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15/04/2020

"A l'ombre de vos centrales je crache mon cancer"...

"En remontant le fleuve vers cette éternité

où les dieux s'encanaillent en nous voyant pleurer". Hubert-Félix THIÉFAINE

 

Ne trouvez-vous pas qu'en ces « temps de désolation », de nombreuses chansons de Thiéfaine prennent des accents particuliers ? Peut-être est-ce parce qu'il a souvent chanté l'apocalypse et l'écrasement quasi inévitable d'une humanité se vautrant pitoyablement dans le mur ? N'empêche que je m'interroge.

Regardons les mois qui viennent de s'écouler : ça craque de partout. La banlieue est plus d'une fois descendue sur la ville, avec son armada de chagrins rentrés depuis trop longtemps. Tout ce petit monde a défilé avec ses Droits de l'Homme et sa « panoplie de pantin déglingué » et on lui a rétorqué « ne vous retournez pas, la facture est salée ». Toujours, on s'adresse à nous en termes de prix et de pots cassés à payer (« et ça continue encore et encore, c'est que le début, d'accord, d'accord »). Puis, comme si le contexte des derniers mois n'était pas suffisamment démonté, une pandémie s'invite au milieu de tout cela. Très vite, le virus actif à des milliers de bornes s'est déplacé jusqu'à nous. Alors que quelques semaines auparavant, on nous avait demandé de ne pas céder à la panique. Grippette de rien, risque modéré de propagation dans la population française. Tout est sous contrôle. Tant et si bien que voilà, nous connaissons désormais tous, je crois, quelqu'un à qui c'est arrivé. L'abstraction du Covid 19 prend soudain des allures terriblement concrètes. Et, comme si la pandémie incontrôlable (au risque de propagation pourtant modéré, je vous le rappelle) n'était pas suffisamment flippante, voilà que la forêt de Tchernobyl se met à flamber dangereusement. Qu'est-ce qu'on ira encore nous inventer ? Que certes, oui, des nuages radioactifs se promènent ici ou là, mais qu'ils n'ont aucune chance de venir jusqu'à nous ?

Tout cela me semble terriblement thiéfainien. Quelle chanson colle le mieux à la situation ? J'hésite : Alligators 427, Maison Borniol, Demain les kids ? Je dirais : un petit mélange de tout cela. « La mort est devenue un état permanent » : affirmatif, malheureusement. Il suffit d'allumer sa radio ou sa télé pour en avoir la preuve. « Le monde est aux fantômes, aux hyènes et aux vautours » : affirmatif itou, si l'on considère que les hyènes et les vautours peuvent être les requins de la finance qui sont prêts à sacrifier une partie de la population sur l'autel de la sacro-sainte économie. Quand je pense à la réouverture des écoles annoncée pour le 11 mai, j'ai immédiatement en tête le refrain de Demain les kids : « Sacrifiez les enfants, fusillez les poètes ».

C'est drôle, parce que quand l'année 2020 a démarré, je l'ai saluée avec joie, sans trop savoir pourquoi. J'aimais bien l'effet miroir du 20 qui se répète. Et puis, au fil du temps, j'ai glissé vers une autre analyse, qui me ramène pas loin du chapitre 3. 20-20, ça fait légèrement vain-vain. « Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité ! ». Ce prologue se termine ainsi : « Il n'y a pas de souvenir pour ce qui est ancien, et nos descendants ne laisseront pas de souvenir chez ceux qui viendront après eux ». En d'autres termes : « L'humain peut disparaître et son monde avec lui »...

Si je me réfère aux propos que Thiéfaine tenait sur je ne sais plus quelle tournée (mince, j'ai la mémoire qui flanche, qui peut me la rafraîchir ?), je me demande ce qu'il a bien pu écrire il y a dix ans pour qu'on soit dans une telle panade !