07/08/2012
Petite note comme ça sur Suppléments de mensonge
La pensée du jour : "Autour de moi, tout le monde se démène, s'affirme, alors que moi je me dévore, je me dévore". CIORAN
Ce n'est pas parce que ce blog se pare depuis plusieurs semaines de "couleurs silencieuses" que je n'ai pas, dans un coin de ma caboche, deux ou trois idées de notes ! Déjà, dans les semaines qui viennent, je vous livrerai ici la suite et la fin de l'article paru en 1983 dans Chanson magazine. Ensuite, sachez qu'en ce moment, j'écoute Suppléments de mensonge en boucle et reboucle ! Et même : je n'écoute que cela... Et des idées de notes me trottent dans le ciboulot. A chaque écoute. Cette fois, je prends le temps de me poser et d'en pondre enfin une, de note !
Bilan des courses après cette période d'intense plongée dans les eaux délicieuses du mensonge : je suis plus fan que jamais !! Est-ce bien raisonnable ? Et surtout : est-ce bien possible ? Oui, trois fois oui, et sans vergogne en plus ! Suppléments de mensonge est à mes yeux l'un des plus grands albums de Thiéfaine. Le tout oscille entre descente au fond de l'abîme et lente remontée vers la lumière. On y sent les griffures que la vie a imprimées sur la peau de l'homme qui, en bon guerrier de l'absurde qu'il est, n'en est plus à une scarification près... On y sent le vertige aussi, la chute, le moment où, vers 4 heures du matin et des brouettes, la conscience bascule vers ce que j'ai envie d'appeler, clin d'oeil à Charles Juliet, des "ténèbres en terre froide". Griffures et chute, bien sûr, mais aussi et surtout remontée du précipice. Et c'est là que l'amour (oserai-je dire la Femme ?) apparaît comme une bouée de sauvetage. Un ascenseur pour autre chose que l'échafaud.
Suppléments de mensonge, c'est finalement un album marqué du sceau de la féminité. Il me semble d'ailleurs me souvenir que Thiéfaine disait qu'il avait mis là une bonne dose de sa part féminine. Et puis, ici, la femme est chantée à toutes les sauces. Elle est pour ainsi dire omniprésente, qu'elle soit velours ou qu'elle soit glace. Elle représente deux pôles : la vie ("Je t'aime et je t'attends à l'ombre de mes rêves / Je t'aime et je t'attends et le soleil se lève") et la mort ("Tu sais déjà, me murmure-t-elle, qu'il faut séduire pour mieux détruire"). "Les ombres du soir", c'est à mes yeux, avec "Petit matin 4.10 heure d'été", la claque magistrale que vous flanquent ces Suppléments de mensonge. A chaque fois que je me perds dans ces ombres du soir, ma folle imagination m'entraîne vers des représentations vertigineuses et inquiétantes : des marais où l'on se perd ("Où est la sortie ?"), des "morts lumineux", des saules. D'ailleurs, cette chanson m'impressionne tellement que j'ai d'abord cru que Thiéfaine évoquait des aulnes, et non des saules. Et de m'imaginer le Roi des Aulnes, et "wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?" Purée, rien que de l'écrire, j'en ai des frissons !!! Des saules, donc. Et qui n'ont rien à envier aux aulnes de Goethe. Les saules, c'est tout aussi effrayant par grand vent !! Des saules, oui. Et une femme-serpent, d'abord endormie, mais qui n'en est pas moins menaçante ! Après la vamp-araignée de Scandale mélancolique, la vamp-serpent, follement inquiétante, follement séductrice, follement racoleuse et mortelle.
Tapie dans l'ombre des majestueux "Trois poèmes pour Annabel Lee" ? Une femme encore ! Et dans "Garbo XW machine" ? Je vous laisse le dire ! Cette fois, point de douceur. De la séduction pure et dure, à l'état brut. De la "froideur féminine".
Un peu plus loin, dans "Compartiment C voiture 293 Edward Hopper 1938", c'est encore une image de femme qui s'offre à nous. S'offre, mais pas trop. Elle est plongée dans sa lecture qui "nous cache son regard". Thiéfaine laisse parler son imagination : une femme voyageant seule ainsi, en 1938, fuit nécessairement un amant trop pressant ou un enfant trop étouffant. Tout en posant la question ("Est-ce que tu fuis dans ce train quelque amant qui chercherait à briser ton silence / Est-ce que tu fuis dans ce train quelque enfant qui volerait ton indépendance ?"), Thiéfaine nous livre son interprétation des faits. Et donc sa réponse à lui.
Bon, bien sûr, il y a ensuite la "vamp orchidoclaste" qui vient nous ruiner à elle seule ce somptueux tableau de la féminité accomplie ! Par bonheur, ce genre de meufs, Hubert sait les éviter, lui. Ce qui ne l'empêche pas de leur consacrer une succulente chanson, fielleuse à souhait ! Et cela n'exclut pas l'humour et les trouvailles langagières !!
Le tout s'achève sur "Les filles du sud". Et voilà donc bouclée la boucle de "Mélusine aux longs cheveux défaits". Du grand art, que dire de plus ?!
