Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/10/2024

On retrouve de ces choses... (suite de la suite !)

"Tu cherches dans le jour qui s'efface

Un allié

La trace de quelque chose de pur

Une lumière qui se donne et ne demande rien

Comme la musique qui sort des mondes éraflés

Celle qui murmure courage à ceux qui cherchent".

Clara YSÉ

 

Mercredi 22 novembre 1995 :

(…) Comment pourrais-je ne pas écrire ? Si je pouvais tout dire aux autres et être sûre qu'ils m'écoutent, j'aurais sans doute moins besoin de me confier à mes cahiers. Je ne vais pas bien, Hilfe ! Le seul être qui puisse me comprendre ici-bas reste le bon Hubert-Félix... Lundi soir, il faisait un concert au studio RTL. Évidemment, j'ai écouté et enregistré ce concert. Il y a également eu une discussion. Hubert a été merveilleux ! À la quesion « Quel serait le meilleur des mondes pour vous ? », il a répondu : « Un monde où je serais tout seul ». « Et le pire des mondes ? ». Réponse : « Un monde où je serais tout seul » ! Il est EXTRA ! Je sais, je radote. Pardon !

 

 

Petit bond dans le temps :

 

Samedi 14 décembre 1996 :

17h30. En écoutant Thiéfaine... En regardant la nuit tomber...

 

Thiéfaine

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans la pénombre

Quand les spectres sortent du royaume des ombres

Quand la vie nous laisse là, pantois,

Avec ces questions auxquelles elle ne répond pas

 

Thiéfaine, ça s'écoute dans une chambre obscure

Quand le sang s'échappe de nos blessures

Quand le silence insupportable meurtrit

Un cœur qui se tord de douleur et d'ennui

 

Thiéfaine, ça se savoure dans la solitude

Et quand j'ai besoin de reprendre ma latitude

C'est toujours Thiéfaine qui sait m'apaiser

Et me créer un monde loin de la réalité

 

Thiéfaine, ça s'écoute plutôt la nuit

Quand les étoiles rient de nos insomnies

Quand le ciel nous nargue de sa sérénité

Et nous laisse parmi des fantômes brisés

 

Thiéfaine, ça s'écoute quand tout dort

Seuls, alors, hurlent ses « vive la mort »

Thiéfaine, ça s'écoute dans les ténèbres

Quand la vie prend des accents funèbres

 

Thiéfaine, alligator de mes nuits solitaires

Borniol apaisant de mes errances en mer

Rimbaud du troisième millénaire

Compagnon d'infortune, mon soleil, mon frère...

 

 

Et, à la suite de ce poème :

 

J'ai réellement découvert Thiéfaine en 1992. Quatre ans, déjà... Et j'éprouve toujours les mêmes émotions lorsque j'écoute ses chansons. Thiéfaine a le don de créer une ambiance particulière, de prendre toute la place... Quand j'écoute Alligators 427 ou Mathématiques souterraines ou encore La dèche, le twist et le reste et tant d'autres, j'ai l'impression de pénétrer dans la sphère intime du bonhomme. Thiéfaine a un charisme gigantesque, un regard troublant, une voix qui vous dit « revenez-y », une sensibilité incroyable. Selon moi, c'est le plus grand chanteur de cette fin de siècle. Un véritable poète à qui je dois, en partie, la vie. Si je n'étais jamais allée le voir en concert, Dieu sait comment aurait évolué mon histoire... Ce concert à Sarreguemines m'a redonné goût à la vie. Quand j'écoute Thiéfaine, je me sens moins seule. Moins honteuse de n'être qu'un être humain...

 

Eh ben ! Évidemment qu'une passion ayant démarré ainsi ne pouvait que perdurer !!! Qu'on me pardonne ces lignes dégoulinantes. J'en ai un peu honte et, en même temps, je les trouve émouvantes. C'est tout un truc qui était en train de se mettre en place pour la vie ! Rien que pour ça, je ne vais pas jeter mes cahiers au feu !

26/10/2024

On retrouve de ces choses... (suite !!!)

"Personne d'autre ne sait mieux que moi aujourd'hui qu'une catastrophe n'arrive pas qu'aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus". Grand Corps Malade

 

Heureusement que le ridicule ne tue pas, c'est moi qui vous le dis... Suite de mes fouilles archéologiques (clin d'œil à Seb !), c'est tellement bon !!!

 

Nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre 1995:

Thiéfaine m'a fait rire. Voici quelques phrases qu'il a dites et que je veux noter, de peur de les oublier :

« Est-ce que vous aimez les animaux ? Je suis sûr que vous avez tous un animal à la maison : un chien, un chat, un pingouin, un fiancé ! Pour ma part, j'aime particulièrement les mouches. Et là, il a chanté Les mouches bleues.

Ensuite, il a sans doute cité quelques phrases d'un livre. Il a dit : « C'est de qui ? De Lamartine ? D'Alfred de Vigny ? Et non, c'est d'Alain Barrière ! »

 

(Et là, cette incapacité à regarder ma mère, qui était une grande fan … d'Alain Barrière !)

 

Autre chose : voici ce qu'il a dit avant d'interpréter Je t'en remets au vent. Je dédie cette chanson à Bernadette Soubiroute (Oui, Soubiroute et non Soubirous !!).

 

Un doute s'empare de moi : a-t-il réellement chanté Je t'en remets au vent ce soir-là ? Il me semblait que justement, il n'avait pas interprété cette chanson, alors qu'ironiquement, c'était la préférée de ma mère. N'est-ce pas plutôt le titre La dèche, le twist et le reste qu'il aurait introduit de la sorte ?

 

Il m'a également, cela va de soi, émue. Ainsi lorsqu'il a chanté La solitude de Léo Ferré. Il a dit : « N'oublions pas Léo ». C'était simple et beau.

 

Ensuite, il a chanté Crépuscule-Transfert, en précisant que cette chanson aurait pu s'appeler Saravejo-Transfert ou Tchétchénie-Transfert. Et il a ajouté : « Ce serait vraiment trop con que ça puisse devenir un jour Sarreguemines-Transfert ».

 

Bref, c'était GRANDIOSE (toujours ces lettres capitales !). Ce type est SUBLIME. Il y avait une très bonne ambiance. J'ai sympathisé avec plusieurs personnes, j'ai chanté... Il y a même un type qui m'a proposé un joint, que j'ai refusé ! Avant le concert, un gars nous a serinées, ma mère et moi. Mais, en même temps, je dois avouer qu'il était amusant.

