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18/04/2018

Merci l'ami...

"Vivez heureux aujourd'hui. Demain il sera trop tard". Jacques HIGELIN

 

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Il nous était tombé du ciel, comme une douce manne. Chassé du paradis originel par des anges à qui l'on peut rendre grâce jusqu'à la fin des temps pour ce geste qu'ils eurent : d'un doigt nous envoyer Jacques, le parachuter hors des nuages. Qu'il ait posé ses yeux rêveurs sur notre monde, qu'il ait foulé de ses pieds dansants notre sol, celui-là même où nos pas se traînent si lourds, parfois, ce fut providence, ce fut enchantement. Son métier, c'était d'ailleurs enchanteur. Plus qu'une profession, une profession de foi. Car il avait foi en la vie, Jacquot, il remerciait chaque jour à sa manière le merveilleux big bang qui lui avait permis d'atterrir ici. Il se déclarait volontiers grain de poussière et la mort revenait régulièrement hanter sa plume, tel un char d'assaut. On la sent particulièrement dans le dernier album, qui sonne désormais comme un adieu. En 2016, déjà, avec ce Higelin 75, Jacques nous disait qu'il se retirait du monde. Le temps de faire quelques bagages et d'y enfermer précautionneusement ses amours, de les plier soigneusement pour le grand voyage. Une dédicace à ses enfants, à sa femme, à ses amis, au public, et hop, au revoir Jacquot, « poussière d'étoile » livrée aux imbécillités de la grande faucheuse. Mais cette mort qu'il chantait déjà dans les années 70 n'était pour ainsi dire qu'un détail en comparaison de ce qu'il aimait à célébrer avec grandiloquence, euphorie, tambour battant : la vie. Être là, être en vie, voilà ce qui lui tenait à cœur, ce cœur qu'il avait si grand qu'il en distribuait des morceaux ici ou là, inlassablement. Assister à un concert d'Higelin, c'était comme se pointer à un rendez-vous d'amour : on s'y rendait fébrile, tout tremblant. On ne savait pas ce qui allait nous arriver. La plupart du temps, quand le sieur était bien luné, c'était un éblouissement qui nous tombait dessus. Parfois, cela pouvait être autre chose, de grimaçant et de moins drôle, je l'ai dit ici et je n'y reviendrai pas. Un concert d'Higelin, c'était un truc auquel on ne pouvait pas mettre d'emblée une frontière bien claire : on savait quand ça commençait, on ne savait jamais quand ça allait finir. Ni comment. Je me souviens d'une soirée privée dans une salle de Pont-à-Mousson, perdue au fond d'une arrière-cour, qui avait duré jusque tard dans la nuit ! C'était gratuit, champagne pour les uns, caviar pour les autres, et magie pour tout le monde. Ce soir-là, il nous avait donné bien plus qu'un concert : un bout d'éternité, un de ces instants qui restent à jamais gravés dans la chair, tels des tatouages sublimes. Il nous avait parlé de Trenet, nous avait encouragés à passer au-dessus des barrières intérieures qui peut-être ralentissaient encore notre marche vers son œuvre. C'est grâce à Higelin que je pus me réconcilier un peu avec celui qui jusque là m'avait semblé surtout très niais. Je découvris alors une poésie moins lisse qu'il n'y paraissait de prime abord. Je bousculai mes réticences. « Shooter dans les croissants » au petit matin, c'est ça qu'il faut faire pour que les aubes prennent du relief et ne restent pas de mornes plaines, voilà ce qu'il nous avait dit un soir, en substance, Jacquot. J'ai retenu la leçon. Shooter dans les croissants, c'était peut-être aussi, à ses yeux, donner un coup de pied à ses habitudes, les fouler à la base pour ne pas rester parmi ceux que Rimbaud appelait les assis. C'est en tout cas comme ça que j'ai compris les choses. Et tant pis si c'est de travers, ou tant mieux, je ne sais pas. Jacques aimait à répéter qu'il ignorait ce qu'était l'envers, ce qu'était l'endroit, il vivait dans une complexité où explosaient toutes les coutures. « La vie, quoi, le bordel ». Infatigable flâneur, increvable funambule, il se plaisait à « flâner entre les intervalles ». Ce n'était pas une posture, c'était une façon d'être. Sa façon d'être au monde. Il savait que tout est éphémère ici-bas, la beauté de la vie tout autant que la détresse. Une traînée de poudre dans un ciel toujours changeant. C'est pourquoi il nous enjoignait de vivre heureux aujourd'hui parce que demain il serait trop tard. Ce n'est pas pour rien que dans Château de sable, la dernière chanson de Beau repaire, il est question de « sabler le champagne à la gloire de l'éphémère ». Le fugace, il en faisait son affaire. Plutôt que de le déplorer, il lui bâtissait des temples. Il était de ceux qui s'agenouillent « au pied d'une fleur des champs ». De ceux qui nous rendent « l'âme du printemps » encore plus légère, encore plus ondoyante.

