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10/03/2019

Programme des réjouissances...

"Ne rien lire, ne penser à rien, ne pas dormir,

Sentir la vie courir en moi comme une rivière dans son lit,

Là-bas, dehors, un grand silence

Comme un dieu qui dort". Fernando PESSOA

 

Ma mère, voici le temps venu, non pas d'aller prier pour mon salut (quoique...), mais pour mon compte bancaire ! Car : folies en perspective, ivresse, flammèches tous azimuts, et surtout dépenses qu'il ne faudrait pas faire et que je ferai quand même. Donc, récapitulons : vendredi 15, sortira, comme chacun sait, ceci :

 

HFT live 2019.jpg

 

Évidemment, comme toujours, je vais me sentir obligée de m'offrir la gamme complète : CD et vinyle. De toute façon, j'ai le droit puisque j'ai fait il y a peu l'acquisition d'une platine ! Fini, donc, le temps où je regardais s'empoussiérer les disques !

Autre réjouissance : la mini-tournée a été prolongée, et le choix ne manque pas. Pour ma part, je serais bien allée voir Hubert au Printemps de Bourges, mais je crois que ça ne va pas coller avec certaines de mes obligations (dommage car le lendemain, il y a un hommage à Higelin, et j'aurais bien « fait » les deux, mon capitaine). J'irais volontiers aux Vieilles Charrues aussi, mais j'ai l'impression qu'il n'y a déjà plus de billets. Et vous, des dates prévues ?

 

J'ai d'autres questions à vous poser :

  1. Que vous inspire la pochette du live qui sortira vendredi ?

  2. Connaissez-vous bien l'œuvre de Ferré ? Après avoir entendu Hubert citer maintes fois cet artiste, je me dis que je devrais maîtriser un peu mieux son immense répertoire. J'ai beaucoup écouté Ferré il y a une vingtaine d'années, mais pas tout, loin de là. Avez-vous des conseils, des préférences ? Vous est-il déjà arrivé de percevoir des liens entre l'œuvre d'HFT et celle de Ferré ? Pour ma part, je me souviens d'avoir éprouvé un grand choc en découvrant La vie d'artiste. Dès la première écoute, pas de doute : on n'était pas loin, ici, de La dèche, le twist et le reste. Je me demande même si je n'avais pas écrit ici même un billet à ce sujet, mais c'est vieux, et comme « je commence même à oublier des choses que je n'ai jamais sues », je me méfie de celles que je savais ou croyais savoir !

23/02/2019

CharlElie Couture au Hall du Livre (Nancy), samedi 23 février 2019...

"L'inspiration, c'est presque rien. C'est un frémissement". CharlElie COUTURE

 

Samedi 23 février 2019, Hall du Livre, Nancy. C'est un moment qui ne reviendra pas, comme tant d'autres avant lui, et on ne sait combien après. CharlElie est là, de retour dans sa ville, celle où il fut enfant, celle où il bourlingua-erra parfois, celle où dorment quelques-uns de ses souvenirs. Il est là, devant nous, il sort son portable et filme ceux qui sont venus pour lui aujourd'hui. Tiens, on dirait que lui aussi aime fixer des bouts de vie et que celui-là compte pour lui comme pour nous. Il le dit, il souligne ce qu'il appelle l'importance de l'instant, et nous voilà tout chose, tous autant que nous sommes, nous qui le suivons sans doute depuis des années. Parce que CharlElie, c'est rare qu'on le découvre en 2019. Cela peut arriver, bien sûr, mais souvent, quand même, il faut le dire, si on l'écoute, si on le lit, si on s'abreuve à la source magique de son œuvre protéiforme, c'est depuis un bail et c'est qu'on n'est pas né de la dernière pluie. J'assume : j'écoute CharlElie depuis les années collège, grâce à un prof (de maths, s'il vous plaît) bien inspiré qui me mit Poèmes rock entre les mains. Mains que lesdits poèmes devaient électriser, et le cœur, et les oreilles, et le reste. Ce fut ce qu'on appelle une grande découverte. Le même prof me recommanda également Thiéfaine, la même année, je crois. Allez savoir pourquoi (je devais être bête en plus d'être jeune et sans expérience), j'écoutai vaguement les albums qu'il jugea bon de me prêter, je dis « ouais, bof » et lui rendis tout le lendemain ! Parfois, les rencontres essentielles, ce n'est pas si simple, ça doit attendre le bon moment, celui qui, entre tous, portera le sceau de l'évidence. Mais je m'égare, excusez-moi.
Donc, CharlElie est depuis quelque temps de retour en France et plus précisément quelque part à l'Est, où il est né (de ce hasard qui le parachuta ici plutôt qu'ailleurs, il a fait une très belle chanson sur son dernier album). En ce samedi 23 février 2019 qui ne reviendra pas, il est au Hall du Livre pour nous parler de poésie, en compagnie de Sarah Polacci (c'est elle qui anime l'entretien) et d'Éric Poindron. CharlElie vient nous présenter son dernier livre, intitulé La mécanique du ciel. La couverture indique que le recueil renferme 50 poèmes inchantables. Et c'est un pur enchantement que de les savoir à l'intérieur de ces pages, eux qui auraient pu dormir encore longtemps dans un tiroir ou même n'en sortir jamais. À la première question que lui pose Sarah Polacci, CharLElie répond qu'il est toujours dans l'émotion, parfois aussi dans les motions de censure. Mais passons sur ce dernier point. La plupart du temps, nous dit-il, il est tout simplement heureux d'être là, d'être en vie, comme aurait dit Higelin. Il nous raconte toutes sortes d'histoires saugrenues, de celles qui n'appartiennent qu'à lui. Je savais qu'elles peuplaient superbement ses chansons, j'ignorais qu'elles pouvaient aussi émailler ses propos et les rendre sautillants, fous, espiègles ! Il nous dit qu'il se plaît à penser que, Renaissance ou autre époque, les hommes ont toujours, à peu de choses près, éprouvé les mêmes sentiments. Et de partir dans un délire qu'on verrait bien blotti dans une chanson : un homme préhistorique se chamaille avec un autre, qui était censé lui passer la lance au moment où passait un sanglier ou un truc dans le genre. Sauf que non, la lance, eh bien, il ne savait plus où il l'avait mise, ce crétin. En réalité, le couard s'était planqué derrière un arbre parce qu'il n'en menait pas large face au gibier. On rit en l'écoutant, CharlElie, il nous berce comme des grands gosses, et le sommeil ne vient pas, c'est tout l'inverse qui nous envahit : une espèce de sentiment absolu d'être là, d'être en vie, comme aurait dit Higelin. Un réveil qui fait du bien. Nous voilà maintenus dans un état de veille émerveillée, et c'est doux, et c'est chouette. Puis, ému, il nous raconte que récemment, accompagné de son biographe (car oui, une biographie va sortir !), il est revenu dans l'appartement où il a grandi, rue de la Source à Nancy. Il y a retrouvé toutes les pièces telles qu'il les a connues, agencées comme autrefois. Emplies de souvenirs, regorgeant de madeleines qui crament le gosier. « C'est fou, je me suis revu, enfant, et j'ai regardé le chemin parcouru. Jamais je n'aurais pu rêver d'une telle vie : le succès, New York, aimer la même femme durant des années, et l'aimer encore à 62 ans ». Purée, c'est que le monsieur est romantique, en plus. Parce que tu ne t'en doutais pas un peu, toi qui l'écoutes depuis les années collège et lui trouves une classe à toute épreuve, avec son air de ne jamais toucher à rien, lui qui touche à tout ? Tu n'avais pas senti l'immense sensibilité sous le roc(k) ? Bien sûr que si, enfin !

