29/10/2012
Florange, 26 octobre 2012 : une tentative de récit
La pensée du jour : "Mir fehlen die Worte
Ich habe die Worte nicht
Dir zu sagen, was ich fühl
Ich bin ohne Worte
Ich finde die Worte nicht
Ich hab keine Worte für dich". Tim BENDZKO
C'est devenu une tradition. Un concert de Thiéfaine, et un peu partout sur la toile, éclosent des comptes rendus comme des carnets de voyage. Le but ? Raconter aux autres ce qu'on a vécu le temps d'une soirée, leur faire croquer un petit bout de cet absolu qui, quelques heures durant, est venu « recoller du soleil sur nos ailes d'albatros ». Tous ces récits sont généralement d'une grande qualité. Un temple érigé en l'honneur de Thiéfaine. Viennent s'y recueillir ensuite de nombreux fervents. Pour celui qui écrit, c'est une façon de prolonger la magie et de ne pas en perdre une miette. Pour ceux qui lisent, une façon d'en être un peu. De retrouver l'ambiance d'une fête passée ou d'avoir déjà les pieds dans la prochaine. Face à cette profusion de récits, je m'interroge : ma voix a-t-elle encore une quelconque légitimité dans le paysage ? Moi qui n'ai pas écrit depuis si longtemps, n'ai-je pas perdu la main ? Peur de ne pas avoir les mots. Peur qu'ils me manquent. « Mir fehlen die Worte », comme le chante délicieusement Tim Bendzko dans une langue que je vénère.
Sans trop y croire, je me lance à nouveau dans l'exercice.
Vendredi 26 octobre. J'attends ce jour depuis bien longtemps. Toute la journée, je me demande si le public sera à la hauteur du miracle qui va venir visiter Florange ce soir. Dès que retentissent les premières notes d'une Annihilation qui n'en est pas une, mais a plutôt les allures d'une plénitude capable de nous ressusciter comme une fièvre, dès les premières notes, donc, je ne me pose plus la question. Le public est à la hauteur. Epouse les chansons de Thiéfaine dans une intense déclaration d'amour. Florange la grise troque les dernières syllabes de son nom contre du rêve et devient Florence l'exquise. Thiéfaine est souriant, détendu, affable. Pareillement les musiciens. La tournée semble les avoir soudés au fil des mois en une complicité qui fait plaisir à voir. Le cadeau est tellement puissant que j'en suis toute secouée de frissons d'un bout à l'autre de la fête. Emue aussi lorsque j'aperçois, tout devant, de petites mains menues qui agitent un bouquet en direction de la scène. Je me penche un peu (je suis à l'opposé, tout contre la barrière, côté Marc Perier) et je vois une gamine d'une petite dizaine d'années. C'est elle qui agite le bouquet. Elle connaît les chansons de Thiéfaine sur le bout des lèvres. C'est impressionnant et touchant. L'émouvant tableau n'échappe pas à Pascal Klein (enfin, je crois que c'est lui), qui court jusqu'à la petite fille, la hisse au-dessus de la barrière, lui fait déposer le bouquet sur la scène. Trop tard, Thiéfaine ne voit rien, il est déjà parti s'asseoir pour « descendre dans la soufflerie où se terre le mystère inquiet »... Bon sang, cette chanson me fait toujours le même épouvantable effet depuis que ma mère s'en est allée rejoindre de mystérieuses brumes où elle continue sans doute à parler en dormant, mais à qui donc puisque pas à moi ? Dur, ce moment de L'étranger dans la glace. J'en arriverais presque à vouloir gommer cette chanson du paysage de la tournée. En même temps, écouter Thiéfaine, personne n'a jamais dit que c'était facile ! C'est accepter de se colleter avec les questions qui fâchent. La mort, entre autres. Elle est partout. Ici, « les morts pleurent sous leurs dalles de granit ». Là, une vamp-araignée dépose un dernier baiser sur nos peaux meurtries. Ames sensibles s'abstenir. Ou s'attarder. Pour chialer un bon coup, mourir de chagrin le temps d'une chanson et renaître à la vie sur une autre. Parce que cette chienne de vie est partout ici aussi. Eclatante dans les musiques devenues plus énergiques au fil des mois. Moins de dentelle, plus de cuir. L'apothéose est atteinte, et je regrette même que le live n'ait pas été enregistré plus tard...
Les propos de Thiéfaine, eux, ne changent guère. C'est sans grande surprise mais avec plaisir quand même qu'on assiste à la « minute de l'hygiéniste ». « Toutes choses sont dites déjà; mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer », écrivait André Gide.
