Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/11/2024

Une rencontre ... pour la vie !

"Kanntest du das auch, dass man morgens aufwacht und ein ganz andrer ist als tags zuvor ?... Die andern merken es nicht, aber man selber weiß es ganz genau". Luise RINSER

 

Mes chers amis, me voilà dans une phase hallucinante d'écriture dévorante ! Tous les jours, je noircis des pages et des pages, comme "au temps de ma jeunesse folle". Je retravaille des textes, j'en ponds d'autres, dans le but, cette fois, d'aller jusqu'au bout d'un rêve pas encore réalisé : publier un petit recueil rassemblant ces textes. Il y aura des pages consacrées à HFT, bien sûr, mais pas seulement. Voilà un truc qui me porte à donf ! 

Ce matin, j'ai retrouvé un texte évoquant ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Je l'avais sûrement déjà publié ici, mais sans doute sous une autre forme. Je ne sais plus. En tout cas, je vous le livre ci-dessous. Quant à vous, n'hésitez pas à me dire, dans les commentaires, comment vous avez découvert HFT, et comment cela a bouleversifié votre vie ! 

 

Donc : 

 

Une rencontre … pour la vie !

 

Je découvre Thiéfaine trois ans avant le concert de Sarreguemines (mon premier concert d'HFT). Plus que d'une découverte, il s'agit d'une rencontre. D'un uppercut dans la bobine, oui ! D'un coup, je vais apprendre que plus rien ne sera jamais comme avant. Je me lève un matin, comme ça, l'air de rien, dans ma routine, sans savoir qu'au terme de la journée je ne serai plus la même. Carrément.

 

Mais, avant l'uppercut, il y eut de très nombreux méandres.

 