18:46 | Lien permanent | Commentaires (11)
13/07/2012
Suite de l'article paru dans Chanson magazine en 1983
La pensée du jour : "Les gens il conviendrait de ne les connaître que disponibles
A certaines heures pâles de la nuit
Près d'une machine à sous avec des problèmes d'hommes simplement
Des problèmes de mélancolie". Léo FERRE
Enfin, je sors de ma tanière pour vous faire signe ! Dernières valises avant mutation pour moi, d'où mon silence... J'essaierai de revenir de temps à autre cet été, mais je ne garantis rien.
Voici donc la suite de l'article paru dans Chanson magazine en 1983. J'aime beaucoup les lignes qui vont suivre. Toujours très actuelles, elles collent bien à l'univers de Thiéfaine :
Trois concerts où j'ai pris à chaque fois un plaisir réel. Où chansons récentes et anciennes (mais avec une touche musicale plus « neuve ») se mélangent without problème sur des rythmes énergiques soutenus. Pas d'impros. Enchaînements rapides. Sobriété des mouvements de Thiéfaine mais intensité assez folle des expressions de son visage. Beauté poignante d'Ad orgasmum aeternum où ces « je reviendrai » valent bien des « viens, Jeff, viens »...
Trois concerts pendant lesquels m'auront manqué les trois choristes présentes à l'Olympia. Surtout pour cette chanson Alligators 427 où elles martelaient un « je vous attends » obsédant et prenant. « Moi je vous dis bravo et vive la mort ». Difficile de ne pas avoir envie d'aller gueuler ça à tous les chefs d'Etat de ce monde. Difficile d'oublier ce refrain et tout le crescendo batterie / synthé / chœurs qui le souligne. De quoi ressentir un petit froid dans le dos ? Pas vraiment... Pas vraiment envie non plus d'entendre une voix à la Sophie Daumier susurrer un « Oh ! Mais il est lugubre ce mec ! » On se sent prêt à lancer un regard d'encre au premier qui glisse « Mais c'est bien noir tout ça ».
Car quelque chose de bizarre vous prend aux tripes. Difficile de parler d'émotion. Avec Thiéfaine, on est à mille lieues d'un truc à l'eau de rose, gentil, touchant. Rien à voir. Ça fait belle lurette qu'il s'est dégagé des bons sentiments, des slogans faciles. Finis les temps des grands cris rassurants. «Si tu veux jouer les maquisards / va jouer plus loin / j'ai ma blenno / tu trouveras toujours d'autres fêtards / c'est si facile d'être un héros » (113ème cigarette sans dormir).
Avec Thiéfaine, les mots « frappent ». Ses textes sont inondés de mots déchirés, saisissants, pervers, violents. Intenses. Lucidité et ironie allant jusqu'au cynisme ? Je lui cite « N'est-ce pas merveilleux de se sentir piégé ? ». « Je ne suis pas sûr que ce soit du cynisme. C'est plutôt l'inverse de ce qu'on voudrait... ». Il ne tient pas à expliquer ses chansons. « Chacun fait ce qu'il veut des mots, des images ». L'envie d'appeler ça « poésie » me ronge, peut-être parce que ce n'est pas toujours limpide de clarté, que la notion de mots-images domine, je ne sais. Mais comme je crains vraiment le genre « amis poètes bonsoir », je ravale ça en vitesse. « Poèmes rock » collerait bien, mais je sais, déjà pris, merci. Et je ne demanderai pas de dérogation. Pas la peine. Je suppose que tous ces palabres vous suffiront pour deviner que Thiéfaine c'est tout autant de la chanson, du rock, que de la poésie. Oui, n'ouvrez pas de tels yeux, ça me fait peur, le « mélange » existe, je l'ai rencontré !
La suite dans une prochaine note, je ne sais quand. J'ai appris, tout comme vous je suppose, qu'un double CD et un DVD live allaient sortir le 22 octobre. En voici la pochette (que, personnellement, je n'aime pas plus que ça, et vous ?) :
Le 22 octobre, courrez-vous, comme moi, acheter toute la panoplie-souvenir de l'Homo plebis ultimae tour ? 22 octobre, quatre jours avant le passage de Thiéfaine à La Passerelle de Florange. J'en serai ! Certes, le double CD et le DVD m'ancreront les pieds dans les souvenirs, mais il y aura encore quelque chose à attendre, et cela me ravit !
19:30 | Lien permanent | Commentaires (10)
27/06/2012
Suite de l'article paru dans Chanson magazine en 1983
La pensée du jour : "Où trouver le temps de lire ? Grave problème. Qui n'en est pas un. Dès que se pose la question du temps de lire, c'est que l'envie n'y est pas. Car, à y regarder de plus près, personne n'a jamais le temps de lire. Ni les petits, ni les ados, ni les grands. La vie est une entrave perpétuelle à la lecture". Daniel PENNAC
Tournée Thiéfaine en direct
Oui, Thiéfaine « bourre » partout. Et se déplace en grande équipée. J'ai pu le constater en me joignant pendant quelques jours à la tournée, suite proposition d'Hubert. « Suis-nous quelques jours et tu verras ». Ne pas me le répéter deux fois ! Tayo, Tayo ! La vie d'artiste en quatre jours !