Voilà, voilà, tout cela pour vous dire que CharlElie au Hall du Livre en ce samedi 23 février 2019 qui ne reviendra jamais plus (et là je dis que c'est quand même dommage, parce que c'était bien, parce qu'on en redemanderait volontiers une grande lampée qui déborderait de la cuillère), ça décoiffait, ça émotionnait, ça tanguait fort ! À la fin, Sarah Polacci a fait remarquer qu'Éric Poindron n'avait pas beaucoup parlé. Et CharlElie de s'ordonner à lui-même de fermer sa gueule, mais trop tard, le bien était fait, et d'ailleurs Éric Poindron, bon prince, n'était ni vexé, ni frustré, simplement heureux d'être là, d'être en vie, lui aussi, comme il m'a semblé et comme aurait dit Higelin.

Quant à moi, j'ai compris pas mal de choses en cet après-midi presque printanier (alors que, faut-il le rappeler, nous sommes le samedi 23 février 2019 !) : j'ai compris pourquoi j'aimais tant CharlElie depuis une époque lointaine, voisine de la prime enfance. J'ai compris également que si je tenais ce blog, et parfois même un autre, et parfois même encore un autre, c'était pour tenter (tenter seulement) de retenir des instants qui ne reviendront plus alors qu'ils avaient, les saligauds, un goût si sucré de revenez-y...

20/01/2019

Un roi tombé du ciel : Arthur H était au théâtre de Thionville hier soir !

"Sur la route blanche

Insouciant tu avances

Ta valise est vide

Ton habit de lumière repose sur la chaise". Arthur H (Le Passage). 

 

C'est un univers cramé aux entournures et à la boutonnière, par on ne sait quelle chandelle qui se consumerait des deux bouts. Vous qui entrez ici, abandonnez toute référence, dépouillez-vous de toute certitude. Déchaussez-vous peut-être aussi car c'est nu et sans filet qu'il faut pénétrer dans l'espèce de théâtre magique où évolue Arthur H. Ce théâtre dont il nous livre quelques scintillements est sans commune mesure avec quoi que ce soit de préexistant. Parfois, pour se rassurer et ne pas perdre pied, on voudrait sentir ici le souffle enfumé de Gainsbourg, là l'empreinte magique de Jacques Higelin. Mais non, on aurait tort. C'est Arthur H, tout simplement, l'unique Arthur H à la voix écorchée. On l'écoute et nous voilà téléporté dans un monde où il est nécessaire de se frayer un passage à la machette. Lentement, à petits pas. Impatients, hommes d'affaires pressés, chrononévrosés : s'abstenir. On accueille en soi, un peu décontenancé, l'histoire d'une boxeuse amoureuse qui encaisse les uppercuts sans broncher, on se demande qui peut bien être cette Lily Dale qui s'en vient, qui s'en va, comme l'amour, ce chien fou et imprudent « qui court sur l'autoroute » (on ne serait pas étonné d'apprendre que c'est par un jeudi d'automne). Dans un « bar de l'est bleu de fumée », on croise des paumés magnifiques : fugitifs, estropiés, fugueurs, poétiques déserteurs. Bref, on rame dans les bas-fonds interlopes, les hôtels borgnes peuplés d'une étrange faune. On est en bonne compagnie, quoi. On y imagine aisément des « nuits qui ne durent pas plus d'un quart d'heure ». Une môme kaléidoscope te débarquerait là-dedans qu'on n'en serait même pas surpris. Mais non, j'ai dit pas de commune mesure, pas de comparaison. Et pourtant, quand on vient de la planète HFT et qu'on atterrit sur celle d'Arthur H, on n'est pas totalement dépaysé. Je dirais même qu'on est en territoire connu. Pas conquis, en revanche. Parce que la contrée Arthur H, ça s'apprivoise, ça ne se donne pas comme ça pour trois francs six sous, il faut creuser un peu à la sueur de son front, tel un chercheur d'or...

Hier, Arthur H était au théâtre de Thionville. Arrivée légèrement boiteuse et mélancolique pour moi, en ce lieu où je vis plusieurs fois Hubert (pas toujours à son avantage, mais « passons, passons, puisque tout passe », comme l'écrivait Apollinaire) et devant lequel tant de fois je grelottai avant ou après un concert, échangeant avec les uns et les autres (le Doc, Françoise Salvan-Renucci nous disant précisément en ce lieu que Thiéfaine était un génie, 655321 et j'en passe). Un endroit un peu hanté, donc, ce théâtre de Thionville...

