A. Pour s'en enivrer à son gré, sans avoir à rembobiner régulièrement le flacon source d'ivresse ! J'ai écrit « ma mère aimait beaucoup Je t'en remets au vent ». Je crois que j'aurais été plus proche de la vérité en écrivant que de toute la discographie de Thiéfaine, ma mère n'aimait réellement que Je t'en remets au vent ! Il ne faut pas lui en vouloir (à ma mère, s'entend), elle avait été bercée par des chansons plus sages, plus conventionnelles. Un moment, je pensai que La dèche, le twist et le reste pourrait l'émouvoir, mais la « masure bidon », le « vol plané à deux mille » et toute cette anthologie du malheur, non, très peu pour elle, c'était trop éloigné de son univers.

Plus tard, en lisant la biographie que Sébastien Bataille a consacrée à Thiéfaine, je devais apprendre que Je t'en remets au vent reliait, d'une certaine manière, le chanteur à sa mère : « Je t'en remets au vent est la seule chanson du catalogue officiel qu'Alice aura entendue, raison pour laquelle ce morceau revêt depuis une dimension affective particulière pour lui ». Quelle ne fut pas ma stupéfaction en voyant s'étaler, noir sur blanc, à la page 57 de ladite biographie, un de ces hasards objectifs chers à André Breton !

Chose encore plus dingue : un jour que j'étais en voiture avec ma fille Louise, elle me confia que Je t'en remets au vent était sa chanson préférée du répertoire d'HFT. Lorsqu'elle me dit que la bouleversait particulièrement le passage « à mettre sa vie en musique, on en oublie parfois de vivre », je ne cachai ni mon émotion, ni ma grande fierté. Comme c'est chouette d'avoir une ado qui vous dit ça (et même pas sous la torture, je vous le promets). J'expliquai à Louise combien cette chanson était à jamais liée à ma mère et combien j'aurais désormais l'impression que Je t'en remets au vent était un pont qui nous unissait magiquement toutes les trois, elle, ma mère et moi. Ce qu'une œuvre peut faire, n'est-ce pas ? 

 

Voilà. C'est tout ce que j'avais à dire en ce dimanche de grisaille. Je t'en remets au vent ou une histoire de cordon ombilical...

24/11/2024

Grand Corps Malade à la Rockhal hier soir : y être était une splendeur !

"J'ai atteint cet âge où je me dis que la télé c'était mieux avant... que le rap c'était mieux avant... que moi c'était mieux avant". Grand Corps Malade

 

Voilà un automne flamboyant. Moi qui hais novembre, je peux dire que celui-là dépasse toutes mes inespérances. Je n'en attendais rien et il m'offre tant... Un magnifique double CD de la tournée Unplugged, le dernier Cure, des concerts. Sans oublier tout ce que je ne dis pas ici ! 

 

Hier, Grand Corps Malade était à la Rockhal, à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg. Et moi aussi ! En un décor à la Soleil cherche futur : la salle de concert se trouve en effet en face de hauts fourneaux qui rappellent un jamais plus sidérurgique, comme d'autres endroits de l'autre côté de la frontière, en Lorraine. Ce n'est pas beau, et pourtant ça a de l'allure, ça a un je ne sais quoi de troublant et d'envoûtant. J'adore les lieux comme ça, âpres, pas faciles à apprivoiser. C'est mon spectaculaire à moi.

 

La dernière fois que j'ai mis les pieds à la Rockhal, c'était pour les débuts de la tournée Scandale mélancolique, d'HFT. Et je vous saurais gré de ne pas dire « voilà qui ne te rajeunit pas », ce serait pure indélicatesse (indigne de vous de surcroît). Et moi, l'indélicatesse, j'aime tellement pas ça que j'ai envie d'y coller des battes de baseball dans la tronche, non mais ! Vous n'iriez tout de même pas jusqu'à insinuer que je me fais vieille, n'est-ce pas ? D'ailleurs, Grand Corps Malade, lui, a la délicatesse de dire que c'est pas de la vieillesse, mais de la sagesse. Alors prenez-en de la graine, svp. Je trouve que je suis sacrément sage, purée, je m'épate de jour en jour avec cette sagesse qui n'en finit pas de s'étoffer !

 

Le concert est annoncé pour 19h. Or, à 18h58, nous sommes encore en train d'attendre dans le froid, mon amie Stéphanie, moi-même et quelques autres. La dame qui est dans la file derrière nous nous dit qu'elle est frigorifiée (nous le sommes tous) et que si les portes ne s'ouvrent pas à 19h tapantes, elle décédera, sans autre forme de procès, là, sous nos yeux hagards. Elle est comme une Cendrillon en mal de carrosse à l'approche de minuit. Elle me fait peur. Qu'elle décède là, sous nos yeux hagards, serait, comme dirait l'autre, ballot. Ah, ouf, les portes s'ouvrent. Il est 18h59. À 19h, Cendrillon pénètre dans le hall. Elle ne mourra pas ce soir. Je vous dis que ce mois de novembre est drôlement méritant !

 

C'est un certain Nikola qui assure la première partie de Grand Corps Malade. Il arrive sur scène à 20h. Moi qui pensais que la soirée démarrerait à 19h et qu'avant minuit j'aurais enfilé mes charentaises et descendu une petite tisane estampillée nuit calme, je remballe mes rêves de tranquillité quinquagénaire (j'avoue que j'aime de plus en plus les concerts qui commencent à 19h !). Pas grave, il y a mieux à faire que dormir en ce samedi 23 novembre !

 

Nikola a une incroyable présence sur scène. Comme Grand Corps Malade, il manie les mots avec une admirable dextérité. Sa voix est puissante, elle vous résonne dans le corps. Ses textes ne sont pas absolument jouasses, mais de ce point de vue, rien ne saurait effrayer une fan de Thiéfaine, n'est-ce pas ? D'ailleurs, je crois que j'ai un problème avec les chansons trop joyeuses. C'est comme une tisane nuit calme : c'est bien joli, mais ça ne sert pas à grand-chose. Enfin en ce qui me concerne. Chacun fait bien ce qui lui plaît.

