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29/02/2020

Aujourd'hui, des bleus et des bosses...

"Et me voilà, poussière d'étoile

Entraîné par les engrenages

Du carillon de la grande horloge

Métaphysique". Jacques HIGELIN

 

Oui, Jacques Higelin avait raison : le monde est, tour à tour, fou, puis flou, et je dirais même aigre par moments. Mais l'est-il au point d'avoir oublié celui qui l'enchantait de sa plume, de ses rires, de sa démarche dansante ? J'espère que non.

Là où Higelin donnait toute sa splendeur, c'était sur scène, bien sûr. J'ai encore en tête ses arrivées grandiloquentes, ses tenues soignées, ses cheveux en bazar. Impossible de mettre de l'ordre dans ce chaos en dessous duquel les pensées fusaient à la vitesse de la lumière. Les concerts de Jacques, ce n'étaient pas que des chansons, c'étaient aussi, souvent, des tirades kilométriques où il était question d'à peu près tout. Des injonctions, aussi, parfois : à aimer, à vivre dans les grandes largeurs l'instant présent, à ne pas rester engoncé dans une morne routine étouffante. Je me souviens en particulier d'une invitation à se montrer déjanté dès l'aurore venue, et allez hop, « on shoote dans les croissants » : la vie, quoi, le bordel !

Jacques, c'était quelqu'un. Une sorte de héros de la voltige. Un monsieur 100 000 volts, tiens, lui aussi, mais le surnom était déjà pris. En tout cas, quand on avait croisé sa route, on en restait irradié un long moment. Parfois, il pouvait être colérique et s'emporter pour trois fois rien. Cette irascibilité allait avec le personnage qui ne faisait jamais dans la demi-mesure. Ce n'est pas ce qu'on retiendra de lui en priorité, me semble-t-il. Non, ce qui restera, je crois, c'est tout l'éclat du bonhomme, la folie qui l'accompagnait et la joie qui l'animait. Il lui importait avant tout d'être là, d'être en vie : cela suffisait à son bonheur.

J'ai mis du temps à accepter l'idée de ne plus jamais aller le voir en concert. J'ai mis du temps à pouvoir le réécouter sans me transformer en madeleine à tout bout-de-champ. J'y suis allée timidement, à pas lents, pour que ça ne cogne pas trop. Tiens, aujourd'hui, j'ai même réussi à écouter Higelin 75, son dernier album qui résonne à la fois comme un testament et comme une série d'incantations presque tribales contre la camarde. Celle-ci traverse un grand nombre de morceaux, à grand renfort de mots ciselés, aiguisés comme des couteaux. L'emploi du temps est terrible : cette chanson est l'œuvre d'un homme qui sait qu'il a la mort aux trousses et qu'elle va finir par le choper par le colback. Ce qu'elle a fait...

La dernière phrase du livret, avant les remerciements, est la suivante : « Jack... Arrête de faire le con, laisse tomber la pression ». Ce qu'il a fait... De façon brutale et définitive. Celui qui était si vivant qu'il nous semblait invincible, celui qui était si fort qu'il nous semblait immortel. On a du mal à accepter que vieillissent nos idoles. Qu'elles meurent, n'en parlons pas ! Quelque part, ne voudrions-nous pas, un peu, beaucoup, qu'elles échappent à ce sort qui a pourtant décidé, au moins sur un point, de nous loger tous à la même enseigne ?

Dehors, le ciel est mauve. Cela n'aurait pas déplu à Jacques. Qui sait, si l'inspiration lui avait été favorable en ce jour rare - 29 février -, peut-être nous aurait-il écrit un beau poème sur ces traînées violacées qui parcourent furtivement le ciel avant de disparaître ? Bref, tout ce qu'il y a de plus déchirant...

Il est 18h45 et je réécouterais bien Paradis païen, histoire de ne pas tout à fait rompre le fil avec mon funambule préféré !