Quelques minutes de ce « vague à l'âme léger, léger, léger, léger »* ont suffi à me convaincre que les êtres laissaient un peu d'eux-mêmes partout où ils passaient. Un je ne sais quoi, une trace subtile, sauvage, mais bien là pour qui est prêt à l'accueillir en soi. Et puis les lumières se sont éteintes et ils sont arrivés : Nicolas Repac, Raphaël Séguinier et lui, donc, Arthur H. Un peu frêle et roi pourtant. Trimbalant en sa suite, c'était palpable, cet univers dont je vous parlais plus haut. Je le vois et mes yeux s'emplissent de larmes, je ne sais pas pourquoi. Il n'a même pas encore posé la gravité abyssale de sa voix sur la musique, ses doigts ont seulement plaqué quelques accords sur le piano, mais c'est là, je ne sais pas comment ni pourquoi, je pleure d'émotion. Entre deux chansons, il nous dit que pour atteindre Thionville et ses « lumières surgissant dans la nuit comme celles de Las Vegas en plein désert », il a traversé, avec son équipe, de sombres forêts luxembourgeoises. Soudain, la ville un peu farouche et austère, coincée entre l'ombre de Metz et celle de Nancy, revêt un habit de paillettes. Et comment ne pas penser à Jacques Higelin transformant lors d'un concert la cité de Rombas en une province exotique aux contours sexys ? « Rooombass » qu'il disait, chantait, clamait, en roulant le R, s'il vous plaît ! Et l'on se sentait soudain fier d'être lorrain, même en ces coins un peu ternes de la région, on se disait qu'on avait peut-être encore tout à découvrir d'un exotisme qui jusque là nous avait échappé !

Les chansons, merveilleusement, s'enchaînent. On passe par tous les rythmes et toutes les émotions. C'est lent, puis endiablé, puis mélancolique, puis pétillant version champagne pour tout le monde. À un moment, Arthur se poste devant un drôle de meuble à peu près aussi énigmatique que le sont ses personnages quand on vient d'entrer en collision avec leur démence. Le meuble est fermé. Arthur H l'ouvre lentement et l'on se demande ce qui va s'offrir à nos yeux. C'est un splendide bric-à-brac que voilà ! Arthur en sort une bougie qu'il allume. Il se remet au piano et nous chante Sous les étoiles de Montréal. Chanson d'abord hermétique pour moi, mais dont je viens de comprendre le sens, je crois : ne serait-elle pas dédiée à la chanteuse Lhasa, disparue prématurément en 2010, à Montréal ? Un peu plus tard, Arthur H s'en retourne à son étrange meuble. Il s'assied devant, nous tournant le dos. Ce n'est pas de l'impolitesse, c'est de la pudeur. Il bricole, il agite un truc qui ressemble à une amulette. Son visage apparaît sur un écran, et c'est alors qu'au milieu d'un silence recueilli résonnent les paroles du Passage, chanson dans laquelle il évoque son père. À la fin, alors que tintent des gongs, légers, légers, légers, légers comme vague à l'âme, Arthur H allume un bâtonnet d'encens qui va se consumer durant quelques minutes. Des volutes se mettent à danser sur l'écran, papillonnantes arabesques qui disent combien Jacques est avec nous. C'est un moment chargé d'émotion, mais nullement pesant. Higelinesque en somme. On ne peut pas applaudir car déjà Arthur s'est remis au piano et enchaîne avec La boxeuse amoureuse. Sans doute a-t-il souhaité ce silence après le gong. La boxeuse amoureuse : une chanson qui me remue incroyablement à chaque fois que je l'entends, sans que je puisse bien identifier la cause de ce raz-de-marée. Mais voilà que tout s'éclaire lorsque j'apprends, de la bouche d'Arthur, qu'il est ici question de sa mère. En fait, ce monsieur, c'est l'élégance incarnée : ses textes regorgent d'éléments autobiographiques, mais sa pudeur les crypte, faisant disparaître l'intime sous des strates de pistes brouillées. Le meuble qui trône sur la scène, c'est bien plus qu'un simple meuble, c'est un mausolée dressé vers le ciel, un temple bâti en l'honneur de ceux qui ne sont plus. Un autel des morts comme on en trouve au Japon ou au Tibet, ai-je appris depuis. Vers la fin du concert, le mausolée s'anime et devient un petit théâtre où s'agitent, sous forme de marionnettes, Mohamed Ali, Arthur H lui-même et Lily Dale (sous les traits d'Annie Oakley, m'a-t-il semblé). Que devient Lily Dale ? La suite de l'histoire reste à écrire, et c'est ce que la petite marionnette suggère à son créateur. Pour le moment, en tout cas, elle coule des jours tranquilles dans une bicoque, quelque part en Amérique, et Jim, son amoureux, lui chante des chansons d'Arthur. Mais, déplore-t-elle, il y en a un qu'on ne voit plus. C'est le grand Jacques. Généreusement (c'est sa signature, on l'aura compris), Arthur propose alors d'interpréter une des chansons dudit grand Jacques. « Je ne peux plus dire je t'aime », nous susurre-t-il presque de sa belle voix qui ferait trembler un continent. Et voilà que mon cœur n'y tient plus, la bonde explose, ça coule, ça fuit de partout, et ça ne sert à rien de retenir les larmes, je ne peux pas faire semblant : Jacques faisait tellement partie de ma vie... Dans la salle, fleurissent de brusques accès de toux dont je me dis qu'ils sont nés de l'émotion et destinés à écraser quelques sanglots. Jacques est avec nous, certes, mais qu'est-ce qu'il nous manque, putain, c'est pas vrai que cela fait déjà neuf mois sans lui et que rien n'est sorti de cette gestation douloureuse.

