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10/05/2022

Sausheim, pour boucler la boucle...

"Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur". Romain GARY

 

Sausheim pour boucler la boucle. Parce que deux sans trois ce sera toujours bancal, c'est la sagesse populaire qui le dit. Celle-là même qui vous enseigne en même temps qu'à père avare fils prodigue et que tel père, tel fils. Toujours se méfier des « en même temps »... Mais pas de "jamais deux sans trois" ! Bref...

Sausheim parce que les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais, dixit le grand Oscar Wilde qui s'y connaissait en matière de folies.

Sausheim parce qu'après tout, Grand Est ça veut dire Grand Est ! Dans ces cas-là, l'expression maudite me sied bien ! Sausheim, d'accord, ce n'est plus en Lorraine, mais cela reste dans le Grand Est. Donc jouable.

Sausheim parce que Thionville régal absolu et parce que Neuves-Maisons festin miraculeux. Sans Sausheim, je serais restée sur ma faim. « C'est évident, mais je préfère le dire », comme dans une pub que mes filles adoraient citer il y a quelques années. Comme quoi on peut écouter HFT depuis sa plus tendre enfance et se laisser tout de même influencer par des slogans à la noix.

Retour en arrière : j'ai pris un billet samedi matin pour Sausheim, portée par l'euphorie de la veille. Et déjà engloutie par cette nostalgie qui est tellement ma marque de fabrique qu'elle me visite avant même que les bonnes choses aient pris fin. Une erreur de programmation dans le computer, ai-je écrit dans mon précédent billet. Oui, il y a de ça. Peut-être une farce pas drôle d'un dieu qui s'est dit « on va essayer pour voir », et voilà le résultat. Cela donne une nana qui, à tout bout de champ, se dit, comme la pauvre Jeanne d'Une vie, « c'était fini d'attendre »...

Pour Sausheim, j'avais même deux billets. Un pour ma fille aînée aussi. Une autre façon de boucler la boucle : à Thionville, j'étais avec mon autre fille, Louise. Qui, soit dit en passant, m'a lâché avant de partir ce soir-là : « Oh, là, je vais voir Thiéfaine pour le principe ». Comme quoi on peut écouter HFT depuis sa plus tendre enfance et débiter de temps à autre quelques savoureuses conneries.

Heureusement, tiens, que pour Sausheim j'avais une accompagnatrice et copilote. Trois heures de route à l'aller, rien que ça ! D'accord, j'ai mis au programme un petit crochet par Sainte-Marie-aux-Mines, histoire de rendre hommage à Jacques Higelin (l'album Coup de foudre fut enregistré dans cette commune du Haut-Rhin). D'accord, je me suis arrêtée plusieurs fois pour faire des photos, tant était magique l'écrin de paysages dans lequel nous avancions. Mais bon, via Michelin annonçait 2h26 de route !

Une aubaine que le concert ait commencé à 18h. Sinon je n'aurais pas pu y aller. Debout à 5h55 le lundi matin, quand même...

Nous y voilà donc, après avoir désespéré plus d'une fois du côté interminable du trajet. Nous sommes dans les gradins. Un peu moyen, mais pas le choix quand on acquiert ses billets à la dernière minute. D'emblée, je constate que l'ambiance est plus molle qu'à Thionville et Neuves-Maisons. Ça réclame timidement Hubert ici ou là, mais ce n'est pas la fièvre du samedi soir. Neuves-Maisons, pour ça : imbattable ! Ça braillait de partout, ça suait la folie : un festin, vous dis-je ! Vieillissant, le public d'Hubert ? En apparence seulement. Si les cheveux grisonnent ou en sont carrément au stade où ce processus n'est plus qu'un lointain souvenir, l'ardeur, elle, est toute fraîche en sa jeunesse sans cesse renouvelée ! J'en veux pour preuve la mienne qui, malgré tout ce qui aurait pu finir par la mettre à terre, a traversé fièrement les décennies, telle une indomptable amazone. C'est peut-être le seul truc qui me donnerait envie de me vanter, et tant pis si c'est péché : au fond de moi, la jeune fille de 19 ans éblouie par sa rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine persiste et signe, et ce depuis trente ans. Les désillusions n'ont pas eu raison de son ravissement ! Ouf, il demeure quand même quelques valeurs sûres en ce bas monde qui se délite...

Juste avant le concert, Jean-Marc Poignot vient, comme à l'accoutumée, nous rappeler qu'Hubert déteste les flashes et qu'il faudra en tenir compte. « Pas une date sans flash jusqu'à présent ». Zut, c'est bête, j'aurais adoré me trouver un soir dans une salle irréprochable à qui HFT aurait adressé des félicitations attendries à la fin. Raté partout, visiblement. Et zéro pointé à Neuves-Maisons où j'ai bien cru qu'Hubert allait nous rejouer le coup de Thionville 2004, quand il avait quitté la scène pour quelques minutes qui nous parurent à tous un immense tunnel. La raison ? Encore un flash ! Il faut se le mettre une bonne fois pour toutes dans le crâne, bon sang : Hubert, le flash, ça l'fâche !

