18/12/2014
Article paru dans le Républicain Lorrain
La pensée du jour : "Je sais que je n'ai rien réussi. Pauvre consolation que de se dire que plus d'un, dans le même cas, n'en est pas même conscient". Elias CANETTI
Aujourd'hui, je vous propose une interview de Thiéfaine, parue début décembre dans le Républicain Lorrain :
"La médiocrité, c'est une peste"
Les fans étaient fébriles : après le succès de Suppléments de mensonge, Thiéfaine serait-il encore Thiéfaine ? La réponse est venue avec Stratégie de l’inespoir, sorti lundi. Le Jurassien est plus que jamais lui-même.
À la marge, barge, marginal, on a longtemps enfermé Hubert-Félix Thiéfaine dans l’image étriquée d’artiste un peu ovni, soleil noir adulé par un public fidèle depuis 1978. Et puis, en 2011, sont venus Suppléments de mensonge, le succès et les Victoires de la musique. Le show-biz découvre HFT. Stupeur et tremblements chez les fans : l’idole allait-elle finalement céder à la Tentation du bonheur ? La réponse a été donnée lundi : Stratégie de l’inespoir, son 17ème album, est une excellente cuvée du Jura.
Cet album reflète une lucidité calme, tranquille…
Hubert-Félix Thiéfaine : La lucidité, oui, c’est vraiment le sens que laisse le mot « inespoir ». C’est l’absence d’espoir, mais aussi de désespoir. Un no man’s land émotionnel qui permet d’avoir ce recul nécessaire pour voir les choses. C’est presque une perception philosophique de la vie. La religion, la politique, le sport : je suis fatigué de toutes ces choses derrière lesquelles on nous fait courir.
Suppléments de mensonge a été un vrai succès, est-ce difficile de se remettre à écrire après ?
On s’y met tout de suite. Je n’ai pas attendu les Victoires. J’ai commencé deux mois après la sortie de l’album. C’est vrai qu’il faut se maintenir, que ça m’a fait un peu peur. Après la sortie d’un album, il y a du temps qui passe, si vous ne vous remettez pas au travail rapidement, vous perdez vos repères. Et puis j’ai changé de vie, j’ai une vie plus saine qui me permet d’avoir de longues matinées à travailler.
Péchin, Méliès, Cherhal, Cali… comment avez-vous choisi vos collaborations ?
J’écrivais paroles et musique mais en écrivant, je me disais que le thème pouvait être mieux développé par untel ou untel. J’avais déjà des noms en tête. Quand je pensais à Armand Méliès, par exemple, ce n’était pas la peine que je me force trop sur la musique ! Pour le morceau avec Jeanne Cherhal, je voulais beaucoup de féminité.
En écoutant Karaganda, on a l’impression que les chanteurs engagés vous énervent…
Moi, je suis engagé par rapport à moi-même. Je ne défends pas un parti, je suis libre de ma parole. L’engagement est incompatible avec l’art. Un artiste doit viser l’infini, l’intemporel. Il ne peut pas s’occuper du quotidien du peuple, ce n’est pas sa place. Il doit toucher l’universel et pas juste une partie des gens. Un artiste, c’est un homme libre, debout, qui avance avec ses propres idées. Même si, c’est vrai, il y a eu quelques exceptions : Lamartine, Senghor, Vaclav Havel.
Dans Médiocratie, vous jugez sévèrement la société contemporaine.
C’est un coup de colère. Ça fait longtemps que je traîne ce titre dans mes bagages. Tout est dans la chanson, tout est dit. L’ennemi de l’humanité ou du moins, du monde occidental, c’est la médiocrité. C’est une peste. Quand on est un peu idéaliste, la médiocrité, ça fait mal.
Vous avez travaillé avec votre fils, Lucas, n’est-ce pas un risque ?
On n’a pas eu à se poser la question vu que ce n’était pas prévu ! À l’origine, j’avais juste demandé à Lucas de faire une bande de mon travail parce que moi, je pose tout sur un dictaphone. Trois semaines après, il m’a envoyé En remontant le fleuve arrangée. Il m’a complètement bluffé et enthousiasmé. Non seulement l’arrangement est beau, mais il reflète complètement ce que j’aurais demandé à un arrangeur. Après quatre titres, on a vraiment pris la décision qu’il serait réalisateur et pour ne pas lui foutre en l’air ses vingt ans, parce que c’est tellement lourd comme travail, on a choisi un coréalisateur, Dominique Ledudal, avec qui j’avais déjà travaillé.
Votre tournée passera-t-elle dans l’Est ?
On n’a pas encore de dates précises. On terminera les 16 et 17 octobre 2015 au Palais des sports à Paris mais avant, on fera peut-être des salles plus petites, des clubs. Une nouvelle expérience. Ce sera à partir du printemps 2015.
Propos recueillis par Emmanuelle De Rosa.
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