Les quatre jours achevés, je ne viendrai pas vous raconter que j'ai tout compris. Sûre d'une chose peut-être, c'est qu'il ne faut pas trop fabuler, et que la vie d'artiste n'est pas la vie de rêve qu'on veut trop faire croire. C'est de la vie, simplement. Une vie de groupe avec ses tensions et ses fous rires, une vie en vase clos, hors du temps, du monde qu'on croise à contretemps.
Premier jour, direction Lille. J'embarque dans un dodge somptueux avec les six musiciens. Ils ont tous dans les pattes trente et un concerts en trente trois jours (à part Alain Doueb le percussionniste arrivé seulement pour l'Olympia mais qui doit se remettre d'avoir dû mémoriser vingt-quatre morceaux en trois jours) et une semaine d'Olympia. Pas mécontents de repartir immédiatement après, les charentaises, c'est pas pour eux. Et puis, quoi, ne pas perdre le rythme angélique des tournées : route, concert, route !... Boutade d'Hubert alors que j'essaie de calculer le temps de vacances nécessaires pour récupérer. Deux mois ? « Non, vingt ans » !
Levés en début d'après-midi, couchés au petit matin. Route. Trouver l'hôtel inexorablement en bordure d'autoroute, tous identiques. Trouver la salle. Tout est fonction et tourne autour des deux heures de spectacle. Pour la vie de rêve, il faudrait pouvoir ôter fatigue et tension. (Ça carbure sec au café !) Et quelque soit son « état », réussir à être disponible tous les soirs, « donner ». Vous avez, vous, tous les soirs envie d'offrir quelque chose ?
La tournée de Thiéfaine n'a sans doute rien de plus extraordinaire qu'une autre. Mais y souffle un « vent de chaleur humaine » comme me dit un technicien, pas souvent perceptible ailleurs.
16 h 30. Arrivée à la salle « St-Sauveur » à Lille. Et une salle de sports, une ! Brève admiration des vestiaires dits « loges ». Dans la salle, deux panneaux lumineux affichent « Visiteurs/ Lille ». Tout le matériel est déjà installé. A dix mètres de haut, allongé sur une poutrelle, un technicien règle la direction des projos tandis que Serge Perod à la console lumière en fond de salle, doit sûrement lui raconter des histoires bizarres dans le casque. Chacun s'affaire dans son coin. Dans les loges, on change les cordes des guitares. Zem susurre inlassablement des « 2-2-1 » dans les micros. Chaque musicien fait sa balance et quand Hubert arrive, ils reprennent tout ça en chœur avec lui. Le son des synthés ne passe pas. On cavale pour régler ça en vitesse mais sans le moindre signe de panique.
Calme et efficacité des techniciens liés sans doute au climat de confiance qui règne. Pas vu Hubert une seule fois s'acharner sur un détail ou réclamer ceci ou cela. Silence, attend s'il y a un problème. Laisse chacun faire son boulot. Aucun risque, ici, d'entendre dire « C'est l'enfer, plus jamais je ne rebosserai avec lui ». L'équipe est soudée, fidèle.
Des techniciens qui, outre leur compétence, disposent d'un atout en or : la pêche en permanence ! Si avec Thiéfaine et les musiciens, la fatigue se ressent, créant parfois une ambiance un peu « apathique », elle ne semble guère les toucher. Premiers levés, partis, bossant de midi à deux heures du
matin et derniers couchés. Déconneurs de première... Pour la seule soirée « off », ils iront dérober malgré les cris hystériques de la réceptionniste, la télé couleur du hall de l'hôtel pour remplacer la leur en noir et blanc. Avec quelques musiciens, en se retrouvera à une dizaine dans une chambre pour regarder la « Dernière séance ». Pas triste !
Balance achevée, les sept technicos vont manger (un cuisinier suit la tournée avec sa camionnette). Dans la loge, silences et discussions s'entrecroisent. On sort les « costioumes de scène » ! Jason remporte haut la main le trophée des couleurs les plus criardes ! Gérard, qui assiste Tonv, annonce régulièrement « dans une heure », « vingt minutes », « dix minutes ». Top, partez ! Lampe de poche au poing, sourire parce qu'elle veut bien marcher, il guide le beau monde dans l'obscurité derrière le rideau noir.
Cris et piaffements dans la salle. On dirait qu'ils vont entrer sur un ring ! Sourires complices. Les loups sont lâchés. Musique. Magie...
Je rejoins Zem à la console scène. Brèves visites d'Hubert à qui l'on tend bouteille ou vitamines. Jason pète une corde, Paul, le batteur, manque de se casser la figure de son tabouret et perd en route une baguette. Jasper cavale et guette le moindre signe de détresse. Pas pour rien qu'il s'appelle SOS technique.
Où sont les miradors ?
Concert fini, repos ! Une heure après « à table ! ». Retour à l'hôtel. C'est la fête au genièvre, l'alcool du coin. Dodo cinq heures. On ne s'appesantit pas sur le concert du jour, on est déjà au lendemain. Hubert s'inquiète de l'état de la salle de Reims. Cette salle-là, toujours de sports, battra tous les records avec des tonnes de vitres inclinées à 45°, bonjour la résonance ! Se battre pour essayer de faire passer quelque chose alors que le son est irrémédiablement pourri et qu'une porte bat toutes les cinq minutes et éclaire toute la salle. Jouer dans une salle de sports, mais quel bonheur !