Et j'en reviens à la conviction qui s'est implantée en moi juste avant le concert hier : on sème quelque chose de soi partout où l'on passe. Un souffle, une énergie, une étoile, peut-être rien qu'un grain de poussière. Mais pour celui qui passe par là et achoppe sur ce miracle, c'est une douce consolation. Presque une révélation. Jacques Higelin a laissé, sur bien des trottoirs, sa démarche dansante, sur bien des scènes son grain de folie, en bien des cœurs ses mots qui portaient, qui réveillaient, qui enchantaient.

Quant à son fils, il a su mêler hier démesure, gravité, légèreté, émotion et grâce, oscillant sans cesse, et toute la salle avec lui, d'un point incandescent à un autre. De la flamme à la braise, jusqu'à extinction des feux.

En quittant Thionville, j'ai trouvé que ses lumières avaient quelque chose d'américain, mais je n'aurais su dire quoi au juste...

 

*Vague à l'âme, Jacques Higelin.

07/01/2019

Hubert, Félix, Thiéfaine ... et les autres (parce qu'il y en a plein, vous allez voir !)

"L'homme, chaque soir en se couchant, peut compter ses pertes : il n'y a que ses ans qui ne le quittent point, bien qu'ils passent". CHATEAUBRIAND

 

Thiéfaine : personnalité scindée ? Personnalité multiple ? Que faut-il dire ? Et multiple de combien, tiens ? Vous savez, vous ? Au commencement, déjà, l'obscurité identitaire, la complexité labyrinthique, annoncées par ce nom à rallonges qui semble sonner comme une plaisanterie. Ou comme une question : Hubert, Félix ou Thiéfaine ? Et d'ailleurs notre artiste ne se priva pas de la poser, cette question, sur une pochette de disque, pour qu'on n'en finisse pas de se questionner nous-mêmes, à l'infini. Qui est-il ? Le saurons-nous jamais ? Tout cela me fait penser à un livre paru en Allemagne il y a quelques années : Wer bin ich – und wenn ja, wie viele ? Traduction : Qui suis-je – et si oui, combien ? Vous voyez le genre ?! En tout cas, pour en revenir à HFT, ou Thiéfaine, ou Hubert, etc. : ce qui est bien, avec les rallonges, c'est qu'on peut aussi ne pas s'en servir. On a donc tout à fait le droit de se contenter d'un simple Hubert (familier, affectueux), on peut pousser un peu plus loin et dire Hubert-Félix (moins répandu, mais possible). On peut opter pour Thiéfaine (ô douces sonorités faisant songer un peu à Verlaine !), on peut choisir HFT. Tout est permis. Cela peut être selon l'humeur. Une chose est sûre : c'est pratique quand on écrit des billets pour un blog ; voilà déjà un bon petit réservoir de synonymes !

Je vous dis tout ça parce que je viens de regarder une émission savoureuse et délirante dégotée sur YouTube et intitulée « Hubert, Félix, Thiéfaine … et les autres » ! Une pépite ! Si vous ne l'avez jamais vue, foncez ! On découvre là un Thiéfaine brindezingue, les yeux contemplant on ne sait trop quel chaos, et qui nous dit, entre autres, qu'un individu est constitué de 14 000 personnages qu'il convient de faire émerger de son bordel intime avant de mourir. J'aime bien l'idée. Ça fait du monde en tout cas ! Moi je ne sais pas où j'en suis dans les personnages que j'ai fait remonter à la surface, je ne les compte plus depuis longtemps, et c'est à se demander si tout cela est bien sérieux, si c'est de l'art, de l'amour ou du cochon.
J'arrête là mes élucubrations, regardez la vidéo et dites-moi ce que vous en pensez, si vous voulez bien sûr. Dans son œuvre, Thiéfaine a souvent évoqué son double (cf. Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, Was ist das Rock'n'roll ? et plus récemment Infinitives voiles ... et j'en oublie sûrement), on sait aussi qu'il aime se glisser dans la peau de nombreux personnages (La môme kaléidoscope résumant bien ce côté caméléon à la Gary), mais 14 000 entités ! Waow, ça fait rêver, ça veut sûrement dire qu'il nous réserve encore bien des surprises, que certains personnages n'ont pas encore vu le jour, si vous voyez ce que je veux dire (et là, gros yeux énamourés pour tout le monde : on imagine déjà le jour magnifique où l'on tiendra entre ses mains le nouveau graal, je veux dire ni plus ni moins que le nouvel HFT). Le documentaire dont je vous parle date de 1983 et regorge de phénomènes hauts en couleur, Thiéfaine n'étant pas le moindre dans cette foule absconse !

Autre chose encore : sous le sapin de Noël, quelqu'un qui me connaît bien a eu la bonne idée de glisser le dernier CD de Véronique Sanson. Jubilation profonde étant donné, petit a, que j'aime beaucoup Sanson (sa voix, ses textes, son univers, ses déchirures) et, petit b, que je comptais m'acheter ce CD un jour ou l'autre. Le duo avec Thiéfaine : de grande qualité selon moi. La voix d'Hubert : nette, coupante, posée, s'accordant à merveille avec celle de Véro. Les paroles : pas très gaies, mais seyant bien à notre homme et à notre femme. Encore une histoire d'amour qui finit mal, ça n'en finira donc jamais. C'est comme ça, c'est la vie, il y a là-dedans un chagrin des glandes insurmontable, que l'art peut peut-être exorciser. Bonne année à tous ! Qu'elle soit donc thiéfainienne en diable, il n'y a que ça de vrai, n'est-ce pas, ou presque !

23/12/2018

Charles Cros

"Il faut s'y résigner : il y a toujours à tout une explication scientifique. On peut évidemment se réfugier dans la poésie, se lier d'amitié avec l'océan, écouter sa voix, continuer à croire aux mystères de la nature. un peu poète, un peu rêveur..." Romain GARY

 

En 2015, Thiéfaine recevait le Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Retrouvant hier soir, sur le site officiel, les traces de cette distinction, je me suis dit : « Charles Cros, c'était un poète, je me souviens avoir lu, il y a longtemps, quelques lignes sur lui dans ma grande Anthologie de la Poésie française, mais qu'a-t-il écrit au juste ? Qui était-il ? ». Et voilà que l'idée m'est venue de la note qui va suivre.

