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15/08/2011

"Je voudrais qu'on m'inhume dans mon plus beau posthume ... pacifiste inconnu"

La mort d'Allain Leprest nous laisse nus, démunis, orphelins... Cela me fait drôle de me dire que ce matin déjà, sans le savoir, je me suis réveillée dans un monde où Leprest n'était plus... C'est bizarre, je pensais beaucoup à lui dernièrement...

Bien évidemment, au journal télévisé, pas un mot au sujet de la mort de ce grand bonhomme. On préférera toujours nous parler de chiffres, de foot, nous assommer, nous abêtir...

Avec cet artiste, c'est encore un peu de poésie qui s'en va. Qui chantera encore la douceur inutile de la pluie qui tombe sur la mer ? Qui hurlera avec autant de fêlures dans la voix et dans l'âme « je ne te salue pas » à la face d'un Dieu oublieux de son œuvre, laissée en plan, en friche, en merdier ? Qui chantera encore « je hais les gosses » ? Et Rouen, et le sac à main de la putain ? Leprest, c'était une longue déchirure qui se mettait à nu dans ses textes...

Profonde tristesse ce soir... Je ne peux me consoler (c'est un bien grand mot) qu'avec la voix d'Allain.

Allez, lançons ensemble une prière à la face des cieux !

 

Je ne te salue pas

 

Je ne te salue pas

Toi qui vis dans les cieux

Athée, j'habite en bas

De ton toit prétentieux

En fumeur de havane

Gros beauf qui te pavanes

Au milieu des charniers

Avec tes dobermans

Je ne te salue pas

Toi qui te crois mon Dieu

 

Je ne te salue pas

Toi qui vis dans les cieux

Pacha, mauvais sherpa

Coupeur de bites en deux

P.D.G. des nuages

Vendeur de faux voyages

Dealer de poudre aux yeux

Metteur de filles en cage

Je ne te salue pas

Toi qui te crois mon Dieu

 

Je ne te salue pas

Toi qui vis dans les cieux

Le monde, et pourquoi pas ?

Un gosse aurait fait mieux

Fait l'amour à l'atome

Doublé la couche d'ozone

Eve aurait eu le droit

De faire des tartes aux pommes

Je ne te salue pas

Toi qui te crois mon Dieu

 

Je ne te salue pas

Toi qui vis dans les cieux

Je suis né à Couba

Quelque part en banlieue

Tes bourses à Washington

Ton pape et ta madone

L'univers les oublie

Et Satan les pardonne

Je ne te salue pas

Toi qui te crois mon Dieu

 

Je ne te salue pas

Toi qui vis dans les cieux

A mon dernier repas

Appelle-moi « Monsieur »

Pas « mon fils » ni « machin »

Un père j'en ai d'jà un

Qui arrachait les clous

Quand on clouait mes poings

Je ne te salue pas

Toi qui te crois mon Dieu

 

Je ne te salue plus

Toi qui vis dans les nues

Si ton plafond s'effondre

Epargne un peu le monde

Mais qu'au moins soient sauvés

Ceux qui savent leurs « Ave »

En ce qui me concerne

Je balance un pavé

Un pavé rouge et bleu

Dans la vitre des cieux

 

Se peut-il être sans clocher

Une insulte pour t'approcher ?

 

 

Que soient sauvés ceux qui savent leurs « Ave », certes, mais que soient sauvés aussi ceux qui, dès la naissance ou presque, ont eu mal au monde, ont noté au bas de la feuille « peut mieux faire », et ont essayé de changer les choses. Que soient sauvés les écorchés vifs, ceux que flinguent sur place la cruauté humaine et celle de la vie. Que soient sauvés les poètes, et plus encore les poètes maudits, ceux qui, en ce bas monde, ne trouvèrent pas de point d'ancrage suffisamment solide pour ne pas vaciller. Que soient sauvés les doux au cœur pur, dont Allain Leprest était. J'espère bien, tiens, qu'à son dernier repas Dieu l'aura appelé monsieur ! C'est la moindre des choses !