 

Arrêt sur ce paragraphe : je me souviens très bien de ce « gars ». Il nous avait proposé une mixture douteuse qu'il nous avait présentée comme du Coca et que ma mère, pas naïve, avait immédiatement identifiée comme autre chose, genre whisky-Coca !!!

 

Voilà, la fête est finie, Thiéfaine va quitter la Lorraine pour retrouver les cieux, les lieux qui lui sont familiers. (Je ne devais pas bien maîtriser le concept de tournée à l'époque). Et, dans mon cœur, la tristesse et le vide se sont déjà installés... Viv'ment le prochain concert ! Reviens-nous vite, Hubert-Félix !

 

J'ai intérêt à bosser pour la fac ! Avant le concert, je n'ai presque rien fait, j'étais trop énervée... Et voilà, la fête est finie. Il ne reste plus qu'un souvenir dans ma tête... Le sol est jonché de confettis sales, les lampions sont tombés de désespoir, les lumières se sont éteintes et le grand magicien qui a fait mon bonheur pendant environ 2h15 se repose sans doute à l'heure qu'il est... Salut, Hubert, reviens vite !

 

Lundi 30 octobre 1995 :

Aujourd'hui, je suis restée à la maison. J'ai fait 5h30 de grammaire, j'en avais bien besoin ! Je suis assez fière de moi. Mais j'ai encore tant de choses à apprendre, tant de livres à lire...

Je me suis tout de même octroyé quelques moments de détente : j'ai écrit à Gaïa, à Myriam, à Luc et même à Hubert-Félix ! Je veux, tout simplement, le féliciter pour vendredi soir et le remercier pour les merveilleux moments qu'il m'a fait vivre. Je sais, j'ai l'air d'une vraie gamine, mais je m'en moque !! J'ai bien le droit d'avoir une idole. Je me sens si proche de Thiéfaine... Cela fait environ trois ans et demi que c'est comme ça. Un jour, en 1994, je m'en souviens bien, Gabrielle m'avait demandé à qui je m'identifiais. J'avais immédiatement répondu : « À Thiéfaine ». Je sens que lui et moi, nous nous ressemblons beaucoup, que nous ressentons les choses de la même façon. Bref, Thiéfaine est l'homme de ma vie, je suis la femme de sa vie, mais il l'ignore encore, tandis que moi je le sais !! Je plaisante ! Mais, tout de même, dans cette admiration démesurée que je lui voue, il s'est glissé, je crois, un brin d'amour... Amour étrange, désespéré... Je suis vraiment dingue ! Mais je m'aime dingue ! Que veux-tu, je suis si seule, je me raccroche à ceux qui peuplent ma solitude. Et qui la peuple en premier lieu ? Je te le donne en mille : Thiéfaine !!!

La fortune a été si souriante ces derniers temps. Trois semaines agréables avec, parfois, des moments MERVEILLEUX (comme le jour de mon anniversaire, comme le jour du concert), c'est trop beau. Plus dure sera la chute ! La chute, je l'attends, je sens qu'elle va bientôt se pointer avec son sale visage haineux, sa bouche sans dents, ses yeux vitreux, ses joues couperosées, ses cheveux gras, sa bidoche pendouillante. Forcément, je vais me prendre une tuile sur la tronche. Et elle fera mal, elle tombera de haut. Et moi aussi.

25/10/2024

On retrouve de ces choses... ("Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" !)

"J'attendais qu'elle arrête d'être morte". Agnès DESARTHE

 

Oui, c'est vrai, ça : on retrouve de ces choses quand on fouille dans d'anciens journaux intimes, carnets et compagnie ! Cet été, j'ai déménagé une cargaison de trucs de ce genre. Il faut dire que j'écris depuis l'âge de 13 ans, et de façon compulsive ! Pour moi, tout ce qui est vécu doit être écrit, sinon c'est mort, c'est perdu, c'est mal vécu, vécu de traviole, voire pas vécu du tout. C'est une manie qui me vient de loin. Et que je bénis parfois, quand même. Hier, je me suis amusée à trifouiller dans tous les coins et recoins, partout où j'ai entassé, dans mon appartement, de quoi faire de la lecture à mes filles pour les millénaires qui viennent. Un jour, il faudra jeter tout ça, sans autre forme de scrupule. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Et puis, d'ailleurs, ce serait dommage pour le canard. Donc, peut-être que quand je serai toute ratatinée, je prendrai le temps de relire ce qui, au fil du temps, a fini par devenir le récit de ma vie (prévoir plusieurs années de retraite pour ce faire, et ne faire que ça, sans envisager une seconde d'aller ne serait-ce qu'aux toilettes !). Peut-être que j'aurai ensuite la force de tout bazarder. Bref... En attendant, il y a là-dedans des lignes que j'ai envie de sauver. Parce qu'elles parlent de Thiéfaine, et dépeignent ma passion dans ses différentes étapes.

Le 20 décembre 1992, par exemple, dans mon journal, je fais ce que j'appelle mon «désormais traditionnel bilan de fin d'année » (je ne connais pas une seule année où ce bilan n'ait pas été établi, c'est quelque chose que je fais encore maintenant, à mon grand âge : vers la fin de chaque mois de décembre, je me pose pour expliquer quels furent les moments de joie et les moments merdiques de l'année qui est sur le point de mourir). Et, le 20 décembre 1992, je note ceci, brièvement : « J'ai découvert Thiéfaine, c'est hyper important ». Je ne croyais pas si bien dire, ou plutôt écrire ! Si la jeune fille que j'étais en cette fin 1992 avait pu voir son évolution sur les décennies futures, quelle tête aurait-elle bien pu faire en se rendant compte que ce « hyper important » allait se transformer en primordial et ne jamais faiblir ?!

 

Et puis, il y a ce journal de l'année 1995, celle de mon premier concert de Thiéfaine. Alors là, c'est drôle. Dans mon cahier (mauve), je parle de cet événement comme de la venue du messie, et Dieu seul sait s'il n'y a pas un rapport !

Florilège :

Vendredi 6 octobre 1995 : Depuis ce midi, j'échafaude des tas de plans pour aller voir Thiéfaine en concert : il va effectivement venir à Sarreguemines le 27 octobre. Depuis que je sais ça, je suis DINGUE (écrit comme ça dans le journal !). Il faut à tout prix que je voie ce grand, ce gigantesque bonhomme. Dans le pire des cas, je vais au concert avec ma mère !! Elle va devenir folle, elle n'aime pas spécialement HFT !! Dans le meilleur des cas, j'y vais seule, en voiture. Mais ne rêvons pas. De toute façon, mes rêves ne se réalisent jamais, quoi que je fasse... Si seulement je pouvais assister à ce concert !

