Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/10/2024

Époustouflante Clara Ysé : c'était à la BAM, à Metz, hier soir...

"Le sang qui ne coule plus dans les veines des morts, ce sont les vivants alentour qui le perdent". Christian BOBIN

 

Longue chevelure qui descend, telle une cascade, sur le dos et les épaules. Douce silhouette qui ne peut se mouvoir, semble-t-il, qu'en ondulant des pieds à la tête. « Von Kopf bis Fuß », l'expression me vient en allemand (les éléments y sont mis dans le sens inverse du français), et il ne serait pas faux de la compléter à la manière de Marlene Dietrich : « auf Liebe eingestellt ». « Von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt » : faite pour l'amour, des pieds à la tête. Cette femme, Clara Ysé, est un volcan qui ne s'éteint jamais. Il en jaillit régulièrement la substantifique lave, sous forme de mots. Les mots en toutes circonstances, les mots pour dire, mais pas seulement : les mots pour pouvoir se taire et faire taire. Je me souviens qu'au Livre sur la Place, en septembre, Clara Ysé avait expliqué que parfois l'écriture lui permettait de « s'autoriser à oublier ». J'avais acquiescé en mon for intérieur. Je connais ça : parfois, écrire une chose, c'est se donner la chance de la revivre. Parfois aussi, c'est comme la balancer par-dessus bord : une fois jetée sur un cahier que l'on referme, elle n'existe plus vraiment en vous, elle a pris une autre consistance dans un ailleurs clos. Cela peut être salutaire. Combien de blessures ai-je pu soigner ainsi !

Elle arrive sur scène et c'est une salle entière qui se suspend à sa voix, à ses gestes, à ses poèmes mis en chansons. Car c'est de la poésie à l'état pur que nous livre Clara Ysé. Durant tout le concert, je suis absorbée par son univers. Son corps semble ne pouvoir se déplacer qu'en ondulant, écrivais-je plus haut. Il semblerait qu'il en soit de même pour sa voix, qui balaie toutes les gammes. Tour à tour suave, murmurante, puissante. Caresse, chuchotis, couteau. Au gré des envies, au gré des écorchures. Clara Ysé n'a que trente-et-un ans, mais déjà la maturité de plus tard dans l'existence, bien plus tard. Cela confère une certaine mélancolie à ses chansons. Une grande force aussi. Au fil de la soirée, nous effleurons avec elle tout ce qui la constitue : ses amis, ses amours, ses emmerdes, ses deuils et ses éblouissements. Au moment où elle interprète Lettre à M, déchirante déclaration d'amour à sa mère disparue, je ne peux retenir mes larmes. Je pense à celle que j'appelais Mutti, aux cheveux blancs qu'elle n'a pas eus, aux fous rires auxquels le destin mit un coup d'arrêt fatal. « Mais va-t-il arriver

Ce temps espéré où tu cesseras de me manquer ? », demande Clara Ysé. Je voudrais bien lui répondre que oui, que ça arrivera un jour, mais l'expérience me prouve que non, ça n'arrive jamais. « On couche toujours avec des morts », chantait Ferré, et je n'ai pas trouvé plus pertinent que cette formule terrible, à part peut-être plus tard sous la plume de Thiéfaine : « Le silence des morts est violent quand il m'arrache à mes pensées »... Courage, ma belle Clara, une vie à traverser sans sa mère, c'est long, c'est injuste, c'est plein d'épines...

Et pourtant, « Regarde derrière les nuages

il y a toujours le ciel bleu azur qui, lui,

vient toujours en ami, te rappeler tout bas

que la joie est toujours à deux pas », chante-t-elle aussi. Parce qu'elle n'est pas de celles qui cèdent aux sirènes des « rois du désespoir ». La vie est multiple, elle est tantôt clémente, tantôt ignoble, et ça, du haut de ses trente-et-un ans, Clara Ysé le sait. C'est pourquoi elle ne la réduit pas, cette vie, à une seule formule péremptoire. Non, elle la décline sous toutes ses formes : boue, étincelles, tristesse, émerveillement. On la suit, charmés, dans tous les méandres où elle nous conduit par la main. « Je ne sais, il est vrai, chanter que les naufrages », nous dit-elle. Oh non, pas seulement. Ou alors les naufrages dans ce qu'ils ont de beau !

On sort de là puissamment chaviré, secoué, chamboulé. Moi peut-être encore plus que les autres (sans vouloir faire ma frimeuse). Car, avant le concert, dans le hall de la BAM, j'ai croisé par hasard (mais était-ce un hasard ?) la psychologue qui me suivait à l'hôpital. Nous nous sommes dit, entre deux portes, des mots d'une incroyable profondeur. Je lui ai demandé des nouvelles du service hémato. Après quoi, j'ai dû sortir pour prendre l'air et laisser couler quelques larmes. Elle a raison, la belle Clara : on ne sort pas indemne de certains chapitres de nos vies. Et il en est quelques-uns que l'écriture, aussi magicienne soit-elle, ne permet pas de reléguer dans l'oubli... On couche toujours avec des drames...

Mais, et son concert me l'a prouvé : « il y a toujours le jour qui pose ses lumières

sur un coin de la Terre, te rappelant tout bas que la joie

est toujours à deux pas », (...) « Vers un nouveau rivage ton cœur est emporté et l'ancien territoire t'éclaire de ses phares ». La maladie comme un ancien territoire d'où je suis revenue et qui m'éclaire de ses phares, chaque seconde désormais, pour me dire : « Profite, ne gâche rien, ne laisse rien ni personne gâcher la fête ». Moi aussi, comme Clara Ysé, je suis VIVANTE !

Commentaires

A découvrir : Le monde s'est dédoublé, Douce, Lettre à M, Pyromanes, Soleil à minuit, Souveraines, La maison, Magicienne, Les rois du désespoir, Ce soir avec vous. Oh, et puis tout l'album, en fait !

Écrit par : Katell | 19/10/2024

Écrire un commentaire