 

CROS, Charles Hortensius Émile :

Poète français. Né le 1er octobre 1842 à Fabrezan (Aude), mort à Paris le 9 août 1888. Fils d'un instituteur de Narbonne, Charles Cros fit des études d'autodidacte, avec une prédilection marquée pour les sciences ; à quatorze ans, il passait son baccalauréat. Au même âge il était déjà capable d'enseigner le sanskrit et l'hébreu. Entré en 1860 comme répétiteur et professeur de chimie à l'Institut des Sourds-Muets, il s'en vit une première fois renvoyé en 1862, à la suite d'un duel entre son frère et un employé de l'établissement, puis il fut repris, puis définitivement exclu en 1863. Il se replongea alors dans l'étude pendant plusieurs années, et présenta à l'Exposition Universelle de 1867 un télégraphe automatique de son invention. Peu après, devenu l'amant de la mondaine Nina de Villard, il rencontra dans son salon les principaux poètes parnassiens, mais se lia particulièrement avec François Coppée, Verlaine et Villiers de l'Isle-Adam. C'est dans L'Artiste qu'il fit ses débuts littéraires. En 1871, des poèmes de lui figurèrent dans le recueil du deuxième Parnasse contemporain, mais en 1876 le troisième Parnasse refusa de l'accueillir ; à cette date Leconte de Lisle avait déjà refusé de recevoir Charles Cros, lequel, en orientaliste érudit, avait été rapidement irrité par ce qu'il appelait les « poses philologiques déplacées » des parnassiens. En octobre 1871, il avait fait la connaissance de Rimbaud et l'avait hébergé quelque temps ; leur entente, pourtant, ne dura guère, et lors de la fuite du jeune homme et de Verlaine en Belgique, Charles Cros prit parti pour madame Verlaine et rompit complètement avec les deux poètes. De la fréquentation de Verlaine, il allait cependant garder jusqu'à sa mort le goût d'une vie irrégulière, des stations dans les cafés, des apéritifs. On le vit fréquenter à peu près tous les groupes de la bohème littéraire des années 1872-85 : le groupe des « Vivants » où il rencontrait Richepin, Ponchon Bouchor et Germain Nouveau ; le café de la Nouvelle-Athènes où il retrouvait Alexis, Duranty, Catulle Mendès, Huysmans et Manet, qui allait devenir son ami intime ; les « Hydropathes » dont, en 1878, il fut un des fondateurs, le cercle du Chat noir, celui des « Zutistes » qu'il anima avec Alphonse Allais. Ainsi devint-il peu à peu une sorte de célébrité du Paris littéraire anecdotique, un personnage burlesque boute-en-train ; seulement, en dépit de l'admiration d'artistes comme Manet, Gustave Kahn, Laforgue, le plus profond Charles Cros, le poète de l'absurde et de la solitude qui s'était exprimé dans Le Coffret de santal, Le Fleuve, La Science de l'amour, La Vision du Grand Canal Royal des Deux Mers restait complètement méconnu et même ignoré. Le chercheur scientifique aux vues anticipatrices souvent géniales, l'inventeur avait connu la même malchance : son mémoire concernant « la description d'un procédé d'enregistrement et de reproduction des phénomènes perçus par l'ouïe », procédé que Cros appelait « paléophone », mais qui n'était autre que le premier phonographe, après avoir suscité quelques articles pendant l'automne de 1877, devait être rejeté dans un oubli complet lorsque, au mois de mai suivant, Edison eut présenté son premier appareil à l'Académie des Sciences. Quant au poète, bien qu'on ait donné en 1908 une édition de ses derniers vers sous le titre Le Collier de griffes, il ne devait avoir sa revanche posthume que grâce aux surréalistes qui, en 1923, le célébrèrent comme l'un de leurs inspirateurs. On a publié en 1954 une édition complète de ses œuvres.

 

Michel MOURRE, Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Éditions Robert Laffont.

 

 

Et voici un poème de Charles Cros :

 

Sonnet astronomique

 

Alors que finissait la journée estivale,

Nous marchions, toi pendue à mon bras, moi rêvant

À ces mondes lointains dont je parle souvent.

Ainsi regardais-tu chaque étoile en rivale.

 

Au retour, à l'endroit où la côte dévale,

Tes genoux ont fléchi sous le charme énervant

De la soirée et des senteurs qu'avait le vent.

Vénus, dans l'ouest doré, se baignait triomphale.

 

Puis, las d'amour, levant les yeux languissamment,

Nous avons eu tous deux un long tressaillement

Sous la sérénité du rayon planétaire.

 

Sans doute, à cet instant, deux amants, dans Vénus,

Arrêtés en des bois aux parfums inconnus,

Ont, entre deux baisers, regardé notre terre.

16/12/2018

Yves Jamait à l'espace Chaudeau le samedi 8 décembre : le don et la vie dans les grandes largeurs !

"Espérons. Nous n'avons pas le choix". Simone DE BEAUVOIR

 

L'univers d'Yves Jamait, ce sont parfois des amours qui titubent, exsangues, d'un bar à l'autre, passant de l'étincelante ivresse aux pertes et fracas de la réalité dégommante. Ce sont des ardoises pas réglées, des comptoirs qu'un coup de torchon fait reluire à défaut des âmes. Ce sont aussi des revendications sociales, et Jamait se range du côté des « petits », n'oubliant pas qu'il en fit partie un jour (on aurait tout intérêt, je crois, à réécouter Y en a qui en ces temps de désolation, comme dirait notre ami Hubert...). Yves Jamait, c'est aussi une voix que toutes sortes de choses ont poncée : verveine et compagnie. C'est l'absence étouffée d'un père, des caresses pour le dimanche, et de la joie aussi. Ne pas oublier la joie. Celle-là même qui a fait écrire à notre homme les plus belles de ses chansons, il me semble (J'en veux encore, par exemple).