 

Mais moi, ce que j'aime, c'est qu'on me parle de défaites plutôt que de fêtes. De flèches qui manquent leur cible. De gens qui se prennent les pieds dans le tapis et se vautrent sur le plancher. Question d'affinités. Ça ressemble plus à mon vécu.

 

Dès les premières secondes, je me demande pourquoi j'ai relégué pendant si longtemps Grand Corps Malade dans de sinistres oubliettes. J'ai parfois de ces malencontreuses infidélités... La dernière fois que j'ai vu cet artiste sur scène, c'était en 2008, et je vous saurais gré de ne pas vous exclamer lamentablement : « Voilà qui ne te rajeunit pas ». L'indélicatesse, vous savez ce que j'en fais !

 

Grand Corps Malade nous dit que nous, public, nous lui ressemblons. Que nos histoires sont un peu les siennes. Et inversement (donc, que ses histoires sont un peu les nôtres, si vous avez suivi). Que nous sommes, en quelque sorte, son reflet. Comme il est le nôtre. Nous allons être face à face comme des miroirs, le temps du concert. Oh, mais trop bien !

 

Au fil de la soirée, je redécouvre une œuvre riche, dense, multiple. Des chansons défilent où il est question du temps qui passe, de la protéiforme et cosmopolite Saint-Denis, de l'enfance. De tout ce qui constitue une vie, avec ses splendeurs et ses misères. Des frissons me parcourent régulièrement le corps. Faut dire que je suis un peu sensible. Et que le vécu de Grand Corps Malade est, en effet, comme un reflet du mien. Les enfants qui grandissent trop vite, je connais. La sagesse qui n'en finit pas de s'étoffer : même constat. L'urgence qui réside dans l'instant présent : idem. « Remettre à aujourd'hui ce qu'on pensait faire demain », chante GCM. Voilà une formule qui me sied comme un gant et que je vais faire mienne, tiens ! En fait, je l'ai déjà intégrée à ma vie depuis un certain temps, mais je n'aurais pas su le dire comme ça, si chouettement. C'est un reflet sacrément doué que j'ai en face de moi ce soir. Comme une meilleure part de moi-même. Je m'en sens grandie, carrément.

 

Là où je ne peux suivre Grand Corps Malade malgré ma bonne volonté, là où mon reflet a ses limites, si vous voulez, c'est quand il nous parle de l'amour totalement dingue qui l'unit à sa femme. 20 ans d'amour, c'est l'amour fol, chantait Brel. Bon, ben moi, déjà cinq jours, je trouve que ce n'est pas si mal. Je ne peux accompagner GCM dans ces merveilleux méandres qu'il nous dépeint, la rencontre comme une évidence, un premier baiser échangé à Deauville et dont le souvenir ricoche dans chaque nouveau baiser, oh yeah. Ouah, respect ! Je ne peux suivre, je ne peux comprendre, mais j'admire. Et, quelque part, je jalouse, je l'avoue. Comme ça doit être top d'être la femme pour qui un homme a écrit Je serai là ou Dimanche soir ! Comme ça doit être top d'être celui qui a pondu ça pour une femme ! Voilà des déclarations qui ont de la gueule ! Rien à voir avec ce triste épisode de mes années collège où mon amoureux de l'époque me remit, ému, un poème. Ça s'appelait Barbara et sortait tout droit d'un recueil de Jacques Prévert. Le mec claironna qu'il avait écrit ça pour moi. Il croyait que je n'y verrais que du feu (en plus, je ne m'appelle même pas Barbara). Je fus furax et le lui dis, après quoi je rompis. Non mais, espèce d'imposteur de mes deux si j'en avais ! Voilà le genre de déclaration que je reçois depuis l'adolescence. Ça décourage... Grand Corps Malade, dans une chanson, nous explique qu'en fait un homme, c'est toujours pris dans un triangle infernal qui cafouille pas mal : la tête, le cœur et les couilles. Ah, ben voilà le fameux mode d'emploi que je cherchais ! Ça explique bien des choses. Et bien des déconvenues !

 

Bref, pour en revenir au concert : j'en suis sortie scotchée, bouleversée, transcendée. En plus, Grand Corps Malade a beaucoup d'humour. Et des musiciens du tonnerre. Qu'il sait honorer régulièrement, comme il honore les techniciens (tout ce petit monde finira sur scène à la fin de la soirée).

 

Dans la foulée, avant de quitter la Rockhal et de rejoindre mes charentaises, j'ai acheté l'album Plus de reflets au merchandising. Parce que moi, des reflets comme ceux-là, il est clair que j'en veux plus !

15/11/2024

Unplugged : ça y est, c'est là !

"Et c'est le soleil qui fait éclore la rose, puis la meurtrit". Hector BIANCIOTTI

 

Prière de ne pas déranger. Et, pour les urgences, tant pis, vous repasserez plus tard. Car, pour l'heure, je ne connais qu'une seule et unique et merveilleuse urgence : écouter Unplugged de Thiéfaine. Le mettre à fond dans le salon et m'enivrer de tous ces sons, de tous ces mots. Tant et si fort que je redoute que mon voisin ne débarque, un flingue à la main. Pas grave, je ne répondrai pas, je vais carrément mettre un écriteau sur ma porte pour que le message soit plus clair encore : Je n'y suis pour personne, est-ce bien compris ? Enfin, si, je n'y suis à vrai dire que pour un seul homme : HFT ! Donc, mon voisin et son possible flingue peuvent aller se rhabiller, coucouche panier, je ne répondrai pas, même sous la menace d'une impressionnante gâchette !

D'ailleurs, mon voisin est un type très bien qui n'a sûrement pas de flingue... Et qui, si j'insistais un peu, se mettrait à adorer Thiéfaine, j'en suis sûre !