(Remarque : Finalement, c'est bien ma mère qui m'emmena à Sarreguemines le 27 octobre 1995. J'ai déjà évoqué la chose ici dans les grandes largeurs. Ce qui me contraria sur le moment devait faire de ce concert l'un des plus beaux moments que je pus partager avec ma mère. Ah, si j'avais su, en 1995, qu'il ne restait que quatorze années de vie à ma Mutti, j'aurais peut-être envisagé différemment sa venue au concert... Si jeunesse savait, n'est-ce pas !)

 

Poursuivons :

Mardi 10 octobre 1995 :

Waow ! Ce soir, je suis totalement DINGUE (écrit comme ça dans le journal !) ! Tout d'abord parce que j'ai fini les corrections que je devais apporter à mon mémoire de maîtrise. Youpi ! Ensuite, demain, je vais acheter un billet pour le concert de Thiéfaine ! Deuxième youpi et explications : en fait, je vais acheter deux billets. Ma mère vient avec moi, elle aime les ambiances de concert, m'a-t-elle dit. De mon côté, j'ai réfléchi et je me suis dit que je ne pourrais renoncer à aller à ce concert. Moralement, je n'en aurais pas la force ! Je suis trop dingue d'Hubert-Félix ! Alors, tant pis, j'irai donc avec ma mère. C'est mieux que de ne pas y aller du tout. Je veux À TOUT PRIX voir Hubert ! J'espère qu'il y a encore des places. Demain matin, à dix heures, je fonce à la FNAC pour y acheter les billets !

 

(Un rien pitbull déjà... Un pitbull terriblement romantique : « Je suis trop dingue d'Hubert-Félix ». Si c'est pas mignon pour un pitbull !!!).

 

Mercredi 11 octobre 1995 :

(…) En définitive, je n'aime que les chiens ! Et HFT et Léo Ferré et Gainsbourg. Je n'en reviens pas, j'ai été déçue des milliers de fois...

 

(Et encore, ça ne faisait que commencer !!!).

 

Jeudi 26 octobre 1995 :

Jour J moins un avant le concert de Thiéfaine ! YOUPI ! Je suis déjà toute dingue ! J'espère ne pas être déçue. Cela m'étonnerait quand même, car HFT est GRANDIOSE, cela ne fait aucun doute.

 

(Un rien fanatique, le pitbull).

 

Nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre 1995 :

1h25 du matin. Il faut à tout prix que je raconte ma soirée ! Le concert est passé, snif ! C'était tout simplement GRANDIOSE, GÉNIAL, ÉPOUSTOUFLANT, MERVEILLEUX, EXTRA, MAGNIFIQUE, MAGIQUE... La salle des fêtes de Sarreguemines est assez petite, j'étais à environ trente mètres d'Hubert-Félix... Le concert m'a vraiment plu. Il y avait beaucoup d'excités, beaucoup de fumeurs de joints mais, sinon, tout était EXTRA. Hubert-Félix a une présence inouïe sur scène. Il fait le clown entre deux chansons, raconte tout et n'importe quoi... Et quand il chante une chanson triste, il sait faire passer le message, communiquer ses émotions, ses blessures. Je suis plus fan que jamais !

 

Et ainsi de suite sur plusieurs pages... Si cela vous intéresse, je mettrai cette suite. Il n'y a qu'à demander. Après, ce n'est pas de la haute littérature. « Il sait faire passer le message » : plus plat que ça, tu fais difficilement ! « Il raconte tout et n'importe quoi » : pas gênée, la meuf, d'écrire une chose pareille !

Oui, c'est naïf, c'est bourré de maladresses et de tartignoleries adolescentes, mais qu'est-ce que c'est chouette de retrouver ça et de se dire « Je n'ai pas tellement changé » !!!

19/10/2024

Époustouflante Clara Ysé : c'était à la BAM, à Metz, hier soir...

"Le sang qui ne coule plus dans les veines des morts, ce sont les vivants alentour qui le perdent". Christian BOBIN

 

Longue chevelure qui descend, telle une cascade, sur le dos et les épaules. Douce silhouette qui ne peut se mouvoir, semble-t-il, qu'en ondulant des pieds à la tête. « Von Kopf bis Fuß », l'expression me vient en allemand (les éléments y sont mis dans le sens inverse du français), et il ne serait pas faux de la compléter à la manière de Marlene Dietrich : « auf Liebe eingestellt ». « Von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt » : faite pour l'amour, des pieds à la tête. Cette femme, Clara Ysé, est un volcan qui ne s'éteint jamais. Il en jaillit régulièrement la substantifique lave, sous forme de mots. Les mots en toutes circonstances, les mots pour dire, mais pas seulement : les mots pour pouvoir se taire et faire taire. Je me souviens qu'au Livre sur la Place, en septembre, Clara Ysé avait expliqué que parfois l'écriture lui permettait de « s'autoriser à oublier ». J'avais acquiescé en mon for intérieur. Je connais ça : parfois, écrire une chose, c'est se donner la chance de la revivre. Parfois aussi, c'est comme la balancer par-dessus bord : une fois jetée sur un cahier que l'on referme, elle n'existe plus vraiment en vous, elle a pris une autre consistance dans un ailleurs clos. Cela peut être salutaire. Combien de blessures ai-je pu soigner ainsi !

Elle arrive sur scène et c'est une salle entière qui se suspend à sa voix, à ses gestes, à ses poèmes mis en chansons. Car c'est de la poésie à l'état pur que nous livre Clara Ysé. Durant tout le concert, je suis absorbée par son univers. Son corps semble ne pouvoir se déplacer qu'en ondulant, écrivais-je plus haut. Il semblerait qu'il en soit de même pour sa voix, qui balaie toutes les gammes. Tour à tour suave, murmurante, puissante. Caresse, chuchotis, couteau. Au gré des envies, au gré des écorchures. Clara Ysé n'a que trente-et-un ans, mais déjà la maturité de plus tard dans l'existence, bien plus tard. Cela confère une certaine mélancolie à ses chansons. Une grande force aussi. Au fil de la soirée, nous effleurons avec elle tout ce qui la constitue : ses amis, ses amours, ses emmerdes, ses deuils et ses éblouissements. Au moment où elle interprète Lettre à M, déchirante déclaration d'amour à sa mère disparue, je ne peux retenir mes larmes. Je pense à celle que j'appelais Mutti, aux cheveux blancs qu'elle n'a pas eus, aux fous rires auxquels le destin mit un coup d'arrêt fatal. « Mais va-t-il arriver

Ce temps espéré où tu cesseras de me manquer ? », demande Clara Ysé. Je voudrais bien lui répondre que oui, que ça arrivera un jour, mais l'expérience me prouve que non, ça n'arrive jamais. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré, et je n'ai pas trouvé plus pertinent que cette formule terrible, à part peut-être plus tard sous la plume de Thiéfaine : « Le silence des morts est violent quand il m'arrache à mes pensées »... Courage, ma belle Clara, une vie à traverser sans sa mère, c'est long, c'est injuste, c'est plein d'épines...

