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12/09/2017

Fragile, le phénix, et pourtant...

"Renaud n'est plus à ma taille. Il ne me va plus mais je le garde jusqu'à toujours dans mes placards". Isabelle MONNIN, Mistral perdu ou les événements

 

Je ne saurais mieux dire, chère Isabelle Monnin à l'écriture si délicate...

Renaud, pour ma part, je l'avais relégué des années durant dans un placard fermé à double tour, je le reconnais. Bien sûr, je l'avais tellement écouté depuis l'enfance que je connaissais toutes ses chansons par cœur et les promenais avec moi en permanence, sans même en avoir conscience. Et puis, il a suffi d'un CD hommage, La Bande à Renaud, acheté uniquement parce que Thiéfaine chantait En cloque dessus. Les autres interprétations ne m'intéressaient guère, et l'écoute de l'album en question me conforta dans mes réticences... Bref, là n'est pas le propos. Toujours est-il qu'avec La Bande à Renaud, survint l'inattendu : ma fille Louise eut un véritable coup de cœur en entendant ces chansons. « Maman, je veux découvrir les versions de Renaud, maintenant ». Et c'est ainsi que je ressortis pour elle tous les albums qu'il me restait de ma période chetron sauvage, et c'est ainsi, surtout, que commença une histoire d'amour. Je revois Louise à six ans, jouant à la maîtresse dans sa chambre et disant à ses élèves fictifs : « Les enfants, aujourd'hui, nous allons apprendre une chanson de Renaud : Société tu m'auras pas » ! Et lesdits élèves fictifs de reprendre comme un seul homme le refrain vindicatif ! Ça décoiffait dans la salle de classe, la maîtresse était une espèce d'allumée portant perfecto, jean moulant et bandana ! Il ne manquait plus que la cibiche au coin des lèvres, m'enfin bon, à six ans, elle avait eu le temps d'arrêter la clope ! Je me souvins de vacances passées au fin fond de la Bretagne, dans un bled paumé, où mademoiselle Louise nous fit une crise de manque : cet été-là, faute de goût absolue, nous avions laissé tous les CD de Renaud chez nous, à l'autre bout de la France. Je me revois arpentant les rues de Saint-Brieuc, à la recherche d'un disquaire bien achalandé qui viendrait à notre rescousse. Nous le trouvâmes ! Ouf, les vacances pouvaient à nouveau se gorger d'embruns. Sans la compilation 3 CD dégotée ce jour-là, il nous aurait fallu repartir dare-dare en Lorraine … ou au moins foncer le lendemain à Brest afin d'y faire les mêmes recherches qu'à Saint-Brieuc ! C'était devenu une folie. À mesure que Louise s'enfonçait avec délices dans l'univers du chanteur énervant, j'y replongeais moi aussi, revisitant des pans entiers de mon enfance. « Papa, ça veut dire quoi la mer c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans ? », avais-je demandé un jour à mon père. Bref... Regarder Louise s'arc-bouter dans sa ferveur, c'était retrouver la mienne, et enjamber fiévreusement quelques décennies. Renaud, ce fut mon enfance et mon adolescence. Durant les années collège, il fut l'étendard de mes révoltes. Avec ma meilleure amie de l'époque, nous adorions parler Séchan. Personne ne nous comprenait. Sauf quelques rares « élus » qui écoutaient les mêmes choses que nous ! En 1992, un cataclysme nommé Thiéfaine devait tout renverser sur son passage. Renaud, Gainsbourg, Balavoine : j'oubliai les anciennes amours. Il y avait urgence à découvrir d'autres vertiges !

Des années passèrent. Renaud me revenait parfois quand même, par vagues, par périodes. Mais les vraies retrouvailles avec l'artiste de ma jeunesse perdue, c'est à Louise que je les dois. Nous sommes allées voir son chanteur préféré en mars de cette année. Par moments, il y avait quelque chose d'un peu pathétique à le regarder se fatiguer sur scène et tenter de renouer avec d'anciennes colères dont il a depuis fort longtemps dessoûlé. Parfois aussi, cela arrachait les tripes de le sentir si fragile, si paumé. De deviner l'incommensurable détresse sous la soi-disant carapace de phénix. De ne plus rien lire dans son regard morne. De devoir l'accompagner à temps plein sur des chansons qu'il ne pouvait plus que marmonner. Il m'est même arrivé d'être gênée pour lui, je dois bien l'avouer. Dans les paroles qui s'égosillaient ce soir-là dans les entrailles du Galaxie d'Amnéville, je voyais mon enfance mise à la torture. Et pourtant, impossible de le condamner, le frangin des brumes, celui qui tant de fois avait consolé mes chagrins, posant délicatement un bandana sur mes yeux mouillés. Impossible de ne pas continuer à le chérir, ne serait-ce que pour tout ce que je lui dois. Ce mec, je l'ai tant aimé, il a tellement fait partie de ma vie que jamais il ne pourra en sortir... Je refuse de le congédier, c'est comme ça. En lisant le dernier livre d'Isabelle Monnin, j'ai compris que ceux pour qui Renaud avait réellement compté à une période donnée gardaient toujours, au fond d'eux, un attachement viscéral, indéboulonnable, à ce chanteur (sauf possibles exceptions, bien sûr). C'est que le temps assassin n'a pas tous les droits non plus, pas tous les monopoles. Ce qui un jour flamba en nos poitrines y laisse un imprenable faisceau de lumière. Merci, Renaud !