24/05/2020
Jeu de questions-réponses avec Jean-Michel Gaudron
"Nuage, en ta vie aussi menacée que la mienne". René CHAR
Il y a quelques mois, je vous parlais, ici même, d'un ouvrage publié par un certain Jean-Michel Gaudron : Exercice de simple éducation avec dix fois le mot paradis. Je me promettais de le lire afin de lui consacrer une note. Ayant appris que Jean-Michel n'habitait pas très loin de chez moi, j'étais censée le rencontrer afin qu'il me remette son livre en mains propres. Le rendez-vous fut remis plus d'une fois, toujours à cause de moi d'ailleurs. Puis, le coronavirus vint s'en mêler. Force fut de constater que l'adversaire qui s'était mis en travers de ma route était invincible sur ce coup-là. Quel motif aurais-je bien pu invoquer sur mon attestation de sortie obligatoire (à chaque fois que j'en ai rempli ou téléchargé une durant le confinement, j'ai pensé aux formulaires d'autorisation de délirer dont parle Hubert !) ? J'eus beau retourner le problème en tous sens dans ma tête, il me fallut bien admettre que faire acheminer le livre jusqu'à moi par voie postale était encore la meilleure solution. Je repris contact avec Jean-Michel. Et commandai ce qu'il appelle son dictionnaire amoureux. Je l'ai en ma possession depuis le 7 mai. Depuis, je m'amuse à l'ouvrir régulièrement au hasard. Il me semble qu'il n'est pas de ces livres que l'on lit d'un bout à l'autre sans s'arrêter, mais qu'il est plutôt destiné à être consulté en cas de d'interrogation. Ou feuilleté comme ça, pour le plaisir. Ce qui surprend, c'est la concision et l'humour. Chaque nom est suivi du ou des vers où il apparaît dans l'œuvre de Thiéfaine, puis d'une définition succincte. Bien souvent marquée d'une empreinte humoristique ou agrémentée d'un jeu de mots. C'est franchement plaisant à lire. On s'instruit tout en s'amusant. Et, une fois de plus, on se dit que toutes ces références dont est truffée la moindre chanson de notre artiste préféré sont des mondes immenses. Des poupées russes aussi, parfois. On ouvre une référence, et il s'en cache une autre à l'intérieur, et puis peut-être encore une... C'est vertigineux, ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre !
Bref... Après avoir largement parcouru le livre de Jean-Michel, je proposai à celui-ci un petit jeu de questions-réponses destiné à être publié sur mon blog. Voici la première partie de notre "entretien", réalisé à distance. Vous pouvez réagir à ce billet dans les commentaires, comme toujours. Vous pouvez également poser des questions à Jean-Michel. Il viendra vous répondre ici en personne !
Comment décide-t-on d'écrire un tel ouvrage sur Thiéfaine ? J'ai bien ma petite idée sur la question : une œuvre qui déborde à ce point de références tous azimuts ne peut que donner envie d'en sonder les mystères ! Mais comment a germé l'étincelle au départ ? T'es-tu attelé directement à la tâche ou les choses ont-elles mûri en toi avant d'aboutir ?
J’ai presque envie de dire que ce n’est pas moi qui ai décidé d’écrire un tel ouvrage, mais que c’est l’ouvrage lui-même qui s’est imposé à moi comme une évidence, après s’être insidieusement glissé dans mes neurones et mes synapses pendant de longs mois… Étant, à la base, un obsédé textuel irrécupérable, j’ai toujours la plume qui me démange et l’envie d’écrire. Ce qui m’aide dans mon métier de journaliste.
Pour en revenir à l’élément déclencheur, il s’agit de la chanson « Annihilation »… N’ayant pas acheté la version Collector de l’album « Séquelles », je n’ai découvert ce bijou que beaucoup plus tard… Et j’ai longtemps tiqué sur une phrase : « On n'en finit jamais de rejouer Guignol, Chez les Torquemada, chez les Savonarole »… Torquemada, je connaissais, mais Savonarole m’était totalement inconnu. J’ai donc été rechercher qui c’était.
Et puis, en réécoutant l’une ou l’autre chanson, je me suis rendu compte que je me trouvais régulièrement confronté à l’ignorance (ou le mauvais souvenir) d’un terme ou d’une référence. J’ai donc de plus en plus souvent renouvelé l’exercice. Jusqu’à me dire que je ne devais pas être un cas isolé et que nous étions peut-être des dizaines (je reste modeste…) à vouloir faire de même. Alors je me suis dit que je ça ferait peut-être du sens de partager tous les fruits de ces recherches. Et tout est parti ainsi. Mais le plus compliqué a ensuite été de trouver un éditeur. J’ai essuyé pas mal de refus avant que Le Lys Bleu ne me fasse confiance ! L’important est de toujours persévérer…
Comment as-tu procédé pour organiser ce « dictionnaire amoureux » ? As-tu relu méticuleusement les textes de toutes les chansons en appuyant sur le bouton « pause » à chaque référence ?