Et pourtant, « Regarde derrière les nuages

il y a toujours le ciel bleu azur qui, lui,

vient toujours en ami, te rappeler tout bas

que la joie est toujours à deux pas », chante-t-elle aussi. Parce qu'elle n'est pas de celles qui cèdent aux sirènes des « rois du désespoir ». La vie est multiple, elle est tantôt clémente, tantôt ignoble, et ça, du haut de ses trente-et-un ans, Clara Ysé le sait. C'est pourquoi elle ne la réduit pas, cette vie, à une seule formule péremptoire. Non, elle la décline sous toutes ses formes : boue, étincelles, tristesse, émerveillement. On la suit, charmés, dans tous les méandres où elle nous conduit par la main. « Je ne sais, il est vrai, chanter que les naufrages », nous dit-elle. Oh non, pas seulement. Ou alors les naufrages dans ce qu'ils ont de beau !

On sort de là puissamment chaviré, secoué, chamboulé. Moi peut-être encore plus que les autres (sans vouloir faire ma frimeuse). Car, avant le concert, dans le hall de la BAM, j'ai croisé par hasard (mais était-ce un hasard ?) la psychologue qui me suivait à l'hôpital. Nous nous sommes dit, entre deux portes, des mots d'une incroyable profondeur. Je lui ai demandé des nouvelles du service hémato. Après quoi, j'ai dû sortir pour prendre l'air et laisser couler quelques larmes. Elle a raison, la belle Clara : on ne sort pas indemne de certains chapitres de nos vies. Et il en est quelques-uns que l'écriture, aussi magicienne soit-elle, ne permet pas de reléguer dans l'oubli... On couche toujours avec des drames...

Mais, et son concert me l'a prouvé : « il y a toujours le jour qui pose ses lumières

sur un coin de la Terre, te rappelant tout bas que la joie

est toujours à deux pas », (...) « Vers un nouveau rivage ton cœur est emporté et l'ancien territoire t'éclaire de ses phares ». La maladie comme un ancien territoire d'où je suis revenue et qui m'éclaire de ses phares, chaque seconde désormais, pour me dire : « Profite, ne gâche rien, ne laisse rien ni personne gâcher la fête ». Moi aussi, comme Clara Ysé, je suis VIVANTE !

12/10/2024

Nena à la Saarlandhalle : quand les étoiles s'alignent parfaitement dans le ciel !

"Chaque jour peut être le dernier : il n'en est donc aucun d'insignifiant". Christian BOBIN

 

Ce jeudi 10 octobre est un jour parfait. Ça n'arrive pas si souvent ! Dans ces cas-là, j'imagine des milliers d'étoiles sortant, en plus de leurs petits bras musclés, leurs règles, compas et compagnie pour créer, dans le ciel, un alignement et un éloignement irréprochables. Après cela, elles sont en général crevées et ont besoin de se reposer pendant de longs mois. D'où la rareté du truc. Et la nécessité de le savourer.

Tout est parfait puisque ma fille Clara peut m'accompagner au concert de Nena qui a lieu ce soir à la Saarlandhalle, à Sarrebruck. Nos emplois du temps sont alignés, eux aussi, pour une fois, ce qui fait que nous pouvons passer une partie de l'après-midi dans le centre de la ville sarroise avant d'aller au concert. Retrouvailles avec ma librairie préférée, flânerie dans la grande rue commerçante.

Vers 17h30, je dis à Clara qu'il ne faudra pas tarder à manger. Le concert commence à 20h, d'accord, mais la Saarlandhalle est assez loin du centre-ville. Et Nena, en Allemagne, c'est une star, elle va forcément attirer les foules. Une heure et demie plus tard, j'en ai la preuve : le parking qui se trouve près de la salle est bondé. On cherche une place et je m'énerve, comme je sais si bien le faire. Je repense à la fois où je devais aller voir Mark Knopfler au Luxembourg et où j'avais été prise dans des bouchons infernaux qui m'avaient fait arriver très en retard. Puis, une fois au Luxembourg, impossible de trouver une place où larguer ma voiture. Si bien que je m'en étais retournée chez moi, écœurée. En ce jeudi 10 octobre où tout est pourtant bien parti, me revient ce traumatisme (oh, ça va, il n'était pas si terrible, j'en ai vécu d'autres, des vrais, depuis). Je dis à Clara qu'on ne va jamais y arriver. « Mais si », me répond-elle calmement, habituée à mes coups de flip !

Nous finissons par trouver un endroit où laisser la voiture, sur un petit chemin douteux où je ne m'aventurerais pas seule la nuit (ça tombe bien, nous sommes deux, merci les étoiles). Nous descendons vers la Saarlandhalle. Il pleut, les voitures circulent à grande vitesse sur la route que nous longeons. Je m'exclame : « Même pour Hubert, j'ai jamais fait ça ». Bien sûr que si que je l'ai fait, voyons ! J'ai même fait pire. Souvenir du concert de Vittel, il y a quelques années, où j'avais eu droit à toutes les saisons sur la route. Et croyez-vous que cela m'aurait fait renoncer ? Niemals !!!