Dernier concert pour moi, Nancy : hall d'expo. Décor de tubulures en ferraille pour le plafond. Décor extérieur encore plus alléchant : bloc de béton en bord d'autoroute, entouré de grillages. « Où sont les miradors » demande Thiéfaine... Une table de ping-pong fera naître des exploits avant et après le spectacle. Sourires sur les lèvres. Autant déçus la veille à Reims, qu'heureux ce soir d'avoir pu offrir un beau concert.
09:31 | Lien permanent | Commentaires (4)
24/06/2012
Encore un article paru dans le magazine Chanson
La pensée du jour : "Non. Pas de dérision. Surtout pas de dérision. Mais des mots qui seraient source d'énergie, donneraient le courage de ne pas sombrer, exalteraient les forces de vie, inciteraient ceux qui les accueillent à aller vers toujours plus de lucidité, de tolérance, de compassion". Charles JULIET
Je prends enfin le temps de vous faire signe ! Voici ce matin un autre article paru en 1983 dans le magazine Chanson, et envoyé une fois encore par M.D., que je remercie au passage !
Quand la rage et le désespoir deviennent énergie, ne pleurent plus mais griffent, mordent, soi-même, les autres, il est urgent d'aller fondre sa rage et ses impuissances dans les siennes, d'aller s'éclater dans ses concerts où le noir du désespoir et le rouge de l'ironie s'enchaînent dans un rock flamboyant et tonique...
Prenez dans la main gauche les trois premiers disques de Thiéfaine, les deux derniers dans la main droite (vous avez le droit d'inverser main gauche et main droite). Non, il ne s'agit pas de peser mais de regarder et d'écouter. Premier réflexe rapide, ça n'a pas la même gueule, ça ne sonne pas pareil, ça ne raconte pas vraiment les mêmes choses. La rupture est flagrante...
« Entre deux délires, deux idées noires »
Thiéfaine, le clown narquois, grimé, aux chansons où l'absurde et l'ironie s'aiment à la folie, où délire et humour sont rois (La vierge au dodge, L'ascenseur de 22 h 43), ne se retrouve plus du tout dans les deux derniers disques. Le pire, c'est que ça ne donne même pas envie de pleurer. Aucun regret à exprimer.
Le « ch'est plus comme avant » geignard, on s'en balance! C'est plus pareil, mais qu'est-ce que ch'est beau !
Deuxième réflexe (moins rapide) : chercher des liens. On trouve la trace des angoisses dans les trois premiers LP. Un peu cachées mais déjà présentes :
« Orgie de silence et de propreté où celui qui aurait encore quelque chose à dire préfère se taire plutôt que d'avoir à utiliser leurs formulaires d'autorisation de délirer... Demain, nous reviendrons avec des revolvers au bout de nos yeux morts » (Autorisation de délirer).
Recourir dans l'autre sens, vers le quatrième et le cinquième pour retrouver une trace d'humour. « Il est bientôt minuit mais je fais beaucoup plus jeune » (Autoroutes jeudi d'automne).
Mais avec tout ça, je ne suis guère avancée. J'veux comprendre ! Que l'on puisse dépasser le cap de l'ironie, se détacher de cet atout-là pour fixer le noir dans les yeux, sérieusement, je ne peux pas y croire. Réponse fulgurante et convaincante d'Hubert, je m'incline.
« II y a des moments où tu ne peux plus rire. C'est pas la peine de vouloir se dire: on va rire de tout. Il y a certains moments où tu es carrément écorché dans un truc et c'est tout... Tu peux tout cacher derrière le rire, l'ironie. Jusqu'au jour où tu t'aperçois qu'en tournant tout en dérision, en riant de tout, tu tombes complètement. Il n'y a plus rien, parce que, quelque part, tu as tout détruit ».
Cette fameuse rupture entre le troisième et quatrième album, est également sensible à travers la musique. Les trois premiers suivaient des tracés classiques : bons vieux rocks, boogies, voire bourrées pour rigoler, avec un « son » plus folk que rock. Avec les suivants, le climat devient plus personnel, percutant et fort, du rock « léché » aux lignes mélodiques qui ont le faible don de s'installer dans vos oreilles pour ne plus vous quitter.
Responsable : un dénommé Claude Mairet. « Accusé levez-vous ! ». En fait, Claude reste tranquillement assis au bar à déguster son petit « déj », acceptant que je grignote son croissant. Evident qu'il tient un rôle principal dans l'affaire, avec, of course, Thiéfaine. Deux compères qui se sont connus sur les bancs de l'école, dans leur pays franc-comtois (je ne vous raconte pas l'accent détenu par presque toute « l'équipe » Thiéfaine).
