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18/04/2021

"La vie est folle, libre et volage" : souvenirs d'un monde sans corona et avec Higelin...

"La vie est folle, libre et volage". Jacques HIGELIN

 

Vous souvenez-vous de Jacques Higelin ? Quand on l'a aimé, on l'aime encore, c'est sûr, et on ne peut l'oublier. Ah, ses concerts, c'était quelque chose ! Quand on a goûté à cela au moins une fois dans sa vie (mais une seule fois c'est dommage), on ne peut, par la suite, que se montrer intransigeant avec la fadeur ! Car Jacques sur scène, c'était tout sauf de la fadeur ! C'était un feu d'artifice, une explosion de folie qui partait dans tous les sens, un peu comme ses cheveux ébouriffés, qui semblaient stupéfaits eux-mêmes de se trouver sur un crâne aussi azimuté ! Jacques, c'était la fantaisie avec un grand F. Entre deux chansons (quand ce n'était pas au cœur même d'une chanson, d'ailleurs), il plongeait souvent dans des tirades kilométriques et délirantes. Je me souviens d'un soir où il avait appelé le public (à qui il disait « tu » comme à un seul homme ou à une seule femme, réunissant tous les opposés par la grâce de ce seul pronom) à défier la banalité quotidienne. « Le matin, on se lève, on shoote dans les croissants » : l'image ne m'a jamais quittée. J'aurais aimé la rendre possible dans ma propre vie, mais ce n'est pas forcément une évidence qui s'offre au premier venu. De temps en temps, quand même, quand mes filles et moi partons dans nos petites divagations, je me dis qu'on n'est pas mal point de vue shootage de croissants à l'aube. Ce midi, par exemple, Louise et moi avions décidé de donner des noms poétiques aux plats qui se succédaient sur notre table. D'abord, ce fut une moisson de riz accompagnée de fagots de poireaux et d'une onctueuse sauce ocre, puis une concassée de pommes de nos vergers saupoudrée d'une dentelle de cannelle. Il y avait un peu d'Higelin dans tout cela, je vous assure. Tout à coup, nous n'étions plus assises à notre banale table de cuisine, non : nous savourions des splendeurs culinaires préparées rien que pour nous par un grand chef. Eh bien, quand tu assistais à un concert d'Higelin, c'était pareil : tu étais soudain d'un autre monde et tu n'en revenais pas toi-même d'y avoir été catapulté(e). Jacques savait, quelques heures durant, te donner des ailes et te faire croire que toi aussi tu pourrais voler un jour. Magie de l'imaginaire. Pouvoir du magicien.

Quelques heures durant, disais-je : oui, et plus encore si affinités. Les concerts d'Higelin, on savait quand ils commençaient, mais on ne pouvait faire aucun pronostic sur leur durée. Quand le bonhomme était en forme et que le public lui donnait le répondant qu'il espérait, c'était parti pour un très long moment. Le plus drôle dans tout ça, c'est que cela ne nous semblait pas long et qu'on en redemandait, encore et encore. Parce qu'une fois la soif étanchée, on découvrait que finalement, elle ne pouvait l'être ! On pensait à telle ou telle chanson oubliée ce soir-là, et qu'on aurait voulu entendre. Alors quelques voix s'élevaient, ici ou là, et se mettaient à en fredonner la mélodie. Si Jacques était bien disposé, il y allait. Moments de bonheur qu'on n'oublie jamais. Et qui manquent maintenant, qui manquent tellement qu'on ne saurait le dire avec les mots qu'il faut.

Il y avait également l'incomparable démarche d'Higelin. On eût dit celle d'un danseur qui funambulait d'un rêve à un autre, nous emportant dans ses palpitations. Cela devait être ça, « flâner entre les intervalles », comme il disait.

Aux moments les plus sombres de mon existence, Jacques a toujours brillé comme un soleil. Il avait ce côté fortement ancré dans l'existence et qui te chope par la manche pour t'inciter à y rester, que n'a pas forcément Hubert-Félix Thiéfaine. J'ai souvent dit que j'avais besoin de ces deux compagnons. Avers et revers d'une même médaille gri-gri que je transbahute avec moi depuis, depuis … ouh la, ça fait longtemps. Tellement d'années que je n'ai plus assez de mes doigts pour les compter. Ou alors il faut faire trois tours, à peu près. D'accord, ça pique. Mais il y a deux chances incomparables que me confère mon grand âge : avoir vu Higelin pas loin de dix fois sur scène. Et avoir vu Hubert 47 fois, je crois. Il faudrait que je recompte pour être sûre. Mais 47, cela m'arrange bien, car c'est pile mon âge. Ce qui nous fait une moyenne d'une fois par an depuis la naissance. J'aime bien l'idée.

En attendant, puisque, aujourd'hui encore, c'est temps gris et vent contraire, comme dans la chanson d'Higelin, sortir ne s'impose pas. Je m'en vais donc m'écouter d'une même oreille reconnaissante d'abord Jacques, ensuite Hubert ! Ou d'abord Hubert, ensuite Jacques, on verra !