06/10/2014
Interview de Thiéfaine dans Le Parisien
La pensée du jour : "On ne réussit dans le monde qu'en étant frivole". Louis CALAFERTE
Petite interview de Thiéfaine parue ce matin dans Le Parisien. La voici :
Il est très attendu. Et pas seulement des irréductibles qui le suivent depuis quatre décennies. A 66 ans, Hubert-Félix Thiéfaine vient de terminer Stratégie de l'inespoir qui sortira le 24 novembre et que nous avons pu écouter en avant-première. Un grand cru, réalisé en partie avec son fils Lucas, précédé du single Angélus, en guise de mise en bouche à découvrir aujourd'hui.
Ce dix-septième disque arrive trois ans après le triomphe de Suppléments de mensonge qui a conduit Thiéfaine jusqu'à Bercy et aux Victoires de la musique où il a été consacré album et artiste de l'année. Pour son retour, il nous a accordé sa première interview.
"Je me méfie du succès"
J'ai commencé à travailler sur ce nouveau disque très vite après la sortie du précédent en mars 2011. Suppléments de mensonge a marché tout de suite très fort. ça m'a un peu foutu les jetons. Je me méfie du succès, je préfère durer plutôt que d'avoir le tube qui tue. Alors, je me suis remis à écrire pendant la tournée. C'était possible parce que j'ai changé de vie. Avant j'avais besoin d'être un peu décadent. ça me démolissait tous les jours. Et j'ai fini en burn-out (NDLR : en 2008). A l'époque, j'avais des fins de soirée ... douloureuses après les concerts. Et je mettais du temps à m'en remettre. Maintenant je dîne, je bouquine et je vais me coucher. Désormais, j'ai une vie le matin. Je n'aime pas travailler dans l'urgence. Je suis plus en forme. La tournée de près de deux ans s'est terminée en juin 2013 paisiblement. J'aurais même pu continuer.
"Ce monde-là ne m'intéresse pas"
Si je vais bien physiquement, en tant qu'humain, je ne peux pas me sentir bien. Le titre du nouvel album, Stratégie de l'inespoir, est lié à ça. L'inespoir, ça n'existe pas. Ce n'est ni positif, ni négatif. Quand on parle de situation inespérée, il y a quelque chose de positif. Là, l'inespoir paraît plutôt négatif. Et en même temps ce n'est pas le désespoir. J'aime bien cette idée. Je suis assez joueur, je pars des mots que j'aime et je les emboîte comme des Lego. Une des nouvelles chansons s'appelle Médiocratie parce que je trouve l'époque assez médiocre. On est dans un monde d'épiciers encore plus qu'avant. Tout tourne autour du commerce. Si quelque chose marche, c'est bien, si ça ne marche pas, c'est pas bien. Ce monde-là ne m'intéresse pas, les réseaux sociaux, la télé. J'ai du mal à être devant mon poste. Alors je me fabrique mes choses, mon monde avec les chansons.
"C'était bien que les Victoires pensent à moi"
Je ne cherche pas les récompenses, mais là, ça remettait les pendules à l'heure en 2012 quand j'ai eu deux Victoires de la musique. Et ça fait plaisir aux gens qui me suivent depuis longtemps. C'était une récompense pour eux aussi. Et c'était bien qu'on pense à moi alors que j'ai fait bouger le public depuis trente ans. En 1982, je jouais devant 3 000-4 000 personnes chaque soir. En 1998, j'ai rempli Bercy qui était complet un mois avant le jour J et la télé n'en a pas parlé. Ce qui a changé après les Victoires 2012, c'est les demandes de concert. J'ai dû être programmé dans 50 festivals l'été suivant. Je n'en avais jamais fait autant. On a parcouru près de 130 000 kilomètres en voiture. Sans parler des trains et des avions. En 2015, on va commencer par des petites salles puis des endroits plus grands. A Paris, je serai au Palais des Sports, les 16 et 17 octobre 2015 (NDLR : places en vente à partir du 16 octobre), l'un des rares endroits où je n'ai pas joué.
Propos recueillis par Emmanuel MAROLLE
10:34 | Lien permanent | Commentaires (9)
04/10/2014
Pour qui sonne l'angélus...