Séparés quand l'un part délirer dans les cabarets parisiens, et l'autre s'amuse dans un groupe rock « Guidon Edmond et Clafoutis ». Absent du premier disque qu'il n'aimera pas, Claude se compromet à la guitare dans le second, arrange un morceau, puis deux pour le troisième. A partir de Dernières Balises, le voilà totalement arrangeur et même compositeur pour plus de la moitié des titres du dernier, dont les musiques de Lorelei et 713.105. Soleil Cherche Futur. « J'étais vraiment content de lui offrir ça un matin », tu parles ! Déclic. Collaboration fructueuse que reconnaît et approuve Tony Carbonare, arrangeur des trois premiers albums. Mettez Mairet et Carbonare sur un ring et repartez déçus ! Pas de match ni de luttes, apparents ou réels, puisque tous deux bossent toujours ensemble, Tony en tant que « manager ». Il a automatiquement interrompu son rôle d'interprète (bassiste) quand il n'était plus lié à celui de créateur.
Quand Thiéfaine, en 77, décide de s'entourer de musiciens, c'est le groupe « Machin » dont Tony, ami d'Hubert, est membre actif, qui viendra jouer avec lui. C'est la grande époque du folk, Tri Yann et compagnie. « Machin » est dans ce trip-là, d'où influence pas vraiment désirée sur des chansons de Thiéfaine. Le « son » de ces premiers albums est loin d'être parfait aussi. Mais, à l'époque, les sous sont rares. Quatre jours d'enregistrement pour le premier disque, c'est peu. Les deux suivants n'auront droit qu'à quelques jours de plus, alors que les deux derniers seront soignés pendant un mois dans un beau studio. Ça joue...
Bref, aujourd'hui, ce sont les grands moyens, pour les disques, comme pour les tournées. Le bouche à oreille, pour Thiéfaine, a fonctionné à une puissance rarement égalée. Jusqu'au point, aujourd'hui, de bourrer les plus grandes salles de France et de Navarre, y compris l'Olympia, de transformer deux LP en disques d'or... (Moi, ça me fait... rêver de médias en folie au bord du suicide, ou craindre de voir s'envoler tous les arguments et alibis des chanteurs géniaux mais oubliés ! Mais du calme !)
La suite dans les jours qui viennent. Et si vous avez loupé CO2 mon amour le samedi 16 juin sur France Inter, profitez de ce dimanche pour écouter cette émission ! L'épisode s'appelait Hubert-Félix Thiéfaine dans le silence de la forêt de Chaux. Suivez le lien :
http://franceinter.fr/archives-diffusions/137217/2012-06
10:09 | Lien permanent | Commentaires (7)
09/06/2012
Concert de la grande Sophie hier soir à Vandoeuvre-lès-Nancy
La pensée du jour : "On n'est pas heureux : notre bonheur, c'est le silence du malheur". Jules RENARD
En ce moment, je fais beaucoup d'infidélités à Hubert-Félix Thiéfaine ! Cela vous arrive-t-il ? Je n'en nourris aucune mauvaise conscience, sachant bien que, comme on dit en allemand, « alte Liebe rostet nicht ». En gros, cela veut dire que les vieilles amours ne rouillent pas. Et mon amour à moi fêtera ses vingt ans en septembre. « Vingt ans d'amour, c'est l'amour fol », chantait le grand Jacques. Je sais donc bien, au fond de moi, que si « parfois je ruisselle, comme un vieux troubadour », pour de douces donzelles, c'est pour mieux revenir à Hubert, l'amour-choc, le grand, le majestueux, le magique, celui qui me ramène à la source première.
Douces donzelles, disais-je. Oui, car depuis quelque temps, ce sont des voix féminines qui me bercent. En particulier celles de Berry et de la grande Sophie. Je rêvais de voir cette dernière sur scène. C'est chose faite : elle passait hier à Vandoeuvre-lès-Nancy.
En première partie, il y avait Laurent Lamarca. Et je vous conseille d'écouter quelques-unes de ses chansons. Faire la première partie d'un artiste déjà bien installé dans ses grolles, ce n'est pas chose aisée, on s'en doute, et il m'est arrivé de me sentir mal pour certains qu'un public irrespectueux se mettait presque à huer. Hier, notre brave Laurent ne s'est pas démonté une seule seconde, nous annonçant d'emblée qu'il y aurait une deuxième partie à son spectacle, une deuxième partie assurée par une jeune artiste. Et d'ajouter : « Par respect pour elle, restez, s'il vous plaît ». Sans se démonter, une fois de plus, le monsieur nous dit qu'il nous a trouvés un peu mous lorsqu'il est arrivé sur scène avec son acolyte, Victor. Il nous propose de refaire son entrée sous des cris hystériques. Et c'est encore des cris hystériques qu'il réclamera lorsqu'il nous demandera de l'accompagner dans un refrain orgasmique. Entre tendresse et déjanterie, on passe un bon moment, même si, avouons-le, secrètement, on attend la suite.
La suite, c'est elle, la grande Sophie, qui va nous la servir sur un plateau d'argent. Elle arrive et résonnent les premières notes de « La radio », splendide chanson de son dernier album tout aussi splendide. Elle enchaîne les titres, on ne voit pas le temps passer. Elle doit nous trouver un peu mous, elle aussi, plantés comme nous sommes sur nos fauteuils guère confortables. Elle nous explique qu'elle est née dans la région, mais qu'elle la connaît peu (j'apprendrai ensuite dans L'Est Républicain que son père travaillait à Arcelor Mittal et qu'il a été muté dans le Sud). Elle se dit contente car la journée a été un peu plus chaude que les autres. Mais le doux murmure des cigales lui manque, il faudrait que nous l'imitions pour elle. Et voilà que la salle se met à striduler. Timidement, d'abord. A la fin, avoue-le Sophie, « on dirait le Sud » !
