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26/07/2019

Thiéfaine aux Vieilles Charrues

"Sommes-nous jamais arrivé ? Et où ? Et si la mort seule détenait la réponse du vrai départ et de l'authentique arrivée ?" Jean-Claude BOURLÈS

 

Et voilà, c'est comme ça : ce qui, il y a quelques jours encore, était attente fébrile, est devenu souvenir. L'attente a ceci de formidable qu'elle permet de supposer tous les possibles. Le souvenir a ceci de formidable qu'il englobe tous les possibles advenus.

C'est qu'il en faut, des conjonctions heureuses, des emboîtements corrects, pour qu'un concert soit réussi. Tout ne dépend pas que de l'artiste. Ce que le spectateur amène avec lui compte aussi, n'est-ce pas ? Par exemple, moi, je n'ai jamais aimé me pointer pile à l'heure pour un concert d'Hubert, c'est trop de stress, trop d'adrénaline dépensée inutilement ! J'aime prendre mon temps, rêvasser devant la salle, observer ceux qui, comme moi, se sont déplacés pour le chanteur jurassien.

Dimanche 21 juillet, pour les Vieilles Charrues, je n'ai pas dérogé à la règle. Je suis arrivée avec deux heures d'avance. Comme ça, j'ai eu le temps de bien analyser les choses : où serais-je idéalement placée ? J'ai fait plusieurs essais avant de trouver. Deux heures, c'est long, me direz-vous. Pas tant que ça quand on papote avec d'autres, pas tant que ça quand on attend des amis pas revus depuis la dernière date parisienne. Quelle joie de discuter avec plusieurs personnes dont j'ignorerai à jamais le prénom, quelle joie, surtout, de discuter plus amplement avec mon jeune voisin, dont je n'oublierai jamais le prénom : Kilian. Un gamin de vingt ans, pas encore tout à fait remis de sa rencontre avec l'œuvre de Thiéfaine. Pour lui, la révélation, ce fut La Ruelle des morts. Et puis le vertige, dont je connais tous les méandres : s'apercevoir que ladite révélation en cachait d'autres, comme autant de trains fous, lâchés à vive allure. S'apercevoir que La Ruelle des morts n'était qu'un OVNI parmi beaucoup d'autres, vouloir les étreindre tous le plus vite possible. Avoue, Katell, que tout ça te rappelle ta jeunesse envolée, et surtout la grande décharge électrique qui devait révolutionner ta vie ! Toi aussi, n'est-ce pas, tu le vécus, en d'autres temps, ce profond big bang ! Et cette frénésie qui soudain donnait de la consistance à tout : envie de découvrir l'œuvre entière de ce drôle de type au nom bizarre, s'en emparer, s'en imprégner à toute berzingue, maudire les heures sans, ne plus espérer que les heures avec !

À 16h10 (j'ai bien écrit 16h10 : Hubert était programmé dans l'après-midi, chose sans doute pas très courante !), à 16h10 donc, le concert démarrait. Toujours de cette façon culottée qui vous plaque direct dans le vif du sujet : 22 mai ! Dès lors, les titres vont s'enchaîner sans temps mort. Petite déception pour tous ceux (dont moi) qui comptaient souhaiter un joyeux anniversaire à monsieur Hubert-Félix Thiéfaine ! Même en s'époumonant de la plus atroce des manières, impossible de se faire entendre. La configuration de la scène ne permettait pas une réelle proximité avec l'artiste. Certains furent prévoyants, ils avaient préparé des pancartes. Auxquelles Hubert ne réagira pas, mais que voulez-vous, "c'est pas tous les jours facile de vivre en société"...

Le concert, s'intégrant dans la programmation d'un festival, est une version allégée de ceux auxquels nous pûmes assister en novembre dernier. Ici, pas d'Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, pas d'Agence des amants de madame Müller, pas de Maison Borniol. Pas d'Éloge de la tristesse, ni de Je t'en remets au vent, pas plus que nous n'entendrons La dèche, le twist et le reste. Une playlist plutôt "classique" (si tant est que l'on puisse appliquer cette épithète au répertoire d'Hubert !). Mais qu'on n'aille pas croire que cela ratisse large et fasse tomber en ses filets les non-initiés venus s'égarer là sans trop savoir. Si j'en crois un article de Ouest France, paru au lendemain de la prestation de Thiéfaine sur la scène Glenmor, ses chansons peuvent effrayer ("c'est trop lent, trop grave", confiera une spectatrice au journal breton). Bah, on connaît bien ça. Moi, cela fait des années que j'entends régulièrement des questions intriguées concernant ma folle passion : "Comment peut-on écouter ça sans avoir envie de se flinguer ?" Ou encore : "Ouah, c'est barré, quand même, faut piger". Certes, et je ne prétends pas être toujours à même de le faire. D'ailleurs, ce n'est pas mon but. Naviguer dans l'obscur déroutant n'est pas pour me déplaire ! Quant à se flinguer pour avoir trop écouté Hubert, qu'on se détrompe : ce type-là, il agit depuis presque 27 ans comme un calmant sur mon âme ! Ses mots, loin de me coller la déprime, me remettent bien souvent d'aplomb.