La pensée du jour : "La création littéraire devint pour moi ce qu'elle est toujours, à ses grands moments d'authenticité, une feinte pour tenter d'échapper à l'intolérable, une façon de rendre l'âme pour demeurer vivant..." Romain GARY
"Je te salue, Seigneur,
Du fond de l'inutile
A travers la tendresse
De mes cauchemars d'enfant
Le calme désespoir
De mon bonheur tranquille
Et la sérénité de mon joyeux néant
Et je m'en vais ce soir
Paisible et silencieux
Au bras de la première beauté vierge
Tombée des cieux
Oui je m'en vais ce soir
Paisible et silencieux
Au bras de la première beauté vierge
Tombée des cieux
Oui je m'en vais ce soir".
Alors, cet angélus, comment résonne-t-il en vous ?
Je l'ai écouté plusieurs fois, comme vous, j'imagine ! La première écoute m'a pas mal déconcertée, je ne saurais trop dire pourquoi. Sans doute parce que je ne m'attendais pas à ça ! Mais, jusqu'à présent, il en a toujours été ainsi avec chaque nouvel album de Thiéfaine. Chacun, à sa façon, m'a bousculée, par son audace, sa façon de trancher avec le précédent, pour finalement s'inscrire au fil du temps dans une œuvre riche, foisonnante et plutôt homogène, traversée par les mêmes obsessions, habitée par la même difficulté de vivre depuis des décennies.
Bousculée, donc, étonnée, mais déjà prête à accueillir avec ferveur et reconnaissance le joyau qui va nous tomber des cieux dans quelques semaines... Je te salue Hubert !
11:19 | Lien permanent | Commentaires (19)
02/10/2014
Enfin une bonne nouvelle dans ce monde de brutes !
La pensée du jour : "L'écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n'existons plus pour personne". Georges PERROS
Oui, c'est sans doute cela, le pouvoir magique de l'écriture : nous faire exister ! Je fais pour la millième fois cette expérience miraculeuse : depuis quelques semaines, j'écris, j'écris, j'écris. Pas ici, désolée. Mais dans des cahiers, sur des bouts de papier épars, sur mon ordinateur, j'écris. Et pour la première fois je suis certaine que ce projet qui me porte et me permet de prendre du recul par rapport à mille coups bas reçus dernièrement, oui, je suis bien certaine que ce projet va aboutir !
Il n'y a pas que cela qui me porte : il y a encore et toujours l'ami Hubert, dont j'ai désespéré comme vous d'avoir des nouvelles un jour ! Et voilà qu'il est question d'un album à venir ! Feu d'artifice dans les cœurs ! Il me semble avoir compris que cela s'appellerait soit Angélus, soit Stratégie de l'inespoir. Stratégie de l'inespoir, j'adore déjà, à fond la gomme !! Et je crois que cette merveille (car ce sera une merveille, à n'en pas douter !) sortira le 24 novembre !
21:42 | Lien permanent | Commentaires (12)
28/08/2014
Magie des livres !
La pensée du jour : "Les livres font échec au temps". Jean-Claude PIROTTE
Aujourd'hui, je me permets de déraper un peu, de me balader loin de mon propos habituel. Ce blog est consacré essentiellement à Thiéfaine, ce qui veut dire qu'il n'est pas consacré qu'à Thiéfaine ! J'ai donc le droit de m'offrir des petites parenthèses, non ?! En voici une, écrite à l'instant...
Magie des livres, bateaux ivres qui nous transportent, nous emmènent sur leurs océans ! Je ne connais pas de plaisir plus doux, après une journée harassante, que celui de me plonger dans un bouquin. Le temps de quelques pages, n'être qu'à ce livre, oublier le monde tout autour, ne plus vouloir savoir quelles tragédies l'éventrent, quels drames le secouent. Oublier sa propre vie, les douleurs toujours recommencées, les déceptions, l'absence de miracles. Celui de la lecture est bien réel, lui !