 

D'abord, ouvrons l'objet sacré et voyons un peu comment il se présente. Je tourne frénétiquement les pages du livret, puis je me ressaisis : Vas-y mollo, ma grande, y'a pas le feu au lac. Sur la photo du public, je pars à la recherche de visages amis. Et n'en trouve aucun. Et ne trouve que ça. Parce que tous ceux qui aiment Thiéfaine sont mes amis, c'est comme ça.

Soudain, le visage le plus ami de tous, celui d'Hubert, me bouleverse. Quelle puissance dans le regard, quelle aura, quel charme ! Souvenir de mon passage dans les loges de Saint-Dizier et du moment où ce regard-là se planta dans le mien (et là, je crus que j'allais défaillir). Bref... Mais ça c'est une autre histoire et c'était de toute façon pendant la tournée suivante, Replugged.

 

Ensuite, mettons l'objet sacré dans la chaîne. Et laissons infuser. Ouah, comme c'est bon, j'avais presque oublié (non, je déconne, faut pas exagérer quand même). Cette entrée en matière sur La ruelle des morts, comme elle était surprenante, inattendue, évidente !

Dans mon salon et grâce au volume démentiel que j'y ai foutu, les instruments déploient à tour de rôle ou ensemble leur ampleur. J'adore les orgies de saxo sur Demain les kids et Page noire. Et j'avais oublié (vraiment oublié, pour le coup) à quel point j'aimais le violoncelle. Et l'harmonica. Je me délecte de la version des Dingues, toute en délicatesse d'abord, puis glissant tranquillement vers l'agitation à tous les étages.

 

Soudain, retentit la magique Vendôme Gardenal Snack, que j'ai pris soin d'écouter assise en tailleur, en face de la chaîne, pour que la communion soit plus intense. Ah, ça, pour intense, elle est intense ! Je me mets à pleurer, j'ai des frissons partout. C'est une de mes chansons préférées. Les paroles sont renversantes. Rien que le début : « Tu traînes dans mes nuits comme on traîne à la messe quand on n'a plus la foi et qu'on ne le sait pas ». Je me souviendrai toujours de l'effet que me firent ces mots-là il y a trente-deux ans, quand je traînais dans toutes sortes de nuits qui me rejetaient au petit matin... Je souris tout de même au milieu de mon débordement lacrymal : au moment où Hubert chante « je ne fais que passer, je n'aurai pas de rides », je repense à ce beau moment en terrasse, à Reims, avec Bételgeuse. C'était également sur la tournée Replugged. Il n'y a pas si longtemps...

 

Je repense à tous les moments forts de la tournée Unplugged. Le concert au Grand Rex, la discussion qui avait suivi avec ce couple qui n'en finissait pas d'écarquiller les yeux au récit de ma phénoménale passion. Et moi de me répandre impudiquement, mettant sur la table mon addiction de grosse camée, oubliant les convenances, et oubliant l'heure (c'étaient mes filles qui m'avaient rappelée à l'ordre).

Le concert à Thionville avec ma fabuleuse amie Stéphanie, habillée rock'n'roll pour l'occasion. Le retour dans la voiture, elle totalement conquise par ce qu'elle venait de voir et d'entendre, moi me frottant les mains de plaisir à l'idée d'avoir fait une adepte de plus (oui, j'ai un petit côté prosélyte tout à fait assumé !).

Le concert à Neuves-Maisons. Le sandwich avalé à toute allure dans la voiture, la discussion avec Étienne sur le parking, les retrouvailles avec Stéphane, celui qui avait proposé de m'emmener à Bercy en 1998 (et j'avais refusé : la nouille, mais la nouille ! Regrets éternels à poser sur cette omission comme sur le marbre d'une tombe).

Le concert à Sausheim, ajouté, telle une folie, au dernier moment (deux jours après celui de Thionville). Le retour en voiture avec ma fille Clara. Moi m'exclamant : « Merde, j'ai oublié de faire ma leçon d'anglais sur Duolingo, on peut la faire maintenant ? Tu écris à ma place ». Et elle ne comprenant rien à ce que je lui dictais et me faisant perdre mes cinq vies d'un seul coup d'un seul...

 

Six mois plus tard, c'est en vrai que je perdais cinq vies d'un seul coup d'un seul. La tournée Unplugged est celle qui a clairement mis une frontière dans mon existence, y plaçant à jamais un avant et un après. Comme il a raison, Hubert : parfois, la vie nous laisse peu de choses auxquelles nous raccrocher, il faut des rêves solides pour ne pas sombrer.

 

Dans la chambre stérile, moi, j'avais plusieurs rêves solides. Et je les avais tous écrits. Vrai de vrai. Quelque part, sur la liste, il y avait : « revoir Thiéfaine en concert ». C'est chose faite et c'est incroyable. Et c'est même à mettre au pluriel : ce sont choses faites (!), plus d'une fois et plus souvent qu'à mon tour, nananère ! Comme sur l'appli Duolingo qui a la gentillesse de te refiler des vies le lendemain du jour où tu les as perdues, j'ai ressuscité et je n'en finis pas de jouir puissamment de cette résurrection !

 

Bon, avec tout ça et pour en revenir au double album que j'ai en ma possession depuis quelques heures, je me demande pourquoi nous avons été privés de La queue, Ad orgasmum aeternum et de La fille du coupeur de joints. Pour cette dernière, ma fille Louise a proposé une explication. « C'est vu et revu », m'a-t-elle dit tout à l'heure, à table. Oui, mais même si c'est vu et revu, moi je la voulais quand même. Ça sent la version expurgée, là ! Bon, pas grave, c'est divinement bon malgré ces trois absences.

 

Et puisque j'ai récupéré cinq vies, je réclame cinq tournées à venir, rien que ça ! Pour rattraper le coup de la version expurgée !!!

09/11/2024

Une rencontre ... pour la vie !

