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09/02/2020

La Grande Sophie était à l'espace Marc Sangnier hier soir...

"J'écris. Je n'ai jamais connu d'autre habitation que la phrase à venir". Christian BOBIN

 

Il semblerait qu'en matière de chanson française, ma préférence aille aux porteurs de trois initiales : côté hommes, HFT. Côte femmes, LGS. Je veux dire la Grande Sophie, dont il a déjà été question ici. J'ai découvert cette chanteuse grâce à Hubert. Toujours lui ! Il faut qu'il soit sans arrêt dans les parages, c'est mon destin !

Petit retour en arrière : en 2002, je me procure l'album Les fils du coupeur de joints, sur lequel différents artistes rendent hommage à Thiéfaine. Je n'aime pas tout sur ce disque, loin de là. Je dois bien l'admettre : il m'est difficile de détacher les chansons d'Hubert de leur premier interprète, à qui elles vont si bien. Rien à dire : la voix est faite pour embrasser comme il se doit les accents mélancoliques ou grinçants des textes. La musique fond là-dessus comme une coulée de lave destinée à solidifier le tout. C'est beau, efficace, sans accrocs. Bref... Vous savez tout cela.

Sur l'album, quand même, un style retient mon attention : celui d'une femme qui chante Animal en quarantaine, à sa façon, avec un peu de légèreté. Cela s'éloigne beaucoup de l'œuvre originale, mais ce côté frais m'est d'emblée sympathique. Je me renseigne et tombe dans la marmite. La Grande Sophie est faite pour moi. Elle est jeune encore, mais elle parle déjà du temps qui passe. Ça, c'est vraiment un truc qui lui reste en travers, comme un mauvais bouillon. Sabliers, horloges, minuteurs, éphémérides : tout ce qui lui rappelle que le soir même il lui restera un jour de moins à vivre, ça la débecte. Alors elle chante sa révolte, toujours avec une énergie débordante. Elle dit l'enfance envolée, la première ride qui vient l'entailler, et pas seulement. Je découvre alors tout un univers qui me sied, tantôt rock, tantôt plus doux, et toujours juste. En 2009, l'album Des vagues et des ruisseaux me flanque un uppercut. Il accompagne alors un deuil qui vient de signer pour moi la fin de l'insouciance, la balafre en travers de la route. J'écoute des milliers de fois Quelqu'un d'autre et je pleure, en suppliant qu'une formule magique existe réellement qui pourrait me transbahuter dans la peau de la voisine qui n'est pas endeuillée, elle. La valse des adieux devient ma valse, celle que je danse en secret, tous les soirs dans le salon, avec ma mère en allée. Cet album fait partie de ceux que j'ai le plus écoutés dans ma vie.

Je décide de suivre la Grande Sophie à la trace, un peu comme je le fais avec Hubert. À chaque nouvel album, je suis déroutée. Jamais LGS ne s'installe dans la facilité pantouflarde d'un refrain éternellement répété sur d'autres modes, d'autres rythmes. Non, chaque nouvel opus est un virage, et il faut accepter de se laisser surprendre pour pouvoir le prendre avec elle. Se joue alors une mise en danger quasi permanente, qui entraîne dans sa suite et la chanteuse et son public. Mais j'en suis, à chaque fois. Parce qu'il y a là une manière qui n'a pas sa pareille dans la chanson féminine française. Parce que les arrangements sont à tomber, et que les textes donnent à réfléchir. Parce que la voix est pure et que la Grande Sophie l'étire parfois sauvagement, d'une façon à laquelle rien ne préparait l'auditeur deux secondes plus tôt. Ça claque, quoi !