"Rentre ton coeur dans son étui"... Allain Leprest est mort.

img081.jpgLa pensée du jour : "S'arracher tant de larmes qu'on se retrouve à sec". Allain LEPREST

 

 

 

 

Alors, c'est donc bien vrai, Allain, c'est le fond de la bouteille ? Celle-là, nous la mettrons de côté et nous la remplirons de nos larmes. Car la chanson française perd un sacré monsieur aujourd'hui. Un artiste malheureusement trop souvent méconnu du grand public, mais fort heureusement bien reconnu depuis longtemps par toute la profession. Jacques Higelin, Yves Jamait, Amélie-les-crayons, Anne Sylvestre, Gilbert Lafaille, Jean Guidoni, et j'en passe : ils étaient nombreux à lui rendre hommage dernièrement dans deux volumes intitulés « Chez Leprest ».

 

 

 

Allain Leprest, je l'avais vu il y a un peu plus de deux ans dans une salle de Nancy (j'avais écrit un article à ce sujet sur ce même blog). J'avais eu la chance de papoter un peu avec lui à la fin du concert. Il faut dire qu'Allain Leprest était très accessible, très chaleureux. Les yeux cependant toujours un peu loin de vous quand même. On sentait bien que dans cette caboche-là, se passaient des choses qui éloignaient le bonhomme du commun des mortels. Nous avions ri tous les deux lorsque je lui avais présenté quelques CD à me dédicacer. Il m'avait baptisée la « conservatrice des antiquités » car je m'étais pointée ce soir-là avec de très vieux albums !

 

Leprest, j'ai eu la chance de le découvrir en 1996. Il faisait partie de ces artistes de l'ombre que Foulquier invitait souvent dans « Pollen », l'excellente émission qu'il animait sur France Inter. « Animer » est bien le mot qui convient ici si j'en crois la première définition que mon Petit Larousse illustré donne de ce verbe : « donner du mouvement, du dynamisme à un lieu, un groupe, etc ». Je m'étais pris une vraie claque à l'époque en entendant Leprest pour la première fois. Cette voix caverneuse, revenue d'on ne sait quelles profondeurs et qui racontait tant de Gitanes, ces textes sublimes qui à mes yeux rejoignirent illico les plus belles pages des Thiéfaine, Higelin et compagnie... Lisez plutôt :

 

« Oh Goethe,

 douce Allemagne,

 Nous partons en Turquie

 Mais nous reviendrons, promis,

 Dans tes vertes campagnes ».

 

 

 

« Voir un été pourri, se dire que c'est d'sa faute »...

 

 

« Ton cul est rond comme une horloge

 Et quand ma fatigue s'y loge

 J'enfile le temps à rebours ».

 

 

« J'ai peur de deux et deux font quatre

 De n'importe quand n'importe où

 De la maladie délicate

 Qui plante ses crocs sur tes joues ».

 

 

 

« C'est peut-être Colette, la gamine penchée

 Qui recompte en cachette le fruit de ses péchés

 Jamais on le saura, elle aura avant l'heure

 Un torchon dans les bras pour se torcher le cœur ».

 

 

« Tu valseras pour rien mon vieux

La belle que tu serres dans tes yeux

Ce n'est pas de l'amour

C'est une envie d'amour

Tu valses avec une ombre ».

 

 

 

« J'ai peur de tout ce que je serre

Inutilement dans mes bras

Face à l'horloge nécessaire

Du temps qui me les rependra

J'ai peur ».

 

 

 

« La dame du dessus est morte

Il y a des scellés sur sa porte

On n'entendra plus pleuvoir

Son arrosoir

Sur le balcon

La vie, c'est con ».

 

 

Triste quinze août. Nous aussi, nous valsons avec une ombre qui vient noircir notre été. Il avait raison, Allain : la vie, c'est con.