Nous voilà au merchandising. Je veux acheter un tee-shirt et le mettre en classe (au printemps, bien sûr, pas lundi prochain où ça va cailler sa mère, et là je pique l'expression à une de mes anciennes élèves tant je l'avais trouvée rigolote : « ça caille sa mère » - vous remarquerez que la mère est toujours responsable de tous les maux). Le mettre en classe, le tee-shirt, en espérant susciter des questions de la part de mes élèves. Questions qui, elles-mêmes, susciteront des réponses promotionnelles. Enfin, si c'est comme avec le tee-shirt de la tournée Scandale mélancolique arboré fièrement en classe il y a une quinzaine d'années, je peux vous dire que mon espoir va vite se retrouver boxé. Ce jour-là, un élève m'avait dit : « Ouah, madame, vous connaissez Hubert-Félix Thiéfaine ? ». Moi, pleine d'attentes en tous genres (la première étant d'avoir un fan d'HFT parmi mes élèves, naturellement) : « Oui, j'aime beaucoup » (je ne dis pas « j'adore » dans ces moments-là, tenue correcte exigée). « Toi aussi ? », avais-je ajouté. Et là, la déconvenue totale : « Non, c'est mon père qui écoute ça ». Moralité : ne jamais rien espérer, la vie est trop cruelle.

Dans la file d'attente devant le merchandising (oui, nous quittons ma salle de classe de Nancy pour retourner à la Saarlandhalle), je rencontre un couple franco-allemand. C'est elle qui est allemande. Elle est heureuse de trouver des Françaises ici. Elle s'étonne de mon engouement pour la langue allemande (que je lui dépeins dans les grandes largeurs, c'est plus fort que moi). Elle trouve que l'allemand est une langue agressive. Oh, je sais, on me la fait tout le temps, celle-là. Et les Allemands ne sont pas les derniers à critiquer le trésor qu'ils partagent pourtant avec Goethe, Heine, Kleist et tant d'autres...

Voilà, j'ai mon tee-shirt Nena. Il va désormais concurrencer ma panoplie HFT ! Dans un cas comme dans l'autre, vous savez... Y a guère que les vieux qui sauront de quoi il retourne. Ou les enfants de vieux. Voire les petits-enfants de vieux. Hier encore, j'avais vingt ans, mais bon...

Il y a une première partie dont je ne vous dirai rien pour la simple et bonne raison que je n'y ai pas assisté. Ma fille voulait fumer une cibiche. Puis aller aux toilettes. Tout cela nous a tellement occupées que zou, première partie finie en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. J'ai l'impression que la chanteuse n'a interprété que trois morceaux comme ça, vite fait, à l'arrache.

Et puis arrive celle que tout le monde attend : Nena. Avec un grand « N », comme celui qui s'affiche somptueusement sur le décor de la scène. Les lumières ne s'éteignent pas tout de suite. Nena explique qu'elle veut nous voir (« ich will euch sehen », dit-elle, et c'est beau, purée, on dirait du Goethe !). J'ai des frissons partout tant je suis heureuse d'être là : à un concert de Nena que j'écoute depuis si longtemps, dans le pays qui est devenu ma deuxième maison (« mein zweites Zuhause », comme je dis toujours), après une maladie qui a failli me priver de toutes ces splendeurs. Parfois, penser que l'Allemagne continuera son bonhomme de chemin sans moi après ma mort me rend mélancolique et songeuse. Va-t-elle vraiment y arriver ?!

Nena nous voit, donc, et elle s'en réjouit. Elle est tout sourire, comme à Colmar. Son beau visage, sa silhouette filiforme, sa voix cristaline, la merveilleuse langue dans laquelle elle chante : de tout cela émane un charisme dingue.

Les titres s'enchaînent, offrant un aperçu éclectique de la carrière non moins éclectique de la chanteuse : il y a du rock, beaucoup de rock (et Nena d'empoigner plusieurs fois sa guitare électrique), du disco, des balades. Aucun temps mort, sauf ces trente secondes de silence que Nena réclame en faveur de la paix dans le monde. Le silence a d'ailleurs du mal à se faire dans la Saarlandhalle, comme la paix dans le monde... Il finit par arriver quand même, et c'est puissant, je n'avais jamais vécu cela dans une salle de concert.

Clara me dit qu'elle ne regrette pas d'être venue. Elle kiffe. Elle trouve que Nena a une voix magnifique, me dit que l'allemand est une très belle langue. N'est-ce pas que ta mère a raison, ma fille ?! Je sens qu'il va falloir que je planque mon tee-shirt, moi !

Les temps forts de ce concert qui en regorge ? 99 Luftballons, bien sûr. Leuchtturm, forcément. Irgendwie, irgendwo, irgendwann, na klar ! Rette mich, évidemment. In meinem Leben aussi, sorte de longue confession dans laquelle Nena avoue s'être plantée plus d'une fois sur le chemin de la vie et n'avoir pas fait que des choses bien. Qu'elle se rassure : moi non plus, et personne dans la salle. Et personne dans le monde entier ! Que celui qui n'a jamais péché, n'est-ce pas...

Le concert dure deux heures et on ne les voit pas passer. On sait pourtant que Saturne, le « dieu fort inquiétant », reste tout-puissant même et surtout quand les étoiles sont disposées dans une géométrie aussi parfaite qu'étonnante. On voudrait que ça ne passe pas, et ça passe quand même.

 

Et me voilà ce matin, un rien nostalgique...

06/10/2024

Des idées bizarres (vivre au rythme des guitares des rock'n'roll stars)

"L'amour que je vous porte est sévère. Il a ruiné par avance tout ce qui pourrait m'en guérir". Christian BOBIN

 

J'ai parfois, je l'avoue, des idées bizarres. Mais qui n'a pas ses idées bizarres, en plus de sa névrose, monsieur le commissaire ?

Beaucoup d'idées bizarres en ce qui me concerne. D'ailleurs, généralement, quand je prononce cette expression dans mon entourage, « des idées bizarres », j'ajoute en chantant : « Vivre au rythme des guitares », c'est dire à quel point je peux être dérangée, et je suppose que vous avez la réf de « vivre au rythme des guitares » ! Bref...

Bien sûr, dans ce fouillis, il y a forcément des idées qui ont trait à Hubert-Félix. Parce qu'il n'y a pas que Michel Berger dans la vie ! Évidemment que le domaine HFT est touché par mes idées saugrenues : n'est-il pas un de ceux qui signent le plus précisément ma personnalité ?!

Petit catalogue :

-Parfois, comme ça, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, je me demande ce que Thiéfaine peut être en train de faire à ce moment précis où je pense à ce qu'il peut être en train de faire.

-Parfois, je rêve de Thiéfaine. C'est même chose récurrente, pour ne pas dire courante. Ce sont toujours de très beaux rêves. Une fois, j'avais rêvé que je le rencontrais dans un magasin au rayon alcools. C'était il y a longtemps, à la fin des années 1990, je m'en souviens parfaitement. Depuis, mes rêves se sont modifiés : Hubert ne boit plus et, par conséquent, je ne le rencontre plus au rayon alcools. D'ailleurs, je ne le rencontre plus au supermarché. Dommage, ce serait drôle de lever les yeux de ma liste de courses et de devoir les écarquiller à fond : mais qui donc aperçois-je entre la farine et le sucre ?!