Alors quand ce monsieur arrive sur scène comme on entrerait dans un bistrot, il y aurait de quoi crier « respect ». Ce qui déboule avec lui dans la salle, ce sont des rafales de vent. L'histoire d'un être. Sans falbalas. Une sensibilité qui se donne à fleur de micro. Une générosité quasi palpable. On sort de là et on voudrait aller étreindre le premier inconnu venu en lui disant « toi et moi nous sommes frères ».

Yves le grand, Yves le facétieux aussi. Le concert de Ludres (comme tous ceux de la tournée actuelle, j'imagine) devait être précédé d'une première partie. C'était même écrit en toutes lettres sur le billet. Alors nous, ben quoi, on y croyait. On voit débarquer trois gugusses ne pipant mot et attaquant d'emblée par de la musique, et de la bonne en plus, alors on glisse dans tout cela sans y prendre garde. Et puis, comme ça, l'air de rien, quelques notes font soudain penser à l'une ou l'autre des chansons d'Yves Jamait. « Tiens, se dit-on, cet air ressemble à celui du Coquelicot. Tiens, ça aussi, ça me rappelle quelque chose ». On a à peine le temps de se formuler clairement ces réflexions que le voilà qui arrive, notre Yves. Il s'est fait beau pour l'occasion : des chaussures rouges, une veste colorée, tranchant sur le noir du pantalon et du tee-shirt. Il a quelque chose de tous ces copains de galère qui vous adoucissent le sort sans le savoir. C'est dans la voix, c'est dans les textes, c'est dans l'énergie. Comme une consolation. On le regarde évoluer sur scène, on l'écoute, on est happé par un truc mystérieux. Cela doit s'appeler don, sans réserve et dans les plus grandes largeurs qui soient. Tous les soirs refaire le même boulot et y aller le sourire aux lèvres, avec peut-être encore plus d'entrain que la veille, qui sait. Yves fait sentir à ceux qui se sont déplacés pour lui que ce n'est pas rien à ses yeux et qu'il sait apprécier l'offrande. Qui se fait réciproque. Sans déséquilibre. Ce qu'il donne, il le reçoit en retour, ce qu'on lui donne nous revient, et c'est sans fin ou presque. C'est en tout cas comme ça deux heures durant, jusqu'à épuisement du stock.

Donc, la première partie, c'était une boutade, une manière de nous enfumer un peu, mais gentiment. Cela change des enfumages auxquels on est habitué. Rien à voir. C'était simplement une mise en bouche, histoire de nous y fourrer un coquelicot dedans.

Et les chansons se déroulent, et l'on pense un peu à Brel en voyant Yves jouer des sérénades à son micro. Oui, il y a là quelque chose qui rappelle le grand Belge. Une même façon, peut-être, de vivre de l'intérieur les mots qui grelottent dans la voix...

La complicité avec ses musiciens est elle aussi palpable. Pour les présenter, Yves Jamait a choisi une mise en scène pour le moins originale : un défilé de mode. Et chacun de venir se pavaner devant le public, sous les commentaires très professionnels du chanteur qui semble pendant quelques minutes s'être glissé dans la peau d'un styliste. Et vas-y que je te détaille la tenue des trois compères. On rit aux éclats, quelques minutes seulement après avoir pleuré sur Insomnies et sur Le temps emporte tout (magnifique version, somptueuse de mélancolie dans cette lenteur qui lui va si bien, et à laquelle nous n'étions pas habitués).

On sort de là revigoré, comme je l'écrivais plus haut. Réconcilié, quelque part, avec tous les tours pendables de la vie. Yves est là, lui aussi a souffert et a su transformer la boue en or, sublimant chacune de ses défaites. Durant tout le concert, on a l'impression d'avoir réellement compté pour quelqu'un. Certes, on est dirigé par des gens qui, n'ayant jamais été dans la merde, ignoreront toujours nos problèmes (fins de mois raides à boucler, et tout le saint-frusquin). Certes, la vie nous malmène (« après avoir souffert, il faut souffrir encore », n'est-ce pas, comme l'écrivait Musset), mais Yves est là, comme une lanterne qui brillerait dans les ténèbres. On se sent moins seul et moins floué.

Après deux heures de don total, eh bien, il donne encore : le voilà qui s'installe à une table, dans le hall de l'espace Chaudeau, et vient signer des autographes, se prêter sans broncher au jeu des photos qui finiront sur Facebook, entre deux clichés de vacances. Il transforme en franche rigolade un moment qui pourrait être franchement pesant. Tous ces gens qui défilent et demandent une signature pour un beau-frère alité ce soir ou qui sais-je encore, une autre pour eux-mêmes, et puis encore une photo : on trouverait presque cela gênant, sauf que notre ami Yves en fait autre chose. Une dame lui demande s'il peut écrire « À X, forever ». Et lui de renverser le truc et de tracer malicieusement : « À X, for never ». Durant chaque séance photo, il prend les choses en main, subtilise les portables, louche, fait les gros yeux, passe du sourire à la grimace, implique le vigile s'il le faut, lui demande son avis (et le visage de ce dernier de s'illuminer, parce qu'il se sent pris en compte, lui aussi, comme tous ceux qui sont là ce soir). On voudrait que cela dure jusqu'à trois heures du matin, on se demande si Yves aurait encore autant d'imagination au cœur de la nuit, et on en est soudain certain. Parce que ce monsieur-là, ce grand monsieur-là, il vit à fond le moment présent, il est dedans non pas aux trois quarts seulement, mais entièrement, jusqu'à la racine des cheveux. Il étreint la vie avec gourmandise, même pas peur de l'amertume ! Pour un peu, je vous dis, il nous la rendrait sympathique...

07/12/2018

Je me souviens...