 

05/08/2011

Saint Augustin (suite)

La pensée du jour : "Pourquoi créer si ce n'est pour donner un sens à la souffrance ?" Albert CAMUS

 

Entièrement consacré désormais au service de Dieu, il écrivit à Milan De immortalitate animae. L'été suivant, il partit pour l'Afrique, mais la mort de sa mère le fit revenir en Italie; il resta à Rome jusqu'à l'été 388. Au cours de ce séjour, il soutint le pape Sirice dans sa lutte contre les Manichéens en écrivant De moribus Ecclesiae catholicae qui marquent le début de son immense œuvre apologétique. C'est à Rome encore qu'il écrivit De la grandeur de l'âme, œuvre mystique où éclatent ses dons de psychologue, et le premier livre du Libre Arbitre, où il aborde le problème du mal. Après un très court séjour à Carthage, l'automne 388 le trouve de nouveau à Thagaste. Il y vendit le peu de biens qu'il possédait et en distribua le produit aux pauvres; et comme il le raconte lui-même, il exigea de ceux qui désiraient le suivre qu'ils en fissent autant. Au cours de ces deux années environ de retraite à Thagaste, il termina Contre les Manichéens et écrivit Le maître, De la musique et, en 390, De la vraie religion.

 

A Hippone il fonda l'ordre religieux qui porte son nom et rédigea la Regula ad servos Dei. Nommé coadjuteur du vieux et pieux évêque Valerius, il se vit confier la mission de prêcher qu'il remplit avec ardeur et succès presque jusqu'à sa mort. Entre la fin de l'année 395 et le début de 396, après la mort de Valerius, il fut proclamé évêque d'Hippone. Il s'acquitta de tous les devoirs de sa charge avec un zèle exemplaire : il fut à la fois pasteur, administrateur, orateur sacré et juge. Les quelque trois cents sermons qui sont parvenus jusqu'à nous ne représentent qu'une faible partie de ceux qu'il a prononcés. Certains d'entre eux sont parmi les plus belles exégèses que possède l'Eglise, comme les Ennarationes in salmos et les deux traités de 416 In Johannis Evangelium et In Epistolam Johannis. La masse de Lettres adressées à ses adversaires, à des amis, à des étrangers, à des laïcs, n'est pas moins imposante. En 396, il compléta le recueil De diversis questionibus et dès son accession à l'épiscopat il écrivit De agone christiano. En 400, il publia le De catechizandis rudibus; en 401, les treize livres de ses Confessions. Vers 400, il entreprit la rédaction de son grand traité philosophique et théologique Sur la Trinité, auquel il travailla quinze années durant. Une fois le danger manichéen écarté, il se jeta plus ardemment dans la lutte contre le péril plus menaçant encore que constituaient pour l'unité de l'Eglise les Donatistes. Il participa aux conciles antidonatistes de Carthage en 403 et 411, où il soutint presque à lui seul le poids de la discussion. A cette lutte qui s'achèvera par la défaite des hérétiques, il consacra un grand nombre d'écrits, dont les plus importants parmi ceux qui nous restent sont : De baptismo contra donatistas (401); Contra litteras Petiliani donatistae (401-405); Contra donatistae epistola ou De unitate Ecclesiae (405); Liber contra donatistas post collationem (413). Entre-temps, le 2 août 410, les Goths d'Alaric étaient entrés à Rome où, pendant trois jours, ils s'adonnèrent au pillage. Les réfugiés affluèrent en masse en Afrique, semant la panique et colportant des bruits qui rendaient le christianisme responsable des malheurs de Rome. C'est contre ces accusations que s'insurge Augustin dans la Cité de Dieu, mais cette œuvre qui reste la plus vaste conception de l'histoire humaine vue par un chrétien, déborde largement les cadres de l'événement qui l'a fait naître. Parmi les réfugiés se trouvait Pélage, un moine d'origine britannique qui répandait ses doctrines rationalistes et subversives sur la liberté humaine et la grâce divine. Il devait passer peu après en Orient, mais il laissa à Carthage son compagnon et disciple Celestius qu'Augustin déjà vieux combattit avec acharnement par la prédication, les conciles et la plume. Ce sont ces circonstances qui engendrèrent les grands ouvrages antipélagiens : De natura et gratia contra Pelagium (413-415); De gestis Pelagii (417), Contra Julianum haeresis pelagianae defensorem (423); Opus imperfectum contra Julianum (429-430), que la mort empêcha Augustin d'achever. Il meurt le 14 août 430.