Une autre nuit, il n'y a pas si longtemps, j'ai rêvé que Thiéfaine donnait un concert au fond de mon jardin, dans une … baraque à frites ! Bon, j'ai déménagé depuis et je n'ai plus de jardin, il en allait de ma santé mentale ! Parce que les concerts dans des baraques à frites, quand même, ça va trop loin !

-Parfois, de même que j'adorerais pouvoir entendre le français avec les oreilles d'un étranger qui ne maîtriserait aucunement cette langue, je voudrais repartir à la source première, quand je ne connaissais pas Hubert. Me reprendre de plein fouet 17 albums dans le cœur. Combien de chansons au total ? Je ne sais pas, mais beaucoup. M'enfoncer dedans avec une abyssale virginité. Découvrir tout cela d'une oreille nouvelle. Et n'en pas croire cette oreille tellement ce serait beau et puissant et renversant. Voir quel effet ça me ferait, cette première fois de folie. Oh, j'ai déjà une vague idée quand même, va. Mais bon. Rien que pour le plaisir. Recommencer. Être comme une gosse qui s'exclamerait joyeusement « prem's !» en voyant qu'elle est la première à marquer de ses pas une neige immaculée.

-Souvent, quand je converse avec quelqu'un, mon esprit s'en va flotter ailleurs, encore plus loin ailleurs, dans des méandres dont moi seule maîtrise le tracé (et encore, pas toujours) : mon interlocuteur (ou trice, cela va sans dire, ma folie s'abat sans distinction de genre sur tout ce qui passe à sa portée) prononce un mot et là, je vois clairement apparaître sur un écran imaginaire les vers qui, dans l'œuvre d'Hubert, font écho à ce terme, et je connais une certaine Bételgeuse qui, entendant ou disant elle-même « Je ne fais que passer », aurait forcément envie d'ajouter et peut-être ajouterait, et peut-être a même déjà ajouté (!) : « Je n'aurai pas de rides ». Les exemples seraient légion, et pourtant aucun autre ne me vient là, aujourd'hui, mince alors, c'est pas juste sachant que c'est hallucinant comme les scènes de ce genre remplissent ma vie. Et la colorent d'une subtilité folle. Et lui confèrent une magie dont il y a lieu de s'étonner régulièrement. C'est si chouette d'avoir en soi des mots qui vous fredonnent un univers secret ! Univers auquel, durant la maladie, je ne manquai pas de m'accrocher comme un perdu en mer s'accrocherait à un radeau. Partout, aux alentours, la tempête faisait rage, mais moi, au fond de mes précipices, bien sûr j'avais encore mes précipices, mais aussi, magiquement, mes ascenseurs. Je suis sûre qu'en certains moments particulièrement critiques, cela a fait remonter mon taux de plaquettes et effrayé mes blastes, à en faire perdre toute explication rationnelle au personnel médical ! La poésie comme le plus puissant des breuvages, pour moi en tout cas !

-Parfois, quand on me branche sur le sujet Thiéfaine, on me voit passer de la timidité à l'exubérance incontrôlable. De taiseuse, je deviens volubile, et pas que pour le bien de mon interlocuteur (ou trice, cela va sans dire, mes logorrhées s'abattent sans distinction de genre sur tout ce qui passe à leur portée). Et je serais capable, je crois, de raconter ma passion pour HFT à un caniche si un caniche avait le malheur de passer par là au moment où mon interlocuteur (ou trice) humain(e) s'écroule de fatigue. Le pauvre chien, comme dans la chanson d'Hubert, aurait droit à ce qu'il n'attendait pas. C'est la vie, mon petit gars, et elle n'est pas toujours tendre, on rencontre de ces spécimens quand on se promène sans laisse, je ne vous raconte pas...

 

Voilà. C'était un petit panel de mes idées bizarres. Et vous, vous avez les mêmes ? Vous en avez d'autres ? Et si oui, lesquelles (si elles sont avouables) ?!

05/10/2024

Ô joie, je vais bientôt revoir ma très chère Nena (si tout va bien) !

"A dix-sept ans, on voit clair. On voit ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. On devine que le cœur d'un adulte est mélangé de tout. On voit que le cœur d'un adulte est un chiffon, un peu comme ceux qui servent aux peintres, pour essuyer leurs pinceaux. On voit la vie manquée, on se promet tout le contraire". Christian BOBIN

 

Début des années 1980. Je suis encore une petite fille. J'aime déjà follement la musique. Je regarde régulièrement des clips à la télé. Un jour, je découvre un truc bizarre. Ça chante en allemand, une langue que j'entends souvent à la maison : mon père, qui travaille chez Siemens, regarde presque tous les jours des chaînes allemandes. Il s'entraîne, il s'imprègne. Car il va assez souvent en Allemagne, à Erlangen, où il fait des stages (plus tard, je l'y accompagnerai un certain nombre de fois, chose que j'ignore encore sur le canapé du salon où je suis posée pour m'imprégner, moi, d'autre chose que de la langue allemande : de musique, à m'en étourdir, à en oublier l'heure et les leçons qui m'attendent désespérément dans des cahiers que je n'ouvre qu'en catastrophe le dimanche soir). Et donc, au milieu de tous les clips, il y a ce truc bizarre avec une nana qui parle de « Luftballons ». Je ne comprends que dalle, mais ça me plaît.

Un peu plus tard, j'arrive en sixième et mes parents me forcent à faire allemand première langue. Je suis furax. Moi, je voulais faire de l'anglais. L'allemand, je trouve que c'est ringard et pas beau et trop conventionnel puisque j'en entends beaucoup à la maison. Mes parents demeurent inflexibles et je dois me ranger à leur avis qui me désole. Ce sera donc allemand première langue. Sans enthousiasme, je vous jure. Pire : avec hostilité ! Je me souviens de mon premier mot dans le carnet de correspondance : « Catherine n'apprend pas ses leçons d'allemand ». Véridique. Eh oui, Catherine n'en fait qu'à sa tête, Catherine choisit ses matières bien soigneusement. Catherine rejette l'allemand, au même titre que les maths et la physique. Beurk, tout ça ! Allez, dans le même sac que je balance par-dessus bord.

