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22/04/2020

"Voici les photos de nos routes prises d'avion par nuit de brouillard"...

"Être, c'est être coincé". Emil CIORAN

 

Il n'est pas rare (et, pour tout dire, il est assez fréquent) qu'une chanson de Thiéfaine me chope par la manche pour m'entraîner dans l'infini dédale de ses mystères. Des jours durant, la chanson en question peut alors m'obséder, me suivre partout. Des flashes s'imposent à moi, et je crois voir, ici ou là, un sens caché, qui n'apparaîtrait qu'en deuxième ou troisième lecture. Tout à coup, ça fait tilt, à la façon d'un « mais oui, mais c'est bien sûr », dont je sais cependant qu'il n'engage que moi et qu'il n'entrera peut-être jamais dans la grille d'interprétation de qui que ce soit d'autre. Si tant est qu'on ait des grilles d'interprétation en écoutant Hubert, d'ailleurs ! On peut tout à fait ne pas en avoir et se laisser simplement aller à l'enivrement que produit la subtile alliance de la musique et des paroles. Et basta. C'est déjà bien. Il y a de quoi attraper là quelques somptueux vertiges !

Bref... Tout cela pour dire qu'il y a quelques jours, j'ai écouté en boucle Errer humanum est et que je me retrouve, depuis, dans le fameux dédale que j'évoquais ci-dessus. Voilà, selon moi, une des plus belles chansons d'HFT. Sur un rythme endiablé, presque enjoué, elle nous parle, à mon avis, de la condition humaine, qui oscille entre emballements et chutes. Je perçois dans le texte comme l'idée d'un mouvement alternatif qui irait, pour reprendre les mots dont Gainsbourg faisait usage à propos de la vie des sens, de l'appétit au dégoût et du dégoût à l'appétit.

Errer humanum est, c'est l'appel du grand large qui n'aboutit jamais. Toujours, on se met en route dans l'espoir de se cramer le cerveau, mais la réalité nous aplatit au sol, nous écrabouille pour faire de nous de « vieilles pizzas » ratatinées... Errer humanum est, ce sont nos idéaux qui se ramassent au niveau des idées basses. On tourne en sous-régime alors que nos hautes ambitions nous promettaient un tout autre programme. « On fait Nankin-Ouagadougou pour apprendre le volapük et on se retrouve comme kangourou dans un zoo qui prend les tucs » : drôle de dégringolade. Et ce n'est pas tout : nos destinées nous demeurent à jamais indéchiffrables, hiéroglyphes noyés dans un épais brouillard, livrés à l'arbitraire d'un hasard qui frappe à l'aveugle. Bref, ce n'est pas rose, et il y a encore et toujours du sang chez les Meinhof, et chez tous ceux que la vie a jetés là, sur un chemin aussi cahoteux que chaotique... Eh oui, mine de rien, « la bidoche est faite pour saigner », depuis la nuit des temps et jusqu'à la fin de celle-ci.

Errer humanum est nous dit aussi, me semble-t-il, que tout est vanité. Il n'est que de voir le sort réservé à nos ivresses. Même les douceurs nous mettent K.O., « la gueule au fond d'un verre ». Qu'importe le flacon, l'ivresse ne sera jamais assez bouillonnante, toujours nous en exigerons plus de largesses qui ne nous seront finalement pas accordées. Toujours l'ivresse nous ramènera à notre soif inextinguible. À peine en aurons-nous goûté une qu'il nous en faudra une autre, laquelle nous laissera insatisfait de la même manière et nous entraînera vers autre chose. « Toujours plus loin, à fond la caisse ». Ou, pour le dire autrement : « Encore plus loin, ailleurs »... C'est comme un vertige qui n'en finirait jamais.

Alors oui, c'est un peu mélancolique, ça en dit long sur le merdier auquel nous condamne la naissance (de l'inconvénient d'être né, a écrit Cioran !), mais on peut y voir aussi le moteur qui nous fait avancer et qui nous place, quoi qu'il advienne, on the road again, man ! C'est l'idée d'atteindre un hypothétique sommet qui nous remet inlassablement en chemin. C'est le fait de ne jamais atteindre les hauteurs qui nous fait lorgner vers elles. Bourlinguer, quoi, et nous « enfoncer plus loin dans les égouts, pour voir si l'océan se trouve toujours au bout » !

Commentaires

https://youtu.be/mPsElH1Y_NQ

pour le plaisir de réécouter la chanson, Palais des Sports 17 octobre 2015.

Écrit par : isabelle | 25/04/2020

Extrait de ' Etre, c'est être coincé ' :

- mais la réalité nous aplatit au sol, nous écrabouille pour faire de nous de « vieilles pizzas » ratatinées .. -

En préambule :

https://www.google.fr/url?sa=i&url=https%3A%2F%2Fthiefaine.com%2Fdiscographie%2Fdefloration-13%2F&psig=AOvVaw3g57nUGD4bfY6VwwcVo2Yn&ust=1587981611692000&source=images&cd=vfe&ved=0CAIQjRxqFwoTCIjpj9bqhekCFQAAAAAdAAAAABAE

, et de façon plus élargie toute l'œuvre d'Hubert ou comme dans un test projectif et bien sur celui d'Herman Rorschach. ( le Doc. pourrait développer, j'ai dis pourrais .. )

Pour moi ce midi se sera une 4 fromage !...

P.S : fatigué mais pas encore ratatiné …

,...

Écrit par : Le Doc. dit J.P Zéni | 26/04/2020

J'adore également cette chanson et encore plus en version Routes 88. Un must, une GRANDE chanson de Thiéfaine.

Écrit par : PK | 26/04/2020

Je gratouillais maison Borniol et j'ai pensé à tes propos du billet précédent où tu faisais un lien entre les chansons de Thiéfaine et l'actualité.
" vivement que revienne le corona " aurait pu souffler le livreur de cercueil.
Il a du boulot sur la planche !
Bien à toi
Florent

Écrit par : florent | 27/04/2020

Katell j'aime beaucoup ton billet :)

Écrit par : Nadja | 27/04/2020

Bonsoir,

Je ne résiste pas au plaisir de vous transmettre un nouveau lien vers une chronique de Tanguy Pastureau qui, il y a quelques jours sur France Inter, a une nouvelle fois cité Thiéfaine :

https://www.youtube.com/watch?v=mUnwrQfzu28

Aller à 2:40

Écrit par : CélineCapucine | 10/05/2020

Merci, CélineCapucine, pour ce lien ! Il est vrai qu'il n'est pas rare que Tanguy Pastureau (mon petit chouchou parmi nos humoristes !) cite Thiéfaine !

Écrit par : Katell | 24/05/2020

, …

Écrit par : le Doc | 24/05/2020

@ … :

, hier ma voisine ne répondant pas à mon questionnement me dit cependant :

- la pelouse est belle, elle est verte

Je libérais cet otage à ma logorrhée, elle avait hâte te de prendre la fuite, et me retournai en m'exclamant t :

- la pelouse est verte

, …

Écrit par : Jean-Zéni Zéni The Doc'n'Roll | 24/08/2020

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