 

31/07/2011

Saint Augustin (suite)

La pensée du jour : "Etrange chose que ces individus qui attirent un jour notre regard, piquent notre curiosité, font surgir maintes questions, se fixent sans grande raison dans notre mémoire, et qui réapparaissent en nous de temps à autre, parfois longtemps après que nous les avons entraperçus". Charles JULIET, Lumières d'automne.

 

 

Bien qu'il fût désormais assuré de son avenir immédiat, l'inquiétude subsistait en Augustin mais elle était de nature spirituelle ; à Rome il avait été attiré pendant un temps par le scepticisme des Académiciens, d'Archésilas plutôt que de Carnéade. Il écoutait maintenant les prédications de saint Ambroise, le grand évêque de Milan. Mais trois choses retenaient encore Augustin loin de la foi et de la discipline de l'Eglise catholique : l'impossibilité de concevoir une substance absolument immatérielle, l'impossibilité d'expliquer l'origine du mal, l'impossibilité de se passer de femmes. Les deux premiers obstacles furent les plus facilement franchis : il lut les platoniciens (ou plutôt les néo-platoniciens, très probablement Plotin) et il trouva sur l'essence divine et la nature du mal des notions qui lui ouvrirent des voies nouvelles. Il comprit que Dieu est lumière, substance spirituelle dont tout dépend et qui ne dépend de rien. Quant au problème du mal, la solution lui en apparut dans le fait que les choses étant subordonnées à Dieu, elles ne possèdent ni l'être ni le non-être absolu : elles sont puisqu'elles tiennent leur existence de Dieu, elles ne sont pas absolument, puisqu'elles ne sont pas Dieu. Aussi ne sont-elles corruptibles que dans la mesure où elles participent de la bonté divine; si elles étaient dépourvues de bonté, elles ne pourraient même se corrompre. La corruption n'est donc que perte d'un bien; tout ce qui est, est bon; le mal n'est pas substance, mais absence de bien, non-être. Dès lors il était dans l'état d'un homme convaincu de la vérité, mais cela ne put l'empêcher de vivre encore dans le péché. Sur l'instance de sa mère qui voulait le marier à une jeune fille de bonne famille, il avait renvoyé sa compagne, mais ce fut pour reprendre une autre concubine. C'est alors qu'eut lieu la crise décisive : un jour qu'il était allé chercher la solitude et le calme sous un bosquet de son jardin, il crut entendre une voix qui lui disait « Tolle et lege » (« prends et lis »). Surpris, se demandant de quel livre il s'agissait, il courut consulter un de ses amis, un livre était placé devant ses yeux, les Epîtres de saint Paul; il les ouvrit au hasard et tomba sur ce passage : « Ne passez pas votre vie dans les festins et les plaisirs de la table ni dans la débauche et l'impiété..., mais revêtez-vous de votre Seigneur Jésus-Christ et gardez-vous de satisfaire les désirs déréglés de la chair. » Touché par la grâce, il décida de se retirer dans la maison de son ami Verecundus en Lombardie avec ses amis et disciples, sa mère Monique et son fils. Là ils passaient leur temps en prières, études et discussions. C'est là que virent le jour ses fameux dialogues philosophiques : Contre les philosophes de l'Académie, De la Vie Heureuse, De l'Ordre, Les Soliloques, les trois premiers en 386 et le dernier au début de 387. Après les vacances, il donna sa démission de professeur de rhétorique et dans la nuit du 24 au 25 avril de l'année 387, il reçut de saint Ambroise le baptême par lequel Augustin de Thagaste, futur évêque d'Hippone, docteur et saint de l'Eglise, se trouva lavé de tous ses péchés.

 

03/07/2011

"Elle dit c'est pas Saint Augustin qui joue du violon dans les bois"...

La pensée du jour : "Je ne m'approche de la mort que pour mieux me précipiter vers la vie. Toute grande et âpre avidité de vivre naît d'une hantise de la mort". Charles JULIET, Ténèbres en terre froide.