Le dernier album, dont j'ai parlé ici, est lui aussi de taille à surprendre. Il est empreint d'une certaine gravité. Les textes, surtout. Il y est question du temps qui passe et qui froisse. Mais pas seulement. La Grande Sophie nous parle également, ici, de son lien avec le public (enfin, si j'ai bien compris la chanson Sur la pointe des pieds), de la force des mots et d'un amour qui a traversé plusieurs décennies (Nous étions). Le tout est parsemé d'audaces en tous genres : vocalises surprenantes, pleinement maîtrisées, rythmes hésitant entre rap et opéra, un morceau instrumental auquel répond dans la foulée le dépouillement identique d'une chanson interprétée a cappella : Sur la pointe des pieds, justement. C'est ce titre qui ouvre les concerts de la tournée actuelle. J'ai eu la chance d'assister à celui de Montigny-lès-Metz, hier soir, à l'espace culturel Marc Sangnier. Audace encore que de se présenter sur la pointe des pieds, dans une sobriété extrême, face au public. Suit la chanson Hanoï, très douce elle aussi. Mais qu'on ne se méprenne pas : la tranquillité, très peu pour la Grande Sophie, qui aime que ça bouge autour d'elle et en elle. La troisième chanson, Tu ne me reconnais pas, tirée du dernier album, vient appuyer sur un autre bouton, sur lequel il est sans doute écrit quelque chose comme « plus fort, plus haut, plus remuant ».

À plusieurs reprises, LGS enjoint le public de crier, de danser, de s'exprimer d'une manière ou d'une autre. En même temps qu'elle ou après. À l'arrière-plan, un écran sur lequel défilent différentes images. On y voit des visages, des profils, des paysages, des enfances... Tous les sens se régalent. La Grande Sophie navigue au milieu de tout cela, passant d'un point de la scène à un autre, d'une guitare à une autre, d'un registre à un autre. Au début, je crois entrevoir une lueur de crainte dans ses yeux. Elle semble scruter les étrangers qui sont devant elle et avec qui elle va passer la soirée. Elle semble se demander comment les choses vont se danser ce soir. Elle voudrait que toute la salle ondule, elle nous voit d'abord raides comme des piquets et prend peur : et si ce retour au pays, comme elle dit (elle est née à Thionville), n'était qu'un vaste flop ? Mais non, mais non, nous sommes là, nous répondons à l'appel et aux douces injonctions de la chanteuse. « Criez à me faire tomber par terre », dit-elle à un moment. Allez, pourquoi pas ? Les plus téméraires se lancent. Le public lorrain est, somme toute, de bonne composition. Toujours un peu en retrait dans les premiers temps, certes, mais capable de s'embraser si l'on s'y prend bien pour réchauffer son apparente frilosité. Et ça, justement, la Grande Sophie sait faire. Présente à cent pour cent à ce qu'elle fait, elle se donne, sans relâche. Elle a ce talent incroyable de pouvoir se concentrer tout entière sur l'instant qui ne reviendra pas, et cela emplit notre présent à nous. Cela lui vient peut-être de sa conscience aiguë de la finitude de toutes choses. Elle souhaite, semble-t-il, que chaque concert de cette tournée soit à marquer d'une pierre blanche, se détache singulièrement de tous les autres. Pour ce faire, elle a plusieurs techniques, dont celle-ci : elle écrit un poème sur chaque ville où elle se produit et elle le lit sur scène le soir. Celui d'hier était vraiment beau. Je n'en ai plus les termes exacts en tête, mais il parlait, entre autres, de ce fameux retour au pays qui chamboule...

Ce concert, c'était un beau séisme, franchement, avec une échelle de Richter oscillant entre affolement et vertige. Les points encore plus forts que tous les autres à mes yeux ? Quelqu'un d'autre, chanté sur un mode plus doux que sur l'album. Même mention pour Du courage et Quand le mois d'avril. Admiration totale quand la voix de la Grande Sophie s'envole sur les sommets où l'on croise la pureté des neiges éternelles. Voilà qui relève du tour de force puisqu'elle, elle vient plutôt d'un pays où chantent des cigales. Magie de l'art : transporter si haut que redescendre blesse toujours un peu... Hier, la Grande Sophie nous disait, en déployant son ample tenue de scène : « Vous avez vu, j'ai mis des ailes ». Surtout : elle nous en a donné !

Commentaires

WOUAOUH !... , juste une diagonale mais que je trépasse si je faiblis :-)

Écrit par : le Doc. | 11/02/2020

, je suis redressé et je me souviens malgré mon aloïs :


https://www.humanite.fr/node/358492

, …

Écrit par : le Doc. | 11/02/2020

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