Petit retour en arrière : nous sommes en 1988 et je suis en troisième. J'ai le même prof de maths depuis la sixième. Il comprend très vite qu'il ne pourra jamais, au grand jamais, en dépit de ses efforts admirables frisant l'héroïsme, me réconcilier avec la matière qu'il enseigne. Je suis depuis toujours fermée à triple tour aux théorèmes de Thagore et de Pythalès. Je ne suis pas plus ouverte aux équations. La géométrie me donne de l'urticaire. Pour sûr, les parallèles ne me rencontreront jamais ! En un mot comme en cent : je ne pige rien à cet univers. Il paraît que c'est une langue. Moi qui en parle plusieurs aujourd'hui, je n'ai jamais réussi à déchiffrer celle-là. À peu près tous mes profs de maths se sont cassé le nez à vouloir m'expliquer des trucs parfois relativement simples (sauf le merveilleux monsieur D.). C'est que je n'avais aucune logique. En tout cas pas celle qu'il faut avoir pour entrer dans l'essence des mathématiques. Enfant, déjà, j'appelais ça les « mathématires », c'est dire ! De « mathématires » à « mathémartyre », il n'y a qu'un pas. Voilà l'affaire promptement résumée : durant toute ma scolarité, les maths furent mon martyre. J'en conçus d'abord un véritable complexe, puis je finis par brandir avec fierté ma nullité. Être une bille en maths, quand j'étais en 1ère littéraire, c'était à mes yeux la preuve qu'on était quelqu'un de bien ! Je sais, c'est réducteur, et je ne vois plus les choses de la même manière. N'empêche que tout individu m'expliquant que les maths furent le cauchemar de sa scolarité m'est d'emblée sympathique, c'est plus fort que moi ! C'est soudain tout un faisceau de traumatismes qui nous unit. Et ça, ça crée des liens très forts. D'ailleurs, au passage, j'en profite pour dire que Thiéfaine lui-même n'a jamais été à l'aise avec les maths. Il paraîtrait même que s'il sème des nombres un peu partout dans ses chansons, et plus encore dans les titres, c'est par pure vengeance. Fermons la parenthèse anachronique. Car, pour l'heure, dans mon récit en tout cas, je suis au collège et 1) nulle en maths (on l'aura compris), 2) totalement ignorante de l'existence d'Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Monsieur B., mon prof de maths, n'abandonne pas tout de suite. Il a la foi du charbonnier. Mais moi je lui oppose quelque chose de plus fort encore que la foi du charbonnier : mon imperméabilité. Pas la peine de t'obstiner, mec, je suis à jamais perdue pour la science. Je flirte trop, depuis l'enfance, avec les poètes qui traversent le monde un brin d'herbe à la bouche. Mon refuge, ce sont les mots. Les problèmes de robinets qui fuient jusqu'à en faire perdre des hectolitres à leurs pauvres propriétaires, je m'en soucie comme d'une guigne (ce n'est pas moi qui banque lorsque la facture arrive). Je pense qu'au lieu d'essorer les neurones de pauvres gamins en leur demandant de calculer quelle va être l'abominable perte que subiront lesdits propriétaires, il aurait fallu d'emblée appeler un plombier, un point c'est tout ! Et pour ce qui est des trains qui se rencontreront à telle heure compte tenu de leurs vitesses respectives, ça me crispe parce que ça ne laisse aucune place à la magie des aléas : et si le train devait s'arrêter brusquement dans sa course pour laisser passer un poète distrait qui traverserait la voie un brin d'herbe à la bouche ? Et si c'était le conducteur lui-même qui était distrait parce qu'amoureux ? Et si, pour cette splendide raison, il oubliait de partir à l'heure ? Vous y avez pensé, à ça, messieurs ou mesdames qui pondez des problèmes ? Des problèmes : rien que le nom ! Des problèmes, dès le collège, je sens qu'il y en aura bien assez comme ça par la suite. De toute façon, ma mère me l'a dit. Je sens aussi que le mieux, face à tout ça, c'est de s'embarquer pour de somptueux voyages en poésie. D'ailleurs, sur un des murs de ma chambre, au-dessus de mon lit, j'ai affiché ces mots de Mallarmé : « Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres d'être parmi l'écume inconnue et les cieux ». Alors les maths, dans tout ça, ben je trouve que c'est loin, et de l'écume inconnue, et des cieux. Monsieur B. finit par comprendre que pour ce qui est de sa matière, plus la peine de s'escrimer, le sujet est clos. Il tente alors de m'amadouer par un autre biais : la chanson française. En cours, nous avons déjà évoqué Renaud et Balavoine. Un jour, il me parle de Lavilliers et de CharlÉlie Couture. Je ne connais que leurs grands succès. « Je t'apporterai des albums d'eux à l'occasion ». Ce qu'il fait (et ce dont je le remercie aujourd'hui encore). Un jour, il m'apporte deux CD d'un chanteur au nom bizarre : Hubert-Félix Thiéfaine. Je ne connais pas du tout. Le soir, après les cours, je me précipite sur la chaîne Hi-Fi du salon : allons donc écouter ça. Ce que mon prof de maths m'a mis entre les oreilles m'a toujours plu jusque là. Si l'on oublie, bien sûr, les équations et autres insolubles cauchemars de ma jeunesse. Je suis impatiente de découvrir l'univers qui se cache derrière ce nom intrigant : Hubert-Félix Thiéfaine. Et merde, je suis déçue. Je crois même que je n'écoute que quelques chansons d'un CD sur les deux, reléguant directement l'autre aux oubliettes. Enfin, pour le moment. Le lendemain, je rends les albums à mon prof, en lui disant que beurk, je n'ai pas du tout aimé. Véridique et honte à moi !

 

Deuxième tentative ratée : celle d'une copine de lycée. Cette fois, je suis en terminale. Sylvie, la copine en question, est persuadée que Thiéfaine pourrait me plaire. Elle m'a recopié les paroles de Demain les kids sur une feuille et me les donne à lire. Je reconnais que c'est beau, mais j'ajoute que je n'ai pas envie d'aller plus loin. Thiéfaine, je connais désormais un peu mieux. De réputation, en tout cas. Et ça ne me dit rien qui vaille. J'ai trop peur de l'aura sulfureuse qui entoure ce chanteur pour camés. Oui madame ! J'en suis là...

 

Donc, je remets Thiéfaine à plus tard. Sans le savoir. Car je suis alors convaincue que son univers, à l'instar du vaste domaine des mathématiques, ne pourra jamais m'atteindre.

 

Et puis, et puis... Par une nuit déjà bien fraîche de septembre, arrive ce qui sans doute devait arriver pour que je sois totalement moi-même en cette vie. Cette nuit-là, j'ai la déprime chevillée au cœur. Pour des tas de raisons. La première, et elle est de taille, c'est que je viens de me ramasser une fois de plus en amour. Mon désespoir a la noirceur irréductible de tous les désespoirs adolescents : je crois que je vais mourir. D'ailleurs, je pense que ce serait préférable. Je flirte toujours autant avec les poètes et je ne suis pas loin de penser, avec Éluard, que « l'avenir mon seul espoir, c'est mon tombeau ». J'étais si près de ce garçon-là que j'ai froid près des autres. Mais tout de même : en ce jour de septembre, lorsqu'un autre garçon me propose de l'accompagner pour aller voir un de ses amis, j'oublie toute velléité de m'ouvrir les veines et je pars avec lui. En tout bien tout honneur.

