Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/12/2006

Une charogne

La pensée du jour : "Toute l'amertume de la mer me remonte", Louis ARAGON.

 

Voici "Une charogne", de l'ami Charles Baudelaire. Avertissement : âmes sensibles s'abstenir!

 

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d'été si doux,

Au détour d'un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

 

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d'exhalaisons.

 

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu'ensemble elle avait joint;

 

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s'épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l'herbe

Vous crûtes vous évanouir.

 

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D'où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

 

Tout cela descendait, montait comme une vague,

Ou s'élançait en pétillant;

On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

 

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l'eau courante et le vent,

Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique

Agite et tourne dans son van.

 

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,

Une ébauche lente à venir,

Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève

Seulement par le souvenir.

 

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d'un oeil fâché,

Epiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu'elle avait lâché.

 

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

A cette horrible infection,

Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion!

 

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

 

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j'ai gardé la forme et l'essence divine

De mes amours décomposés! 

Commentaires

Celui-là aussi, je l'avais posté! Katell, je suis heureuse de voir que nous apprécions les mêmes textes de Baudelaire! Et tant mieux s'ils sont postés en plusieurs endroits!
Une charogne est un texte très fort, qui donne vraiment l'image du Baudelaire que j'aime et qui résume bien tout ce qu'il a entrepris à travers Les Fleurs du mal!
J'adore la façon cruelle et cynique avec laquelle il reprend le Carpe diem!

Écrit par : Evadné | 03/12/2006

Je ne sais pas trop si j'aime... Le style oui, mais la vision de ce corps ... beurk.
Je me ferais incinérer, ça me rassure...
Bises

Écrit par : Tommie | 03/12/2006

Alors moi, en fait, j'ai un côté gore, et Baudelaire me permet de le laisser fleurir en toute impunité! Je trouve ce poème génial, j'adore justement la description du cadavre!

Écrit par : Katell | 03/12/2006

Moi aussi j'ai un côté gore, mais il ne se fait pas sentir à tout moment, ça dépend de mon humeur.
Je viendrai le relire quand je serai plus en phase...

Écrit par : Tommie | 04/12/2006

Les commentaires sont fermés.