"Kanntest du das auch, dass man morgens aufwacht und ein ganz andrer ist als tags zuvor ?... Die andern merken es nicht, aber man selber weiß es ganz genau". Luise RINSER

 

Mes chers amis, me voilà dans une phase hallucinante d'écriture dévorante ! Tous les jours, je noircis des pages et des pages, comme "au temps de ma jeunesse folle". Je retravaille des textes, j'en ponds d'autres, dans le but, cette fois, d'aller jusqu'au bout d'un rêve pas encore réalisé : publier un petit recueil rassemblant ces textes. Il y aura des pages consacrées à HFT, bien sûr, mais pas seulement. Voilà un truc qui me porte à donf ! 

Ce matin, j'ai retrouvé un texte évoquant ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Je l'avais sûrement déjà publié ici, mais sans doute sous une autre forme. Je ne sais plus. En tout cas, je vous le livre ci-dessous. Quant à vous, n'hésitez pas à me dire, dans les commentaires, comment vous avez découvert HFT, et comment cela a bouleversifié votre vie ! 

 

Donc : 

 

Une rencontre … pour la vie !

 

Je découvre Thiéfaine trois ans avant le concert de Sarreguemines (mon premier concert d'HFT). Plus que d'une découverte, il s'agit d'une rencontre. D'un uppercut dans la bobine, oui ! D'un coup, je vais apprendre que plus rien ne sera jamais comme avant. Je me lève un matin, comme ça, l'air de rien, dans ma routine, sans savoir qu'au terme de la journée je ne serai plus la même. Carrément.

 

Mais, avant l'uppercut, il y eut de très nombreux méandres.

 

Petit retour en arrière : nous sommes en 1988 et je suis en troisième. J'ai le même prof de maths depuis la sixième. Il comprend très vite qu'il ne pourra jamais, au grand jamais, en dépit de ses efforts admirables frisant l'héroïsme, me réconcilier avec la matière qu'il enseigne. Je suis depuis toujours fermée à triple tour aux théorèmes de Thagore et de Pythalès. Je ne suis pas plus ouverte aux équations. La géométrie me donne de l'urticaire. Pour sûr, les parallèles ne me rencontreront jamais ! En un mot comme en cent : je ne pige rien à cet univers. Il paraît que c'est une langue. Moi qui en parle plusieurs aujourd'hui, je n'ai jamais réussi à déchiffrer celle-là. À peu près tous mes profs de maths se sont cassé le nez à vouloir m'expliquer des trucs parfois relativement simples (sauf le merveilleux monsieur D.). C'est que je n'avais aucune logique. En tout cas pas celle qu'il faut avoir pour entrer dans l'essence des mathématiques. Enfant, déjà, j'appelais ça les « mathématires », c'est dire ! De « mathématires » à « mathémartyre », il n'y a qu'un pas. Voilà l'affaire promptement résumée : durant toute ma scolarité, les maths furent mon martyre. J'en conçus d'abord un véritable complexe, puis je finis par brandir avec fierté ma nullité. Être une bille en maths, quand j'étais en 1ère littéraire, c'était à mes yeux la preuve qu'on était quelqu'un de bien ! Je sais, c'est réducteur, et je ne vois plus les choses de la même manière. N'empêche que tout individu m'expliquant que les maths furent le cauchemar de sa scolarité m'est d'emblée sympathique, c'est plus fort que moi ! C'est soudain tout un faisceau de traumatismes qui nous unit. Et ça, ça crée des liens très forts. D'ailleurs, au passage, j'en profite pour dire que Thiéfaine lui-même n'a jamais été à l'aise avec les maths. Il paraîtrait même que s'il sème des nombres un peu partout dans ses chansons, et plus encore dans les titres, c'est par pure vengeance. Fermons la parenthèse anachronique. Car, pour l'heure, dans mon récit en tout cas, je suis au collège et 1) nulle en maths (on l'aura compris), 2) totalement ignorante de l'existence d'Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Monsieur B., mon prof de maths, n'abandonne pas tout de suite. Il a la foi du charbonnier. Mais moi je lui oppose quelque chose de plus fort encore que la foi du charbonnier : mon imperméabilité. Pas la peine de t'obstiner, mec, je suis à jamais perdue pour la science. Je flirte trop, depuis l'enfance, avec les poètes qui traversent le monde un brin d'herbe à la bouche. Mon refuge, ce sont les mots. Les problèmes de robinets qui fuient jusqu'à en faire perdre des hectolitres à leurs pauvres propriétaires, je m'en soucie comme d'une guigne (ce n'est pas moi qui banque lorsque la facture arrive). Je pense qu'au lieu d'essorer les neurones de pauvres gamins en leur demandant de calculer quelle va être l'abominable perte que subiront lesdits propriétaires, il aurait fallu d'emblée appeler un plombier, un point c'est tout ! Et pour ce qui est des trains qui se rencontreront à telle heure compte tenu de leurs vitesses respectives, ça me crispe parce que ça ne laisse aucune place à la magie des aléas : et si le train devait s'arrêter brusquement dans sa course pour laisser passer un poète distrait qui traverserait la voie un brin d'herbe à la bouche ? Et si c'était le conducteur lui-même qui était distrait parce qu'amoureux ? Et si, pour cette splendide raison, il oubliait de partir à l'heure ? Vous y avez pensé, à ça, messieurs ou mesdames qui pondez des problèmes ? Des problèmes : rien que le nom ! Des problèmes, dès le collège, je sens qu'il y en aura bien assez comme ça par la suite. De toute façon, ma mère me l'a dit. Je sens aussi que le mieux, face à tout ça, c'est de s'embarquer pour de somptueux voyages en poésie. D'ailleurs, sur un des murs de ma chambre, au-dessus de mon lit, j'ai affiché ces mots de Mallarmé : « Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres d'être parmi l'écume inconnue et les cieux ». Alors les maths, dans tout ça, ben je trouve que c'est loin, et de l'écume inconnue, et des cieux. Monsieur B. finit par comprendre que pour ce qui est de sa matière, plus la peine de s'escrimer, le sujet est clos. Il tente alors de m'amadouer par un autre biais : la chanson française. En cours, nous avons déjà évoqué Renaud et Balavoine. Un jour, il me parle de Lavilliers et de CharlÉlie Couture. Je ne connais que leurs grands succès. « Je t'apporterai des albums d'eux à l'occasion ». Ce qu'il fait (et ce dont je le remercie aujourd'hui encore). Un jour, il m'apporte deux CD d'un chanteur au nom bizarre : Hubert-Félix Thiéfaine. Je ne connais pas du tout. Le soir, après les cours, je me précipite sur la chaîne Hi-Fi du salon : allons donc écouter ça. Ce que mon prof de maths m'a mis entre les oreilles m'a toujours plu jusque là. Si l'on oublie, bien sûr, les équations et autres insolubles cauchemars de ma jeunesse. Je suis impatiente de découvrir l'univers qui se cache derrière ce nom intrigant : Hubert-Félix Thiéfaine. Et merde, je suis déçue. Je crois même que je n'écoute que quelques chansons d'un CD sur les deux, reléguant directement l'autre aux oubliettes. Enfin, pour le moment. Le lendemain, je rends les albums à mon prof, en lui disant que beurk, je n'ai pas du tout aimé. Véridique et honte à moi !