Mais je m'éloigne de mon sujet : les Vieilles Charrues 2019. Je n'oublierai jamais, je crois, la tape amicale de Kilian sur mon épaule aux premières notes de La Ruelle des morts. Ni son visage radieux, illuminé par un sourire rempli d'étoiles. J'en ai vu tant, de ces extases chopées en plein vol, même pas par indiscrétion, juste comme ça, au passage, parce qu'elles se donnaient à voir si bellement. Je ne m'en lasserai jamais !

À 17h22, le concert s'achevait sur une Fille du coupeur de joints relativement sage. Disons que j'en ai connu de plus endiablées, mais peut-être aussi que l'atmosphère plus intime des salles confère une autre énergie à cette ballade. 1h12 de concert, donc : c'est peu, trop peu, mais c'est la loi des festivals ! Allez, ne nous plaignons pas : on va dire que c'était un avant-goût de ce qui nous attend à l'Olympia. Voilà une bonne raison d'espérer l'automne, saison pourtant maudite entre toutes à mes yeux.

Fin de concert, disais-je. Un salut rapide à Kilian, qui m'envie ma quarantaine de concerts d'HFT et mon prochain rendez-vous avec l'artiste (en août, à Verdun, encore pour un festival). Quelques moments passés avec Évadné et Erwan, et il est temps de se quitter, déjà, "ça me fait de la peine, mais il faut que je m'en aille". Je dois retrouver le parking D où j'ai laissé ma voiture. Évidemment, c'est le seul qui n'est pas indiqué correctement. D'abord rangé avec les parkings A, B et C sur les panneaux, il finira par tomber dans les oubliettes (c'est une tradition bretonne qui veut ça, je l'ai constaté au fil des nombreux séjours que j'ai effectués ici : une grande direction vous est donnée, puis soudain, elle n'apparaît plus nulle part). Après une longue errance sur le bord d'une route qui ne m'inspire aucune confiance, je reviens sur mes pas. Pour tomber sur un monsieur qui, comme moi, cherche désespérément ce foutu parking D ! Nous décidons de cheminer ensemble. Finalement, une voiture immatriculée 29 s'arrête à notre hauteur. Non, ce n'est pas un Chinois de Hambourg, mais un habitant de Carhaix qui nous demande délicieusement, ô miracle, ce qu'il peut faire pour nous. Ces Bretons, punaise, ils sont incroyables ! Dix minutes plus tôt, je me voyais condamnée à errer à jamais en boucle dans mon insoluble fin de partie, me décollant les poumons à force de demander "Où est la sortie ?", et me voilà en présence d'un sauveur ! Qui nous invite, mon compagnon d'égarement et moi, à prendre place à l'arrière de sa voiture. Comme je m'extasie devant son chien, installé fièrement à l'avant, il me dit : "Eh bien, montez donc avec lui !". Et nous voilà partis vers d'autres aventures, à la recherche du mystérieux parking D … que nous finissons par trouver. Je reprends le volant, gardant en mémoire la grande forme d'Hubert (71 ans, mais où est-il donc allé les pêcher ?!), les sourires des musiciens, et celui de Kilian dont l'insolente jeunesse m'a rappelé la mienne. Allez, que les vieux de la vieille (dont désormais je suis) se rassurent : notre âge bien tassé nous offre le plus grand, le plus beau des privilèges, avoir vu Hubert des dizaines et des dizaines de fois !

Mention spéciale à l'organisation qui accompagne Les Vieilles Charrues. Distribution d'eau gratuite, en bouteilles et même au bout de tuyaux d'arrosage venant régulièrement se déverser sur la foule. Purée, les Bretons sont incroyables : ils aiment tellement la pluie qu'ils sont prêts à l'inventer quand elle ne se donne pas d'elle-même ! Il ne faisait pourtant pas si chaud dimanche, et se prendre de la flotte à intervalles soutenus sur la bobine, cela vous arrachait un peu, beaucoup même, à l'ambiance du concert. Mais allez, soyons indulgents : mieux vaut prévenir que guérir… Vivement l'Olympia, vivement l'automne, et quand même : vive la Bretagne !