Et puis, un jour, ma vie bascule : je rencontre une prof d'allemand archi passionnée qui vit sa matière plus qu'elle ne l'enseigne. Je tombe sous le charme. De la prof et de la langue allemande. Virage à je ne sais combien de degrés. Beaucoup de degrés. Me voilà littéralement amoureuse de la langue de Goethe. Depuis l'enfance, je veux être prof. Je sais désormais que je serai prof d'allemand et que j'essaierai d'être aussi convaincante que celle qui m'a fait aimer cette langue.

Je commence à me rendre fréquemment en Allemagne. Après être tombée amoureuse de la langue, je tombe amoureuse du pays. Je déplore qu'on le connaisse si mal en France.

Et puis, je deviens prof. En classe, je me heurte souvent à des préjugés impitoyables, ceux-là mêmes que j'avais quand j'étais au collège : l'allemand, langue moche et ringarde. J'ai l'impression de partir régulièrement en croisade pour tenter de casser les mille et un clichés qui collent à la peau de ma pauvre langue allemande tant aimée. Parfois, je parviens au résultat escompté. Parfois, je tombe à côté. Tant pis, on ne peut pas convaincre tout le monde. Il y a des certitudes indéboulonnables...

Un jour, en Allemagne, je tombe sur un CD de Nena. Quoi, elle existe encore ?! J'achète le CD. Plus tard un autre, et encore un autre. J'écoute ça avec joie, des frissons partout (parce que moi, l'allemand, ça me remue profondément !). Je me mets à connaître par cœur certaines chansons. Et quand j'écris par cœur, c'est par cœur. J'apprends tout ça avec le cœur parce que ça parle à mon cœur. Nena raconte de menues choses quotidiennes (Meine kleine heile Welt, Wenn wenigstens Sommer wär), parfois aussi de grands trucs. Comme son incapacité à vivre un amour serein (Todmüde, Das ist normal, Dann fiel mir auf). Ça parle à mon cœur, vraiment, toute ressemblance avec ma vie n'étant malheureusement pas fortuite sur ce coup-là !!!

Lors de la longue traversée que fut ma putain de leucémie, je devais faire la connaissance (sur Facebook) d'une certaine Sandrine, atteinte de la même maladie que moi. Sandrine qui devait m'apprendre, beaucoup plus tard, quand nous serions sorties triomphantes de nos merdiers respectifs quoique similaires, que ma très chère Nena allait venir, en juillet 2024, à la Foire aux Vins de Colmar. Je ne réfléchis pas trop et me pris un billet.

Quel concert que celui-là ! J'en revins avec mille étincelles dans les yeux et dans la chair. Et avec l'envie folle de revoir ma très chère Nena.

Ce que, si tout va bien (toujours semer un peu partout des « si tout va bien » désormais, parce qu'on ne sait jamais, la vie a parfois de ces idées pourries pour vous la pourrir comme il faut, justement), je ferai dans quelques jours puisque la chanteuse passe à Sarrebruck, pas très loin de chez moi. Je vais y aller avec ma fille aînée, Clara. Si tout va bien. Parce que … vous voyez ce que je veux dire.

 

Ce que je retiens de tout cela ? Mes plus belles histoires d'amour ont souvent pris naissance dans une répulsion dingue : l'allemand, Thiéfaine, et même Gary, dont, à 14 ans, je lus La vie devant soi en m'arrêtant à la moitié, rendant le livre à la documentaliste de mon collège dans un geste que je qualifierais presque de dégoût : qu'est-ce qu'on est con quand on a quatorze ans, et j'en ai la preuve chaque jour sous mes yeux dans une certaine classe où j'enseigne, hihihi !!!.

Bon, c'est quoi, en ce moment, la haine qui me traverse ? Ce ne serait pas inutile de le savoir : elle deviendra ma plus belle histoire d'amour. Dis-moi qui je hais, je te dirai qui je m'apprête à aimer passionnément !!!!

27/09/2024

Agnès Desarthe, une rencontre, et quelle rencontre !

"Vivre - longer une muraille jusqu'à trouver une brèche lumineuse. J'ai découvert de telles fissures dans le jaune assourdissant des pissenlits, ces enfants pauvres du soleil. J'avance très lentement. Je mourrai sans être arrivé au fond du jardin". Christian BOBIN

Un petit billet, comme ça, en passant. Pas beaucoup de liens avec Thiéfaine. Encore que...

Il y a des rencontres magiques, durant lesquelles de petites étincelles chauffent de partout sans qu'on puisse expliquer pourquoi. Ce fut le cas mardi avec Agnès Desarthe, venue parler de son livre Le château des rentiers à la librairie « La cour des grands », à Metz.

J'adore Agnès Desarthe. D'abord parce que c'est une linguiste (elle est agrégée d'anglais et traduit régulièrement des livres d'auteurs anglophones) et que certaines de ses publications m'ont permis de voir que nous avions les mêmes préoccupations en matière de grammaire. La grammaire, allez savoir pourquoi, c'est une des affaires de ma vie. J'y vois de la poésie à tous les étages. Prenez les temps, par exemple. En allemand, on dit du subjonctif II qu'il est le mode de l'irréel. Un peu celui qui permet de dire « j'voudrais bien, mais j'peux point ». Le subjonctif II passé est le mode du regret : « Ah, si j'avais su ! ». Et tutti quanti ! Bref, tout ce qui aurait fait dire à Romain Gary mon amour « ça ne s'est pas trouvé ». Ce sont des trucs qui me font triper, je n'y peux rien, c'est comme ça depuis l'enfance. Quand la maîtresse de CM2 annonçait une leçon de grammaire, je me disais « chouette » alors que mes camarades, pour la plupart, arboraient soudain des mines affligées. Moi je bichais. Parlez-moi du locatif, du directif, du génitif, de tout ce que vous voulez en -tif, et vous me verrez ravie. Je sais, j'ai une drôle de vie, de drôles de kifs, mais il faut de tout pour faire un monde.

Et donc, Agnès Desarthe a le même genre de came, sauf que c'est avec la grammaire anglaise. Soit. Ça revient presque au même, à quelques « tifs » près !