Dernièrement, j'ai voyagé du côté de la Russie avec Emmanuel Carrère. J'ai tremblé comme lui devant les débris de son grand amour, j'ai senti mes yeux s'humecter au mot « fin », j'ai aimé la langue russe, celle-là même que l'auteur se plaît à faire rouler langoureusement dans sa bouche... Et me voilà depuis quelques jours embarquée dans une autre histoire : celle d'un des nombreux excellents romans de la rentrée littéraire (quel choix, punaise, quelle torture de devoir attendre que certains de ces livres sortent en format poche parce que sinon, si je les achète tous dans les belles éditions dont ils se parent pour l'instant, je n'ai plus qu'à emprunter 5 000 euros à la banque !!). Le roman en question, c'est L'Amour et les forêts, d'Eric Reinhardt. Me voilà dans la peau de Bénédicte Ombredanne, je suis en Alsace à ses côtés et j'apprends à tirer à l'arc en compagnie d'un homme rencontré sur Meetic... J'ai hâte de lire la suite, de me replonger dans cette aventure dont je ne sais pas encore où elle va me mener ! C'est ce que j'adore avec la lecture : on s'invente une autre vie, on se sent pousser des ailes, et cela nous fait oublier quel plomb s'est logé dans les nôtres, venant massacrer en plein vol nos plus grandes espérances. C'est ce que j'aimais déjà quand j'étais enfant. Je dévorais des tonnes de bouquins. La vie réelle, à côté, me semblait bien fadasse. Adolescente, j'étais entière et j'avais décrété que celui qui n'aimait pas Le grand Meaulnes n'avait aucune chance de trouver grâce à mes yeux !! La lecture a toujours fait partie intégrante de ma vie. Plus encore : elle vient donner un sens à ma vie, l'améliorer, peut-être même la rendre vivable !
Comme la littérature germanophone tient une place importante dans ma bibliothèque, j'aime me « partager » entre romans francophones et germanophones. Début août, je me suis promenée le long de la Moselle en compagnie de Hanns-Josef Ortheil et de son père. Peu après, j'ai enduré les affres de la dictature d'ex-Allemagne de l'Est, avec Katrin Behr comme compagne de route.
Sur une étagère de mon bureau, une pile énorme de livres à lire me fait de l'œil. J'ai toujours un livre en cours (et ma hantise est de passer l'arme à gauche sans avoir pu aller jusqu'au bout de ma lecture, de clamser connement, « la tête coincée dans un strapontin », sans avoir eu le temps d'y faire entrer la fin de l'histoire). J'ai toujours, aussi, un livre en vue. « Celui-là, ce sera le prochain », et je me promets de belles extases à venir, en compagnie des personnages et de l'auteur !
Mais, comme l'écrivait si justement Daniel Pennac, la vie est une perpétuelle entrave à la lecture. « Le jour se lève pas toujours au milieu des dentelles », il ne se lève pas toujours non plus au mileu des mots ciselés et des pages tournées, il se fait bien souvent boxer par les emmerdes, et la liste est longue de tout ce qui vient empêcher la lecture : croûte à aller gagner chaque jour, copies à corriger, repassage, ménage, courses à faire, tout cela vient porter un coup sévère aux possibilités de lecture.
C'est sans doute cette rareté, cette impression de voler du temps au temps qui rend la lecture si jouissive ! La moindre petite page est une victoire sur la lourdeur du quotidien.
Sans la lecture, la vie serait une erreur ! La mienne, en tout cas !
19:42 | Lien permanent | Commentaires (2)
02/08/2014
Relire Hölderlin...
La pensée du jour : "Mais dans la nuit intime de l'homme, il y a toujours l'écho d'un hurlement". Jean-Claude PIROTTE
Me revoici, après douze jours passés en Allemagne, à me balader timidement sur les pas des plus grands que Thiéfaine honora : Dürer et Hölderlin...
Dürer, j'ai vu (revu, plutôt) sa maison natale à Nuremberg. Visité la "Gemäldegalerie" de Dresde et admiré quelques-uns de ses tableaux. Idem à la "Johanniterkirche" de Schwäbisch Hall.
