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04/12/2021

CharlElie Couture et sa fille Yamée étaient à L'Autre Canal (à Nancy) hier !

"Mais il ne reste jamais rien

De ce qui est vécu

Quelques grains oxydés

Sur de la paraffine

Et des souvenirs idiots qui donnent un peu de lumière

Les jours de pluie". CharlElie COUTURE

 

L'art est ce qui donne à la vie cette part de liberté et de sauvagerie qui la rend digne d'être vécue. L'espace de mutinerie dont elle a besoin pour ne pas s'atrophier sur un bout de lorgnette sans horizon. Les artistes sont ces êtres bénis des dieux et dotés d'un supplément d'âme qui rejaillit sur tout ce qu'ils touchent, sur tous ceux qu'ils croisent. Tu passes quelques heures en leur compagnie, et soudain ton fardeau te semble moins lourd, ton existence plus pleine.

Depuis de nombreuses années, je rêvais de voir CharlElie Couture sur scène. Je l'écoute depuis l'année de la troisième. Comme quoi c'est pas d'hier. Un jour, un prof de maths plus subtil que les autres eut l'idée de me mettre entre les mains une poésie incandescente nommée Poèmes rock. Je n'en décrochai plus jamais. Le même prof de maths me fit découvrir aussi Lavilliers et un type dont le nom à tiroirs m'intriguait : Hubert-Félix Thiéfaine. La magie n'opéra pas. Dès le lendemain, après une écoute sans doute bâclée, je rendis à mon prof les deux CD qu'il m'avait prêtés. Véridique et honte à moi ! Mais je ne perdis pas tout quand même. Les Poèmes rock avaient un goût de revenez me voir dans mon fauteuil en cuir aux accoudoirs pelés. Bien sûr, Comme un avion sans aile. Mais pas seulement. Il y avait aussi cet instrumental un peu délirant, Le chant de la colline, dont j'aimais les petits sautillements sauvageons. La ballade de Serge K et cette triste « envie suicidaire dans un hangar désert ». La lancinante Envie de l'eau qui savait si bien dire la torpeur des jours caniculaires. Et ce fauteuil en cuir où tu te croyais confortablement installé et dont le refrain, sans avoir crié gare, venait te décalquer la tête. Cela racontait admirablement ces moments où il ne se passe rien et où le cœur s'emballe d'impatience et de rage.

Il y avait tout cela et plus encore. Il y avait aussi cette voix un brin nasillarde, désinvolte, presque détachée. Et, en parallèle, un certain regard posé sur les êtres et les choses, comme une tendresse. CharlElie devint, comme bien d'autres, un compagnon de route. Mais, jusqu'à hier soir, je ne l'avais jamais vu sur scène. Comme il est d'origine nancéienne et loin d'avoir renié ses racines, il m'arriva de le croiser à plusieurs reprises dans la ville de Stanislas et des bergamotes. Notamment pour des séances de dédicaces. Ce qui me frappa à chaque fois, c'était l'accessibilité du bonhomme. Si bien que j'osai même, un jour, lui demander de poser sur la même photo que moi. Ce que je n'ai jamais fait avec Hubert ! Peut-être parce que j'ai toujours senti que prendre la pose avec moi ou d'autres n'était pas du goût de notre homme. Bref... Il y a deux ans, je crois, CharlElie était au Livre sur la Place, à Nancy, et je lui dis que ne l'avoir jamais vu sur scène faisait partie de mes plus grands regrets. Ce n'était pas un problème pour lui et, avant que je ne m'en aille, il me dit : « La prochaine fois que je passe dans le coin, tu viens me voir, ok ? ».

Chose faite, hier soir. Et alors, pouah, je n'ai pas de mots assez doués pour dire mon admiration. La soirée s'est ouverte sur une prestation d'une des filles de CharlElie, Yamée. La demoiselle a un charisme et un talent fous. Elle arrive et elle prend toute la place. C'est comme ça, ce n'est pas qu'elle veuille prendre toute la place, c'est que les dieux l'ont dotée de ce fameux supplément d'âme dont je parlais plus haut et qui fait de celui qui l'a une sorte de magicien, de celle qui l'a une sorte de charmeuse de serpents. Cela démarrait fort. Mise en bouche à la fois délicate et puissante.

Et puis, et puis, lui. Lui et ses quatre musiciens. Tous parés d'un sourire qui leur monte jusqu'aux oreilles comme un flambeau. La joie d'être là et de mettre à nos pieds le plateau d'argent d'un univers qui n'a pas d'équivalent dans la chanson française. Au passage, CharlElie raconte comment telle chanson ou telle autre lui est venue. J'apprends que La ballade de Serge K (toujours si malheureusement d'actualité) est née d'un fait divers lu dans L'Est Républicain. C'est l'histoire d'un homme qui se laisse mourir dans un hangar. C'est l'histoire d'une solitude si pesante qu'à la fin elle broie.

Heureuse coïncidence, une large part est faite, durant le concert, aux Poèmes rock, ceux-là même qui, l'année de la troisième, me firent souvent remettre les révisions pour le brevet à d'inatteignables calendes grecques. C'est que j'avais mieux à faire. J'avais dans la tête plus de chansons que de dates historiques et de théorèmes, c'était plus fort que moi. La faute à mon prof de maths, que voulez-vous ! À mes yeux, les Poèmes rock valaient bien tout l'or de tous les Albatros du monde !

Bref, je m'égare. Je reviens à hier. Ça fait du bien de voir un artiste qui, à soixante-cinq ans, n'a rien perdu de sa flamme et de sa hargne. Qui t'égratigne en passant une république en marche vers toujours plus d'absurdité. Qui te dit que le passé, oui d'accord, mais d'abord le présent et l'avenir. Se retourner, oui, mais pour mieux avancer. « Le mouvement, c'est la vie », dit-il à un moment donné. Et cela me chavire l'âme. Ma mère disait exactement la même chose, mais dans le sens inverse : « la vie, c'est le mouvement ». Comme quoi, tant que survivra l'art, ce non-essentiel carrément indispensable, il y aura toujours suffisamment d'espace ici-bas pour que les grands esprits se rencontrent !

 

P.S. : Envie de dédier ce billet au quinquagénaire rencontré hier soir, fan de CharlElie Couture comme je peux l'être d'Hubert, et dont la passion m'a bouleversée !