Allez, c'est reparti : toujours cette version magistrale de La Ruelle des morts. Avec quelques plantages pour faire plus vrai. Il y en aura d'autres durant la soirée. Je dis ça comme ça, mais franchement je sais bien que l'essentiel est ailleurs. Et je défie quiconque d'interpréter les chansons d'HFT sans se ramasser plusieurs fois. Les textes sont si denses aussi... La voix, elle, reste claire et assurée du début à la fin. Une vraie prouesse en cette longue enfilade de concerts. Mine de rien, en un week-end, j'ai eu un léger aperçu de ce que pouvait être la vie de la troupe durant une tournée : à peine le temps de poser ses valises quelque part que ce quelque part est déjà du passé. C'est épuisant. Il faut être sacrément solide ! Heureusement qu'hier, j'avais le boulot pour me reposer de la grande fatigue accumulée en trois jours, mais Hubert et son équipe, eux : toujours la tête dans le guidon !

Retour à Sausheim après cette digression : le public est un peu mou. Ou recueilli, peut-être. Après tout, on ne sait pas. Discret ne veut pas dire terne, ai-je écrit dans un précédent billet. Discret veut parfois dire bouche bée devant tant de grâce offerte !

Mention spéciale aux interventions qu'Hubert fait entre deux chansons : on lui a souvent réproché de dire la même chose soir après soir, mot pour mot et à la virgule près, ben là, non ! Quelques constantes, mais pas tant que ça.

Juste une valse noire, plus que Vendôme, lui donne du fil à retordre en ce dimanche soir. Il ne démarre pas au bon moment et finalement la musique s'arrête, on va recommencer. Et Hubert de s'exclamer : « Il fait noir au fond de ce trou ». Allez, pas grave : ça arrive, même aux meilleurs.

Une fois de plus, les morceaux s'enchaînent à vive allure. J'essaie sans arrêt d'être dans ce qu'on appelle désormais la pleine conscience (une mode de plus). Je m'interdis de penser à autre chose qu'à ce qui se joue sous mes yeux, et pourtant, et pourtant, ça y est, Page noire vient signer la presque fin de la soirée... C'est pas possible que le temps passe comme ça sans pitié et comme un gros lourdaud qui s'en tape de nos émotions. Retiens la nuit, tu parles, mon coco : tu peux toujours tenter !

À la fin de Page noire, le public se lève, comme un seul homme, ou une seule femme, il faut faire attention à la parité maintenant. Et même attention à ceux qui se disent sans genre, dans un entre-deux flou : alors le public se lève comme un seul entre-deux flou ! Nul ne se remettra assis, malgré les vieux os qui tirent un peu. La jeunesse qu'on croyait perdue revient nous aveugler de ses bouquets de lumière. Vieillissant, le public d'Hubert ? T'as qu'à croire ! Plus vigoureux que jamais, oui ! Quand j'écrivais que discret ne voulait pas dire terne !

Durant La queue, je préviens ma fille : « Dès que tu entends les premières notes de La fille du coupeur de joints, tu te lèves et on va tout près de la scène ». Elle hésite, elle a peur de déranger nos voisins. Oui, ben tant pis. Il est des heures graves où il est impératif de se moquer des bienséances. On n'aura qu'à les bousculer pour passer, et puis c'est tout, ils n'avaient qu'à pas être là !

Après avoir gaillardement fendu la foule, nous y voilà donc, au cœur du volcan. Je veux être cette lave qui crame tout sur son passage, je veux dire ma gratitude à Hubert et à son équipe qui, depuis plusieurs mois déjà, se donnent à fond pour que chaque soir soit un embrasement et que pour qu'ici et là, pleuvent des pâmoisons à foison !

20h17. Ma fille et moi reprenons la route. Pas le temps de traîner. Dommage, j'aurais bien papoté un peu avec Jean-François Assy et Frédéric Gastard. La veille, à Neuves-Maisons, je leur ai dit « à demain » et j'ai trahi ma parole. Impossible de faire autrement, trop de route m'attend !

À Neuves-Maisons encore, en nous quittant, Lucas Thiéfaine nous a dit, à moi et à quelques autres : « On se revoit en 2023 ». J'ai répondu : « Et en 2024, et encore après ». Oui, comme ça jusqu'à la fin des temps, SVP, exigeons dès aujourd'hui cette immortalité qui ne vaudra d'être vécue que si Hubert vient régulièrement l'enchanter !!!