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05/10/2012

Et l'Amérique devint bizarre, un article de Télérama consacré à Edward Hopper

La pensée du jour : "C'est à une fête infinie que nous invitent les plus humbles choses - les fruits comme les pierres, les herbes comme les astres - et il nous faut, pour en jouir, apprendre ce toucher immédiat de l'esprit dont les peintres ont le privilège". Christian BOBIN

 

A l'occasion de l'exposition Edward Hopper au Grand Palais (10 octobre - 28 janvier), Télérama consacre un article à ce peintre américain. Drôle de coïncidence : le dossier s'ouvre sur le tableau Compartiment C, voiture 293. Avec ce commentaire : « Une femme en jersey de laine violet lit le New Yorker. Mais où va cette femme, vers le bonheur, le malheur ? »

J'aurais bien aimé que Télérama évoque la magnifique chanson de Thiéfaine, mais non. Dommage. Je vous retranscris quand même cet article intitulé « Et l'Amérique devint bizarre » :

Compartiment C, voiture 293 est un tableau magnifique. Beaucoup de tableaux du peintre américain Edward Hopper sont magnifiques, mais celui-là l'est particulièrement. C'est un tableau vert. Josephine (dite Jo), la femme d'Edward (dit Ed), l'appelait d'ailleurs ainsi, « le tableau vert ». Il montre une femme blonde, élégante, vêtue d'une robe de couleur prune (quetsche). Elle est assise dans le compartiment d'un train. Les murs et le mobilier du compartiment sont verts. Seul l'appuie-tête est blanc, à sa base violacé. La femme lit. La plupart des commentateurs la voient lire un magazine, mais il faut toujours se méfier de ce que Hopper fait lire aux femmes. Dans Chambre d'hôtel, par exemple, peint en 1931, une jeune femme dévêtue, assise sur un lit, paraît absorbée par la lecture d'un roman. Or elle tient dans ses mains « un indicateur de chemins de fer ». On le sait parce que Jo l'a noté dans le registre où, une fois le tableau achevé, Ed dessine l'œuvre à l'encre noire que Jo, ensuite, de son écriture ronde décrit.

Jo est un personnage. Edward Hopper l'a épousée en 1924 – il avait 36 ans et Jo s'appelait alors Josephine Verstille Nivison. Elle est peintre. Ed ne la quittera jamais. Mais Ed n'est pas le genre à quitter. En 1913, il s'installe à Washington Square, à New York, dans un appartement-atelier duquel, malgré le succès et la fortune, il ne déménagera jamais – il y mourra en 1967. En 1924, il montre ses aquarelles dans la galerie Frank Rehn, qui lui organise sa première exposition personnelle et où il restera toute sa vie. Quant à Jo, jalouse comme une tigresse, elle sera son seul modèle féminin. Hopper est un homme fidèle. Jo, elle, est une emmerdeuse. Elle s'est « sacrifiée » pour Ed, dit-elle, lui a laissé l'atelier, et ne cesse de le lui reprocher. En 1946, elle commence même une grève de la faim pour protester contre l'indifférence d'Ed et du Whitney Museum pour son œuvre. Frank Rehn règlera le problème par un petit accrochage dans sa galerie.

Le photographe Arnold Newman raconte que le couple ne cessait de se disputer. Quand il voulait photographier Ed, Jo venait sans cesse se placer dans le champ. Etre dans la plupart des tableaux de Hopper ne lui suffisait donc pas. Puis il a compris que c'était leur façon de fonctionner. Jo admirait Ed. Dans son journal, elle écrit : « L'art de E. Hopper est tellement fondamental que l'on peut le comparer à Abraham Lincoln ou George Washington pour représenter le meilleur de la tradition américaine. » Il est probable qu'Ed devait aimer l'admiration que Jo lui portait. Elle tenait avec application ses registres. Elle l'accompagnait partout. Ils apprenaient l'espagnol ensemble. Et se fâcher continuellement avec elle devait l'arranger en lui réservant les longues plages de silence et de solitude dont il avait besoin. Hopper est un taiseux.
Pour savoir à quoi ressemblait Jo en 1938, il suffit de regarder la femme à la robe sombre dans le compartiment vert. C'est elle qui lit. Les femmes lisent souvent dans les tableaux de Hopper. Ou elles pensent. Ou elles rêvent. Elles sont parfois dénudées. Elles ne correspondent pas à l'image de la ménagère américaine. C'est peut-être pourquoi les femmes aiment beaucoup la peinture de Hopper : il les émancipe. Il ne les couvre pas de bijoux – Ed les détestait – mais les rend sexy. C'est une manière héritée de Courbet (Les Demoiselles du bord de Seine, 1856) dont Hopper a admiré la peinture lors de ses trois voyages en Europe (principalement à Paris) entre 1906 et 1910. C'est pourquoi sa Jo (Portrait de Jo, 1936) ressemble tant à l'autre Jo (Joanna Hiffernan), peinte par Courbet en 1865. Donc Jo lit. Hopper la vêt d'une robe stricte, la dote d'une forte poitrine, et dévoile légèrement le genou.