 

Saint Augustin (Aurelius Augustinus) : Le plus illustre des Pères de l'Eglise latine est né à Thagaste (aujourd'hui Souk-Ahras), petite ville de Numidie, le 13 novembre 354, il est mort à Hippone le 14 août 430. Il était fils d'un païen, Patricius, et d'une chrétienne, Monique. Il fit ses premières classes dans sa ville natale, puis alla étudier la rhétorique dans la cité de Madaure. Il se passionna pour le latin et la littérature latine, mais il haïssait le grec, dont il semble qu'il n'ait assimilé que les quelques rudiments nécessaires pour comparer une traduction avec le texte original. Bien que sa mère, fort pieuse, le poussât à se faire baptiser, il resta catéchumène. Rentré à Thagaste, il y mena pendant une année (369-370) une vie dissipée, dont il se repentira amèrement, comme en témoignent les Confessions. Il put poursuivre ses études, comblant ainsi le vœu de son père, grâce à la libéralité du mécène Romanianus, ami et lointain parent de la famille. C'est ainsi qu'il partit pour Carthage, où il fréquenta l'école d'éloquence, sans oublier les plaisirs du théâtre et les jeux de cirque, dont il était avide. Il connut une jeune fille de très humble condition qui fut sa compagne pendant douze ans et à laquelle il fut fidèle « comme à une épouse légitime ». De leur union naquit un fils, Adeodat (A Deo datus) chéri sinon désiré, et à l'éducation duquel ils consacrèrent tous leurs soins. Entre-temps Augustin continuait à travailler avec acharnement, à la fois par goût, par ambition, par nécessité et par reconnaissance à l'égard de son bienfaiteur. A 18 ans la lecture de l'Hortensius de Cicéron lui révéla sa vocation philosophique. C'est alors qu'il s'éprit d'un amour sans égal pour la beauté incorruptible de la véritable sagesse. L'étude de la sagesse païenne l'amena à prendre connaissance de la doctrine chrétienne : il lut les Ecritures. Elles le déçurent et il ne les comprit pas. Hésitant, il adhéra en tant que simple auditeur au « manichéisme », une des innombrables sectes chrétiennes de l'époque. Deux raisons surtout guidèrent son choix : l'impossibilité d'accepter une foi imposée, non fondée sur la raison, et le problème du mal qui le préoccupera toute sa vie. Ses études une fois terminées, il rentra avec sa femme et son fils à Thagaste où, s'étant consacré à l'enseignement de la rhétorique et à la diffusion du manichéisme, il s'attacha des disciples qui le suivirent à Carthage. Entre 380 et 381, il écrivit son premier ouvrage, un traité en deux ou trois volumes, De pulchro et apto (Sur la beauté et la convenance), déjà perdu au moment où il écrivait les Confessions. Lorsqu'arriva de Rome à Carthage l'évêque Faustus, célèbre docteur manichéen, Augustin l'accueillit comme l'homme qui devait lever tous ses doutes. Il fut déçu : Faustus lui apparut comme un habile orateur, mais ignorant, et incapable de faire la lumière sur le moindre problème. Son ardeur manichéenne s'en trouva refroidie. Peu après il décida de se rendre à Rome, dans l'espoir d'y conquérir des lauriers et quelque aisance. Sa mère ne voulait pas le laisser partir ou du moins désirait qu'il l'emmenât (son père était mort en 379) : elle le suivit en pleurant jusqu'à la mer. Rome ne remplit pas son attente : il tomba gravement malade et l'enseignement de la rhétorique s'avéra peu lucratif. Un poste de professeur de rhétorique s'étant trouvé libre à Milan, il se présenta et fut agréé grâce à l'intervention de ses amis manichéens auprès de Symmaque, préfet de Rome. Il avait alors trente ans. L'amélioration de sa situation lui permit de faire venir sa femme et son fils, et l'année d'après sa mère et ses fidèles disciples.

 

La suite dans les jours qui viennent.

26/06/2011

Petit matin 4.10 heure d'été

« Partir, c'est mourir un peu;

C'est mourir à ce qu'on aime.

On laisse un peu de soi-même

En toute heure et dans tout lieu ».

Edmond HARAUCOURT

 

 

De toutes les chansons de l'album « Suppléments de mensonge », « Petit matin 4.10 heure d'été » est à mes yeux la plus puissante, la plus terrifiante aussi. C'est un homme brisé, c'est une « âme brisée » qui nous parle ici. Une âme qui se sent engluée dans le « vieux drame humain » qui nous piège tous. C'est quoi, le vieux drame humain ? C'est d'avoir été floué dès la naissance. On nous donne la vie et, du même coup, la mort. De l'inconvénient d'être né dans ce merdier innommable sans avoir rien demandé à personne. Voici une âme qui vacille sur une corde raide suspendue au-dessus du néant.

