11/08/2019
Hubert à Verdun : du lourd, du gigantesque, du transcendant !
"Moi, à force d'écrire des fragments, j'ai dû en devenir un. Couvert de bleus". Georges PERROS
Qu'il faisait bon flâner hier le long de la Meuse aux allures de fée verte ! C'était comme atterrir chez les mutants au sortir d'une autoroute hystérique. Sur les quais, on croisait un peu partout des tee-shirts estampillés HFT. Il n'était que 18 heures et déjà, il y avait foule près de la scène. C'est à ce moment-là, précisément, que j'ai dit à mes filles (car elles étaient de la partie, elles aussi : c'était mon premier concert de Thiéfaine avec elles) : « Vous allez manger un morceau et vous vider la vessie, puis on se posera très vite dans les premiers rangs ». Au passage, je me félicite de cette bonne inspiration. Je ne voudrais pas frimer, mais tout de même : 47 concerts d'HFT au compteur, cela vous pose légèrement en expert de la chose ! Quelques heures plus tard, les quais de Meuse débordaient d'une marée humaine, j'avais donc eu raison d'opter pour la prudence. Du monde, il y en avait partout. Sur les bords, au milieu, dans les interstices. Partout où l'on pouvait caser deux bras, deux jambes et le reste, le trou était bouché. Un truc de malade !
J'avoue qu'une fois encore, la première partie (assurée par le groupe Room Me) n'a fait que m'effleurer furtivement. Je ne peux même pas dire que cela entrait dans une oreille pour ressortir directement par l'autre car j'avais fait en sorte, dès les premières notes, de me colmater copieusement les écoutilles, avec force bouchons et même renfort de doigts. Il faut dire que le son saturé envoyé depuis la scène était de nature à vous crisper les tympans les plus bienveillants du monde. Une dame, non loin de moi, commentera ainsi : « Bouh, ça résonne dans la panse ». Oui, carrément, ça résonnait dans la panse ! Et la question angoissée que tout le monde était en droit de se poser alors : « Purée, est-ce que nous allons avoir le même son pourri quand ce sera au tour d'Hubert ? ». Fort heureusement, ce ne fut pas le cas. Bref... Je suis certaine que Room Me mériterait une écoute plus attentive, mais pour moi, quand je sais qu'Hubert va se pointer d'une minute à l'autre, il faudrait être au minimum son clone (réussi, de surcroît : autant dire le truc improbable par excellence) pour trouver grâce à mes yeux ! Le public d'hier était globalement plus patient que moi et Room Me a tout de même récolté des applaudissements fournis. Mais, il faut bien le dire, lorsque la chanteuse prononcera le nom d'Hubert-Félix Thiéfaine, devenu quasi mantra pour l'occasion, un chalumeau embrasera la foule que désormais plus rien ne retiendra. C'est comme si tout ce petit monde s'était contenu jusque là et qu'il était prêt à hurler furieusement, d'un instant à l'autre et sans prévenir : « C'est Hubert, Hubert, Hubert, c'est Hubert qu'il nous faut » !
Et d'ailleurs le voilà, le grand, le magistral, l'unique Hubert-Félix Thiéfaine. Inclonable, échappant à toutes les classifications, dézinguant les codes. Lui, tout simplement. Il se pointe avec un foulard autour du cou et je blêmis durant quelques dixièmes de seconde : peut-être n'est-il pas en forme ? Peut-être que sa voix va le, nous lâcher d'un moment à l'autre ? Quelques minutes suffisent pour me rassurer. La belle tessiture est là, sûre de son coup, accompagnant comme il se doit le coincement de l'aile gauche du Saint Esprit dans les rayons de la roue arrière. Trois fois. Et pas du tout sur le mode éraillé. Premier virage rondement négocié. Ouf. De toute façon, je ne sais pas pourquoi, mais une intuition me dit qu'Hubert a d'emblée flairé l'osmose hier soir et que ça l'a porté. Il ne tenait peut-être pas une super forme au moment d'entrer sur scène, mais un effet magique, un effet chalumeau même, l'a conduit à donner le meilleur de lui-même. C'est qu'il aurait été difficile de résister à une foule aussi diablement déchaînée. Franchement, c'était du lourd, du gigantesque, du transcendant. Hubert s'est très vite montré souriant et, chose assez incroyable, causant sans que ça semble lui coûter un effort caverneux. Et c'est ainsi que nous apprendrons que Mathématiques souterraines est une chanson non seulement codée (mais ça, on le savait déjà, n'est-ce pas : combien de fois ai-je tenté d'en décrypter les images et suis revenue bredouille de cette quête !), mais aussi et surtout codéinée. De quoi ouvrir des perspectives sur l'infini thiéfainien. Cela vous inspire quoi, cette histoire de codéine ? À vos épanchements !
Bref... Les premières notes de chaque chanson électrisent le public. L'effet chalumeau, je vous dis. Tout le monde va sortir cramé de ce truc-là. Ça crie, ça danse, ça s'agite, ça hurle même parfois des choses qui me feraient rougir si j'étais née de la dernière pluie. « Hubert, à poil ! », par exemple. Véridique ! Bon, je ne suis pas née de la dernière pluie, et mes oreilles plus très chastes ne craignent à vrai dire pas grand-chose. Va pour « Hubert, à poil ! » donc. Mais quand même : ce n'est pas le premier truc que j'ai envie de lui demander, à ce grand monsieur, quand je le vois arriver sur une scène. « Chacun sa religion, chacun son parachute » et il faut (oserai-je dire « hélas ! » ?) de tout pour faire un monde !