Je suis bien triste, encore, de savoir que plus jamais je ne m'endimancherai le cœur à l'idée d'aller rejoindre Jacques dans un de ses beaux repaires fantastiquement mal famés, je suis triste de me dire que la machine s'est comme enrayée et que tout a désormais le goût des printemps qui ne reviendront plus. Mais que je suis heureuse d'avoir croisé son œuvre et de l'avoir laissée entrer dans ma vie pour l'enflammer ! Jacques a semé sur ma route des petites pierres d'or qui font à chaque aurore des scintillements bienfaisants. Un seul mot me vient aux lèvres : merci.

07/04/2018

Adieu l'ami...

"La vie sur Terre est une gorgée

de miel dans un verre d'amertume". Jacques HIGELIN

 

Réveil déglingué ce matin, avec un « casque sur le nez »... Impossible de raccorder les fils. J'ai passé la nuit entre le rire et les larmes, atterrée par la mauvaise nouvelle qui est venue heurter de plein fouet ma galaxie hier, aux environs de midi. Plusieurs messages sur le téléphone : « Je pense à toi, tu dois être bien triste ». J'ai tout de suite su qu'un artiste venait de disparaître. Je savais que Jacques Higelin était malade mais, secrètement, j'espérais un miracle. J'avais bien eu vent, comme tout le monde, de propos alarmants lâchés ici ou là au sujet de sa santé. Mais quelque chose en moi, furieusement, résistait à l'évidence. Puérilement, je me disais que ce n'était pas possible, pas lui, pas maintenant. Et même : pas lui, jamais. Quand on a, comme il l'avait, l'amour de la vie chevillé au corps, on ne meurt pas, ce n'est pas pensable.

Eh bien si, Jacquot est mort, à l'aube d'une joyeuse journée d'avril, alors que le printemps fleurissait enfin, après des mois de grisaille. J'ai passé la nuit emprisonnée dans la brume des souvenirs. Je revoyais Higelin, arrivant au JDM, droit et élégant dans un somptueux costume gris, prenant le temps de faire une révérence au public avant de se mettre au piano. Je revoyais Higelin, je l'entendais, surtout, ne cessant de s'étonner, un soir de je ne sais plus quelle année, de se trouver à Rombas, en Moselle. Il trouvait le nom chargé d'une multitude de possibles. Au fil du concert, c'était devenu « Rom-basse », parce que cela avait bien plus de gueule que Rombas. « Rom-basse » : avec un roulement de gorge au début du mot et un « S » au bout qui n'en finissait pas de serpenter dans la bouche du grand Jacques. Il avait même demandé à ses musiciens de créer un rythme spécial rien que pour Rombasse, et on avait soudain l'impression de décoller de la terre lorraine et de se retrouver parachuté en territoire inconnu, exotique à souhait. C'était ça, la magie Higelin : savoir réveiller tout un champ de possibles, n'en faire qu'à sa tête pour ajuster l'infini à son imagination débordante. Cette nuit encore, je revoyais Higelin soulever des montagnes à Vandœuvre-lès-Nancy et entraîner tout le public dans une ode à « Gourdon, Alpes-Maritimes ». J'entendais cogner son grain de folie à mes tempes : « Le matin, allez, on y va, on shoote dans les croissants ». Bref, on fait exploser la vie, on la fait déborder de toutes les coutures parce que la monotonie ressemble trop à la mort. Je me revoyais à Toul, arrivant tout juste pour le début d'un de ses concerts, et me retrouvant, estomaquée, un peu gênée, à côté du père d'un de mes élèves !! C'était ça, la magie Higelin : amener des collisions, créer des entrechocs, de l'impromptu, de l'inespéré, de l'inattendu ! Mettre du flamboyant dans tous les interstices. Et que la lumière soit. Cette nuit, je revoyais aussi, pourquoi le nier, la bouche parfois un peu mauvaise du père Guiguelin, quand il estimait que le monde autour de lui n'était qu'un morne métronome trop bien réglé qui ne tournait pas à sa guise fantaisiste. Ou bien quand il trouvait que le public n'était pas à la hauteur de ses espérances. « Ah non, pas de photos, vous me gonflez », avait-il annoncé dès les premières minutes de son concert au NJP il y a quelques années. Et il avait fait rugir sa colère plusieurs heures durant, le visage fermé, refusant de donner ce qu'habituellement il nous présentait sur un plateau d'argent : un bout de son âme. Il était comme ça : sans concession aucune, on prenait ou on laissait. J'avoue que je fus parfois un rien perturbée par ses sarcasmes. Mais cette nuit, à l'heure irrespirable de l'amer nevermore, ce qui a pris le dessus, malgré tout, c'est ce que l'ami Jacquot m'a enseigné : une façon de voir la vie et de plonger à corps perdu dans ses gros bouillons, une urgence à cueillir l'instant présent plutôt que de le reléguer aux calendes grecques. Avec lui, j'ai appris à rêver ma vie pour la vivre plus intensément. Face à un deuil irréparable, ce fut lui, Jacques, qui me remit le cœur en marche. Pendant des mois, j'écoutai en boucle le CD joint au livre En cavale, sur lequel il célébrait le vent, la joie, la vie, quoi, le bordel. Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce que je lui dois, et qui est de l'ordre de l'impalpable et de l'incommensurable.