 

Deuxième tentative ratée : celle d'une copine de lycée. Cette fois, je suis en terminale. Sylvie, la copine en question, est persuadée que Thiéfaine pourrait me plaire. Elle m'a recopié les paroles de Demain les kids sur une feuille et me les donne à lire. Je reconnais que c'est beau, mais j'ajoute que je n'ai pas envie d'aller plus loin. Thiéfaine, je connais désormais un peu mieux. De réputation, en tout cas. Et ça ne me dit rien qui vaille. J'ai trop peur de l'aura sulfureuse qui entoure ce chanteur pour camés. Oui madame ! J'en suis là...

 

Donc, je remets Thiéfaine à plus tard. Sans le savoir. Car je suis alors convaincue que son univers, à l'instar du vaste domaine des mathématiques, ne pourra jamais m'atteindre.

 

Et puis, et puis... Par une nuit déjà bien fraîche de septembre, arrive ce qui sans doute devait arriver pour que je sois totalement moi-même en cette vie. Cette nuit-là, j'ai la déprime chevillée au cœur. Pour des tas de raisons. La première, et elle est de taille, c'est que je viens de me ramasser une fois de plus en amour. Mon désespoir a la noirceur irréductible de tous les désespoirs adolescents : je crois que je vais mourir. D'ailleurs, je pense que ce serait préférable. Je flirte toujours autant avec les poètes et je ne suis pas loin de penser, avec Éluard, que « l'avenir mon seul espoir, c'est mon tombeau ». J'étais si près de ce garçon-là que j'ai froid près des autres. Mais tout de même : en ce jour de septembre, lorsqu'un autre garçon me propose de l'accompagner pour aller voir un de ses amis, j'oublie toute velléité de m'ouvrir les veines et je pars avec lui. En tout bien tout honneur.

Dans la voiture, une vieille R18 bleu marine, il a mis Thiéfaine.

 

C'est d'abord comme un bruit de fond qui accompagnerait notre conversation. Mais plus les chansons défilent et plus elles me plaisent. Tout à coup, dans l'une d'elles, j'entends ceci : « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». Le début de la chanson, déjà, m'avait interpellée : « Pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil, il pleut toujours sur ta valise », etc. Je suis assez narcissique pour me demander si cette gamine malchanceuse n'est pas un peu moi, si je ne suis pas un peu elle. Et ces ascenseurs qu'elle voudrait voir jaillir au fond des précipices, ne les ai-je pas espérés moi-même ? S'il s'en présentait un là, comme ça, ce ne serait pas de refus. Je monterais dedans pour m'élever au-dessus de mon chagrin, le regarder de haut et le piétiner, et mon amour fracassé avec, na-na-na-na-nère. Le jeune homme qui conduit m'apprend que la chanson en question s'appelle Mathématiques souterraines. ça alors ! On peut donc faire autre chose que des maths avec les maths ! J'en suis épatée ! Complètement ébahie !

 

Et voilà que je n'ai plus envie de mourir. Il y a soudain vachement mieux à faire. Il y a une œuvre entière à découvrir. C'est la révélation qui vient de m'être faite en cette nuit de septembre 1992.

Oui, une œuvre entière à découvrir. Et je vais m'y employer dans les jours et les semaines qui viennent. Je me le promets. Et j'oublierai, bien que n'écoutant pas Johnny, mais Hubert, le nom de celui qui m'a fait saigner. Non mais !

Le copain à la R18 me ramène chez moi. Intacte et en même temps complètement démontée. Il vient de se passer un truc étrange qu'il me faudra par la suite appeler un événement fondateur de mon destin. Oui, je sais, je suis toujours un peu dans l'emphase. N'empêche que c'est quand même vrai. Sans Thiéfaine, ma vie n'aurait pas eu la même saveur. Peut-être bien qu'elle se serait arrêtée. Parce que franchement, en ce mois de septembre d'il y a trente-deux ans, j'avais comme une profonde envie de tout bazarder par-dessus bord. Entre la vie et moi, s'était installée au fil des années une inimitié qui faisait peur. Il a suffi d'un ascenseur. Il a suffi d'un type à l'univers déjanté. D'un type au nom loufoque, le genre qui te déploie trois identités en une : Hubert, Félix ou Thiéfaine, c'est selon. Parfois c'est même HFT. Parfois c'est Thiéfaine, comme on dit Verlaine, comme on dit Rimbaud, comme on dit Baudelaire. Il a suffi de cette parenté-là entre Hubert et Paul, entre Hubert et Arthur, entre Hubert et Charles, pour que dans ma tête se rejoignent avec délices l'écume inconnue et les cieux.