Dans la voiture, une vieille R18 bleu marine, il a mis Thiéfaine.

 

C'est d'abord comme un bruit de fond qui accompagnerait notre conversation. Mais plus les chansons défilent et plus elles me plaisent. Tout à coup, dans l'une d'elles, j'entends ceci : « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices ». Le début de la chanson, déjà, m'avait interpellée : « Pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil, il pleut toujours sur ta valise », etc. Je suis assez narcissique pour me demander si cette gamine malchanceuse n'est pas un peu moi, si je ne suis pas un peu elle. Et ces ascenseurs qu'elle voudrait voir jaillir au fond des précipices, ne les ai-je pas espérés moi-même ? S'il s'en présentait un là, comme ça, ce ne serait pas de refus. Je monterais dedans pour m'élever au-dessus de mon chagrin, le regarder de haut et le piétiner, et mon amour fracassé avec, na-na-na-na-nère. Le jeune homme qui conduit m'apprend que la chanson en question s'appelle Mathématiques souterraines. ça alors ! On peut donc faire autre chose que des maths avec les maths ! J'en suis épatée ! Complètement ébahie !

 

Et voilà que je n'ai plus envie de mourir. Il y a soudain vachement mieux à faire. Il y a une œuvre entière à découvrir. C'est la révélation qui vient de m'être faite en cette nuit de septembre 1992.

Oui, une œuvre entière à découvrir. Et je vais m'y employer dans les jours et les semaines qui viennent. Je me le promets. Et j'oublierai, bien que n'écoutant pas Johnny, mais Hubert, le nom de celui qui m'a fait saigner. Non mais !

Le copain à la R18 me ramène chez moi. Intacte et en même temps complètement démontée. Il vient de se passer un truc étrange qu'il me faudra par la suite appeler un événement fondateur de mon destin. Oui, je sais, je suis toujours un peu dans l'emphase. N'empêche que c'est quand même vrai. Sans Thiéfaine, ma vie n'aurait pas eu la même saveur. Peut-être bien qu'elle se serait arrêtée. Parce que franchement, en ce mois de septembre d'il y a trente-deux ans, j'avais comme une profonde envie de tout bazarder par-dessus bord. Entre la vie et moi, s'était installée au fil des années une inimitié qui faisait peur. Il a suffi d'un ascenseur. Il a suffi d'un type à l'univers déjanté. D'un type au nom loufoque, le genre qui te déploie trois identités en une : Hubert, Félix ou Thiéfaine, c'est selon. Parfois c'est même HFT. Parfois c'est Thiéfaine, comme on dit Verlaine, comme on dit Rimbaud, comme on dit Baudelaire. Il a suffi de cette parenté-là entre Hubert et Paul, entre Hubert et Arthur, entre Hubert et Charles, pour que dans ma tête se rejoignent avec délices l'écume inconnue et les cieux.

 

Donc, en cette nuit de septembre 1992, je rentre chez moi totalement groggy. Je viens de découvrir un truc phénoménal : pas besoin de came, moi je peux planer rien qu'en écoutant Thiéfaine. Avant de sortir de la R18, je demande à mon pote si je peux lui emprunter la cassette qu'on vient d'écouter (c'est En concert). Il ne l'a jamais revue. Honte à moi pour la deuxième fois (on a comme ça de ces péchés sur la conscience !). Je n'ai pas jugé nécessaire de la lui rendre. C'est-à-dire que j'ai surtout jugé indispensable de ne jamais m'en séparer. De même, j'ai jugé indispensable, le lendemain qui a suivi cette nuit-là, de foncer à la FNAC de Metz pour y dévaliser une partie du rayon chanson française, la seule partie qui m'intéressait alors et qui trônait sous la délicieuse étiquette « Hubert-Félix Thiéfaine ». Tout un programme dont j'ignorais ce qu'il allait être, mais dont je pressentais la foisonnante diversité et l'inépuisable richesse. Oui, dans la R18, sous les étoiles, c'est tout cela que j'avais senti. Et qui se vérifia par la suite. Jusqu'à aujourd'hui, purée, si c'est pas miraculeux !