Peu de changements, et pourtant... Pourtant j'ai l'impression de redécouvrir le sel de certaines chansons. La bien-nommée passerelle m'invite à construire des ponts entre un texte et un autre. C'est ainsi que « dans le jardin d'Eden désert les étoiles n'ont plus de discours » vient faire écho à « On joue les trapézistes de l'antimatière cherchant des étoiles noires au fond de nos déserts ». Je me dis que nous assistons là à un concert hautement célinien et que c'est Bardamu en personne qui vient vomir son trop-plein de tout sur scène. Jouissances, chagrins, mortelles envies de prendre le large une bonne fois pour toutes au gré des flots et d'infinitives voiles qui viendraient le bercer vers 4.10 du matin... Tout y passe. L'amour, cet « infini mis à la portée des caniches », devient un « chagrin des glandes » dans la bouche de Thiéfaine-Bardamu. C'est le désenchantement suprême dans un monde que les dieux ont déserté depuis bien longtemps. Désenchantement, et pourtant nous sommes là à en redemander, tous autant que nous sommes ! Parce que s'enivrer de la poésie de Thiéfaine, c'est apprendre à mourir et se sentir moins seul face aux équations insolubles qui jalonnent nos vies...
On sort de là un peu groggy. La tête dans les étoiles (qui retrouvent miraculeusement leur discours), les pieds plus tout à fait sur terre. La boue n'est plus pour nous. Tout va pour le mieux dans le « chaos des mondes ». Tout est là, bien à sa place. Sauf Solexine et Ganja et Autorisation de délirer, les deux grandes absentes qui semblent être passées à la moulinette du non-retour.
Dernière chanson, déjà. La petite fille qui agitait son bouquet tout à l'heure atterrit sur scène grâce à Pascal Klein (enfin, je crois que c'est lui !!) et vient se caler entre Alice Botté et Thiéfaine au moment des salutations. Quant à moi, je me réveille d'une nuit d'ivresse. Le choc est rude. « Fin programmée », je n'aime soudain plus ces mots. Que cherchent-ils donc à nous dire ? Ont-ils été mis là, tout à la fin de la fête, dans un but sadiquement précis ? Veulent-ils nous faire comprendre par exemple qu'il est temps pour l'ami Hubert de remettre au vestiaire sa « panoplie de pantin déglingué » et de se reposer dans son Jura tranquille de ses quelque 3 671 nuits d'hôtel ? Je refuse d'y croire ! « Je veux vivre encore plus ivre de cramé », je veux repartir « on the road again », « toujours plus loin à fond la caisse », faire poinçonner mon ticket d'innombrables fois encore et me tenir timidement, respectueusement prête à accueillir le miracle de ces soirées qui viennent mettre du vin dans nos larmes. Eh oui, ami Thiéfaine, on en redemande. Que veux-tu, ce ne sont pas que des on-dit, on aime réellement FAIRE DURER !!!
10:35 | Lien permanent | Commentaires (25)
Commentaires
Salut Cath ,
J'ai lu ton billet en diagonale car je vais chez mon confrère, portez-vous bien :-)
Écrit par : Le Doc. | 29/10/2012
Tu n'aurais plus les mots???? Mais enfin, Cath, tu plaisantes?? Ton récit est absolument magique, tu manies magnifiquement les mots, et te lire est pour moi un plaisir aussi intense que lorsque je lis Isa. Vous êtes de sublimes conteuses, les filles! Alors MERCI Cath, vraiment merci pour cette note sur Florange, qui m'a permis en effet de vivre un peu cette soirée, et qui me donne très très envie d'être à demain. Comme toi, je me pose des questions sur cette 'Fin programmée', et je le vis de plus en plus mal à mesure que la tournée avance, et comme toi, j'en redemande. Tellement besoin de ces moments qui me font bouillonner les entrailles. Encore un immense merci Cath!
Écrit par : sophie | 29/10/2012
Je crois aussi qu'elle plaisante, Sophie, et je crois qu'elle aime qu'on le lui dise ;-)
Encore un compte-rendu d'excellente qualité, dont toi et Isa avez d'ailleurs seules le secret.
Die Worte hast Du trotz allem gefunden, Cath!
Écrit par : aclh | 29/10/2012
C'est sérieux, les filles. A chaque fois que je dois écrire un compte rendu de concert, l'angoisse me prend à la gorge. Peur de ne jamais être à la hauteur. On vit des trucs tellement magiques pendant les concerts d'Hubert, comment les retranscrire ?