Pour ce qui est de Hölderlin, j'ai réalisé un vieux rêve : aller voir la tour dans laquelle il fut enfermé durant trente-six ans après avoir sombré dans la folie. C'est à Tübingen, ville romantique à souhait, située sur le Neckar. Le lieu est tellement idyllique qu'on en oublierait presque que le poète passa ici des années cauchemardesques... Malheureusement, le jour où j'étais de passage à Tübingen, je suis arrivée trop tard à la "Hölderlinturm". Cinq minutes avant la fermeture. J'ai néanmoins eu le temps de discuter avec deux étudiants allemands adorables, qui m'ont donné accès au jardin, avec autorisation d'y faire des photos, et m'ont remis une brochure parlant de la fameuse tour. Si cela vous intéresse, je peux mettre ici les photos que j'ai faites à Tübingen, ainsi que quelques informations concernant la tour en question. Il suffit de demander !
En attendant, je vais relire Hölderlin... Quelles hallucinations vais-je avoir ? Je vais peut-être voir venir Dieu, déguisé en fox à poil dur, qui sait ?!!!
18:12 | Lien permanent | Commentaires (4)
08/07/2014
"Mais la nostalgie, tu sais, autour de 40 balais, quand ça t'chope"...
La pensée du jour : "Te raconter enfin
qu'il faut aimer la vie
et l'aimer même si
le temps est assassin
et emporte avec lui
les rires des enfants
et les mistral gagnants". RENAUD
Bon, finalement, je ne pondrai pas de note sur La bande à Renaud ! Après plusieurs écoutes, je suis moyennement emballée. Je sauverais juste En cloque, Je suis une bande de jeunes et La médaille... Je sais, ça ne fait pas bézef, mais je n'accroche pas, je n'y peux rien. Ayant toujours pris le parti de ne parler ici que de ce que j'aimais et d'éviter les descentes en flèche peu constructives, je dirai simplement que cet album invite à une seule chose : réécouter Renaud dans le texte ! Dans son jus à lui, inimitable !
Renaud, c'est toute mon enfance...
1983 : je vais avoir dix ans, mon frère en a quinze. Depuis quelque temps, il ne jure plus que par un artiste : l'ami Séchan ! Je plonge aussi, du coup ! Et je me souviens d'un trajet épique vers la Bretagne, destination incontournable de toutes nos vacances : mon père a accepté de mettre une cassette (oui, une cassette !) de Renaud dans la voiture. Mon frère chante à tue-tête toutes les chansons, il les connaît par cœur. Secrètement, je l'envie. Dès que possible, je piquerai la cassette, tiens, pour m'approprier moi aussi ces textes truculents et truffés de gros mots !
Tout à coup, toujours sur ce même trajet qui nous conduit vers le beau pays d'Armor, je demande à mon père : « Mais papa, ça veut dire quoi la mer c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans ? » Je ne sais plus quelle réponse mon père donna à cette innocente question !!! Pour Klaus Barbie, il s'en était tiré par une pirouette : « Klaus Barbie, ben, c'est celui qui a créé toutes ces poupées que tu aimais tant »...
Bref... La mer c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans. Peu à peu, je vais faire miens des textes auxquels je ne comprends goutte. « La môme du huitième, le hasch, elle aime », j'ai mis un temps fou à piger !!!
Les chansons de Renaud, c'est donc comme un pont entre ma vie actuelle et mon enfance. Dans une interview, Renaud déclarait il n'y a pas si longtemps que ça : « j'ai du mal avec la vie ». Moi aussi, j'ai du mal avec la vie. La vie comme elle va, comme elle fout le camp, comme elle se fait massacreuse du rire des enfants. Dans Les dimanches à la con, Renaud parle de cette foutue nostalgie qui fait des ravages autour de 40 balais. Je connais bien ça, l'impression de voir les choses s'en aller mourir dans la grande fosse du temps, l'impression que la faucheuse ne lâchera pas le morceau et que cette fois « adieu l'enfance » pour de bon... L'impuissance totale devant le grand aspirateur qui nous rappellera tous tôt ou tard.