 

Comme le parc Montsouris doit être beau ce matin, arrosé d'azur, saturé de l'éclat si éphémère du printemps ! Comme ses arbres doivent chanter merveilleusement la beauté fugace et fragile, comme ils doivent être ébouriffés dans leurs jaunes tremblants, leurs blancs impétueux. La poésie de monsieur Guiguelin ressemblait à sa tignasse jamais rangée : elle ne se laissait pas discipliner, elle refusait tous les codes, leur préférant l'hirsute indomptable. C'était un type loufoque, « étranger aux vérités premières énoncées par des cons ». Un infatigable enchanteur qui marchait en équilibre entre les intervalles, qui y flânait avec beaucoup de grâce, quand d'autres y plantaient des panneaux moroses. Je ne sais pas encore comment je vais vivre sans toi, Jacquot. Ça fait bizarre, un printemps sans toi, et tous ces espaces désormais un peu trop grands à qui il manquera toujours l'enchantement que tu y mettais. Je te souhaite bonne route, man, et la sève fougueuse d'un éternel printemps bien mérité.

01/04/2018

Un bréviaire un peu particulier...

"Il est toujours surprenant d'entendre quelqu'un exprimer ce que l'on pense, ou que l'on ressent, surtout lorsqu'il s'agit de pensées ou de sentiments obscurs, de sensations, de répulsions si bizarres qu'on les croit uniques". Hector BIANCIOTTI

 

Je ne sais pas si vous êtes aussi barges que moi avec Hubert-Félix Thiéfaine. Toutefois, si je puis me permettre, la petite lueur que je perçois bien souvent dans vos commentaires me laisse entendre que si ! Nous avons donc un grain de folie commun, qui a poussé sur le même terreau ! Aujourd'hui, je veux vous parler de ces phrases « coups de poing » qui jaillissent souvent dans les chansons de Thiéfaine, et qui semblent aller flirter du côté des Syllogismes de l'amertume, de Cioran. Enfin, dans ces eaux-là, quoi. Ce sont des aphorismes qui ne prétendent pas l'être. Ils parsèment sans le savoir toute l'œuvre de Thiéfaine. J'en ai fait comme un bréviaire (le mot me fait rire en contexte thiéfainien !). Ce sont mes petits adages personnels, ils m'accompagnent sur les chemins rocailleux de la vie, ils me viennent comme ça, à tout bout de champ, ils me réveillent de mes somnolences, ils habillent mon quotidien d'un flamboiement mystérieux, comme un truc qu'on se refilerait sous le manteau ou que seuls pourraient déceler et comprendre quelques initiés. Trêve de blabla ! Je m'explique : presque chaque situation importante de ma vie me ramène, par un fil invisible, à l'œuvre d'Hubert. La vue d'une gare n'a plus le même sens pour moi depuis Des adieux et Libido moriendi. Tout à l'heure encore, j'écrivais un texte sur la douceur de ces week-ends prolongés où la laideur du travail ne vient pas vous oppresser. Je pensais à mardi, à la nécessité d'aller bosser quand même. Alors qu'on n'en a aucune envie. Alors qu'il y aurait mieux à faire. Et tant de livres à lire, à écrire peut-être, et dont la nécessité de gagner sa croûte nous prive. C'est perdre sa vie à la gagner, comme disait, il y a bien longtemps, un de mes amis. Bref... Pensant à mardi, une seule phrase m'est venue : « Mais le jour s'lève pas toujours au milieu des dentelles ». Je sais, je tire ces mots si beaux de leur contexte, j'en fais tout à coup autre chose, mais c'est ça, la manie dont je veux vous parler depuis le début. Régulièrement, à propos de tout, de rien, me viennent des mots de Thiéfaine. Ce sont comme des petits cailloux que je sèmerais sur mon chemin, pour ne pas me perdre. Ils me rassurent. Je me retourne et ils sont là, derrière, pas loin. Je peux donc avancer. Il y en a comme ça toute une ribambelle. Un flot interminable. « La Terre est un Mac'Do recouvert de Ketchup où l'homo cannibale fait des gloupses et des beurps ». « Le jour où les terriens prendront figure humaine j'enlèverai ma cagoule pour entrer dans l'arène ». « Les morts parlent en dormant et leurs cris oniriques traversent nos écrans ». Ailleurs, « ils pleurent sous leur dalle de granit ». « Nous rêvons d'ascenseur au bout d'un arc-en-ciel où nos cerveaux malades sortiraient du sommeil ». Et tant et tant de mots encore qui peuplent l'horizon, l'agrandissent, l'embellissent même, quand pour d'autres, ils paraissent bien sombres. C'est comme si la poésie d'Hubert entretenait d'énigmatiques liens avec la voix profonde qui cogne dans ma poitrine. Et je me sens moins seule, et je traverse la vie un peu moins lourdement, de me savoir entourée de tant d'échos qui réchauffent !