23/06/2006
"La part Rimbaud"
Allez, ce soir, un peu de Romain Gary, pour nous mettre du baume au coeur! Tous les passages qui suivent sont extraits du magnifique livre d'entretiens La nuit sera calme.
"On s'étonne lorsqu'un homme 'distingué' dit 'putain de merde' ou 'bordel de Dieu'. Mais chacun sa façon de vomir".
"Les chiens se sont toujours occupés de moi avec beaucoup d'amitié".
"Tout ce que le chercheur que je suis croit savoir est fait pour une bonne part de ce qui ne vaut pas la peine d'être connu".
"une âme sur charbons ardents à mille années-lumière de la paix intérieure".
"Si tu vois les grands poètes comme Vigny, les grands écrivains comme Constant, des esprits admirables comme Voltaire, et tant, tant d'autres dans tous les pays, tu aperçois souvent une étonnante dichotomie entre la beauté de leurs oeuvres et leurs vies ou activités souvent ignobles. Il se sentaient quittes envers les beaux sentiments lorsqu'ils en faisaient de la belle littérature".
"S'il y avait le moindre respect de la féminité, la sexualité aurait été depuis longtemps acceptée comme un échange dans l'égalité, sans 'prise' et sans 'preneur', sans 'conquérant' et sans 'conquête' ".
"Je voudrais te dire que pour moi toute la notion de 'profondeur de l'homme' n'a de profond que sa prétention. La 'profondeur' est un rapport tragique que l'homme a avec sa superficialité foncière, lorsqu'il en prend conscience. La tragédie profonde de l'homme, c'est sa superficialité, son insignifiance".
"Et maintenant que ma vie tire à sa fin, je ne cherche pas refuge dans l'abstraction, que ce soit Dieu ou la féminité, élevés au niveau d'un culte. Les au-delà, une 'autre vie' ne m'intéressent pas : j'aime trop dormir".
"L'homme sans mythologie de l'homme, c'est de la barbaque. Tu ne peux pas démythifier l'homme sans arriver au néant, et le néant est toujours fasciste, parce que, étant donné le néant, il n'y a plus aucune raison de se gêner".
"Ces rapports 'chien sans maître' avec Dieu ou avec l'absence de Dieu, que Dieu soit ressenti comme une présence ou comme un manque, sont toujours des rapports avec un collier et une laisse qui me sont totalement étrangers".
"Et elle louchait un tout petit peu, tu sais, de cette façon qui donne encore plus de regard"...
"Alors, avec mon filet à papillons, je cours, je cours, des romans, des reportages, des films et du vécu, du vécu qui n'est pas pour emporter mais pour être mangé sur place, ce n'est pas du donjuanisme dans les rapports avec la vie mais de l'amour... Et j'ai beau courir, glaner, je n'épuiserai jamais ça, je ne connaîtrai jamais l'assouvissement, c'est sans fin, inépuisable, tu as beau absorber ça par tous les pores de ta peau, tu as toujours faim, et ça te fait encore un personnage, une vie, un amour"...
"Car il s'agit pour nous, quelles que soient les idéologies, de trouver un équilibre entre la viande et la poésie, entre ce qui est notre donnée première biologique, animale, et la 'part Rimbaud' ".
"Disons que je vis avec Miss Solitude et je m'y attache un peu trop, c'est vrai, ce serait triste de prendre le pli, je n'aime pas les plis... Les deux dernières, les Miss Solitude 1972 et 1973, ont été des vraies reines de beauté dans le genre personne"...
"Evidemment, c'est inguérissable, je rêve encore de tomber amoureux, mais ce qu'on appelle tomber!... Seulement, à soixante ans, c'est très difficile, à cause du manque d'espace, d'horizon devant soit... ça manque de large, maintenant, on ne peut plus s'élancer... L'amour, ça va très mal avec les restrictions, les limites, avec le temps qui t'est compté, il faut croire qu'on a toute la vie devant soi, pour s'élancer vraiment... Sans ça, c'est seulement de la crème Chantilly".
"François Bondy : Tu as été heureux?
Romain Gary : Non... Si. Je ne sais pas. Entre les gouttes".
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