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27/10/2020

Un texte de CélineCapucine

Bien que tardive (j'ai 52 ans), ma rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine a quelque chose d'évident. Et durant l'année qui suivit sa découverte, j'ai dû faire le deuil de la longue période durant laquelle j'étais passée à côté. En découvrant ou redécouvrant Confessions d'un never been j'étais pourtant étrangement persuadée de la connaître depuis l'enfance, et je me souviens que l'humour très noir de Dies olé sparadrap joey m'avait fait beaucoup rire.

La chanson française m'a toujours accompagnée. Jusqu'à ce printemps 2015 où, écoutant distraitement France Inter à ma table de travail, j'ai été saisie par le « nouveau » Thiéfaine : précisément, le morceau Stratégie de l'Inespoir. La musique et le texte, mélancoliques et puissants, la voix, que j'ai d'abord confondue avec celle de Manset. Intriguée, j'ai poursuivi la découverte sur You Tube, d'abord subjuguée par Alligators 427 puis égrenant les perles du répertoire, avec à chaque fois la même stupéfaction.

J'ai ensuite remonté le fil, en écoute exclusive. Le « choc » était pour moi comparable à celui ressenti pour la danse africaine, que j'ai pratiquée : peut-être le côté pulsionnel, l'énergie fabuleuse qui se dégage des chansons. J'étais bousculée par la densité de ce que je recevais. Par les mots crus, impudiques, triviaux aussi parfois. Au point de devoir couper le son durant un moment avant d'y revenir, comme sur Diogène série 87, Simple exercice de provocation et Garbo XW Machine (que toutes les trois j'adore !).

Les chansons de Thiéfaine me renvoient certainement à ma propre mélancolie. Et puis je suis captivée par les histoires, les mots, le style fait d'oxymores et d'allitérations, la poésie, la sensualité : Thiéfaine parle très bien des corps et ses chansons d'amour ou « de tendresse » sont parmi les plus belles du répertoire français (Trois poèmes pour Annabel Lee, Exit to chatagoune-goune, Casino, sexe et frenchitude, Camélia huile sur toile...). J'aime aussi ce qui rend son œuvre forte et accessible malgré sa noirceur : l'humour et la dérision. Je ris très souvent en l'écoutant !

Dès le départ, j'ai été sensible à « l'aspect charnel » des textes, à la « consistance » des mots « en bouche » et à leur mise en valeur par le style rock. A l'interprétation magistrale. J'éprouve les mêmes émotions à l'écoute des chansons de Thiéfaine qu'à la lecture des poèmes d'Aimé Césaire, un de mes auteurs favoris : il y a dans son écriture organique la même pulsion de vie. Côté chanson anglo-saxonne, c'est chez Björk que je le retrouve...

Je suis bien entendu intéressée par les références à l'étymologie et ses thèmes de prédilection : la route, le mouvement de manière générale, le thème de l'androgynie/de l'ambiguïté, la notion de citoyen cosmique (des tachyons aux galaxies), la large vision de l'espace-temps qu'il nous offre (des ptérodactyles aux droïdes).

La hauteur de vue de Thiéfaine, ajoutée aux multiples références des textes, donne du sens au divertissement qu'est la chanson et je trouve ça absolument réjouissant ! En tant qu'artiste populaire, son positionnement et son parcours sont, me semble-t-il, exemplaires : il est selon moi, loin des circuits médiatiques, un modèle de démocratisation (de médiation) de la culture.

Mes albums préférés : Scandale Mélancolique, Défloration 13 (j'adore l'atmosphère du CD Bataclan 2002), Suppléments de Mensonge et Stratégie de l'Inespoir. Mais je perçois surtout son travail comme un tout cohérent, avec des sommets dans chaque album.

L’œuvre de Thiéfaine m'accompagnera toujours. Je tente de la partager dans mon cercle familial (mes enfants connaissent un certain nombre de ses titres) mais ça n'est pas toujours facile. Au-delà, je n'en parle pas trop, car Thiéfaine reste un sujet... sensible.