À n'en pas douter, ceux qui se trouvent dans les premiers rangs sont des acharnés, des purs et durs pour qui ce concert est de l'ordre de la flamboyante fête. Cette fois, ils n'ont pas payé pour voir Hubert, mais ils veulent quand même en avoir pour leur argent, c'est le jeu. Alors pour rien au monde ils n'accepteraient qu'on leur foute leur fête par terre. Ainsi, un type passablement aviné, abiéré, ajointé, et venu à plusieurs reprises perturber le bon déroulement de l'effet chalumeau, se verra tancé de la plus verte des manières. Même moi je suis prête à en découdre s'il n'arrête pas son cirque. Au moment où il viendra rôder trop près de ma sphère, je le repousserai vivement, agrémentant mon geste d'un péremptoire « casse-toi » dont mes filles se souviendront longtemps, je crois. Allez, je suis restée correcte, j'ai seulement dit « casse-toi » là où d'autres auraient accolé un « pauvre con » à l'injonction, voire un « tu pues et marche à l'ombre ». Moi qui suis d'ordinaire si effacée, j'avoue que je ne me suis pas reconnue sur ce coup-là. Touche pas à mon Hubert, ne viens pas me le gâcher, c'est mon terrain de prédilection ! Ville de la paix ou pas, s'il faut que je me batte pour protéger mon extase, je me battrai ! On ne me mettra pas en pièces mon splendide songe d'une nuit d'été. Car c'en fut un. Comparaison n'est pas raison, mais qu'à cela ne tienne, j'ose la comparaison : Hubert était plus en forme qu'aux Vieilles Charrues. À Carhaix, on le sentait tout de même un peu sur la réserve, quand j'y pense. C'est peut-être aussi que notre « lycanthrope errant » n'est pas trop à l'aise avec les heures diurnes. Il leur préfère sans doute les ombres du soir et le grand trou noir de la nuit où tout devient possible, où l'on peut « s'enfoncer plus loin dans les égouts pour voir si l'océan se trouve toujours au bout ».
Hier, à Verdun, il s'est passé un truc immense que je n'oublierai pas de sitôt. C'était de l'ordre du presque indicible et tout ce que je pourrai bien écrire sur ce blog ne sera pas de taille, je le crains, à retranscrire le grand feu. Je ne peux en livrer ici que quelques braises, certes encore tièdes, mais braises quand même. C'était de l'ordre de la communion spirituelle, ça vous avait presque des goûts d'hostie (j'ai bien dit presque, seulement !). Un grand prêtre vêtu de noir distribuait la joie (oserai-je dire des « orgasmes en sachets » ?!) à une foule frôlant à chaque instant la pâmoison, et sautant parfois à pieds joints dedans, tellement c'était unique, inattendu et divinement savoureux, cette osmose qui durerait encore, j'en suis sûre, si la sinistre réalité n'y avait pas mis absurdement un terme.
Je n'oublierai pas les voix scandant avec ardeur « Sweet amanite phalloïde queen » comme si l'avenir du monde en dépendait, je n'oublierai pas les poings levés, les soleils égarés que l'on cherchait à ressusciter en les appelant à cor et à cri, les invitant à des futurs festifs. Je n'oublierai pas, une fois de plus, les visages traversés de la flamme de l'ivresse, les yeux presque hagards qui n'en reviennent pas de ce spectacle hallucinant et déjanté. Je n'oublierai pas que quand ça lui chante, la Meuse déserte la belle ville de Verdun pour laisser place à l'océan. Surtout : quand on lui chante quelque chose de fracassant où l'individuel se confond avec le planétaire. Car, n'ayons pas peur des mots : les histoires que nous conte Hubert, ce sont un peu, beaucoup, les nôtres. Alors, devant ce truc immense qui lui est tombé dessus hier, la Meuse s'est inclinée et est allée se tapir dans son coin, bien sagement, pour laisser vibrer les déferlantes sur les quais...
Dans la journée, je vous mettrai ici des photos du concert d'hier. En attendant, voici la setlist, un peu différente de celle des Vieilles Charrues. J'ai quand même dû merdouiller en la citant hier dans les commentaires. Je vais « revoir ma copie » avec Erwan et Évadné, et je vous tiendrai au courant. Une chose est sûre tout de même : pas de Septembre rose ni de Je t'en remets au vent à Carhaix. La setlist que voilà est en revanche sûre à cent pour cent puisque j'ai noté minutieusement dans mon téléphone tous les titres joués hier :
-22 mai
-Stalag-tilt
-Éloge de la tristesse
-Les dingues et les paumés
-Crépuscule-Transfert
-La Ruelle des morts
-La vierge au dodge 51
-Septembre rose
-Lorelei Sébasto Cha
-Confessions d'un never been
-Mathématiques souterraines
-Un vendredi 13 à cinq heures
-Je t'en remets au vent
-Enfermé dans les cabinets (avec la fille mineure des 80 chasseurs)
-Alligators 427
-Sweet amanite phalloïde queen
-Soleil cherche futur
-La fille du coupeur de joints.
P.S. : Vous voudrez bien excuser les changements de temps inopinés (et sans doute inappropriés) dans le compte rendu ci-dessus, les maladresses, les lourdeurs, tout ce qui peut casser le rythme. Désolée d'avance, je ne sais pas écrire autrement que sous le choc et donc ce matin, c'est l'ébullition, qui est encore à son comble, jusqu'à ce qu'une méchante redescente ne vienne remettre bon (ou mauvais) ordre à tout ça...
11:57 | Lien permanent | Commentaires (66)