 

Donc, en cette nuit de septembre 1992, je rentre chez moi totalement groggy. Je viens de découvrir un truc phénoménal : pas besoin de came, moi je peux planer rien qu'en écoutant Thiéfaine. Avant de sortir de la R18, je demande à mon pote si je peux lui emprunter la cassette qu'on vient d'écouter (c'est En concert). Il ne l'a jamais revue. Honte à moi pour la deuxième fois (on a comme ça de ces péchés sur la conscience !). Je n'ai pas jugé nécessaire de la lui rendre. C'est-à-dire que j'ai surtout jugé indispensable de ne jamais m'en séparer. De même, j'ai jugé indispensable, le lendemain qui a suivi cette nuit-là, de foncer à la FNAC de Metz pour y dévaliser une partie du rayon chanson française, la seule partie qui m'intéressait alors et qui trônait sous la délicieuse étiquette « Hubert-Félix Thiéfaine ». Tout un programme dont j'ignorais ce qu'il allait être, mais dont je pressentais la foisonnante diversité et l'inépuisable richesse. Oui, dans la R18, sous les étoiles, c'est tout cela que j'avais senti. Et qui se vérifia par la suite. Jusqu'à aujourd'hui, purée, si c'est pas miraculeux !

 

Au rayon chanson française de la FNAC, face au bac orné de la délicieuse étiquette, je fus comme tous ceux qui eurent la chance de découvrir Thiéfaine un peu tardivement : estomaquée de voir que le monsieur avait déjà une belle panoplie d'albums à son actif. C'était un monde qui allait s'offrir à moi. J'avais dix-neuf ans et c'est peut-être le plus bel âge de la vie, je ne sais pas (avant que tout s'effondre un an plus tard, si l'on en croit Paul Nizan). En tout cas, devant la profusion de CD et de cassettes qu'il y avait là, sous la délicieuse étiquette, je fus pour ainsi dire réconciliée avec mon destin. Prête à affronter mon chagrin d'amour comme une grande fille. Cette œuvre déjà gigantesque, cela me donna à la fois le vertige et la confirmation de ce que j'avais pressenti dans la nuit : une vie qui vous offrait la chance d'être percuté(e) par une telle œuvre, il ne fallait pas la lâcher.

 

Ça y est, j'avais donc mon septembre rose à moi. Je revins de la FNAC avec de nombreux CD et cassettes. J'avais fait un mélange des deux pour que la facture, que maman payait (elle m'avait passé sa carte bancaire pour l'occasion), ne soit pas trop salée !

 

Je devins dès lors l'amie des dingues et des paumés. Mieux : je me reconnus dans leur hymne. Je me fis en deux temps trois mouvements la familière de tout un théâtre d'êtres bizarres et bancroches, l'alliée des pantins déglingués, la sœur de la « pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil ». Je crois même qu'à force de nous fréquenter, elle et moi, nous nous sommes soignées mutuellement ! En tout cas, elle m'a soignée. Elle m'a présenté, généreuse, un ascenseur à prendre en cas d'urgence, et je ne m'en suis pas privée durant les trente-deux années qui se sont écoulées entre 1992 et maintenant !

07/11/2024

Clara Ysé encore !

"La mort est à côté de la vie quotidienne comme une bougie à côté d'une meule de paille. Cette proximité terrible fait la vie merveilleuse". Christian BOBIN

 

Vendredi 18 octobre 2024 :

Premier jour des vacances de la Toussaint. Je sors du concert de Clara Ysé, absolument chamboulée par la prestation de la belle dont je pourrais être la mère. C'est un truc affolant qui m'arrive depuis quelques années : je pourrais être la mère de plein de gens que je rencontre. La mère de ma jeune collègue de français, la mère de la CPE avec qui je bosse. La mère de mon voisin. Et même de presque tous mes voisins. Comme on dit dans bien des circonstances, voilà qui ne nous rajeunit pas ! D'ailleurs, quand je me regarde dans le miroir, bien souvent je me fredonne à moi-même la chanson de la Grande Sophie, Tu fais ton âge. Je me console illico en pensant que cet âge-là, après tout, c'est l'âge d'or puisque j'ai failli ne pas l'atteindre. Alors merde, vieillissons, c'est encore ce qu'il y a de mieux à faire !

Donc, toutes ces digressions à la noix pour reparler de Clara Ysé. 18 octobre 2024 : Il pleut à seaux et ça va bien avec l'ambiance des chansons de la jeune femme. C'est comme celles de Thiéfaine : je ne dis pas qu'elles sont incompatibles avec le soleil, mais je crois qu'elles s'accordent mieux avec les brumes, les tempêtes, le froid, « odeurs de mandarine et rafales de cannelle »...

18 octobre 2024 : Je rentre chez moi, après ce concert qui m'a chamboulée, et je dis à ma fille aînée que je suis vraiment très heureuse de l'avoir appelée Clara. J'ai fait ça un peu pour Clara Schuman, un peu pour ma copine de fac qui s'appelait Clara, et que je trouvais que c'était la grande classe d'afficher un prénom comme ça. Un peu aussi parce qu'avec le père de ladite Clara, nous eûmes toutes les peines du monde à tomber d'accord pour un prénom. Clara, oui, il voulait bien, alors j'ai sauté sur l'occasion, sinon nous serions encore en train de nous triturer les méninges à la recherche, désespérément, d'un prénom féminin...

Clara Ysé, donc... C'est ma grande découverte de cette année. D'ailleurs, question : est-ce que dans mon journal, à l'heure du bilan 2024, j'écrirai « J'ai découvert Clara Ysé. C'est hyper important », comme j'écrivis, il y a trente-deux ans, « J'ai découvert Thiéfaine. C'est hyper important » ? Peut-être bien, qui sait ? Soit dit en passant, j'ai une foule de trucs positifs à écrire dans le bilan 2024, ça va prendre des plombes !

