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08/12/2006

"Enfin seuls sur cette planète qui grince dans le froid qui nous pince"

Ce soir, voici un poème en prose de l'ami Charles Baudelaire. Je reçois cinq sur cinq le message misanthrope du monsieur. Quand on dit "je suis d'une humeur massacrante", cela veut bien dire que l'on aurait envie de massacrer les trois quarts de la planète, non?! Cela nous débarrasserait sans aucun doute d'un joli paquet de cons!!! Mais je te donne sans plus tarder la parole, grand Charles, toi en qui je me retrouve si souvent... Eh oui! "Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle", il n'y a que toi qui puisses parler à ma douleur et la sommer de se "tenir plus tranquille"...

 

"A une heure du matin

 

Enfin ! seul ! on n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.

Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.

Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l’un m’a demandé si l’on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d’une revue, qui à chaque objection répondait : « -C’est ici le parti des honnêtes gens », ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d’acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m’a dit en me congédiant : « -Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z… ; c’est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs ; avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons » ; m’être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n’ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j’ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! est-ce bien fini ?

Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde ; et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !"

 

 

Et la pensée du jour : "Hélas! que comprend-on? Peu de la créature,

Et rien de la création", Victor HUGO.

 

Commentaires

"Posséder le silence" et se "délasser dans un bain de ténèbres", loin des "vapeurs corruptrices du monde"...et puis "s"enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit".
Les mots et les images de Baudelaire résonnent toujours pour moi comme des évidences, des échos mélodieux de mes stridences internes.

Écrit par : Evadné | 09/12/2006

Bonsoir Evadné,

C'est amusant : en recopiant ce texte magnifique, je me suis arrêtée pour savourer (oui, carrément!) les expressions "se délasser dans un bain de ténèbres" ou encore "les vapeurs corruptrices du monde"! Décidément, nos sensibilités sont très proches!!!

Écrit par : Katell | 09/12/2006

La nuit me protège du regard de mes semblables et m'apaise de la haine qui me tente. La nuit je suis seule avec moi-même et peux me retrouver, le jour je m'égarre solitaire parmi tout ce monde et je souffre. Quelle est cette étrange maladie qui me demande de fuir...

Écrit par : Tommie | 09/12/2006

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