Exactement ! À partir du moment où je me suis décidé à aller plus loin que mes propres recherches personnelles, j’ai réfléchi à la meilleure façon de faire. Et j’ai repris, chronologiquement, tous les textes de tous les albums studio solo (je n’ai pas travaillé sur celui avec Paul Personne, donc…) et à chaque fois que je butais sur un mot, un terme, je me le notais. J’en ai rapidement compilé plusieurs centaines. Je ne me rendais pas compte, en commençant ce « travail », que ça me mènerait aussi loin !
Combien de temps as-tu passé à la rédaction de cet ouvrage ?
Difficile à dire ! Je n’ai pas chronométré. Et les temps d’écriture se sont faits par période. Ce que je peux dire, c’est que j’ai commencé en… 2013, lorsque j’ai découvert Annihilation. Je pense que 80% du travail a été fait entre 2013 et 2014. N’ayant à cette époque-là reçu aucun intérêt d’aucun éditeur (pas plus d’ailleurs que du manager de HFT avec qui j’avais parlé au téléphone), j’ai laissé un peu le projet de côté sans trop vraiment m’y replonger.
Et puis le hasard a voulu que je relance quelques éditeurs début 2019 et que l’un d’entre eux me réponde positivement. Alors j’ai mis le paquet pour 1. Compléter le travail avec les textes du dernier album studio paru ; 2. Dépoussiérer ce que j’avais déjà écrit ; 3. Rédiger la préface. Ce fut en tous les cas un travail de longue haleine… Mais comme je disais, l’important est de toujours persévérer (si vous ne retenez pas cette formule, pas de soucis, je la ressortirai encore une ou deux fois avant la fin de cette interview…).
Ton dictionnaire amoureux est plaisant à lire, je trouve, car, tout en étant richement documenté, il demeure accessible. Les explications proposées sont à la fois succinctes et complètes. Le tout est agrémenté de jeux de mots et/ou de remarques humoristiques. La brièveté et l'humour se sont-ils imposés à toi comme un parti pris, l'idée qu'il ne faut pas « se prendre la tête » en quelque sorte ? En tout cas, soit dit en passant, j'aime beaucoup ce procédé. D'une certaine manière, il a (à mes yeux) le don de décomplexer un peu le lecteur face au dédale vertigineux que représentent les références qui grouillent un peu partout dans l'œuvre de Thiéfaine !
Merci ! Faire sérieusement les choses sans se prendre au sérieux, ça pourrait une de mes devises (une autre pourrait être que l’important est toujours de persévérer, mais à force, je risque d’ennuyer le lecteur…). J’ai eu la chance de grandir avec des parents et un grand frère très adeptes de jeux de mots et autres calembours. Je me suis nourri aux Dingodossiers et aux Rubrique-à-Brac de Gottlieb (qui expliquait souvent que, dans la vraie vie, il n’était pas du tout un grand déconneur… comme quoi !). Je me délecte souvent des saillies de Charlie Hebdo (les textes plus que les dessins) ou du Canard enchaîné. Et je ne peux jamais empêcher mon cerveau de chercher à sortir un « bon mot » en toutes circonstances. Donc l’humour en lui-même fait partie intégrante de ma façon d’écrire, voire de ma façon de vivre.
Pour ce qui est de la brièveté, compte tenu du nombre de définitions, il fallait que j’aille droit au but pour ne pas alourdir davantage le contenu. Ce ne fut pas toujours facile de résumer en aussi court (surtout quand on entre dans les références mythologiques…), mais ça a rendu l’exercice d’autant plus plaisant.
Tu es franco-luxembourgeois. Je me pose une question : Thiéfaine est-il connu et apprécié au Luxembourg ? Je l'ai vu à la Rockhal, à Esch-sur-Alzette, en 2006. Je ne sais pas s'il y avait beaucoup de Luxembourgeois dans le public ce soir-là...
Il en manquait au moins, un : moi ! Il faut dire que je n’avais pas du tout été emballé par l’album « Défloration 13 » et par le concert qui avait suivi. Et du coup, j’avais « boudé » la tournée suivante, même si j’ai plutôt aimé « Scandale mélancolique ». Je le regrette profondément aujourd’hui, car quand j’en vois des extraits vidéo, je me dis que ce devait être une sacrée bonne tournée ! Bref… Pour revenir à la question, je crains hélas que la réputation de HFT n’a pas passé ce bout de frontière-ci… J’ai eu la chance, fin 2019, d’exposer pendant deux jours en tant qu’auteur au salon du livre de Walferdange (le plus grand rendez-vous littéraire au Luxembourg) où j’ai présenté, entre autres, cet ouvrage (avec deux autres écrits récemment aussi, mais qui n’ont rien à voir). Et je n’ai pratiquement eu aucun échange ou discussion concernant l’artiste. Je pense qu’au Luxembourg, la culture germanique est un peu plus prégnante que la culture française. Mais je ne désespère pas de mieux le faire connaître petit à petit !
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