Hier, elle n'était pas là pour parler de grammaire, mais elle a tout de même réussi à caser quelques petites réflexions linguistiques, et ça j'ai adoré, comme quand j'étais en CM2. Elle a évoqué un linguiste qui disait qu'il serait bon d'avoir une langue incluant le « frustratif », c'est-à-dire un mode qui permettrait de balancer dedans ses frustrations. Et Agnès Desarthe d'ajouter un exemple : « Le mari que j'aurais voulu avoir et qui ne ressemble pas au mari que j'ai dans la réalité ». Frustratif. On peut y aller à l'infini. Le compte en banque que je voudrais avoir. Le ventre plat que je voudrais avoir. Les quelques centimètres de plus, etc.

Elle nous a également livré des anecdotes et des traits de caractère la définissant. Le « vivement que » est ce qui l'anime. En écrivant Le château des rentiers, elle espérait donner naissance à un livre qui lui fasse dire : « Vivement que je sois vieille ». Autre élément caractéristique de sa personne : admirer, encore et toujours (oh, tiens, un autre point commun avec moi). L'admiration comme « moyen de transport », nous a-t-elle dit. Et de préciser : « Par exemple, quand je regarde une danseuse de quatorze ans, je me dis qu'avec un peu d'entraînement, je pourrais peut-être parvenir à un résultat acceptable. Pas forcément danser aussi bien. Mais peut-être juste cueillir une pomme avec la même grâce ». Éclats de rire dans la salle. Comme on dit en allemand, Agnès Desarthe n'est pas une enfant de la tristesse. Et c'est bien agréable de se marrer comme ça avec elle et grâce à elle après une âpre journée de boulot ! Ses admirations, nous a-t-elle expliqué, ne sont pas source de frustration. Elles lui permettent d'avancer. Et d'oublier, par exemple dans le cas de l'histoire de la pomme, qu'elle n'a plus quatorze ans. « Il y a une différence entre l'âge qu'on a à l'intérieur et l'âge qui s'affiche sur nous extérieurement. On connaît tous des gens qui disent je suis resté bloqué à tel âge. On reste bloqué à un âge et on vieillit par-dessus ». Comme j'ai aimé cette formule ! Je ne sais pas bien à quel âge je suis restée bloquée pour ma part. Peut-être bien que j'ai toujours dix ans dans ma tête et que je suis coincée dans la classe de CM2 à m'éclater à faire de la grammaire, allez savoir ! Oh non, dix ans, c'est trop tôt : je n'ai pas encore eu la révélation de l'allemand, la révélation de Gary, la révélation de Thiéfaine. Allons un peu plus loin. Et restons délicieusement bloquée à la trentaine, comme ça il y aura mes filles en plus !

Le temps passe et on ne voit pas qu'il passe tant la compagnie d'Agnès Desarthe est plaisante. Je bois ses paroles, je ris, je pleure. Oui, parce qu'elle dit aussi des choses très émouvantes. Et quand elle lit des passages de son livre, l'authenticité est tellement palpable que j'en ai des frissons partout.

 

La soirée se termine par une séance de dédicaces. Je vais faire la queue, comme quelques autres. À un moment, je m'aperçois qu'il y a deux files et que dans la mienne, évidemment, ça n'avance pas. Je m'en ouvre à mon voisin, celui qui est derrière moi : « Je crois que je n'ai pas choisi la bonne file », lui dis-je. « Moi non plus, je vous ai suivie », me répond-il. Ce à quoi je rétorque qu'il ne faut jamais me suivre, mon malheureux. Je suis la championne des files qui s'enlisent, c'est pareil au supermarché. Et Agnès Desarthe de mettre son grain de sel dans la conversation : « Oui, c'est comme à l'épicerie, quand on fait la queue à côté des pommes alors qu'il aurait fallu la faire à côté des bananes ». Elle a décidément beaucoup d'humour.

Elle a pitié des deux zouaves qui n'ont pas fait la queue là où il fallait (je ne suis jamais là où il faut), en l'occurrence mon voisin et moi. Elle prend le livre que je tiens entre les mains. Le château des rentiers, donc. Que je n'ai pas encore lu mais que je vais commencer au plus vite tellement je suis décoiffée par cette rencontre à la Cour des grands !

Agnès Desarthe ouvre le livre et découvre ceci : sur une des premières pages, j'ai collé un post-it indiquant mon nom et la date à laquelle j'ai reçu le bouquin. Souvent, j'ajoute le lieu d'achat. Ça fait déjà un livre à se taper avant de plonger dans le livre lui-même !!! Agnès Desarthe lit à voix haute : « cadeau de D. » (le prénom figure en entier sur le post-it, mais il ne me paraît pas judicieux de le citer ici). « Je fais la dédicace pour qui, alors ? Pour D. ? » , me demande-t-elle. Je lui explique que non, qu'il faut faire la dédicace à mon nom et j'ajoute, parce qu'elle insiste un peu pour percer le mystère, que le fameux D. est sorti de ma vie. « Pas tout à fait, me lance Agnès (et là j'enlève son nom de famille car nous sommes presque devenues amies en deux minutes trente), il y est resté sous forme de post-it. Je ne sais pas si c'est une position enviable ». Mon voisin renchérit : « Un post-it amovible » ! J'éclate de rire. Finalement, un mec sous forme de post-it, ça me va très bien. Un homme dans ma vie, c'est comme quand il y a du soleil dans la rue de ce brave Hubert : je ne sais pas quoi en faire. Alors un post-it, ça me va très bien. Amovible, s'il vous plaît, de manière à pouvoir le mettre un coup sur un bouquin, un coup sur le frigo, un coup sous ma chaussure et ciao, dodo !

Le temps de me dire qu'Agnès pourrait devenir une amie qui aurait toutes les qualités qui me font littéralement fondre (et linguiste avec ça, le summum !) et ça y est, c'est l'heure d'aller choper mon bus. Dehors, je lis la dédicace : « À vous, très chère Catherine, à la puissance des post-it, à mon indiscrétion et à votre rire irrésistible ». Je souris dans la rue Serpenoise que je traverse sous la pluie. Dans mon cœur, il y a soudain un grand soleil et je sais quoi en faire : du bois pour les jours d'hiver !

 

Et vous, à quel âge êtes-vous resté(e)s bloqué(e)s ?!!

Et comment occupez-vous vos journées sans Thiéfaine ?! Je veux dire sans la perspective d'un concert ici ou là. Moi, je lis, j'écris, je fais des photos, j'écoute Thiéfaine, encore et toujours, et d'autres artistes aussi. Je vais en voir quelques-uns bientôt (Clara Ysé, Nena, Grand Corps Malade et Zaho de Sagazan). Mais il me manque, lui, le grand, l'unique... Bois d'Amont, un traumatisme...