 

On entre dès le début dans le vif du sujet :

« Le temps passe si lentement

et je me sens si fatigué

le silence des morts est violent

quand il m'arrache à mes pensées ».

Seul le silence des morts peut être violent, d'ailleurs, car, habituellement, le silence est associé à l'apaisement et la douceur. L'idée de violence est renforcée par le verbe « arracher ».

Chanson douloureuse dans laquelle tout est dit. Pas une lueur d'espoir dans ces ténèbres épaisses, impénétrables. A couper au couteau. Dans « Infinitives voiles », on peut aisément imaginer un répit pour cette âme torturée (« et je viendrai poser ma tête d'enfant sage

sur les gréements chauffés à blanc de vos rivages »). Ici, rien. Le vide sidéral. Triple zéro.

 

C'est peut-être l'été, mais il n'est question que d'hiver et de froid dans tout le texte : « je rêve de ces ténèbres froides », « mes yeux gris reflètent un hiver

qui paralyse les cœurs meurtris

mon regard vient de l'ère glaciaire ».

Le bilan qui est exposé ici est lourd et sans appel. L'âme brisée qui nous parle avoue avoir « broyé son propre horizon » et trimbaler son mal-être dans le « jardin d'Eden désert » où, de surcroît, « les étoiles n'ont plus de discours ». Jolie allitération en « d ». Pour souligner un peu plus le dé-sespoir, le dé-couragement, la dé-réliction... « Les étoiles n'ont plus de discours » : toujours ce silence ennemi, inquiétant, malveillant. Quand les étoiles nous parlent, c'est peut-être pour livrer un semblant de réponse aux lancinantes questions « Qui suis-je ? D'où viens-je ? », etc. Quand elles n'ont plus de discours, c'est qu'elles restent muettes et nous renvoient à notre déchirante condition : il n'y a pas de réponse. Cela n'a peut-être rien à voir, mais cela me fait penser à la terrible fin d'une pièce de théâtre écrite par Wolfgang Borchert (Draußen vor der Tür). Là aussi, un homme se retrouve confronté au silence obstiné du monde qui l'entoure. Et surtout au silence obstiné de Dieu ou de toute grande puissance qui ressemblerait à Dieu :

« Gebt doch Antwort !

Warum schweigt ihr denn ? Warum ?

Gibt denn keiner eine Antwort ?

Gibt keiner Antwort ???

Gibt denn keiner, keiner Antwort ?? »

 

Quel est donc ce « vague espoir » dont il est question dans la dernière strophe ? La mort ? Elle apparaîtrait alors comme la grande espérance salvatrice. Mais encore un peu floue quand même. En tout cas, ce n'est pas la première fois non plus qu'en évoquant la camarde, Thiéfaine parle de bave. Cf. « Psychopompes / métempsychose et sportswear » :

« et quand le pinocchio baveux

poussera ma brouette à l'Ankou ».

 

Voilà une chanson qui fait mal, qui tourmente, qui paralyse, qui glace. On se demande comment il est possible d'aller aussi loin dans le désespoir et l'excès de bile noire. Parfois aussi, on ne se le demande pas. Le désespoir et l'excès de bile noire, on y baigne soi-même jusqu'au cou.

Une chance que Thiéfaine ait donné, au fond de l'eau vaseuse, le coup de pied qui lui a permis de remonter à la surface.

 

 

Je suis désolée si cette note est mal écrite, maladroite, bancale. Je ne prétends pas livrer ici des analyses de textes, j'ai toujours préféré parler d'impressions, de ressenti. Je ne pige pas grand-chose aux chansons d'HFT, leur infinie richesse m'échappe, se dérobe dès que je veux la saisir, et c'est sans doute mieux ainsi. "Petit matin 4.10 heure d'été" me bouleverse à chaque écoute, mais je ne suis pas sûre d'avoir su le dire correctement...