Renaud, c'est mon frangin, mon poteau, je comprends ses déchirures. C'est un être fragile qui refuse le monde tel qu'il est et qui ne parvient plus (pour l'instant, en tout cas) à noyer son chagrin dans la création. Il est condamné au silence pour l'instant, mais je rêve encore et toujours d'un retour fracassant du bonhomme, et que les « tatatin » fusent comme avant, repris en chœur par un public fou de joie d'avoir enfin retrouvé la chetron sauvage !
Visiteur, visiteuse de ce blog, si toi aussi tu aimes Renaud, mets ici un simple petit mot, s'il te plaît. Juste pour faire exploser les commentaires, pour marquer ton soutien au tendre Gavroche qui mérite tant nos déclarations d'amour !
14:02 | Lien permanent | Commentaires (15)
02/07/2014
Crucifixion avec la Vierge et dix-sept saints
La pensée du jour : "Ma tristesse, lorsque, enfant, je tournais la dernière page d'un livre, je la retrouve chaque soir à l'heure où le jour se ferme comme une page. Elle est faite de tous les abandons du temps, et de l'angoisse d'avoir une fois encore négligé de retenir l'essentiel". Jean-Claude PIROTTE, merveilleux poète disparu le 24 mai dernier.
FRA ANGELICO (Guidolino di Pietro, en religion Fra Giovanni da Fiesole, dit il Beato) : né vers 1400 dans le Mugello et mort à Rome en 1455. Peintre et dominicain italien. C'est un des maîtres de l'école florentine et l'un des plus profonds interprètes de l'iconographie chrétienne (fresques et retables du couvent florentin San Marco, où il était moine; chapelle de Nicolas V au Vatican). Il fut béatifié en 1982. (Le Petit Larousse illustré 2014).
La collection Découvertes Gallimard a consacré un ouvrage complet à Fra Angelico (Fra Angelico Peintre de lumière, de Neville ROWLEY).
Voici l'analyse du tableau Crucifixion, proposée par ce même recueil consacré au peintre. Crucifixion est évoqué par Thiéfaine dans Annihilation (enfin, je suppose qu'il s'agit de ce tableau : on y distingue bien la Vierge et 17 saints !)
La fresque la plus impressionnante de tout le couvent de San Marco se situe au rez-de-chaussée, en bordure du cloître, où Fra Angelico a peint une immense Crucifixion dans la salle capitulaire. Le nombre de personnages est ici bien plus important que dans la même scène, maintes fois figurée dans les cellules des novices, et dépasse largement ce que racontent les textes sacrés : autour du Christ et des larrons en croix, de la Vierge qui s'évanouit et de saint Jean l'Evangéliste, on trouve des personnages hautement anachroniques mais à la fonction bien précise. A l'extrême gauche, saint Cosme évoque le pouvoir médicéen, tandis que dans la partie droite de la fresque se pressent des saints ermites recueillis sur l'exemple du Christ. En première ligne on trouve bien sûr saint Dominique*. Deux autres grands personnages du même ordre, les saints Thomas d'Aquin et Pierre Martyr, sont figurés à l'extrême droite.
La série de moines dominicains représentés en médaillon au bas de la fresque confirme qu'il s'agit bien là d'une défense explicite de l'ordre des frères prêcheurs. Tout autant qu'un message religieux, cette partie de l'œuvre est un témoignage capital des capacités de portraitiste de Fra Angelico. Depuis le milieu des années 1420, le genre même du portrait avait connu à Forence un essor remarquable, d'abord grâce à Masaccio, puis sous l'influence des tableaux venus de Flandre. Se vouant tout entier à une peinture religieuse, Fra Angelico ne souhaitait pas réaliser les portraits de ses contemporains; tout juste pouvait-il accepter de les glisser subrepticement dans les scènes sacrées. Les médaillons sous La Crucifixion et certains visages de la fresque elle-même montrent néanmoins sa maîtrise exceptionnelle dans le rendu de la physionomie humaine, bien loin de l'expression nécessairement iconique de la Vierge ou du Christ.
*saint Dominique, né à Caleruega vers 1170 et mort à Bologne en 1221, religieux castillan. Il fonda l'ordre des Dominicains, ou Frères prêcheurs, confirmé par Honorius III en 1216, prêcha auprès des cathares dans la région de Toulouse et fut canonisé en 1234. (Le Petit Larousse illustré 2014).