 

La suite dans les jours qui viennent !

Commentaires

, certes ..

p.s : une occasion de te saluer Cath ;-)

Écrit par : Le Doc. | 05/10/2012

Merci pour cette nouvelle note extrêmement intéressante, Cath !!
La bizz, FRED.

Écrit par : Fred06 | 05/10/2012

Merci également pour cette intéressante note ;
ARTE consacre une journée (14 octobre)à Hopper ;

Hopper admirait Courbet, né à Ornans ( Jura) et HFT apprécie les 2 !

Salut à tous...Michelle

Écrit par : KAROLLINCA | 05/10/2012

Ouf un article, je commençais à m'inquiéter !
L'article est très intéressant, merci pour la retranscription... Il tombait à pic, je l'ai lu hier soir dans la file d'attente d'un concert d'Hubert ! ;-)
Bises

Écrit par : aclh | 06/10/2012

Merci pour vos commentaires !
@Karollinca : oui, HFT apprécie Hopper et Courbet, j'y ai pensé en écrivant cette note !
@aclh : alors, ce concert ? As-tu écrit un billet à ce sujet sur ton blog ? Tu as peut-être eu raison de t'inquiéter, je n'allais (et ne vais toujours pas) fort...

Écrit par : Katell | 06/10/2012

@ Katell : mon mail est ouvert, tu le sais, donc n'hésite pas... Bon courage à toi en tout cas.
Le concert était très bien, j'en ai écrit un compte-rendu sur mon blog tout à l'heure !

Écrit par : aclh | 06/10/2012

Moi aussi je m'inquiétais, Katell, j'espère que ça va aller mieux pour toi !

Très intéressante, ta note, quel drôle de couple, j'attends la suite avec impatience. J'ai bien envie d'aller voir l'expo au moment de l'Olympia d'Hubert. Un peu chère, l'entrée, mais bon, c'est une peinture intéressante et c'est l'occasion de la voir. Seul souci : la file d'attente potentielle...

Écrit par : Aska | 06/10/2012

@alch : merci pour votre excellent commentaire sur votre blog ;
moi aussi je m'interroge souvent sur la présence de certain(e)s aux concerts de HFT et de leur compréhension face à la poésie de cet excellent auteur !

Écrit par : KAROLLINCA | 07/10/2012

, s'interroger sur la présence d'un tel ou d'une telle dans les concerts d'Hubert relève d'un autre questionnement non moins intéressant ..

, à chacun(e) son ressenti et de fait induit la légitimité de sa présence !...

Écrit par : Le Doc. | 07/10/2012

Mea Culpa, Le Doc, je suis quelquefois un peu intolérante, je le conçois, j'essaie de lutter pourtant !

Mais j'aime tant les textes d'Hubert...que j'ai du mal à accepter que certains (j'ai bien dit certains ! ) ne les apprécient à leur juste valeur !

et puis, comme a dit Hubert dans une de ses interviews, chacun prend ce qu'il peut prendre, l'essentiel est d'essayer de se hisser vers le "haut"...

c'est mon ancien passé d'enseignante qui ressort car j'ai toujours tenté de faire progresser les enfants dont j'avais la charge !

Écrit par : KAROLLINCA | 08/10/2012

@ KAROLLINCA :

, moi aussi il m'arrive d'avoir la tentation du ' bonheur ' et celui ci passe parfois par le bas. ( long sujet sociétal.. ) ..

;-) à toi KAROLINCA

Écrit par : Le Doc. | 08/10/2012

Salut cath...
Je viens de voir un reportage sur l'expo, et je me disais qu'il fallait que je te dise de faire une note... J'ai bien fait de venir ici avant...
Sinon. On se voit a Florange ?

Écrit par : 655321 | 09/10/2012

Oui, je serai à Florange ! Jour J moins cinq !

Écrit par : Katell | 21/10/2012

Les commentaires sont fermés.