Hier soir, j'ai écouté Oceano Nox en boucle dans mon salon. Tellement qu'en allant me coucher, je débordais de chansons de Clara Ysé. J'en ai chanté mentalement dans mon lit. Et j'ai mal dormi. Truc de malade. Qu'est-ce qui me bouleverse tant chez cette femme dont je pourrais être la mère ? Sa voix, absolument prodigieuse, quasiment lyrique par moments. Ses textes, qui ressemblent à ma vie. À toutes les vies, en fait. Ils parlent d'amours fracassées (ne le sont-elles pas toutes ou presque ?), de possibles retrouvailles (On s'aimera), de nuits torrides qui font entrevoir le soleil à minuit (et là je voudrais bien la recette, svp, chère Clara, parce que moi, à minuit, je vois au mieux des étoiles, et encore, pas toujours). Ça parle aussi d'une maison qu'il a fallu quitter et toute ressemblance avec mon vécu est loin d'être exclue. Ça parle également d'une mère trop tôt disparue (Anne Dufourmantelle) et ça m'en rappelle une autre, de mère trop tôt disparue... Bref, ça me raconte plein d'histoires qui se télescopent avec la mienne.

Samedi, je vais voir Zaho de Sagazan. C'est une amie qui m'a offert la place pour mon anniversaire. Nous serons le 9 novembre, date symbolique : il y a deux ans, pile le 9 novembre 2022, dans un cabinet médical, retentissait un sombre diagnostic me concernant. Et puis, j'ai survécu. J'ai revu Thiéfaine en concert (plein de fois, je ne sais même plus combien et ça c'est trop bon, ça veut dire que c'est tout beaucoup), j'ai découvert Clara Ysé, j'ai vu Nena deux fois, j'ai réalisé un de mes rêves (voir Véronique Sanson sur scène), j'ai acheté le dernier CharlÉlie, le dernier Aubert, et pas mal de livres que je maudirai lors du prochain déménagement. Bref, j'ai vécu (sans vouloir imiter l'inimitable Romain Gary)...

Et, dans huit jours, si tout va bien, si la vie reste bien en place comme je l'espère, le live de la tournée Unplugged. La cerise sur le gâteau. Ou plutôt le sucre glace sur le Christstollen puisque nous allons bientôt entrer dans la période de l'Avent ! Moi, j'aime bien quand Hubert adoucit nos automnes !

27/10/2024

On retrouve de ces choses... (suite de la suite !)

"Tu cherches dans le jour qui s'efface

Un allié

La trace de quelque chose de pur

Une lumière qui se donne et ne demande rien

Comme la musique qui sort des mondes éraflés

Celle qui murmure courage à ceux qui cherchent".

Clara YSÉ

 

Mercredi 22 novembre 1995 :

(…) Comment pourrais-je ne pas écrire ? Si je pouvais tout dire aux autres et être sûre qu'ils m'écoutent, j'aurais sans doute moins besoin de me confier à mes cahiers. Je ne vais pas bien, Hilfe ! Le seul être qui puisse me comprendre ici-bas reste le bon Hubert-Félix... Lundi soir, il faisait un concert au studio RTL. Évidemment, j'ai écouté et enregistré ce concert. Il y a également eu une discussion. Hubert a été merveilleux ! À la quesion « Quel serait le meilleur des mondes pour vous ? », il a répondu : « Un monde où je serais tout seul ». « Et le pire des mondes ? ». Réponse : « Un monde où je serais tout seul » ! Il est EXTRA ! Je sais, je radote. Pardon !

 

 

Petit bond dans le temps :

 

Samedi 14 décembre 1996 :

17h30. En écoutant Thiéfaine... En regardant la nuit tomber...

 

Thiéfaine

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans la pénombre

Quand les spectres sortent du royaume des ombres

Quand la vie nous laisse là, pantois,

Avec ces questions auxquelles elle ne répond pas

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans une chambre obscure

Quand le sang s'échappe de nos blessures

Quand le silence insupportable meurtrit

Un cœur qui se tord de douleur et d'ennui

 

Thiéfaine, ça se savoure dans la solitude

Et quand j'ai besoin de reprendre ma latitude

C'est toujours Thiéfaine qui sait m'apaiser

Et me créer un monde loin de la réalité

 

Thiéfaine, ça s'écoute plutôt la nuit

Quand les étoiles rient de nos insomnies

Quand le ciel nous nargue de sa sérénité

Et nous laisse parmi des fantômes brisés

 

Thiéfaine, ça s'écoute quand tout dort

Seuls, alors, hurlent ses « vive la mort »

Thiéfaine, ça s'écoute dans les ténèbres

Quand la vie prend des accents funèbres

 

Thiéfaine, alligator de mes nuits solitaires

Borniol apaisant de mes errances en mer

Rimbaud du troisième millénaire

Compagnon d'infortune, mon soleil, mon frère...

 

 

Et, à la suite de ce poème :

 

J'ai réellement découvert Thiéfaine en 1992. Quatre ans, déjà... Et j'éprouve toujours les mêmes émotions lorsque j'écoute ses chansons. Thiéfaine a le don de créer une ambiance particulière, de prendre toute la place... Quand j'écoute Alligators 427 ou Mathématiques souterraines ou encore La dèche, le twist et le reste et tant d'autres, j'ai l'impression de pénétrer dans la sphère intime du bonhomme. Thiéfaine a un charisme gigantesque, un regard troublant, une voix qui vous dit « revenez-y », une sensibilité incroyable. Selon moi, c'est le plus grand chanteur de cette fin de siècle. Un véritable poète à qui je dois, en partie, la vie. Si je n'étais jamais allée le voir en concert, Dieu sait comment aurait évolué mon histoire... Ce concert à Sarreguemines m'a redonné goût à la vie. Quand j'écoute Thiéfaine, je me sens moins seule. Moins honteuse de n'être qu'un être humain...

 

Eh ben ! Évidemment qu'une passion ayant démarré ainsi ne pouvait que perdurer !!! Qu'on me pardonne ces lignes dégoulinantes. J'en ai un peu honte et, en même temps, je les trouve émouvantes. C'est tout un truc qui était en train de se mettre en place pour la vie ! Rien que pour ça, je ne vais pas jeter mes cahiers au feu !