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21/06/2014
Voilà, ça commencerait à peu près comme ça...
La pensée du jour : "La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux". Albert CAMUS
Je l'ai dit et écrit à maintes reprises : la chanteuse Barbara a compté, compte énormément pour moi. J'ai depuis quelques semaines une idée qui me trotte dans la tête : lui consacrer un livre. Un livre qui ne serait pas une biographie, je prendrais simplement quelques épisodes de la vie de cette femme qui chantait et je développerais... Voici le début que j'ai imaginé. Lâchez vos comm' (pas trop méchants !!) :
« Il ne faut jamais revenir au temps caché des souvenirs du temps béni de son enfance », écris-tu en 1968, évoquant ton enfance pendant la guerre. La guerre, mais pas seulement. Cette succession de départs précipités et de logements (Roanne, Tarbes, Saint-Marcellin) sera comme une parenthèse, un temps hors du temps. Ailleurs, tapie dans l'ombre, la barbarie fait rage. Mais ici, des soleils sont possibles, ils jaillissent et inondent de dahlias fauves l'allée où je t'imagine virevoltant en de presque insouciantes marelles. Le parfum des sauges rouges plane dans les airs, les noix fraîches de septembre jonchent le sol. Là, tu découvres l'odeur des mûres écrasées, celle que plus tard on associera toujours au fléchissement de l'été et à la rentrée des classes. Tu mènes une vie presque lumineuse. Presque. Tu vis comme une hors-la-loi, et ce n'est pas si désagréable après tout ! Tu diras plus tard que d'autres furent moins heureux que toi en ces temps de mistoufle.
Revenir sur les pas de l'enfant que l'on fut et dont on porte en soi le deuil écrasant et le souvenir blessé, c'est un peu comme soulever ces lourdes pierres qui dorment, paisibles, au fond d'un jardin. L'imprudence qui dérange l'objet fait soudain éclater au grand jour tout un chaos de bestioles qui sommeillaient jusque là. Araignées, vers de terre, orvets, cloportes. Tout à coup, cette foule, se sentant menacée, se met en branle, provoquant surprise, dégoût, effroi chez celui qui vient d'accomplir un geste qu'il croyait anodin. Revenir traînasser, grimaçant, affaibli, vieillissant, sur les lieux de l'enfance qui autrefois nous virent gambader comme des cabris, c'est espérer dénicher de l'or là où il n'y a plus qu'un troupeau gluant, hétéroclite et rampant qui dort sous la pierre.
On ne guérit pas de l'enfance. Les blessures infligées au corps et à l'âme en ce prétendu Eden nous accompagneront désormais tout au long du chemin. Il faudra s'accommoder tant bien que mal de ce paquetage incommodant. La feuille de route a pris un coup de canif, la trajectoire ne sera pas lisse, c'est donné d'avance comme un poison. Des casseroles, disent certains. On trimbale donc son armada d'inox avec soi, tel un rocher de Sisyphe. Tu le sais, toi qui, enfant, reçus en ta chair violence et ténèbres. La vie, en tes plus jeunes années, te marqua au fer rouge. Désormais, il te faudra tenter d'échapper à la douleur originelle. La sublimer sera ton salut. Après la blessure, tu choisiras non pas de glisser vers l'ombre, mais de te hisser vers la lumière. De ta voix, de tes mains, et avec ton piano, fidèle compagnon toujours prêt à se faire le réceptacle de tes confidences, tu façonneras des chansons qui, magie de la parole dite simplement, parleront au cœur de chacun. Tu ne seras pas une femme qui gémit, tu seras une femme qui chante. Des cloportes au fond de ta besace qui pèse parfois des tonnes ? Tu en feras de l'or, pardi ! Et, pour en revenir au mythe de Sisyphe, citons Camus : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme ». L'ascension vers la lumière suffira donc à remplir ton cœur de femme qui chante. Dans ce cœur meurtri, tes chansons viendront déposer un baume et des étincelles. Il faut imaginer Barbara heureuse.
16:53 | Lien permanent | Commentaires (27)