Mais bon, Aclh n'a pas tort, un petit mot d'encouragement fait toujours du bien !!!
Écrit par : Katell | 29/10/2012
C'est toujours un plaisir de lire tes compte-rendus Cath ...
Écrit par : Loreleï2 | 29/10/2012
Rien que pour :
"Mourir de chagrin le temps d'une chanson et renaître à la vie sur une autre"
et
"S'enivrer de la poésie de Thiéfaine, c'est apprendre à mourir et se sentir moins seul face aux équations insolubles qui jalonnent nos vies..."
Merci et vivement ton prochain billet !!
Écrit par : Arnaud | 29/10/2012
On a l'impression d'y être Kat, continue à nous faire du bien.
La petite fille, c'est la fille de Christophe, qui est sur facebook. On a eu droit à la photo ;)
Écrit par : Tommie | 29/10/2012
bonjour tout le monde,merci pour cet écrit ou on parle de ma fille au concert de Florange.C'est vrai que ce fut un moment magique et émouvant pour nous les parents,voir sa fille au coté D'hubert sur scene avec son bouquet c'etait un moment magique autant pour nous que pour elle!!en plus cerise sur le gateau ensuite nous avons eu le droit a la visite dans la loge,un moment magique pour nous trois.biz a tous et encore merci
Écrit par : christophe | 29/10/2012
au faite si quelqu'un y etait et qui a en sa possession une photo du final lorsque ma fille monte sur scene,serait il possible de me faire un petit signe car les miennes sont floues,merci d'avance!!Thiéfainement a vous biz
Écrit par : christophe | 29/10/2012
Merci pour cet intense et magnifique compte-rendu !! Je n'ai pas les mots pour le qualifier. J'aurais pu citer les mêmes extraits que ceux choisis par Arnaud (Arnaud, si tu me lis, tu ne seras pas étonné de ce "hasard"). Te dire que ta prose me fait renaître, me ressource comme un concert de Thiéfaine, dans une émotion indicible. La plénitude de l'Annihilation, les visages de mômes, "les morts qui pleurent" avec "L'étranger dans la glace", le "désenchantement suprême" dans un monde où "les dieux ne sont pas très bavards", l'angoissante fin programmée, la recherche de l'ivresse et de la brûlure... comme tout ce que tu écris cogne fort en mon coeur et fait écho à ce que j'ai ressenti la semaine dernière à Cherbourg...
Parmi ces voix qui érigent un temple à Thiéfaine, il y a la tienne, singulière, hautement sensible et profondément vibrante. Alors ne te demande pas si tu as une quelconque légitimité ou si tu as perdu la main : enchante-nous dans ce même élan du coeur !!
Écrit par : Evadné | 29/10/2012
Merci pour cet intense et magnifique compte-rendu !! Je n'ai pas les mots pour le qualifier. J'aurais pu citer les mêmes extraits que ceux choisis par Arnaud (Arnaud, si tu me lis, tu ne seras pas étonné de ce "hasard"). Te dire que ta prose me fait renaître, me ressource comme un concert de Thiéfaine, dans une émotion indicible. La plénitude de l'Annihilation, les visages de mômes, "les morts qui pleurent" avec "L'étranger dans la glace", le "désenchantement suprême" dans un monde où "les dieux ne sont pas très bavards", l'angoissante fin programmée, la recherche de l'ivresse et de la brûlure... comme tout ce que tu écris cogne fort en mon coeur et fait écho à ce que j'ai ressenti la semaine dernière à Cherbourg...
Parmi ces voix qui érigent un temple à Thiéfaine, il y a la tienne, singulière, hautement sensible et profondément vibrante. Alors ne te demande pas si tu as une quelconque légitimité ou si tu as perdu la main : enchante-nous dans ce même élan du coeur !!
Écrit par : Evadné | 29/10/2012
Merci pour cet intense et magnifique compte-rendu !! Je n'ai pas les mots pour le qualifier. J'aurais pu citer les mêmes extraits que ceux choisis par Arnaud (Arnaud, si tu me lis, tu ne seras pas étonné de ce "hasard"). Te dire que ta prose me fait renaître, me ressource comme un concert de Thiéfaine, dans une émotion indicible. La plénitude de l'Annihilation, les visages de mômes, "les morts qui pleurent" avec "L'étranger dans la glace", le "désenchantement suprême" dans un monde où "les dieux ne sont pas très bavards", l'angoissante fin programmée, la recherche de l'ivresse et de la brûlure... comme tout ce que tu écris cogne fort en mon coeur et fait écho à ce que j'ai ressenti la semaine dernière à Cherbourg...