 

Au rayon chanson française de la FNAC, face au bac orné de la délicieuse étiquette, je fus comme tous ceux qui eurent la chance de découvrir Thiéfaine un peu tardivement : estomaquée de voir que le monsieur avait déjà une belle panoplie d'albums à son actif. C'était un monde qui allait s'offrir à moi. J'avais dix-neuf ans et c'est peut-être le plus bel âge de la vie, je ne sais pas (avant que tout s'effondre un an plus tard, si l'on en croit Paul Nizan). En tout cas, devant la profusion de CD et de cassettes qu'il y avait là, sous la délicieuse étiquette, je fus pour ainsi dire réconciliée avec mon destin. Prête à affronter mon chagrin d'amour comme une grande fille. Cette œuvre déjà gigantesque, cela me donna à la fois le vertige et la confirmation de ce que j'avais pressenti dans la nuit : une vie qui vous offrait la chance d'être percuté(e) par une telle œuvre, il ne fallait pas la lâcher.

 

Ça y est, j'avais donc mon septembre rose à moi. Je revins de la FNAC avec de nombreux CD et cassettes. J'avais fait un mélange des deux pour que la facture, que maman payait (elle m'avait passé sa carte bancaire pour l'occasion), ne soit pas trop salée !

 

Je devins dès lors l'amie des dingues et des paumés. Mieux : je me reconnus dans leur hymne. Je me fis en deux temps trois mouvements la familière de tout un théâtre d'êtres bizarres et bancroches, l'alliée des pantins déglingués, la sœur de la « pauvre petite fille sans nourrice arrachée du soleil ». Je crois même qu'à force de nous fréquenter, elle et moi, nous nous sommes soignées mutuellement ! En tout cas, elle m'a soignée. Elle m'a présenté, généreuse, un ascenseur à prendre en cas d'urgence, et je ne m'en suis pas privée durant les trente-deux années qui se sont écoulées entre 1992 et maintenant !

Commentaires

Retour du concert de Zaho de Sagazan. Celui-là, je ne le raconterai pas !!! Cette chanteuse a assurément beaucoup de talent, mais je n'entre pas du tout dans son univers. On ne peut pas gagner à tous les coups !

Écrit par : Katell | 10/11/2024

Chouette projet que de vouloir publier tes textes Katell. Tu as une écriture tellement agréable, un style bien à toi et puis cette vie passée aux côtés d’Hubert, ce n’est pas rien quand même ! Je ne peux que t’encourager !

Je note que dans ton poème tu qualifiais Hubert de «Rimbaud du troisième millénaire». Tu étais visionnaire du haut de tes 20 ans !!

Et pour Zaho de Sagazan tu sais maintenant que tu n’accroches pas !

Écrit par : Bételgeuse | 10/11/2024

Oui, c'est sûr que ma vie est étroitement liée à l'œuvre d'Hubert, et inversement. J'envisage de rassembler certains textes dans un recueil. Il y sera question de Thiéfaine et de mon rapport si étrange avec ses chansons, mais pas seulement. J'ai longtemps refusé ma manière d'écrire, qui ne peut passer que par des textes courts, des fragments, des poèmes. Je rêvais d'écrire un roman, mais ce n'est pas mon truc, en fait. Comme Zaho de Sagazan !!!! Bon, j'ai apprécié quelques chansons quand même, et aussi sa reprise de "Modern love" de Bowie et de "Ah que la vie est belle" de Brigitte Fontaine ! Zaho est bien déjantée sur scène, mais je préfère justement Brigitte Fontaine, vue plusieurs fois ! D'ailleurs, je crois qu'elle va sortir un nouvel album bientôt.
Quant à ce passage dans lequel je qualifie Thiéfaine de "Rimbaud du troisième millénaire", il m'a frappée à la relecture ! On est fort quand on a vingt ans !!!

Écrit par : Katell | 10/11/2024

Oh, y'a quelqu'un ?!!!

Écrit par : Katell | 14/11/2024

Yes ! :-)

Allez : encore quelques heures et nous pourrons dévorer nos galettes Unplugged toutes chaudes !!

Salutations numériques !

Écrit par : Seb | 15/11/2024

Oui, mon cher Seb ! Avec un peu de retard sur mon programme (je me déçois moi-même !!!), je vais à la FNAC !!!

Écrit par : Katell | 15/11/2024

Écrire un commentaire