On dirait le Sud aussi quand le public se lève enfin comme un seul homme pour acclamer comme il se doit cette artiste qui donne tout. Une véritable communion va surgir là, sous nos yeux. La grande Sophie continue à vibrer en chantant, on la sent émue par tant de magie, de respect, d'amour. A la fin, elle nous dit qu'elle et son équipe n'ont plus envie de partir. Qu'on n'a qu'à rester comme ça jusqu'au petit matin, à chanter « Je ne changerai jamais ». L'osmose a mis un peu de temps à se mettre en place, mais maintenant qu'elle est là, c'est du solide, ça ne va pas se défaire comme ça ! Nous non plus, Sophie, nous n'avons pas envie de partir. Pas envie de retourner à nos pâles quotidiens assoiffés alors que nous venons de brûler nos ailes à un bout d'absolu. C'est ce que, dans le jargon cher aux admirateurs de Thiéfaine, on a fini par appeler la « redescente »... C'est cela, j'imagine, le spleen qui vous envahit après un shoot...
Ce matin, le pâle quotidien était bien là, à nous attendre au tournant pour mieux nous piéger. Mais on se dit qu'il ne nous aura pas parce que déjà, on a regardé les dates des prochains concerts de la grande Sophie et qu'on en a trouvé une, voire deux, qui nous appellent...
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27/05/2012
Hubert-Félix Thiéfaine dans Philosophie magazine
La pensée du jour : "Ah, ma pauv'dame, m'en parlez pas, on a trente-six femmes, mais on n'a qu'une maman". François CAVANNA
Voici le questionnaire de Socrate, renseigné par HFT dans Philosophie magazine de "mai, joli mai, mois de Marie"...
Quel est votre démon ?
C'était Dionysos, mais aujourd'hui c'est plutôt Apollon. Le clochard et le dandy.
Quel penseur vous accompagne ?
Nietzsche. Les philosophes qui m'intéressent le plus sont des poètes.
Le sophiste qui vous exaspère le plus ?
Lacan. J'ai connu des gens qui suivaient ses conférences comme on va à la prière.
La question qui vous tourmente ?
La géographie de l'Univers. Je me demande chaque jour ce que je fous là.
Quel lieu se rapproche, pour vous, de la cité idéale ?
La Saline royale d'Arc-et-Senans, bâtie au XVIIIème siècle pour être idéale.
La chose la plus grotesque que vous ayez faite par amour ?
Offrir des fleurs et des bijoux. Dire "Je t'aime" une fois. Mais j'étais bourré, ça ne compte pas.
Le banquet de votre vie ?
Désormais deux pilules nutritives et un verre de Châteldon, le Dom Pérignon de l'eau minérale.
La maxime du bien que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
Le "souverain bien" de Cicéron : "Vivre en accord et en harmonie avec la nature".
L'animal que vous préférez à l'homme ?
Le dragon, parce que dans les supermarchés il n'y a jamais de boîte pour cette créature.
De quoi n'avez-vous pas encore accouché ?
Aucune idée !
Votre truc pour corrompre la jeunesse ?
Mes chansons. Certaines intéressent les jeunes car elles ont encore un peu de soufre.
La belle mort selon vous ?
Celle de Félix Faure dans le petit salon bleu de l'Elysée après une fellation de sa maîtresse. *
*Cela me fait penser à l'excellente chanson de Thomas Fersen... Ecoutez plutôt :
http://www.youtube.com/watch?v=HgxVwfYnnqg
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13/05/2012
Un compte rendu du concert de Dole (5 mai 2012)
La pensée du jour : "Je suis couvert de la mort comme d'un lichen". Lucien BECKER
Aujourd'hui, je vous propose un compte rendu du concert de Dole. Il est signé Aska, et je la remercie de m'avoir fait parvenir ce très beau texte.
5 mai 2012 : enfin, c'est pour moi le jour du concert d'HFT à Dole ! LE concert que j'attends depuis longtemps ! J'ai rendez-vous avec Hubert-Félix Thiéfaine dans sa ville natale et je trouve que ce n'est pas rien. J'ai hâte de voir l'endroit pour lequel il a imaginé cette chanson si belle et si critique, que j'adorerais entendre là-bas, mais que je n'entendrai certainement pas.
D'abord, Dole, c'est à cent kilomètres de chez moi, j'y suis donc allée en voiture. Trajet facile, la Commanderie est bien fléchée, et à 17 heures 30, je me retrouve au sein du petit groupe qui se presse devant une porte et où m'attendent une amie et son fils de 20 ans qui est un tout nouveau fan, fasciné par le dernier album.
Donc, la file d'attente, sous des parapluies, car le temps est à l'orage. On discute avec nos voisins, parmi lesquels une dame à cheveux gris et un autre jeune homme qui, lui, nous raconte qu'il est archi fan de Mylène Farmer et qu'il a campé trois jours devant le stade de France pour la voir en concert. Prix de la place : 270 euros. Euh, dire que je trouvais le billet pour Bercy un peu cher...