Parmi ces voix qui érigent un temple à Thiéfaine, il y a la tienne, singulière, hautement sensible et profondément vibrante. Alors ne te demande pas si tu as une quelconque légitimité ou si tu as perdu la main : enchante-nous dans ce même élan du coeur !!
Écrit par : Evadné | 29/10/2012
Excellent commentaire "comme d'hab' "dirait quelqu'un que je connais !
Pas pu aller à Florange, trop loin !
mais serait à ST ETIENNE le 16/11 (-6è concert de cette tournée pour moi) et je pense que j'en ferai un autre début 2013 au cas où ...mais je NE veux même pas y penser, ...car les poêmes-rock de HFT sont autant de baumes apaisants sur mes plaies vives !
Quant d'ailleurs se terminera-t-elle cette tournée ? printemps 2013 d'après HFT et son entourage proche..à voir !
Bientôt 40 ans de carrière (1973/2013) / cet évènement sera-t-il célébré ? je pense (j'espère) que OUI ! évocation à demi-mots au cours d'une itw ??? Je serai vigilante...
Mr Thiéfaine semble être de plus en plus en forme à mesure que la tournée s'allonge ! (très extraverti sur scène comme il aime à le dire )
En tout cas, mes plus vifs remerciements à l'auteur de ce C.R., car j'avais l'impression d' y ëtre et c'était BIEN !
Écrit par : KAROLLINCA | 29/10/2012
Merci Katell, tu m'as mis la larme à l'oeil au moment de l'Etranger dans la glace...
Écrit par : Aska | 30/10/2012
Mille MERCIS pr ce magnifique compte-rendu Cath !
Isa et Cath, vous devriez vous concerter et nous éditer un superbe recueil de ts vos CR de concerts HFT et croyez le bien, il aurait un beau succès !!!
Écrit par : Brigitte | 01/11/2012
Magnifique Cath!! Gros bisous!! Anne.
Écrit par : Arabesque | 04/11/2012
Anne !... : ma Soeur Anne ?... :-)
Écrit par : Le Doc. | 04/11/2012
Absolument magique, ce compte-rendu. Comme tous ceux que tu as pu publier par le passé. Ne te demande plus jamais si tu as perdu la main! Vraiment l'impression d'y être allé, de goûter et de savourer sur le vif ces instants suprêmes de félicité. Un énorme bravo, un énorme merci. Vivement le prochain!
Écrit par : Monsieur Müller | 06/11/2012
Pas de compte rendu avant bien longtemps... Je ne peux même pas aller à l'Olympia.
Écrit par : Katell | 07/11/2012
Salut,
Ben oui, il est super ton CR !
Impatient de revoir HFT moi qui ne l'ai pas vu depuis les Francos.
Pour ma part, la tristesse commence à venir...
Je serai à l'Olympia, vais essayer d'aller le voir à St Etienne si j'arrive à trouver une place. Je suis boulimique de Thiéfaine sur 2012, c'est terrible.
Je disais que la tristesse commence à venir car cela sent la fin de tournée. Difficile pour moi après cet exceptionnel album suivi de la tournée qui allait bien. Ce qui est bien c'est quand on va le voir en concert et qu'on se dit à la fin : pas grave, je le revois dans 2 mois à tel endroit.
Salut à tous...
Écrit par : PK | 10/11/2012
@PK : exactement mon sentiment !
je serai à St Etienne ! (places sur le Bon Coin !) j'espère que tu y seras !
Pour me reconnaître si tu viens à st Etienne ma page Facebook : Michelle Charlotte
ou "Karollinca "'page web HFT
Écrit par : KAROLLINCA | 10/11/2012
@PK : exactement mon sentiment !
je serai à St Etienne ! (places sur le Bon Coin !) j'espère que tu y seras !
Pour me reconnaître si tu viens à st Etienne ma page Facebook : Michelle Charlotte
ou "Karollinca "'page web HFT
Écrit par : KAROLLINCA | 10/11/2012
Je n'ai pas face de bouk...
Pour St Etienne, je viens d'appeler toutes les annonces du bon coin et elles sont toutes parties...
Écrit par : PK | 10/11/2012
Bonjour, j`ai beaucoup aimé votre article. Je ne suis pas spécialiste dans la matière, avez-vous d`autres posts sur le même sujet ?
Continuez ainsi, c`est toujours agréable de lire votre blog !
Romane.
Écrit par : verres progressifs | 29/01/2013
Ton article me touche profondément.
Écrit par : benoit | 13/02/2013
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