28/03/2016
Loin, le nouvel album d'Alex Beaupain
La pensée du jour : "Cette présence soudain incontestable d'une autre vie dans notre vie, une présence si nette qu'elle ressuscite la joie en nous dormante". Christian BOBIN
On dirait un peu du Souchon, cette manière de traiter des sujets graves avec l’air de ne pas y toucher, comme si seule la désinvolture permettait de tenir à distance ce qui blesse. Il y a là des accès de nostalgie, une impossibilité à se réconcilier avec le temps qui passe et des chagrins à la pelle. Le tout livré dans une ambiance feutrée. On dirait un peu du Souchon, surtout sur la première chanson, mais c’est avant tout du Beaupain. Cela s’appelle Loin, et c’est de taille à me faire dire, une fois encore, qu’il n’y a pas que Thiéfaine dans la vie (même si parfois, tiens, on se demande…)
Que nous susurre Alex Beaupain en ce début de printemps ? Il nous dit que la quarantaine l’exile déjà bien loin de l’adolescence, des premiers émois amoureux et des questions farfelues et tristement essentielles qui pourrissent cet âge-là (« dans quel sens faut-il tourner dans ta bouche ma langue ? ») A cette période de découvertes et de frissons, il oppose le tableau amer d’une existence trop pépère, trop pantouflarde et « parfaite jusqu’à la terreur ». Que faire quand le quotidien ne nous réserve plus de surprises ? « Couper les virages, ne plus suivre les lignes ». Il nous dit aussi avec effroi le temps qui ravage tout sur son passage, vide les maisons et remplit les cimetières (Les voilà est sans doute la chanson qui me bouleverse le plus sur cet album). Plus loin, il emploie, pour faire comprendre son désamour, une des dernières phrases que prononça Van Gogh : « La tristesse durera toujours ». Que faire quand l’amour est traversé d’ombres et que les étreintes de l’autre ne nous ressuscitent plus ? Tailler la route, une fois encore ! Alex Beaupain nous dit aussi l’absence, celle qui se met en travers du lit pour en faire un tombeau glacé, celle qui oblige à se coucher en diagonale dans des draps désormais trop grands. Il nous dit le parfum qu’a laissé dans l’air l’être aimé avant de disparaître (« Tout a ton odeur / Mais rien n’a de goût »). Il nous chante que lorsque l’on met l’amour en cage, on réduit son chant à la portion congrue, jusqu’à l’étouffer totalement. Extinction de voix, extinction des feux. Face au désastre de cet emprisonnement, il nous dit : mieux vaut être seul que trop accompagné !
Il y a aussi les questions qui taraudent à la fin d’une histoire : « Cela valait-il la peine / L’immense peine que je me traîne / Cela valait-il le coup / Les vilains coups / Les bleus partout ». Selon moi, la réponse, Beaupain la donne lui-même dans la chanson qui précède cette série d’interrogations et qui s’intitule La Montagne. Tant pis si l’on dégringole une fois arrivé au sommet, il nous restera toujours dans les yeux l’image de l’immensité conquise et dans le cœur le souvenir d’une victoire.
Dans Reste (tiens, la musique est de la Grande Sophie !), les jeux de mots s’enchaînent et l’on retrouve un peu le Beaupain d’Après moi le déluge, maniant habilement la langue. La traversée s’achève sur Rue Battant, chanson dans laquelle un fils s’adresse à ses parents. Les « skateboards déboulent » à vive allure, mais leur fracas finira par se taire, ne laissant place qu’au murmure d’une immense nostalgie… Quoi qu’il en soit, on reste toujours l’enfant de qui nous a mis au monde. Et les souvenirs nous foncent droit dessus, pareils à des skateboards fous, en cette quarantaine où l’on s’éreinte à dresser des bilans, à faire des comptes, à regarder ce qui n’est plus et ce qui aurait pu être.
15:41 | Lien permanent | Commentaires (0)
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