Les portes s'ouvrent et on se précipite, mais trop tard pour pouvoir s'appuyer sur les barrières, espoir que je nourrissais pourtant à cause du mal de dos que je traîne depuis plusieurs semaines. Tant pis, me voilà seule au troisième rang, ayant perdu mes accompagnants dans la bataille !
La salle n'est pas énorme, à taille humaine, bien fichue, avec des gradins pas très éloignés de la scène. Pendant que ça se remplit, je suis la seule assise par terre (mon dos) au milieu d'une forêt de jambes. Au-dessus de moi, quelques-uns chantent déjà "La Fille", ça promet...
Première partie : Jean-Marc Poignot, du staff d'Hubert. Tout sourire, avec de jolies chansons aux textes ciselés, j'aime beaucoup. Il n'en chante que trois ou quatre, ce qui est peu, et on recommence à attendre.
Et puis, IL arrive, celui pour qui on est venu; inchangé, avec son costume noir, sa chemise blanche, son harmonica autour du cou, son air grave. Sous des applaudissements nourris, il commence "Annihilation", la grande, immense chanson qui se trouve sur un disque que je n'aurai jamais... Pourquoi ? Parce que je suis une fan trop tardive qui n'a pas su voir, en trente ans, qu'un type qui était presque son voisin géographiquement parlant était devenu quelqu'un qui aurait enchanté sa vie si elle y avait fait attention plus tôt. Quelle gourde !
Pour l'instant, après "Annihilation", je ne suis plus vraiment dedans, encombrée de mes voisins de spectacle qui me collent et me gênent. Je dois vous avouer que je suis un peu agoraphobe, la foule, les gens pas toujours respectueux me fatiguent...
Thiéfaine non plus n'est pas vraiment dedans. C'est ce qu'il me semble en tout cas. Il dit "merci d'être venus", mais pas "merci pour votre fidélité", comme s'il n'était pas sûr qu'à Dole, sa ville natale, on lui soit si fidèle que ça. Je crois savoir qu'à part un festival il y a quelques années, ce concert est quasiment le premier qu'il fait ici en trente ans de carrière (corrigez-moi si je me trompe). Dans une interview ancienne que j'ai lue, il racontait qu'à Dole, au début, on lui lançait des tomates, ça doit marquer... Alors je le regarde, silhouette mince de jeune homme et air un peu incertain, et j'extrapole. L'introverti qu'est Thiéfaine, si connu qu'il soit aujourd'hui, est-il vraiment enchanté d'être là ? Je ne sais pas.
Mais le miracle arrive : juste après "Les dingues et les paumés", subitement le public s'enflamme, les gradins résonnent de mille talons qui frappent le plancher, une immense ovation s'élève. Première fois que j'entends ça, alors que j'ai fait trois concerts avant celui-ci. Et Thiéfaine est touché, je le vois, il murmure "merci" et enchaîne rapidement, mais comme il est libéré, il déploie ses ailes d'albatros, court sur la scène, balance son micro, sourit, fait participer le public, se lâche enfin...
Moi, j'entre dans le concert avec lui, ma douleur au dos a disparu, mes voisins se sont écartés par miracle, je suis sur un petit nuage...
Retour à la réalité quand une fan décomplexée (ben voyons !) s'incruste à côté de moi sous prétexte de faire des photos de l'artiste. Elle me gâche "Garbo" et, dans la foulée, "Ad orgasmum aeternum", que j'aurais tellement voulu écouter dans une bulle... Les gens, je vous dis...
Le concert se termine sur "La Fille" (très bonne ambiance), "Les ombres du soir" (musique trop forte pour moi sur ce titre qui mériterait un arrangement plus confidentiel), et enfin "Lobotomie média" et sa fin programmée.
Thiéfaine s'en va sur un dernier geste d'adieu et c'est là que je m'aperçois tout à coup de la bizarrerie : pas de Chippendale ce soir ! Il n'a pas mis le tee-shirt "merch", ne l'a pas lancé tout mouillé à un(e) fan hystérique. L'effet Dole ? Pas d'excentricités au pays ? On ne le saura pas, d'autant que je n'aurai pas la présence d'esprit de le lui demander plus tard. *
Parce que, miracle, il y a un plus tard. Après le concert, alors que certains Dolois réclament encore en vain "La cancoillotte" (oui, on aurait bien aimé, Hubert !), mes amis et moi restons là, assis sur des fauteuils (ouf !), à siroter des boissons. Près de la sortie, une porte et un petit groupe agglutiné qui regarde fixement cette porte. Les loges ! On s'approche, mon amie a justement apporté avec elle son disque collector, à tout hasard. Après une demi-heure de tractations, le vigile finit par nous laisser entrer. On est une dizaine, tout émus, à attendre dans le couloir. On voit passer Jean-Marc Poignot avec son carton de disques, Alice Botté qui plaisante, d'autres visages connus... Tous souriants et gentils. Une porte s'ouvre et voilà Lucas, qui n'est pas venu jouer sur scène avec son père, malgré la "nouvelle chanson" annoncée en clin d'oeil par celui-ci : "On a fait une nouvelle chanson, hein Alice ?"