"On me conseille un remontant, comme à une pendule. C'est d'un remonte-temps que j'aurais besoin". Claude ROY

 

 

Écouter « le souffle de l'instant et l'accélération du temps ». Se dire : « quatre semaines, déjà » et devenir, comme l'écrivait Prévert, une « machine à déplorer le temps ». Que reste-t-il de l'embrasement vécu il y a un mois ? À défaut d'exiger l'immortalité (puisque de toute façon nous ne l'obtiendrons pas), soufflons un peu sur les braises pour les faire rougir encore dans l'âtre. Si nous laissons nos souvenirs en plan, ils nous planteront eux aussi, et ne seront bientôt plus qu'une « vieille tache d'hémoglobine ». D'où le caractère précieux, urgent, de l'écriture. Ce serait comme un grand dédale dans lequel on se retrouverait. Je me suis longtemps demandé pourquoi, sacré nom de nom, je n'arrivais pas à écrire des romans. La réponse est évidente : c'est ce que je vis qui alimente mon écriture. Et non ce que je pourrais aller chercher dans une imagination qui, de toute façon, s'avère bien maigrelette. Les concerts de Thiéfaine, c'est du vécu puissance mille, ça fait danser l'aiguille sur le radar (ce n'est pas vous qui me contredirez, je crois), et c'est cela qui donne l'incandescence souhaitée à la forge de l'écriture. Pour moi en tout cas.

À la manière de Georges Perec, je me souviens. Je me souviens de l'émerveillement de la découverte, le jeudi 8 novembre de cette année. En quittant la maison, je n'avais pour toute richesse que ma folie, celle-là même qui, sans doute, m'a toujours sauvée et m'a empêchée d'être folle. Je n'avais plus quarante-cinq ans, mais moins, beaucoup moins, même si physiquement, cela ne se voyait pas. C'est ailleurs que se situe la jeunesse, n'est-ce pas, ou ce qu'il en reste. Ou ce que naïvement, on croit qu'il en reste, champions ès chimères que nous sommes tous à plus ou moins grande échelle. Moi, ma chimère, c'est ça : à chaque concert de Thiéfaine, je suis certaine de rajeunir. Et même d'être encore cette adolescente que tant de rêves faisaient frémir. En vrac, dans les rêves, il y avait la certitude de vivre mieux, plus fort, plus beau que mes parents, la conviction que j'avais d'immenses choses à découvrir et qu'elles m'attendaient quelque part en bons toutous dociles que je pourrais caresser tout mon soûl le moment venu. Et tant d'autres illusions pitoyables, du même stupide acabit. Bref, à chaque concert de Thiéfaine, une part de cette jeune fille tend une main secourable à l'adulte que je suis devenue. Et cela fait chaud, et cela fait tendresse dans un monde de brutes !

Je me souviens des beaux visages aperçus avant les concerts. Les rides devenaient soleils, les blessures trois fois rien. Je me souviens des ferveurs observées pendant les concerts. Il y avait dans la foule, à Paris comme à Metz et tout autant qu'à Dijon, des cœurs ouverts à tous les vents. C'est presque de l'ordre du mystique, je vous dis. Je me souviens des après : après le concert, après le merveilleux ouragan. À Metz, des visages encore éblouissants parce que de toute façon, on était nombreux à remettre cela le lendemain. À Paris, idem, même presque arrogance : on s'en foutait, même pas peur puisqu'on replongeait le lendemain soir à Dijon. Ben ouais quoi ! L'après-Dijon, en revanche, ça sentait quand même le moins bien. Même si on était encore fabuleusement bousculé par ce qui venait de se produire, même si on en avait plein les yeux et les oreilles et que cela coulait encore en perfusion et à profusion comme un doux nectar jusqu'au cœur.

Que reste-t-il maintenant ? Pour ma part, je dois avouer que ça y est, je frime nettement moins qu'au retour de Dijon. Si mon week-end de folie « sur un nuiteux cargo » a pu me porter pas mal de temps, je sens que la redescente a opéré sa sale petite danse cruelle. C'est fini d'attendre. C'est fini de vivre tout ça, l'émotion de l'avant, l'émotion du pendant, l'émotion de l'après. Si je n'y prends garde, cela va se perdre dans une bouillasse épaisse. Je veux revenir régulièrement au point brillant, à la torche vive. Parce que sinon le quotidien va massacrer tout ça. Vous connaissez les mots de Verlaine, « si ces hiers allaient manger nos beaux demains ? » Moi, ce qui me fait peur, c'est tout l'inverse : et si ces demains allaient manger nos beaux hiers ? Écrivons encore, si vous le voulez bien, sur cette mini-tournée, sur ce qu'elle a laissé en nous de flamboyances et de magie. Tenons-nous chaud en ces temps de désolation.

Les commentaires que vous avez laissés ici dernièrement m'ont portée longtemps, eux aussi. J'ai pas mal retourné dans ma tête les émotions décrites par les uns et les autres, ce splendide patchwork qui ne pourrait exister sans vous. J'ai beaucoup pensé à la fraîcheur de Luna, à celle de DemainLesKids. J'ai allumé en moi les mots de Fabrice D. (« à cinquante ans passés, je dois en grande partie à Thiéfaine ce que je suis devenu de mieux ») pour voir quel flambeau ils y planteraient. Et je me suis demandé si je pouvais me retourner le compliment, en quelque sorte. Est-ce que moi aussi, je dois à HFT une bonne part du meilleur de moi-même ? J'ai envie de répondre par l'affirmative. Je crois que si la jeune fille que je fus, toute frétillante lorsqu'elle tomba en arrêt devant la phrase qui devait changer miraculeusement sa vie*, du tout au tout, de fond en comble, de la cave au grenier et de A à Z, je crois que si cette jeune fille devait rencontrer l'adulte que je suis devenue (contre mon gré, mais devenue quand même), elle ne lui cracherait pas au visage. Elle reconnaîtrait sous ses rides un peu de la flamme qui fut la sienne, un peu de l'espérance qui la tenait debout, un peu de la folie qui la faisait vibrer et dont on lui disait qu'elle passerait avec l'âge. Elle verrait que finalement, non, pas tant que ça, ça n'est pas passé tant que ça.