 

14/06/2011

L'art de la bio, une rencontre avec Jean Théfaine à Saint-Brieuc

P1190242 [640x480].JPGLa pensée du jour : "Personne n'est rien. Et en même temps chacun est tout l'univers". Eugène IONESCO, Le solitaire.

 

 

L'art de la bio. Ils sont quatre à être venus en débattre en ce samedi 10 juin, dans l'ancien Monoprix de Saint -Brieuc. Quatre, à savoir : Régis Canselier pour sa biographie de Jimi Hendrix, Pierre Mikaïloff pour Jacno, l'amoureux solitaire, Christian Eudeline pour une biographie de Little Bob et … Jean Théfaine, pour un ouvrage consacré à qui vous savez !

 

Belle table ronde, durant laquelle on ne voit pas le temps passer. Les propos de tous sont intéressants, mais ce sont ceux de Jean Théfaine que je vais retranscrire ici. Première question posée par Bernadette Bourvon, programmatrice et animatrice de cette rencontre : Pourquoi avoir choisi Thiéfaine ? Ce à quoi Jean Théfaine répond qu'il a toujours suivi avec intérêt le travail de Thiéfaine. Il rappelle qu'il lui avait consacré un dossier spécial dans Chorus, il y a quelques années. La retraite arrivant, Théfaine se dit « Chiche que je me colle une bio de Thiéfaine » ! Et ce sera donc Jours d'orage, dont il existe deux versions, que vous connaissez.

 

Théfaine explique qu'il a commencé son travail en 2004. Pour lui, dès le début de cette aventure, il ne s'agit pas d'un simple décryptage, mais bien plutôt de « faire comprendre ce personnage sur lequel presque rien n'avait été écrit jusqu'alors». Le travail s'effectuera en collaboration étroite et plutôt amicale avec Thiéfaine, ce qui n'exclut cependant pas quelques prises de bec ! Ainsi, un jour, Théfaine conduit Hubert-Félix Thiéfaine au petit séminaire où celui-ci a passé plusieurs années de sa jeunesse, et les choses se gâtent. Thiéfaine finit par dire « des choses très désagréables » à son biographe. La collaboration ne va donc pas sans heurts, mais l'amitié reprendra le dessus. Théfaine qualifie Thiéfaine de « timide, gentil, complexe ». Ce n'est pas une personnalité lisse, mais c'est justement cela qui fait l'intérêt de la recherche. Ce qui passionne Théfaine, ce sont « les gens qui ont les deux doigts dans la prise ». La complexité l'intrigue. « Je serais incapable d'écrire la biographie de quelqu'un qui ne m'intéresse pas, qui ne me secoue pas », précise-t-il. Ou encore : « Je me suis coltiné quelqu'un, j'y ai laissé des plumes, j'ai été secoué. Je ne suis pas sorti intact, y compris de la deuxième version. Thiéfaine, c'est une forteresse. Il faut y aller au pied de biche ».

 

On comprend que les longs mois de recherches qui ont permis à Théfaine d'élaborer ce travail extrêmement documenté ne l'ont pas laissé indemne, mais que si c'était à refaire, il foncerait de nouveau tête baissée dans la forteresse Thiéfaine !

 

Jean Théfaine rappelle également que notre artiste est prisonnier de l'étiquette qui lui a été collée sur le dos à ses débuts. Même ses fans préfèrent le savoir à l'écart des émissions télévisées, certains étant allés dernièrement jusqu'à ne pas lui pardonner son passage chez Ruquier !

 

C'est une table ronde passionnante. On sort de là en ayant envie de lire les quatre ouvrages présentés ici, tant leurs auteurs sont captivants ! Pour ma part, je n'en ai lu qu'un, celui de Théfaine, et je suis heureuse d'avoir rencontré cet homme si humble qui reconnaît n'avoir levé qu'un petit morceau du voile, tant l'ami Thiéfaine présente une personnalité complexe. « Il est à la fois conforme à ce qu'il écrit, et en même temps très différent ». Théfaine évoque aussi le « côté bruyant des textes explosifs et explosés de Thiéfaine », lui opposant le « silence de pierre tombale » dans lequel vit cet artiste au fin fond du Jura. Un artiste qui est aussi un infatigable lecteur qui peut avoir 5 à 30 bouquins en chantier.