26/10/2024

On retrouve de ces choses... (suite !!!)

"Personne d'autre ne sait mieux que moi aujourd'hui qu'une catastrophe n'arrive pas qu'aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus". Grand Corps Malade

 

Heureusement que le ridicule ne tue pas, c'est moi qui vous le dis... Suite de mes fouilles archéologiques (clin d'œil à Seb !), c'est tellement bon !!!

 

Nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre 1995:

Thiéfaine m'a fait rire. Voici quelques phrases qu'il a dites et que je veux noter, de peur de les oublier :

« Est-ce que vous aimez les animaux ? Je suis sûr que vous avez tous un animal à la maison : un chien, un chat, un pingouin, un fiancé ! Pour ma part, j'aime particulièrement les mouches. Et là, il a chanté Les mouches bleues.

Ensuite, il a sans doute cité quelques phrases d'un livre. Il a dit : « C'est de qui ? De Lamartine ? D'Alfred de Vigny ? Et non, c'est d'Alain Barrière ! »

 

(Et là, cette incapacité à regarder ma mère, qui était une grande fan … d'Alain Barrière !)

 

Autre chose : voici ce qu'il a dit avant d'interpréter Je t'en remets au vent. Je dédie cette chanson à Bernadette Soubiroute (Oui, Soubiroute et non Soubirous !!).

 

Un doute s'empare de moi : a-t-il réellement chanté Je t'en remets au vent ce soir-là ? Il me semblait que justement, il n'avait pas interprété cette chanson, alors qu'ironiquement, c'était la préférée de ma mère. N'est-ce pas plutôt le titre La dèche, le twist et le reste qu'il aurait introduit de la sorte ?

 

Il m'a également, cela va de soi, émue. Ainsi lorsqu'il a chanté La solitude de Léo Ferré. Il a dit : « N'oublions pas Léo ». C'était simple et beau.

 

Ensuite, il a chanté Crépuscule-Transfert, en précisant que cette chanson aurait pu s'appeler Saravejo-Transfert ou Tchétchénie-Transfert. Et il a ajouté : « Ce serait vraiment trop con que ça puisse devenir un jour Sarreguemines-Transfert ».

 

Bref, c'était GRANDIOSE (toujours ces lettres capitales !). Ce type est SUBLIME. Il y avait une très bonne ambiance. J'ai sympathisé avec plusieurs personnes, j'ai chanté... Il y a même un type qui m'a proposé un joint, que j'ai refusé ! Avant le concert, un gars nous a serinées, ma mère et moi. Mais, en même temps, je dois avouer qu'il était amusant.

 

Arrêt sur ce paragraphe : je me souviens très bien de ce « gars ». Il nous avait proposé une mixture douteuse qu'il nous avait présentée comme du Coca et que ma mère, pas naïve, avait immédiatement identifiée comme autre chose, genre whisky-Coca !!!

 

Voilà, la fête est finie, Thiéfaine va quitter la Lorraine pour retrouver les cieux, les lieux qui lui sont familiers. (Je ne devais pas bien maîtriser le concept de tournée à l'époque). Et, dans mon cœur, la tristesse et le vide se sont déjà installés... Viv'ment le prochain concert ! Reviens-nous vite, Hubert-Félix !

 

J'ai intérêt à bosser pour la fac ! Avant le concert, je n'ai presque rien fait, j'étais trop énervée... Et voilà, la fête est finie. Il ne reste plus qu'un souvenir dans ma tête... Le sol est jonché de confettis sales, les lampions sont tombés de désespoir, les lumières se sont éteintes et le grand magicien qui a fait mon bonheur pendant environ 2h15 se repose sans doute à l'heure qu'il est... Salut, Hubert, reviens vite !

 

Lundi 30 octobre 1995 :

Aujourd'hui, je suis restée à la maison. J'ai fait 5h30 de grammaire, j'en avais bien besoin ! Je suis assez fière de moi. Mais j'ai encore tant de choses à apprendre, tant de livres à lire...

Je me suis tout de même octroyé quelques moments de détente : j'ai écrit à Gaïa, à Myriam, à Luc et même à Hubert-Félix ! Je veux, tout simplement, le féliciter pour vendredi soir et le remercier pour les merveilleux moments qu'il m'a fait vivre. Je sais, j'ai l'air d'une vraie gamine, mais je m'en moque !! J'ai bien le droit d'avoir une idole. Je me sens si proche de Thiéfaine... Cela fait environ trois ans et demi que c'est comme ça. Un jour, en 1994, je m'en souviens bien, Gabrielle m'avait demandé à qui je m'identifiais. J'avais immédiatement répondu : « À Thiéfaine ». Je sens que lui et moi, nous nous ressemblons beaucoup, que nous ressentons les choses de la même façon. Bref, Thiéfaine est l'homme de ma vie, je suis la femme de sa vie, mais il l'ignore encore, tandis que moi je le sais !! Je plaisante ! Mais, tout de même, dans cette admiration démesurée que je lui voue, il s'est glissé, je crois, un brin d'amour... Amour étrange, désespéré... Je suis vraiment dingue ! Mais je m'aime dingue ! Que veux-tu, je suis si seule, je me raccroche à ceux qui peuplent ma solitude. Et qui la peuple en premier lieu ? Je te le donne en mille : Thiéfaine !!!

La fortune a été si souriante ces derniers temps. Trois semaines agréables avec, parfois, des moments MERVEILLEUX (comme le jour de mon anniversaire, comme le jour du concert), c'est trop beau. Plus dure sera la chute ! La chute, je l'attends, je sens qu'elle va bientôt se pointer avec son sale visage haineux, sa bouche sans dents, ses yeux vitreux, ses joues couperosées, ses cheveux gras, sa bidoche pendouillante. Forcément, je vais me prendre une tuile sur la tronche. Et elle fera mal, elle tombera de haut. Et moi aussi.