Je me souviens d'un week-end d'étincelles, je me souviens qu'il y avait vraiment de quoi se la péter en se disant, jour après jour, du mercredi soir au samedi après-midi, « on the road again », et je refuse d'abandonner tout cela à la broyeuse du quotidien. Je me souviens qu'à chaque chanson que je découvrais à Metz je me disais « c'est pas vrai, il a pensé à la faire, celle-là ? Mais c'est formidable ! », je me souviens de l'incroyable mise en scène sur Maison Borniol et L'Agence des amants de madame Müller, je me souviens de ce truc en moi, au bord de l'explosion. À mi-chemin entre le fou rire, l'admiration béate et la sidération bouche bée. Je me souviens de m'être dit aussi que chaque chanson renfermait des pépites que je trimbale avec moi depuis des décennies, dans mon petit bréviaire personnel, un peu barge j'en conviens. Des phrases comme : « Monsieur le commissaire, j'ai ma névrose, mais monsieur le commissaire, qui n'a pas sa névrose ? », « C'est pas tous les jours facile de vivre en société quand on a un peu d'imagination », « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices » (celle-là, je la vénère, carrément), « Et je demanderai ta main pour la couper »**, « Je m'écraserai sur Oméga chez les clowns du monde inversé en suppliant Wakan-Tanka d'oublier de me réincarner », « Je me sens coupable d'avoir été dans une vie antérieure l'une de ces charmantes petites créatures que l'on rencontre au fond des bouteilles de mescal et d'en ressentir à tout jamais un sentiment mélancolique de paradis perdu », et tant d'autres mots encore, qui peuvent aider à avancer d'un jour à l'autre dans de meilleures conditions que celles qu'afficherait le compteur si tout cela n'était pas. Des mots qui clignotent pour éclairer un peu la route, la faire moins souillée, moins lugubre aux heures de peine.

 

* « Tu voudrais qu'il y ait des ascenseurs au fond des précipices » : la voilà, LA phrase !

 

** « Et je demanderai ta main pour la couper » : Quand j'étais jeune, j'affirmais à ma mère que Thiéfaine avait trouvé là une subtile manière de dire que le mariage était une amputation, et elle me regardait avec des yeux gros comme des balles de tennis, un brin décontenancée, elle qui croyait que sa fille, puisqu'elle lisait des poèmes et même en écrivait, était une indécrottable romantique devant l'éternel. Eh bien non, flûte, ce sacré Thiéfaine avait révélé autre chose, de plus compliqué, de plus difficile à cerner et de moins avouable : sa fille, c'était un mélange de romantisme et de trash et elle l'avait ignoré jusque là...

 

17/11/2018

Metz, Paris, Dijon : encore quelques bricoles !

"Le réel quelquefois désaltère l'espérance. C'est pourquoi, contre toute attente, l'espérance survit". René CHAR

 

Des « cinglés sublimes », à l'allure un peu hirsute. Arborant des tee-shirts souvent fatigués : il y a ceux qui ont opté pour le corbeau, d'autres pour des trucs renvoyant à des époques plus lointaines. « Thiéfaine 20 ans de scène », ai-je pu lire sur le dos d'un monsieur à Bercy. Une manière de dire : « J'y étais déjà », sans doute, et d'ériger une passerelle entre deux époques. C'est que le public d'Hubert a la fidélité chevillée au corps ! J'en suis moi aussi la preuve vivante ! Désolée de me citer en exemple, mais c'est quand même un peu vrai. Premier concert en 1995, addiction avérée dès les débuts. Bilan des courses : je crois qu'au total, j'ai dû voir Hubert 46 fois sur scène ! Parfois, quand je raconte cela en des cercles non initiés, on me regarde avec des yeux tout ronds, presque une certaine gêne, comme si on avait affaire à une détraquée qui s'ignorerait. C'est pourquoi je me sens si bien avec les autres furieux de mon espèce : ils me réconcilient avec ma folie, ils me donneraient presque à penser que les barges, ce sont ceux qui se tiennent à l'écart de ce grand cirque lumineux !

Et puis, je l'ai déjà dit : j'adore zoner dans les espaces où se donnent à voir les signes avant-coureurs des concerts. On y croise une faune presque affolée, bouillonnant d'électricité. Faisant la queue des heures durant, narguant les possibles intempéries. Sur les visages, on lit divers sentiments : la peur de ne pas être bien placé(e), l'impatience, l'ébullition. On est entre la fébrilité et le recueillement !

Point de vue rencontres, les trois concerts auxquels j'ai assisté la semaine dernière ont été intenses. Je pense notamment à un certain Philippe, arpentant la France depuis des années au rythme des tournées d'Hubert. C'est lui qui l'a vu entre 160 et 180 fois. Moi qui pensais être plutôt bien située sur l'échelle de la démesure, je n'ai plus qu'à m'incliner. Je suis une misérable petite joueuse. C'est dans ces moments-là (et dans ces moments-là seulement) que me saisit à la gorge le regret de ne pas être née dix ou quinze ans plus tôt !

Mon concert préféré sur les trois ? Celui de Metz. Essentiellement pour l'émerveillement de la découverte. Cette playlist, bon sang, je n'en reviens toujours pas ! Elle était tellement formidable qu'elle m'a fait oublier l'absence de Vendôme Gardenal Snack et de Maalox Texas Blues (que j'attendais un peu quand même, mais je ne désespère pas : il y aura d'autres tournées !). Au bout du compte, quand on fait le bilan, les surprises ont été telles qu'elles ont balayé les omissions. De toute façon, pour contenter tout le monde, il aurait fallu au bas mot huit heures de concert, je pense !

Le public ? J'avais trouvé celui de Metz un peu mollasson, mais finalement, il s'en est relativement bien tiré. Je n'ai pas trouvé que cela s'échauffait davantage à Paris et à Dijon. Mais je reconnais que ma perception peut avoir été faussée par ma place côté charentaises !

Et vous, vos impressions suite à cette mini-tournée ? Qui a fait les dates de cette semaine ? Y a-t-il quelqu'un qui assiste au concert de ce soir et/ou à celui de demain ?