 

Voilà, je crois avoir dit l'essentiel. Ceux qui étaient présents samedi à cette table ronde peuvent venir ajouter des choses que j'aurais oubliées !

 

07/06/2011

Concert privé du 6 juin à la Flèche d'or

La pensée du jour : "Pour quitter

la surface

tu dois couler". Charles JULIET

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« Fièvre résurrectionnelle »... C'est sans doute l'état dans lequel nous étions plongés hier, nous les chanceux qui assistions au concert privé de Thiéfaine à la Flèche d'or, à Paris ! Fébrilité extrême en arrivant devant la salle et en apercevant, parmi la foule impatiente, des visages familiers. Au fil du temps et autour d'une même passion, un joyeux réseau de doux dingues s'est créé ! C'est un peu le « noyau dur » du public de Thiéfaine, celui qui est là contre vents et marées, celui qui, à la moindre date de concert annoncée, se déplace comme un seul homme vers la terre promise !

 

Je reconnais que parfois, du haut de mes 37 ans grisonnants, je m'interroge : d'où me vient ce feu dévorant qui occupe une si large place dans ma vie ? Le moment ne serait-il pas venu de me calmer enfin ? Et les réponses fusent assez rapidement : je ne sais pas d'où vient ce feu ! Mais, après tout, pourquoi savoir ?! Quant à l'idée de me calmer, oui, elle m'effleure bien de temps à autre, sans pour autant parvenir à m'atteindre réellement. J'aurai bien le temps de mettre le point mort quand je picorerai les pissenlits par la racine !

 

Il était donc tout naturel qu'hier soir, je me retrouve, une fois de plus (pour la quarantième fois, peut-être bien ?!!), parmi ces voix acclamant toutes avec joie le retour de Thiéfaine !

 

Peut-être lui fallait-il broyer son propre horizon pour renaître à la vie et à lui-même ? Hier, en tout cas, et sauf grave erreur d'appréciation, j'ai eu l'impression de retrouver un artiste ayant fait peau neuve. Le visage reposé et amène. C'était, du moins, l'image que renvoyait ce « double pervers » qui joue dans un groupe de rock. Maintenant, on sait bien que, dissimulée sous le costume de scène, doit bouillir encore ce que Gary appelait « une âme sur charbons ardents à mille années-lumière de la paix intérieure ».

 

« Fièvre résurrectionnelle ». C'est sur ces mots magiques que s'est ouvert le concert d'hier. D'excellentes surprises ont jalonné la soirée. Ainsi ce « Chant du fou » inespéré, puissant, grandiose, et dont on a appris hier qu'il avait été écrit dans la ... fièvre, la vraie, celle à laquelle vous cloue une mauvaise maladie. On apprendra que « 113ème cigarette sans dormir » fut aussi écrite dans la tourmente de la fièvre, dans une sorte de « dérèglement de tous les sens » !

 

Autre grande surprise : « Autorisation de délirer », en guise d'introduction à « Alligators 427 ».

 

Thiéfaine a fait, bien sûr, la part belle à son dernier album, et c'est ainsi que nous avons pu entendre les très oniriques « Infinitives voiles », « Ta vamp orchidoclaste », « La ruelle des morts », « Lobotomie Sporting Club ». C'est ainsi aussi que nous avons fait une douloureuse plongée dans les eaux glaciales du terrible « Petit matin 4.10 heure d'été ». A chaque fois que j'écoute cette chanson, je suis submergée par une vague d'émotions incontrôlables. Faut-il être allé loin dans la désespérance pour écrire un texte pareil ! Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné le fil ténu qui nous raccrochait à la vie se rompt ? Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, aussi, on décide de le raccommoder ?

 

Hier, haut les cœurs, Thiéfaine nous a magistralement prouvé qu'il avait encore bien des choses à « exposer dans la galerie des sentiments » !

 

Voilà une soirée qui laisse présager une très belle tournée. Avant de quitter la scène, Thiéfaine a remercié le public. C'est nous qui aurions dû crier « merci » d'une seule voix !