Loge n° 2 : la loge du Maître, on entre timidement, les yeux écarquillés. Il fait une chaleur de four. Il est assis devant une coiffeuse, tout simple, ses lunettes sur le nez, Francine Nicolas derrière lui. C'est une scène irréelle. D'ailleurs, ne riez pas, je ne me souviens de rien, c'est tout moi ! Juste que je lui ai donné mon prénom et que je lui ai dit "merci beaucoup" avec ferveur. Et qu'il m'a dit "mais de rien !" en souriant. Rien d'autre, mais tout ce que j'aurais pu dire aurait été inutile, n'est-ce pas ? Je ne regrette rien.
En conclusion ? Quelle soirée ! Merci, Hubert, du fond du coeur, pour l'autographe et tout ce que tu m'apportes depuis deux ans ! Comme j'arrive bien tard dans ta carrière, j'ai pris rendez-vous avec toi le 29 juin, pour les Eurockéennes de Belfort...
J'oubliais : finalement, Dole, c'est une jolie ville avec une large rivière qui bouillonne et plein de ponts. En repartant de nuit, je n'ai vu ni clébard estropié ni noyés dans la glace. Et mince, j'y pense, j'ai loupé la statue du grand homme...
*On m'a dit après coup qu'il n'avait pas non plus lancé son tee-shirt à Mennecy, la veille...
11:40 | Lien permanent | Commentaires (25)
12/05/2012
Suite et fin de l'interview parue dans MOJO
La pensée du jour : "Le désir est en moi, englué dans ma chair,
comme une forêt l'est en pleine terre.
C'est lui qui me force à crier mon chant de vie
quand la mort bat plus fort que mon coeur
et qu'elle est déjà couchée sur moi, front contre front". Lucien BECKER
Ferré a abordé le rock. On a parlé de Hendrix, et puis il y a eu Zoo...
Je n'aime pas trop ce qu'il a enregistré avec Zoo. Cette ambiance jazz-rock, je trouve que ça sonne pas très rock, en fait. Sur La Solitude, les meilleurs morceaux sont ceux qu'il a arrangés lui-même.
Plus tard, est arrivé le mouvement punk, on a l'impression que vous êtes passé à côté...
J'habitais rue du Dragon, pas très loin du Vidéo Stone, une salle avec des fauteuils et des canapés où passaient des vidéos sur des écrans. Il suffisait de traverser le boulevard Saint-Germain. Acceleration Punk était diffusé, j'y suis resté deux jours. ça m'intéressait et m'inspirait, mes textes étaient punk. D'ailleurs, ce que les punks disaient en 1976, c'était un peu ce que j'écrivais en 70, puisque j'avais déjà écrit la première version de "113ème cigarette sans dormir" ou "Exil sur planète fantôme". Mais question musique, j'étais un peu décalé, je n'étais pas dans le bon milieu. Et je me suis toujours tenu à l'écart des phénomènes de mode.
Aujourd'hui, qu'écoutez-vous ?
J'écoute les disques des copains, par amitié. En voiture, je me mets beaucoup de musique classique. J'avais du retard dans ma culture, et ça me détend. J'aime beaucoup la musique contemporaine, Max Richter, Phil Glass, Brian Eno. Et j'apprécie de me réchauffer au jazz bien enfumé des années 60, Coltrane, Miles, Thelonious Monk...
Et le rock'n'roll ?
J'ai tout sur mon IPod. Tout à l'heure, dans la voiture, après Brahms, on s'est mis "Absolutely Sweet Mary". J'adore les Bootleg Series de Dylan. Je me mets régulièrement un petit Stones aussi, je dois avoir toute la discographie. Je possède même des bandes de studio ! Mon fils a eu sa période Keith Richards, avec des posters partout dans sa chambre. Et puis du jour au lendemain, il s'est mis à fond dans les Strokes et s'est fait la coupe de Casablancas !
On termine par une question un peu provoc : vous avez écrit une diatribe antinucléaire ("Alligators 427"), un plébiscite pour l'intégration ("La Ballade d'Abdallah Geronimo Cohen"), un manifeste pro-banlieue ("Quand la banlieue descendra sur la ville")... HFT, chanteur de gauche ?
La politique est présente dans mes chansons pour dresser des bilans de la société, pas pour son apsect politicien. On est actuellement en campagne électorale, je n'arrive à soutenir personne. On m'a catalogué chanteur de gauche, parfois anarchiste de droite. Je ne suis ni l'un ni l'autre. Il paraît que quand on n'est ni noir ni blanc, on est gris. Mais gris, c'est la couleur de la matière grise ! Je défends la démocratie avec tous ses défauts, parce que cela reste le système le plus humain. C'est la raison pour laquelle je suis capable de faire 1 000 kilomètres pour mettre un bulletin blanc dans l'urne. Pour me prouver à moi-même que je suis un citoyen responsable qui, le cas échéant, ne sera pas à la traîne. Je connais suffisamment mon histoire contemporaine pour savoir qu'en 1928, Hitler était à 1% des voix, et qu'en 1933, il avait la majorité. Il faut donc être prêt et toujours vigilant. Je suis un citoyen qui vote, c'est quelque chose de sacré.
10:30 | Lien permanent | Commentaires (1)